Citations de Arnaldur Indriðason (1498)
Une nuit longue et agitée l'attendait. Incapable de trouver le sommeil, il essayait d'emboiter les pièces éparses du puzzle comme il l'avait fait si souvent. Epuisé par cette enquête complexe qui l'envahissait depuis si longtemps, il tentait de faire de nouveaux rapprochements, de trouver de nouvelles failles, de déceler des éléments qui lui avaient échappé, qu'il avait négligés ou auxquels il avait accordé trop d'importance. Il essayait d'envisager le fil des événements en adoptant le point de vue de tous les protagonistes. Il s'efforçait de comprendre le rôle que chacun d'entre eux avait joué et le bénéfice qu'ils avaient tiré de la disparition de Sigurvin. Il tentait de découvrir les liens qu'ils entretenaient les uns avec les autres, le point où se rejoignaient leurs parcours.
- Tu as déjà entendu parler de l'expédition Franklin? s'enquit Svanhildur.
- Franklin...?
- Les Britanniques ont mis sur pied plusieurs expéditions à la recherche du fameux passage du Nord-Ouest, ils ont essayé de franchir la banquise au nord du Canada. La plus célèbre est l'expédition Franklin. Ca ne te dit rien?
- Non.
Svanhildur aimait beaucoup cette histoire. Capitaine dans la flotte de Sa Majesté, Franklin était parti avec deux navires qui avaient été pris dans la banquise et avaient disparu corps et biens. Avant ça, trois de ses matelots étaient morts. Il avait enterré leurs corps sur une langue de terre, dans le permafrost, puis le reste de l'expédition avait continué sa route. Il y avait aujourd'hui trente ans, on avait retrouvé les sépultures de ces trois matelots. Les corps exhumés étaient pratiquement intacts. Ces tombes renfermaient de précieuses informations sur la vie des marins au XIXe siècle. Les analyses avaient confirmé la nature des problèmes que posaient les longues expéditions comme celle de Franklin. Il est notoire que certains matelots embarqués pour des voyages de deux ou trois ans revenaient parfois complètement épuisés puis mouraient sans raison précise. Le phénomène était attesté et on disposait d'un grand nombre d'exemples soigneusement consignés. Les scientifiques n'étaient pas d'accord sur les causes de cet étrange épuisement. Plusieurs théories étaient avancées, parmi lesquelles celle de l'empoisonnement au plomb. Les corps découverts dans le permafrost avaient permis de la confirmer. Leur autopsie avait révélé un saturnisme très prononcé, qui s'expliquait par la méthode de conservation des aliments découverte au XIXe et par l'utilisation de boîtes de conserve.
Svanhildur baissa les yeux sur le corps.
- C'est une de ces anecdotes intéressantes que nous offre la médecine légale, reprit-elle. Les navires étaient partis les cales pleines de boîtes de conserve, mais les aliments avaient été contaminés par le plomb présent dans les couvercles.
Le temps était radieux. Assise depuis un moment avec le reste du groupe pour se reposer après leur longue marche, elle avait sorti un casse-croûte de son sac à dos et admirait la vue sur le glacier. Son regard s'arrêta tout à coup sur le visage qui affleurait à la surface.
Comprenant avec un temps de retard la nature exacte de ce qu'elle avait sous les yeux, elle se leva d'un bond avec un hurlement qui troubla la quiétude des lieux.
Les traitements dénaturent le caractère des malades …. le Danny que j’ai fréquenté pendant toutes ces années était en réalité une création chimique, un individu castré par l’industrie pharmaceutique. Je crains de n’avoir jamais connu sa personnalité … c’est affreusement douloureux …
Je ne crois pas à la médication et je me fichais qu’il refuse d’ingérer ses pilules. C’est toujours ça de moins dans la poche de l’industrie pharmaceutique. … En tout cas c’est incroyable de voir toutes les drogues qu’on peut administrer à ces patients, et ce n’est pas nouveau. On les gave de pilules de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de tous les genres. Et tu sais pourquoi ? Parce que les hôpitaux n’ont pas les moyens de proposer d’autres traitements que ceux-là. On a procédé à des réductions de personnel et, pour empêcher que ce soit le chaos, il faut assommer les malades. Ces sales types sont incapables de payer un salaire convenable aux employés, par contre ils donnent des centaines de millions chaque année à l’industrie pharmaceutique.
N'avait -il pas justement cherché une consolation en réparant les horloges parce qu'il avait sur elles un pouvoir et qu'il pouvait remettre en état ce qui s'était brisé, cassé en morceaux ?
La bière était alors interdite en Islande, le vin, signe d'élégance, était pour ainsi dire inconnu chez la plupart des gens, et plus l'heure de la fermeture approchait, plus il fallait jouer des coudes. Et faire vite. Deux vodkas, criait un client en tendant ses billets par-dessus le comptoir. Du brennivin islandais! hurlait un autre. Deux bouteilles de gin! s'exclamait un troisième en brandissant son argent. Quelle marque? Peu importe! Et une de brennivin! Par comparaison, l'agitation des courtiers à Wall Street avait des airs de sieste.
En réalité, il avait forcé le vieil homme à lui dire toute la vérité. Il ne pouvait que le plaindre. Il était poussé par une force qu'il avait du mal à maîtriser, une force qu'il portait en lui, permanente et impérieuse. Il éprouvait un besoin constant de découvrir les choses cachées, de retrouver ce qui était perdu.
- En effet, vous avez tout le confort, convint Boas. Vous avez un intérêt particulier pour les clochards? Ça ne vous tenterait pas d'en devenir un?
Puis il reprit sa route dans la rue Posthusstraeti en resserrant sa doudoune pour se protéger du froid, de la neige, des ténèbres de l’hiver, des obstacles et des embarras, de toute l’hostilité et de tout le malheur qui avaient ponctué sa route dans cette vie.
Elle avait mis fin à un mariage raté. Et depuis, n’ayant pas eu de chance avec les hommes, elle préférait s’en préserver. Elle avait brièvement fréquenté un grossiste qui ne se séparait jamais de son téléphone portable, y compris quand ils couchaient ensemble. Elle avait donc fini par l’appeler pour mettre fin à leur relation. Elle avait également connu un pédopsychiatre qui ne supportait pas ses enfants. Elle leur avait d’ailleurs demandé de lui dire que leur maman ne souhaitait pas d’autre consultation.
— En tout cas, tu devrais faire preuve d’un peu plus de modération quand tu décris le bailli et sa femme reprit le roi d’un ton grave, balayant d’un revers de main ses tentatives de justifications.
— Quand j’ai commencé à raconter cette histoire, je me suis promis de m’en tenir à la stricte vérité, Sire, répondit Jon. Il me semble n’avoir pas trahi ma promesse.
Le temps s’était arrêté. Le chef-d’œuvre façonné à la gloire de Dieu et de la Vierge Marie deux cents ans plus tôt n’avait, de mémoire d’homme, jamais sonné les heures du jour et de la nuit, ni indiqué les phases de la lune ou la course des planètes. Ce butin de guerre acquis lors d’un conflit oublié depuis longtemps reposait sur une épaisse couche de poussière dans une remise du palais royal de Christiansborg, les monarques et leurs règnes avaient passé sans que le temps reprenne sa course.
Plus jamais il ne se réveillerait à l'aube d'un jour nouveau. Plus jamais il ne ressentirait la joie d'une journée riche de travail accompli...
Plus jamais il ne s'attablerait avec les siens, ses fils tant aimés et la femme dont l'image l'accompagnait jusque dans son sommeil.
Ce n'était pas la mort qu'il redoutait, ce qu'il regrettait c'était de devoir faire ses adieux à la vie.
Et alors qu'il marchait vers chez lui, rempli de ses pensées sur les souvenirs et le progrès, il prit conscience d'une chose à laquelle il n'avait jamais réfléchi. Chaque pas qu'il franchissait devenait aussitôt la proie du temps. Les autres passants le virent s'arrêter subitement sur le trottoir et rester immobile un moment avant de faire résolument un autre pas en avant. Puis il en fit encore un autre, s'arrêta une nouvelle fois, extrêmement pensif, et se remit en route comme si de rien n'était. Il avait alors compris que chaque pas qu'il faisait vers son domicile et vers sa boutique le ramenait un peu plus vers le passé.
Son métier lui avait apporté l'apaisement dont il avait besoin. N'avait-il pas justement cherché une consolation en réparant les horloges parce qu'il avait sur elles un pouvoir et qu'il pouvait remettre en état ce qui s'était brisé, cassé en morceaux ? N'avait-il pas passé sa vie entière à réparer les rouages du temps de manière à ce qu'ils puissent à nouveau fonctionner aussi bien que s'ils n'avaient jamais été endommagés ? A rassembler les morceaux pour les reconstituer en un seul objet ?
Les propos de ce misérable horloger sur Sa Majesté Frédéric V, son père, censé avoir fait exécuter des innocents, l'avaient tellement interloqué qu'il hésitait à abattre sur la tête de Jon sa bouteille de Madère ou appeler ses gardes pour le faire fouetter sur-le-champ. Jamais de tout son règne il n'avait été témoin de pareille impudence.
- Qu'est-ce donc que le temps ?
Ce serait mentir que d'affirmer que Jon Sivertsen ne s'était jamais penché sur la question, tant il avait passé d'heures de sa vie à explorer les mécanismes destinés à la mesure du temps. Il en avait mis certains en route pour la première fois, il en avait réparé d'autres pour les faire repartir lorsqu'ils s'étaient arrêtés, il en avait réglé d'autres encore qui avançaient ou retardaient, et il en avait démonté certains entièrement avant de les remonter comme il le faisait maintenant avec l'horloge d'Habrecht. Mais c'était une autre affaire , beaucoup plus complexe, de répondre aux interrogations sur la nature même du phénomène, et il était dans l'embarras face à la question que le souverain avait posée comme incidemment, en passant...
Konrad passa encore un moment avec le restaurateur qui lui raconta le quotidien de l'institution. Il mesurait à quel point c'était pour lui une épreuve de confesser ces choses-là. L'homme avait clairement précisé que ce n'était pas dans ses habitudes d'aborder le sujet avec des inconnus ni d'ailleurs avec personne, mais que s'il pouvait l'aider dans son enquête, il acceptait volontiers de lui prêter main forte. Il se souvenait bien de la nuit où Gardar avait été assassiné, ça l'avait bouleversé. Il n'avait pas connu Gardar, mais il avait connu son frère qui avait été pour lui un ami. Le fait que tout deux aient péri d'une mort aussi violente que subite l'avait profondément choqué et était resté gravé dans sa mémoire.
Les deux hommes s'apprêtaient à se quitter. Debout à la porte du restaurant, Konrad s'était retourné vers le restaurateur en lui demandant ce qu'il voulait dire exactement quand il avait affirmé que le tailleur était le pire de ces salauds. Le pire de quels salauds ?
– A ma connaissance, il y avait trois hommes qui s'en prenaient aux garçons comme nous. Le médecin. Le tailleur. Et aussi le flic.
– Le flic ? "
Il avait besoin de savoir pourquoi cette femme avait connu ce destin cruel et solitaire sur les bords du même lac où son père avait lui aussi trouvé une mort glaciale.