Arlie Russell Hochschild

Une fois qu'une illusion est clairement définie comme telle, elle devient un mensonge.

On attend des femmes qu'elles maternent les autres, ce que nombre de descriptions d'emploi tiennent pour acquis, sans même qu'il y ait besoin d'en faire mention.

Il existe deux manières de ne pas prendre en considération les sentiments de ceux qui ont un statut inférieur : en les considérant comme rationnels mais de peu d'importance ou en les considérant comme irrationnels et pouvant donc être négligés.

Pour l'hôtesse de l'air comme pour l'agent de recouvrement, une accélération fait qu'il est plus difficile de s'occuper personnellement des individus.

[...] plus le lien est profond, plus il y a de travail émotionnel et moins nous en sommes conscients.

Cependant, en un sens, ce n'était pas son mariage : jeter du riz est un rite de fertilité datant du Moyen Âge, porter du blanc un ajout victorien, et l'idée même du père et non de la mère qui donne une fille et non un fils vient du temps des Saxons, lorsqu'un père vendait sa fille pour qu'elle travaille (c'est seulement après les croisades, lorsque les femmes sont devenues plus nombreuses que les hommes, que le père en vint à "donner" sa fille). Il s'agissait de son mariage au sens où il s'agissait de "ses" emprunts à la culture, ainsi que de ses emprunts aux idées communes concernant ce qu'elle devait vivre intérieurement un jour comme celui-là.

Mettre en valeur les autres individus et améliorer leur bien-être sont une forme de travail émotionnel qu'Ivan Illitch a qualifié de "travail fantôme", un effort invisible qui, comme les tâches domestiques, ne compte pas vraiment comme du travail mais n'en est pas moins crucial.

Pour reprendre le langage des psychologues, les techniques du jeu en profondeur ont des "bénéfices secondaires" inhabituellement importants. Cependant, ces compétences ont longtemps été considérées à tort comme "naturelles", comme une composante inhérente au fait d' "être" une femme, plutôt que comme quelque chose créé par les femmes elles-mêmes.

S'il était steward pour Delta Airlines, Jean-Jacques Rousseau ne s'inquiéterait pas seulement, comme au XVIIIe siècle, de déterminer ce qu'est l'âme sans visage située derrière le masque. Il se préoccuperait aussi de l'intrusion du marché dans la manière dont nous nous définissons et de la façon dont, depuis son époque, cette intrusion a pris de l'ampleur et s'est organisée.

[La vie publique]

Et lorsqu'une employée abandonne son sourire de travail, quel type de lien reste-t-il entre elle et son sourire ?

Au théâtre, l'illusion que crée l'acteur est reconnue à l'avance comme une illusion, par l'acteur comme par le public. Mais, dans la vie réelle, nous sommes généralement partie prenante dans l'illusion.

Nous mettons souvent en place une sorte de "scène personnelle", avec nos propres accessoires : non pas tant pour son effet sur notre public que pour l'aide qu'elle nous fournit pour croire en ce que nous imaginons.

Nous continuons à chercher un "noyau personnel", solide et prévisible, alors même que les conditions ayant permis son existence ont depuis longtemps disparu.

Les règles culturelles déterminent le cadre de ce que l'on perçoit. Et, pour percevoir, il faut réfléchir à ce que l'on perçoit. En nous fondant sur nos habitudes de pensée concernant les émotions, nous les reconnaissons, en nous et chez les autres, de différentes manières.

On croit que les femmes sont plus émotives, et cette simple croyance est utilisée pour invalider leurs émotions. Autrement dit, les sentiments des femmes ne sont pas considérés comme une réponse à des évènements réels, mais comme des reflets d'elles-mêmes témoignant de leur caractère "émotif".
Nous découvrons ici un corollaire à la "théorie des sentiments" : plus notre statut social est bas, plus notre manière de voir et de ressentir est susceptible d'être discréditée, et moins elle devient susceptible de convaincre.[...] Afin de compenser le fait qu'une importance inégale soit accordée aux sentiments des deux sexes, de nombreuses femmes essaient de les rendre plus intenses, de les exprimer avec plus de force, de sorte qu'ils obtiennent d'être traités avec sérieux. Mais on entre à partir de là dans un cercle vicieux, car plus les femmes essaient de s'opposer à la "théorie des sentiments" en exprimant plus fortement ces derniers, plus elles correspondent à l'image que l'on attend d'elles, celle de personnes "émotives"

L'exploit de réussir à refouler ces émotions est bien ce que l'on peut appeler du travail émotionnel

Les femmes qui sont moins désireuses de mettre leurs sentiments personnels au service des autres doivent faire face à l'idée qu'elles seront considérées comme moins "féminines".

Dans l'ensemble, les femmes tendent à se spécialiser dans l'aspect "hôtesse de l'air" du travail émotionnel ; les hommes, dans son aspect "agent de recouvrement". Cette spécialisation du travail émotionnel sur le marché repose sur le fait que l'on éduque différemment, sur le plan émotionnel, les petits garçons et les petites filles. ( "De quoi sont faites les petites filles ? / De sucre et d'épices / Et tout un tas de délices. De quoi sont faits les petits garçons ? / De grenouilles et d'escargots / Et de queues de chiots." )

On "persuade" l'enfant d'une famille à orientation personnelle de faire le bon choix ; il est persuadé de voir et de ressentir de la bonne manière. On "dit" à l'enfant d'une famille positionnelle ce qu'il faut faire ; on lui demande d'accepter la légitimité de l'ordre.

"Suscitez l'inquiétude."

Panneau affiché dans la salle arrière d'une agence de recouvrement.