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Critiques de Antoine Volodine (236)
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Alto solo

Ca commence comme ça, tout doucement, trois types qui sortent de prison dans un grand fracas de grille. Trois hommes hagards, qui clignent des paupières sous un soleil « qui n’est plus grillagé ». Trois pauvres gars, paumés, déroutés, sans argent, qui retrouvent la ville, au bout de quatre années de détention plus ou moins justifiée.



Car la justice en ce pays, autant dire qu’elle n’est pas pour les « oiseaux » et les « nègues » comme eux, ces migrants qui viennent des régions du Sud, là où persistent encore quelques mouvements de rébellion contre le régime.

La justice, elle n’est pas non plus pour les travailleurs pauvres, les clochards, les intellectuels, les musiciens, les écrivains…. De la graine d’oiseau à dénoncer aux patrouilles de salubrité du parti !

«lntellectuels prétentieux, roitelets de la décadence, fainéants huppés », avec leur art dégénéré et leur musique classique….une engeance de contestataires à qui l’on fait la chasse et que l’on plume sous les vivats d’une foule de partisans barbares se languissant d’un « nouveau printemps de génocide »…



Ici, ce sont les frondistes, les adhérents au parti populiste, qui édictent les règles, à grand coup de harangues populaires, de discours xénophobes et d’encouragements à la violence.

« Quand les tribuns désignent, à l’intérieur des frontières, des boucs émissaires, les foules se tiennent bouche cousue devant les crimes. »

« Rien ne menace le parti », la machinerie totalitaire est bien huilée, « patriotes-pitres » et « sociales-marionnettes » fanatisés, radicalisés, galvanisés, exultent bras tendus sous l’étendard fasciste, enfiévrés de chauvinisme primaire et d’intolérance grégaire, fiers de « l’image que renvoient les miroirs de la camaraderie en brassard ».



Alors, ça commence comme ça, tout doucement, trois hommes qui sortent de taule et errent par la ville. A leur histoire, se greffent celles d’un oiseau blessé, d’un voleur de chevaux, d’un clown phobique, d’un quatuor de musiciens, d’un écrivain que le réel obsède.

Tous ces personnages vont se croiser, se rencontrer, se préparer et se mettre en place pour la grande représentation finale entre concert de musique et meeting frondiste.

Car ce soir le spectacle va battre son plein.

« L’heure avait sonné de raviver le flambeau des haines à domicile. Il convenait, chez soi, d’entamer un renettoyage radical ».

On est le 27 Mai et ce soir, c’est massacre et jeux de cirque…



Oui, ça commence comme ça, tout doucement…et pourtant, on sait qu’on va vers le drame, vers quelque chose qu’on sent inéluctable, quelque chose qui va nous bousculer, nous heurter, nous meurtrir, nous laisser le souffle court et la rage au ventre.

Dès les premières lignes, on est happé et suspendu au phrasé envoûtant de l’auteur, cette écriture limpide qui va crescendo, qui flirte entre poésie tendre et horreur absolu, entre le rêve bleu des oiseaux et le cauchemar régnant, cette langue qui se fait rude, sûre, distincte lorsqu’elle parle de nationalisme, et lumineuse, vulnérable et sensible lorsqu’elle s’adoucit au contact d’un archet de violoncelle, sur les cordes d’un alto ou sur les ailes d’un oiseau planant dans les contrées du Sud.



Nulle indication de lieu ni d’époque dans « Alto Solo » ; Volodine instruit son discours avec l’outil de l’écrivain qui sait utiliser tous les ressorts du symbolisme, du rêve et du romanesque pour arriver cependant à une dénonciation brutale et sans équivoque du totalitarisme.

Quand bien même l’époque serait incertaine et le thème universel, Antoine Volodine publiait son deuxième ouvrage aux Editions de Minuit en 1991 ; alors on ne peut s’empêcher de repenser aux affrontements qui, dans ces années 90, s’amorçaient en Ex-Yougoslavie, le nationalisme radical dans les territoires serbes et croates, le caractère génocidaire d’un conflit d’une violence insoutenable, la barbarie orchestrée sur les minorités, les oppositions ethniques, politiques, idéologiques et gouvernementales qui ont menées à tant d’inhumanité.



Parce que c’est aussi ça la littérature, ce pouvoir de malmener, de nous révolter, de nous indigner, de nous blesser dans la chair et dans l’âme…que dire de plus, sinon que le pouvoir d’évocation de cette fable politique est tel, qu’il est bien difficile d'en sortir indemne, et puis reprendre, comme en un dérisoire hommage, ces quelques mots que l’écrivain rédige en un dernier concerto de défi à la face du tous les frondistes, de tous les radicalistes et de tous les mafieux en « brassards-araignées » :



« A la mémoire de Dojna Magidjamalian, je dédie ce texte.»

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Alto solo

D’un abord plus simple que «Lisbonne dernière marge», ce roman d’Antoine Volodine (le deuxième publié aux Editions de Minuit en 1991) met en musique de façon limpide cette phrase de l’auteur : "Le pessimisme le plus lugubre et le désastre absolu sont une pâte inerte avec quoi on peut façonner des objets extrêmement lumineux", car «Alto Solo» est sans doute l'un des romans d’Antoine Volodine où le désastre et la barbarie sont montrés de la manière la plus frontale.



Alors que les révolutionnaires faiblissent mais se battent encore dans un sud toujours libre, ils ont été défaits dans la ville de Chamrouche. La ville est passée sous la coupe d’un parti fasciste qui, pour maintenir sa popularité au zénith, contrôle le pouvoir depuis les coulisses et attise la haine de masses dévoyées vers le pire, envers les étrangers, les gueux, les oiseaux et tous ceux qui ne rejoignent pas leurs rangs. Ce parti populiste, barbare et xénophobe, le frondisme, qui nous rappelle des ombres répugnantes et terriblement familières, est tragiquement et si justement décrit par l’un des personnages : «Le frondisme, lui avait-il confié, c’est quand tu es battu devant une foule et que tu tombes, et que la foule rit aux larmes.»



L’histoire est raconté ici en une seule journée, le 27 mai, une histoire où l’on croise trois individus libérés d’une prison surpeuplée, Aram, Matko et Will MacGrodno, sous-hommes dans ce monde, insultés et exclus, l’altiste virtuose Tchaki Esterkhan habitée lorsqu’elle joue par le rêve magnifique d’un amour passé, Bieno un ancien voleur de chevaux qui fait maintenant le coup de force pour le frondisme, et enfin l’écrivain Iakoub Khadjbakiro, une mise en abîme de la fiction volodinienne à l’intérieur du récit.



«L’histoire se complique, parce qu’il s’y mêle un écrivain, Iakoub Khadjbakiro, et que, lorsque le monde lui déplaît sous tous ses angles, l’écrivain sur le papier, métamorphose le tissu de la vérité. Il ne se contente pas d’énoncer, sur un ton d’amertume dépitée, ce qui l’entoure. Il ne reproduit pas trait pour trait l’élémentaire brutalité, l’animale tragédie à quoi se réduit le destin des hommes. S’il procédait ainsi, il se dégoûterait vite, il se lasserait. Il composerait seulement de petits tableaux anecdotiques, il étofferait médiocrement la médiocre réalité. Il n’éprouverait aucun plaisir à son art et vite cesserait d’écrire. Au lieu de cela, il choisit, de la vie réelle, les brins les plus ténus, ombres et harmoniques, et à ses souvenirs il les entremêle, à des visions qu’il a eues pendant son sommeil et qu’il chérit, à son passé il les entrelace, aux impatiences, aux erreurs, aux croyances déçues de son enfance. Selon son humeur il reconstitue et remodèle, dans sa tête, ce qu’il a vu.»



Les fils entremêlés de l’histoire vont se nouer le soir du 27 mai sur la place de Chamrouche, là ou doit se dérouler un concert du quatuor, alors que le dirigeant frondiste Balynt Zagoebel a décidé d’imposer une culture populaire unique, et de mettre au pas ou bien de détruire les intellectuels et les quelques sous-hommes qui lui résistent encore.



La seule échappatoire à cet univers totalitaire et tragique est l’envol vers le rêve, qui fait d’Alto Solo un livre d’une beauté déchirante.



«Quand ils étaient allongés l’un contre l’autre, mollement chauds, ou qu’ils ouvraient les yeux avant l’aube, glissant enlacés du songe à la nuit, il lui décrivait le pays où il avait vécu son enfance, une lande compliquée par des montagnes et des falaises à pic. Au milieu des rochers abrupts s’étaient installées des colonies troglodytes. Le basalte était truffé de galeries. Certains couloirs aboutissaient sur le versant sud. Depuis les grottes on dominait alors un extraordinaire ensemble de volcans, des cratères que moirait un azur intense. Lorsque l’altiste, lisérant de mélancolie la netteté de son timbre, ressemblait à une dormeuse sans regard, elle revoyait sans peine Kirghyl Karakassian.»



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Alto solo

« Quand des tribuns désignent, à l’intérieur des frontières, des boucs émissaires, les foules se tiennent bouche cousue devant les crimes, ou encore se radicalisent, s’amourachent follement des forts en gueule, languissent après un nouveau printemps de génocide. »



Alto Solo, c'est l'éternelle histoire des dictatures. C'est la force brutale, bestiale, stupide et admirée. C'est l'amour des bottes que dénonçait Albert Cohen dans ses pages inoubliables de Belle du Seigneur.

Mais sous les doigts de Volodine, le si grand et discret écrivain, cent vingt sept pages suffisent à conter le combat entre l'humanité aveugle et celle ouverte au monde, refusant la désespérance.

La fable politique se fait romantique, créatrice, poétique, limpide comme un ciel qui vire au bleu parmi la boue des torrents de haine.

Tout l'art de Volodine est d'extraire du chaos et du fracas décortiqués des éclats cristallins.



La ville de Chamrouge est hantée par le frondisme. Ici, la censure règne en tapinois.

Il y a l'art acceptable, abêtissement des masses et tous les autres arts, moins acceptables, ceux qui paillettent les yeux, ébouriffent les plumes, enchantent les oreilles, émerveillent l'esprit. Pas interdits, non. Suffisamment discrédités.



Lorsque les grilles claquent sur quelques années d'incarcération arbitraire, trois hommes débutent leur première journée de libération, journée qui à elle seule emplira le roman. En ce jour de mai, un concert est annoncé où doit jouer la violoniste qui inspire le titre du livre. Elle, elle porte la musique vers les sommets des dieux lorsqu'elle joue pour son amour perdu.



Les histoires se mêlent; il y a le fier voleur de chevaux qui a abdiqué sa liberté, l'oiseau blessé qui se cache, l'écrivain amoureux, la peintre, le clown. Il y a leurs noms aussi beaux qu'étranges, Bieno Amirbekian, Aram Bouderbichvili, Ragojine, Baxir, Tchaki Estherkhan, Dojna Magidjamalian... La magie de l'écrivain Volodine crée un univers à la marge, différent et révélateur, fantastique et réel. Chimérique et vrai. Comme l'araignée qui rampe sur le brassard du parti frondiste.



Volodine ne se contente pas d'une dénonciation du système dictatorial. En ce jour de mai, le parti frondiste a délaissé le pouvoir. Il a remis les institutions légales entre les mains des patriotes-pitres et des sociales-marionetttes. Pour lui, il conserve la rue, la presse. Le pouvoir politique social-démocrate est modéré.

Mais derrière cette modération, embusquée, vigilante, la manipulation inconsciente des masses englue la rue de haine, incite à la xénophobie, flatte l'infinie vulgarité.

Vulgarité qui explosera dans un bouquet d'abjections lorsque viendra l'heure du concert programmé et fortement déconseillé. L'art contre le fanatisme politique. La musique contre l'excitation massive. L'élévation harmonique contre le populisme grossier.



Face aux contrées bleues des oiseaux, Volodine peint le tableau criard des masses abêties sans rien omettre de l'horreur de l'oppression. Mais au bout de cette fable, singulière et éblouissante, demeure le rêve, l'espoir, une plume qui lentement retombe, une note qui s'élève.



Et si nous devions défendre notre liberté, quelle place prendrions-nous?

Cent vingt sept pages limpides comme un torrent de montagne, à la beauté chimérique de la licorne ailée, au réalisme lucide. Cent vingt sept pages indispensables.

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Alto solo

Les quatre romans parus aux éditions de Minuit d’Antoine Volodine forment un passionnant témoignage d’une oeuvre en voie d’établissement.

Chacun défriche à sa manière des pistes en voie d’exploration, dont la cartographie future s’assemblera à leur impossible histoire commune.



Débutant par la voix de l’oralité, offrant au possible d’être racontée, son histoire glace de son vécu trop familier, cyclique cirque communo-fasciste, spectacle donné car bien trop véritable.



L’idéal totalitaire y entre en piste sans crier gare, la rumeur de sa venue précédant l’érection de son chapiteau, les affiches la vantant largement placardées sur ces murs, passifs témoins ne sachant l’arrêter.



Arméniens, Juifs, Cathares ou Doryphores, éternels sons du glas joués alors que la foule s’assemble autour d’idées bien trop simples.

Mais au moins, la musique reste.

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Alto solo

Le premier de cet auteur. J'y ai trouvé des qualités, mais manque quelque chose pour m'inciter à lire de nouveau cet écrivain.
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Alto solo

"Lorsque le monde lui déplaît sous tous ses angles, l'écrivain, sur le papier, métamorphose le tissu de la vérité."

(p.31)



"C'est l'histoire d'un homme. De deux hommes. En fait, ils sont trois. Aram, Matko et Will MacGrodno..."

... Mais c'est aussi l'histoire d'une altiste qui bouleverse son auditoire, d'un oiseau aux ailes coupées nommé Ragojine, d'un écrivain et d'une peintre épris de liberté, d'un clown de cirque obsédé par la mort et d'un voleur de chevaux qui a vendu son âme aux forces obscures.

Mais avant toute chose, c'est l'histoire d'un concert de musique classique qui a mal tourné.



Les noms étranges de toute beauté (pensez-en ce que vous voulez, mais j'ai toujours un frisson de plaisir quand je croise des personnages littéraires qui portent des noms comme Will MacGrodno, Baxir Kodek, Salvara Dradjia ou Hakatia Badrinourbat) ainsi que l'indéfinissable atmosphère qui nous enveloppe dès les premières lignes indiquent clairement que le monde dans lequel on se trouve n'est pas réel, malgré toutes les similitudes avec le notre. C'est le monde post-exotique de Volodine, hors de l'espace et du temps. Construit sur des ruines, incertain et plein de dangers.



Trois hommes sortent de prison, et errent dans la ville de Chamrouche gouvernée par les frondistes - parti populiste dirigé par un homme au nom évocateur de Balynt Zagoebel. L'araignée qui décore son brassard prend inexorablement la ville dans sa toile, tandis que quelque part dans "l'Hémisphère Sud" se trouve encore la "zone libre"... mais elle semble bien loin.

A Chamrouche, une étincelle de liberté pourrait potentiellement illuminer le théâtre où le concert d'un quatuor à cordes se prépare pour cette belle soirée printanière du 27 mai. Le choix du répertoire est osé, loin du goût des dirigeants politiques. Le spectacle n'est pas interdit, mais s'y rendre représente un défi : une affirmation publique de ses convictions.



Les divers protagonistes du drame final - tous des solitaires, étrangers dans leur propre pays - se croisent à peine au fil de pages, mais ils finiront tous par se retrouver le soir dans la même salle : les prisonniers politiques, les "oiseaux", les "nègues", les suspects opposants au régime, les artistes et les intellectuels qui ont tout juste le droit de se taire.

Or, désormais c'est Balynt Zagoebel qui décide à quoi doit ressembler la culture à Chamrouche, et il prépare à son tour un grand meeting-spectacle sur la place devant le théâtre. Les artistes du cirque Vanzetti (un bon nom italien pour un cirque, mais lourd de sens) seront recrutés de force afin de donner un peu de peps à cette manifestation d'abrutissement collectif : chanter, danser, hurler les slogans et rire de tout, même des saltimbanques poussés à l'extrême. Le peuple n'a pas besoin de douteuses distractions élitistes, il a besoin de s'amuser. Panem et circenses, entrez dans la ronde ! Fournissez un amusement populaire à la population, et vous serez populaire. Et quand vous serez populaire, le monde sera à vous.

Les mélomanes au théâtre ne sont pas nombreux. Ils entrent la tête haute et le coeur serré, en pensant à la foule fanatisée qui se rassemble dehors. Les frondistes ont d'ailleurs acheté la plupart des places dans la salle, et ils s'installent en souriant, tandis que le malaise et l'anxiété montent, ainsi que le pressentiment d'une "soirée affreuse, angoissée et angoissante".



"Alto Solo" est un court roman - seulement trois chapitres, dont le deuxième est raconté à la première personne par l'écrivain Iakoub Khadjabakiro - et pourtant, tant est dit !

De tout ce que j'ai pu lire de Volodine, c'est le récit le plus "réaliste", ouvertement conçu comme un multiple avertissement, et presque dépourvu de cet humour détaché typique de ce gracieux barde du bardo. Mais tout est encore une fois soigneusement brassé dans le magique chaudron post-exotique rempli comme d'habitude d'un bouillon acide de merveilleux poétisme sombre, des néologismes et de l'atmosphère unique. Volodine (accessoirement Khadjabakiro ?) fait de la ville de Chamrouche une allégorie du régime totalitaire, avec sa pensée unique et sa culture unique.

Mais il y aura toujours des drôles d'oiseaux qui n'auront pas envie de se joindre à la beuglante queue leu leu, quitte à prendre un envol risqué, et c'est à eux qu'est dédiée cette histoire.



4/5 : dans mon palmarès privé, aucun autre roman de Volodine ne peut surpasser les lueurs éclatantes de "Terminus Radieux", mais ces événements du 27 mai à Chamrouche méritent une mention spéciale.
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Alto solo

Cet opus est bien écrit comme d’une note tenue sur ses coutes 120 pages d’un solo d’alto. Une note aigüe et douce, qui se termine dans la tristesse fatale des cris des victimes.

La structure avant le concert / le concert et sa dérive tient bien : l’ironie dramatique tord bien les boyaux à pressentir dès le début le malheur et la violence dans une première partie et d’assister à la fatalité tragique se dérouler dans la seconde.

Ce sont les mêmes ressorts qu’utilise d’ordinaire Volodine de manière virtuose qui sont utilisés dans Alto Solo : l’impuissance face à la brutalité cruelle des milices racistes et orgueilleuses (ici les « frondistes », appellation suggestive pour un mouvement populiste extrémiste scandant « un peuple, une culture »), l’empathie pour les « oiseaux », les « nègues », et le flottement du lieu et du temps (ici les années ’90, mais où ? quand ? partout, tout le temps, potentiellement).



Cependant, je le cacherai pas, j’ai eu une certaine déception à la lecture de ce livre. Les personnages sont présentés puis abandonnés. Ils ne marquent pas, si ce n’est dans les derniers moments. Les images, si vitales chez Volodine, utilisées en contrastes avec l’obscurité et le noir complet où nagent les personnages, sont ici presque absentes. De même l’écriture de Volodine sort des brumes des Enfers fabuleux de Denoël qui m’avait enivré comme une Sibylle, et ce pour se produire une seconde fois chez Minuit, avec une tonalité plus neutre qui porte même en elle un mouvement étrange de reniement sous la figure de l’écrivain Iakoub Khadjbakiro. auteur putatif de l’excellente Biographie comparée de Jorian Murgrave dans Le post-exotisme en 10 leçons, leçon 11 :



"il souffrait de rédiger des ouvrages peu conformes au goût du public, remplis d’énigmes que peu de lecteurs décortiquaient, des textes pour oiseaux perdus qui ne lui assurait aucun succès et lui attiraient la réprobation des services frondistes. Il aurait voulu bâtir un livre plus efficace, où la poésie ne s’interposerait pas entre lui et sa dénonciation de l’idéologie dominante, une oeuvre sans décalages, sans chimère, sans emboîtures. (…) Mais il ne réussissait pas à mettre en pages, sans métaphores, sa répugnance, la nausée qui le saisissait en face du présent et des habitants du présent."



Alto Solo m’a fait l’effet de ce livre impossible et raté de Iakoub Khadjbakiro, l'exemplification de ce reniement du baroque Jorian Murgrave pour des tournures sans "emboitures", sans métaphore forte et finalement un récit terriblement lisse, même si cet aspect lisse, la mécanique bien huilée de la tragédie, les images et formules sans aspérités d'un fascisme ordinaire, le déroulé sans accrocs d'un malheur politique inéluctable et atemporel sont précisément, la terrible puissance de fascination de ce livre.
Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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Bardo or not Bardo

Bardo or not Bardo, est sexy, même si le sujet n’est pas B.B. mais bien des saynètes noiraudes extraites de la fin de vie issu de la galerie du post-exotique. Oui, l’humour est bien là tout au long des récits qui se suivent avec pour fil conducteur le « Bardo Thödol », le livre des morts tibétains, dont la lecture à l’oreille du cadavre doit le guider vers la Claire Lumière au long des 49 jours de noir complet qui le conduisent sinon à la sale renaissance.

Il va sans dire que fidèles aux anti-héros de Volodine, pas un n’arrive ni ne souhaite s’abolir dans le néant. Ils protestent pour la vie même si la précédente était un récépissé de violences, d’agressions, de défaites et d’humiliations. L’incroyable résistance et appétence humaines au malheur...

Si l’ensemble reste moins éblouissant que d’autres opus de Volodine, il y a cependant dans ce livre un élément très intéressant, il ajoute une pièce encore absente au monde post-exotique : le genre théâtral. Cette pièce s’agence remarquablement bien aux autres genres que traverse et fait muter le post-exotisme (poésie-litanie, prose poétique, roman expérimental, roman choral, etc.) et surprend. Le « Bardo de la Méduse » et le « Bar du Bardo » (deux chapitres de l'opus) représentent bien, d’un côté, l’impossible scène schizophrénique que pourrait être un théâtre post-exotique, et de l’autre, tout le côté beckettien en diable de Volodine, où l’humour noir, l’ironie du désastre est encore plus apparent que chez le dramaturge irlandais. Pour cela cela vaut la peine (la joie) de le lire.
Lien : http://www.senscritique.com/..
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Bardo or not Bardo

On ne lit pas un nouveau Volodine comme n'importe quel autre auteur. On rentre dans un univers déjà connu, construit sur des lieux et des mythologies déjà exposés et développés dans d'autres ouvrages : Russie soviétique, Asie, communisme, révolution mondiale, bouddhisme, apocalypse. Alors, où est le plaisir, où est la surprise ? Chaque fois, l'auteur élabore une nouvelle approche, une variation nouvelle sur des thèmes connus, comme improviseraient un jazzman ou un barde à partir de récits ou de modes musicaux familiers du public. La surprise et le plaisir viennent de la reconnaissance, et nous sommes un peu comme ces enfants qui se font raconter mille fois la même histoire, jamais tout à fait la même.



Est-ce à dire que "Bardo or not bardo" n'apporte rien de neuf , d'absolument neuf ? N'ayant pas tout lu de l'auteur, je ne saurais le dire. Ce qui me frappe et m'amuse, c'est l'association et la collaboration des bouddhistes (ici, des "Bonnets Rouges Anonymes" d'obédience tibétaine marginale) et des extrémistes révolutionnaires de gauche : les deux groupes cherchent à imposer aux hommes l'égalité absolue dans la misère (ou la sobriété) et devant l'extinction du Soi dans la Lumière, après les 49 jours d'errance dans le Bardo post mortem. Bouddhistes et gauchistes sympathisent, et d'ailleurs on rencontre un Lama portant des pins d'extrême-gauche sur sa robe.



Une traversée réussie de l'âme dans le Bardo consiste à éviter la réincarnation, le retour à la condition souffrante mortelle, et le sort horrible de deux personnages, l'un réincarné en singe, l'autre en araignée (alors qu'il a la phobie des araignées), nous avertit de l'importance du Bardo Thödol, le livre des morts tibétain, sorte de guide de voyage qui doit être lu pendant les 49 jours après la mort. Mais les morts n'écoutent pas la lecture qu'on leur fait ou n'y comprennent rien, certains refusent de bouger et restent couchés pendant les 49 jours, etc ... Alors à quoi bon lire ce guide de voyage si le voyageur ne sait pas qu'il est mort, ou ne voit rien de ce qu'on lui décrit, dans cet espace noir sur noir du Bardo ? Volodine est un peu le Soulages de la littérature contemporaine, ses infinies variations sur le noir sont stupéfiantes. A quoi bon encore lire le Bardo, si cette fameuse Pure Lumière censée éviter la réincarnation, n'est jamais visible ? D'ailleurs, les personnages n'ont pas envie de disparaître et préfèrent vivre et souffrir.



Comme toujours chez Volodine, tout foire. Les monstres décrits dans le Bardo Thödol ne sont pas au rendez-vous, pas de nouvelles de la Pure Lumière (on a dû l'éteindre). Hamlet craignait, dans le célèbre monologue "To be or not to be" (d'où le titre de Volodine est tiré) de rater sa mort et sa disparition. Ici, tout rate, bien entendu, mais c'est aussi drôle que des numéros de clowns au cirque, qui ne cessent de tomber et de se faire des blagues qui tournent mal. D'ailleurs, il y a des clowns à la fin du roman (et ce n'est rien révéler).



Volodine nous fait rire de la mort et du malheur métaphysique, un peu comme Shakespeare, surnommé The Bard.
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Bardo or not Bardo

Connaissez-vous Antoine Volodine ? Sans doute.

Drôle de personnage : Volodine est un nom d’emprunt ; jusque-là rien d’extraordinaire. Mais il publie aussi sous le nom de Lutz Bassmann et parfois sous un nom de femme : Manuela Draeger

Il écrit des livres pour enfant sous le nom d’Elli Kronauer et de Manuela Draeger.

Plus récemment il a présenté un recueil : « débrouille-toi avec ton violeur » textes enragés, violents sous une signature collective : Infernus Johannes

Il a créé un mouvement littéraire : le Post-Exotisme qui fait l’objet de colloques, de thèses.

« Son univers est fait de déserts, de steppes, de décombres de cités bétonnées par des siècles d’idéologie, un monde doté de son histoire, de sa géographie, de sa musique et de sa littérature ».

Volodine maîtrise merveilleusement l'art de se saisir de sa proie dès la première phrase de ses livres.

"Le livre traînait dans les déjections et le sang : il fallut, pour l'ouvrir, décoller au racloir la paille qui avait durci et coagulé le long des pages"

"La tortue écarta lentement une dernière brassée de lianes pourries ; le rideau s'accrochait à ses griffes"

"La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir "

Voici l’incipit de « Bardo or not Bardo : "Les poules caquetaient tranquillement derrière le grillage, lorsque le premier coup de feu retentit."

Le Bardo est cet espace noir où, d’après le Bouddhisme Tibétain, le mort erre pendant 49 jours après son décès en allant soit vers sa réincarnation, ce qui pour les bouddhistes est la voie de l’échec, soit vers la claire lumière rompant ainsi le cycle des réincarnations.

Mais avec Volodine, le postulat n’existe que pour être détourné … Et ce, malgré les injonctions des quelques lamas tibétains qui jalonnent son livre. Humour noir et burlesque sont au rendez-vous. Les personnages ! Tous ingérables … Tueurs, mafieux, révolutionnaires, … que des fous et des sourds qui s’ignorent… car personne n’écoute personne.

Ce livre iconoclaste est ainsi très vivifiant. Jubilatoire. Et finalement très poétique. A l’image de ce Juke-box incongru de ce Bar du Bardo crépusculaire où on peut monologuer jusqu’au bout de la nuit tout en buvant un coup ! La seule rédemption du tragique reste le grotesque.



A quand le prochain ?







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Bardo or not Bardo

Sept nouvelles pour nous conter les quarante-neuf jours passés dans le Bardo, monde intermédiaire entre la mort et la vie de la tradition tibétaine.

Sept fois plongé dans une quasi-obscurité, un certain humour, à la limite de l’auto-parodie, comme fil d’Ariane pour y déployer toute sa mythologie.



Le post-exotisme volodinien est un oracle que l’on vient parfois consulter, un pilier bien esseulé d’une certaine littérature française.



Avec sa plume d’une apparente simplicité, il déploie toute sa capacité narrative et visionnaire, comme dans sa première nouvelle, où il trouve le moyen de multiplier les narrateurs, nous y incluant tous.



Il réussi toujours à évoquer, avec malice, les grands combats sociaux, dont il se sert comme glyphe pour raconter son histoire humaine, forcément emprunte de radicalité. En quelques mots et images, il y synthétise ce qu’une bibliographie complète, à force de tourner autour, n’arriverait qu’à éparpiller.



Il est le genre d’écrivain dont l’oeuvre entière est une et unique. Souvent copié, ses inspirés n’ayant toujours pas daigné lui rendre hommage en se réclamant de son mouvement d’après l’exotisme. J’avais déjà cité à ce propos Joël Casséus (« Crépuscules »); son nouveau livre, feuilleté dans une librairie « militante », s’enfonce davantage dans la parenté, mais toujours en restant de son côté, défaut quasi-patenté de celles et ceux voulant à tout prix déconstruire.



Lorsque les quarante-neuf portes d’entrée auront été ouvertes.

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Bardo or not Bardo

Bardo or not Bardo est un recueil de sept nouvelles dont le fil conducteur est le Bardo Thodol, le livre des morts tibétains, selon lequel le mort erre 49 jours dans le Bardo avant de réussir à atteindre la Claire Lumière ou, au contraire, de se réincarner et de vivre une nouvelle vie en tant qu’homme ou animal.



Antoine Volodine, que je découvre avec cet ouvrage, mêle le bouddhisme tibétain au communisme soviétique, dans un univers futuriste « post-exotique » dans lequel la révolution communiste a échoué. C’est donc un monde assez original, qui m’a un peu déstabilisée au début mais auquel j’ai vite accroché, en particulier grâce à l’humour permanent de Volodine. En effet, c’est ce côté burlesque et décalé, malgré le sujet a priori sérieux qu’est la mort, qui constitue le charme de ce livre : on ne s’ennuie jamais et on sourit souvent au cours de notre lecture ! Mais cet humour ne signifie pas que Bardo or not Bardo soit un simple livre comique : il livre une réflexion originale et intéressante sur la mort, mais également sur la politique et l’écriture, la narration étant constamment questionnée et mise en abyme.



Comme dans tout recueil, certaines nouvelles m’ont intéressée plus que d’autres, mais dans l’ensemble ce livre était une belle découverte !
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Bardo or not Bardo

Ce roman de Volodine paru en 2004 aux éditions du Seuil est sans doute un de ceux où l’humour du désastre est le plus omniprésent, depuis le premier chapitre complètement burlesque où le malheureux Kominform, égalitariste radical en bout de course, est abattu par des tueurs au milieu des volatiles d’un poulailler attenant à un monastère lamaïque. Une femme au corps d’ange assiste à la scène et commente les événements comme si elle était en direct à l’antenne d’une radio, Drumbog, un des moines est partagé entre ses problèmes intestinaux du moment et sa volonté de lire le Bardo Thödol à l’oreille de Kominform pour l’accompagner dans son avancée dans le Bardo, et enfin Strohbuch le tueur, qui est chargé par le moine d’aller chercher le livre des morts tibétains, revient, par ignorance de la langue, avec deux livres inattendus : un manuel de cuisine «L’art d’accommoder les animaux morts» et une anthologie surréaliste «Cadavres exquis».



Le Bardo est cet espace noir où selon les bouddhistes le mort erre pendant 49 jours après son décès en allant soit vers sa réincarnation, ce qui pour les bouddhistes est la voie de l’échec, soit vers la claire lumière rompant ainsi le cycle des réincarnations et entraînant la destruction de l’individualité. Pendant cette période, un lama dit au défunt le Bardo Thödol, le livre des morts tibétains, pour le guider, si possible, vers la lumière ou du moins vers une meilleure réincarnation.

Mais les morts de Volodine sont mécontents d’être prisonniers de cet espace noir, ils sont stupides, rarement clairvoyants, têtus et dans tous les cas désobéissants, absolument pas prêts à renoncer à leur individualité, à leur capacité de résister, de penser et de dire, même s’ils ne sont que des Untermensch ou des écrivains sans public.



« -Cet homme est comme sourd à ce qu’on lui serine avec patience et compassion, commente Mario Schmunck. Cet homme mort, au lieu de se préparer à rencontrer la Claire Lumière, il est en quête d’un compteur d’électricité !... Il promène ses mains sur le mur, il ne rêve que de descendre à la cave. Il s’appelle Glouchenko, il a trente-cinq ans, il a mené une vie normale… »



Il est difficile de ne pas s’égarer dans les chemins de ce «Bardo or not Bardo», car, à chaque chapitre, la narration prend un nouveau départ et que les voix des personnages, narrateurs, qui ont aussi souvent le statut d’écrivains, semblent se démultiplier et se superposer au cours du récit.



Mais pour peu qu’on accepte de cheminer dans cet espace fictionnel noir, dans ces histoires tragiques où le burlesque et le détournement de la parole sont constamment présents (il suffit de lire les titres du roman et les titres des chapitres 1, 4 et 7 pour s’en convaincre : Baroud d’honneur avant le Bardo, Le Bardo de la méduse, Au bar du Bardo), on ressort (toujours plus) amoureux de la littérature post-exotique et ébahi de voir ainsi cohabiter dans un unique livre la puissance et les limites de ce que peuvent la parole et l’écriture.



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Bardo or not Bardo

Ce livre est chroniqué sur Les Murmures d'AC de Haenne. Et on aime !
Lien : http://a-c-de-haenne.eklablo..
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Bardo or not Bardo

Heureusement je n'ai pas erré pendant 49 jours dans les limbes de ce roman (ou recueil de nouvelles ?), lunaire voire loufoque, sinon je n'en aurais sans doute pas ressuscité...

Rien compris à ces récits d'errance de morts dans un entre deux post-communiste, arrachés à leurs idéaux et plongés dans des préceptes boudhistes ou l'on en perd son tibétain.

Bref pour moi, c'est not bardo.
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Bardo or not Bardo

"Noble fils, maintenant que ta respiration a presque cessé, voici pour toi le moment de chercher une voie, car la lumière fondamentale qui apparaît lors du premier état intermédiaire va poindre..."

(Bardo Thödol, le Livre Tibétain des Morts)



Sépulcrale lumière matinale d'octobre, paisible lamaserie deux-sévrienne...

Gong.

Noble lecteur, te voilà prêt à entamer une errance de 49 jours, à travers les sept chapitres du Bardo (or not Bardo ? toute la question est là !) volodinien. Prêt à être surpris et étonné par ce qui t'arrive, à te sentir perdu en passant d'un état intermédiaire à l'autre, et à t'approcher peut-être de la Claire Lumière. Dans le meilleur des cas tu entreras au Nirvana littéraire que peuvent apporter les romans post-exotiques... dans le pire (ce que je ne te souhaite pas), tu te réincarneras sans peine en lecteur de romans ordinaires, qui n'aura plus jamais envie de franchir la porte phosphorescente et délabrée du Volodinestan.



Gong.

"Bardo or not Bardo" est la création la plus drôle, la plus "théâtrale" et la plus tragiquement burlesque de tous les romans de Volodine que j'ai pu lire jusqu'au présent. Mais pour en profiter pleinement, il n'est peut-être pas inutile d'être déjà familier de l'univers du barde post-exotique, qui peut paraître aussi obscur et fantasque que le système de médailles babéliotes. Tous ses romans sont plus ou moins bardés de Bardo de façon sous-jacente, mais celui-ci nous fait entrer directement dans l'Espace Noir, et explorer ses affres en même temps que les personnages.

Selon la tradition bouddhiste, le défunt doit être accompagné pendant les sept semaines de son séjour au Bardo - dans un état entre la vie et la mort - par le lama, lui récitant les textes de "Bardo Thödol". Il sera ainsi guidé vers un reposant néant ultime, qui signifie la fin des souffrances. Si le travail est mal fait, il dévie de son trajet en prenant le chemin de la prochaine réincarnation, dans une matrice souvent peu enviable. Qui d'entre nous voudrait devenir pingouin ?

Et vous pressentez déjà que ça va barder... depuis l'ouverture par "Baroud d'honneur avant le Bardo", jusqu'à la rencontre finale au "Bar du Bardo".



Gong.

Dans une interview, Volodine disait ne pas supporter l'idée de la mort : c'est pour cela qu'elle est si souvent déclinée dans ses récits, de façon détournée et grotesque, qui permet d'exorciser ces craintes. Est-ce de l'humour noir ? Bien évidemment, mais c'est un humour noir qui n'appartient qu'à cet univers post-exotique brillamment conçu. Si la vie s'apparente à l'univers carcéral, qu'en est-il de la mort ? Une libération ? L'idée du néant, d'un Rien définitif et inaltérable, est presque aussi effrayante que l'idée même de mourir, et il n'est pas étonnant que les trépassés de Volodine se sentent quelque peu paumés et hésitants sur leur chemin vers la Claire Lumière. D'autant plus que leur mémoire est encore pleine des souvenirs terrestres. Ils sont tous dûment accompagnés, et leurs guides du passage dans l'au-delà sont pleins de bonne volonté, mais... voyez-vous, même dans la vraie vie il y a souvent une grande différence entre les choses telles qu'on les imagine, et telles qu'elles le sont vraiment. le Livre Tibétain des Morts devrait fonctionner, mais à quel point doit-on se fier à tous ces textes qui font office de loi ?



Gong.

Les sept scénarios sont tous minimalistes : un défunt et son guide à travers le Bardo, qui communiquent, ou du moins essaient d'entrer en contact dans l'Espace Noir. Mais cela suffit amplement à Volodine pour imaginer des situations aussi comiques que désespérantes. Comme d'habitude, tout foire.

Abram Schlumm alias Kominform se fait descendre dans le poulailler d'une lamaserie par une faction ennemie. le bon lama Drumbog se démène entre ses tourments gastriques, les reporters qui envahissent le poulailler et son assistant, incapable d'apporter le livre demandé. Les errances de Kominform seront donc accompagnées par un livre de cuisine : "l'Art d'accommoder les animaux morts", et par "Cadavres exquis, une anthologie surréaliste".

Glouchenko du chapitre suivant a une certaine chance, mais (un clin d'oeil à son nom) il reste sourd à la voix du lama, et continue à chercher obstinément une pile électrique.

Schmollowski, l'ancien terroriste, va sympathiser avec le banquier Dadokian, et malins comme ils sont, ils décident d'ignorer le délai des 49 jours. Après tout, c'est sympa, le Bardo, et rien n'empêche d'y rester pour l'éternité. Ah, vraiment ?! Et quand la voix du lama fait défaut, peut-être que le vieux juke-box pourri au fond d'une caverne pourrait délivrer un message fiable, le tout c'est de bien l'interpréter.

En passant par le "Micmac à la Morgue" (comment résister ?), "Le Bardo de la Méduse" interprété aux lapins et aux arbres par l'unique membre restant de l'ancienne corporation The Baba and Nyonya Theater (comment résister, bis), et autres "histoires dans l'histoire", on se dirige sans faute vers le bar du Bardo et l'affligé clown du cirque Schmühl, qui ferait tout pour que son défunt ami et collègue Grümscher trouve la voie de la Claire Lumière. A la fois triste et hilarant, comme toutes les histoires de Volodine.



Gong.

Toujours le même monde post-exotique, plein de grands idéaux et de petits moyens. On sait à peu près ce qu'on va trouver en franchissant sa porte, mais à chaque fois il nous réserve de nouvelles surprises, et nous fait retrouver des vieilles connaissances sous une autre identité... n'est ce pas, Dondog ? C'est pour cela qu'on y retourne encore et encore, avec plaisir. Excellent livre, rempli de "Cadavres exquis" cités plus haut, dont la qualité augmente encore à mes yeux par sa mise en valeur des lamas et des lamaseries. Une étoile pour chaque coup de gong.
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Biographie comparée de Jorian Murgrave

Il s’agit du premier roman d’Antoine Volodine et on ne peut que s’incliner devant ce coup de maître. Comment dire ? Ce roman est à la fois une prouesse d’imagination, de style et de narration. Qui est ce Jorian Murgrave ? Dans une terre du futur, sous un régime totalitaire de type stalinien, la brigade de surveillance est chargée de neutraliser le Non-Terrestre. Pourquoi ? Celui-ci semble avoir la particularité de pouvoir tuer les gens à partir de ses rêves. Car même enfermé dans la forteresse de Kostychev, il continue à tuer. Toute personne s’intéressant à sa vie, ses biographes, meurent selon un terrible rituel extra-terrestre. Les agents de la Brigade, dont les deux magnifiques Dojna et Hakatia ne sont pas non plus à l’abri. Or, cette traque via des biographies est l’élément fort du roman : car jamais nous ne sommes sûrs de lire la vérité sur le Murgrave et à chaque fois l’auteur essaye un style différent, inscrire une véritable nouvelle à l’intérieur de son roman. On nous relate ainsi l’enfance supposée du Murgrave, sa jeunesse, etc. Une chose est claire, son existence n’a pas été de tout repos (nous croisons au passage d’autres non-terrestres excellents, rien que le molop vaut le détour). Puis les techniques des bourreaux de Kostychev s’affinent, on essaye peu à peu de piéger le Murgrave, l’enfermer dans ses cauchemars pour l’y faire périr. Que dire de l’histoire ? Géniale, rythmée, on suit l’enquête, on se demande qui est ce Jorian, que veut-il ? Nous n’aurons guère de réponse, hormis que cet être est aussi complexe que l’âme humaine et que les révolutionnaires sont vite tués ou désabusés. Pour finir, une petit citation. « Stevän se renfrogna. - Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un rêve amusant, dit-il. - Je n’ai jamais entendu parler d’un rêve amusant se déroulant sur Terre, dit Tregar. » p114

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Biographie comparée de Jorian Murgrave

je ne mets pas en doute les qualités techniques de l'auteur en tant qu'écrivain, mais, au final, c'est un peu comme la musique contemporaine : de haut niveau, mais sans émotion pour le commun des mortels...
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Biographie comparée de Jorian Murgrave

Propagande et contre-propagande poétiques et cliniques dans les ruines d’une biographie de l’Ennemi Mondial N°1, à la fondation de l’œuvre de Volodine.



Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/08/13/note-de-lecture-biographie-comparee-de-jorian-murgrave-antoine-volodine/
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Biographie comparée de Jorian Murgrave

1985 :je découvre mon premier Volodine sur un malentendu. A cette époque je lis énormément de SF et ce livre paru en Présence du Futur m’attire. Et là , choc ! Certes il y a des bouts de SF dedans ( ET venu d’une planète détruite) mais c’est tout autre chose , il s’agit d’une expérience littéraire : l’écriture , la construction sont très différents des standards habituels du genre . Et , depuis , dès qu’un Volodine paraît , je l’achète et le lis et à chaque fois je suis fasciné par la cohérence du monde dans lequel il nous entraîne.
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