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Critiques de Carlo Levi (60)
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Qu'écrire de plus que ce qui n'a déjà été écrit...? Un livre plein d'intériorité, de saveur, d'odeur et de paysage, un petit peuple de villageois à la (sur) vie rude d'un monde disparu.

Je m'arrêterais là, tout a été dit sur la trame de l'histoire. Il me fait penser, par son "atmosphère" à "l'arbre aux sabots", film italien réalisé par Ermanno Olmi sorti en 1978 et qui a obtenu d'ailleurs la palme d'or à Canne à l'unanimité cette même année. Et tout comme lui, moi qui ne lis quasi jamais de roman (Tellement d'ouvrage à lire par ailleurs...) j'ai accroché sur celui-ci et, tout comme le film que j'ai vu au cinéma à 14 ans, cité précédemment, je ne suis pas près de l'oublier ! Ah li'Italie...! Quel que soit l'époque (Mise à part le fascisme sous Benito Mussolini!), le lieu où la saison, ça reste l'Italie !
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Depuis quelques années, j'ai une grande attirance pour le sud de l'Italie, région pauvre et reculée mais chargé d'histoire et d'une immense beauté. La Basilicate (anciennement appelée la Lucanie), dans le creux du pied de la botte, est probablement l'une des régions les plus reculées et enclavées de ce Mezzogiorno. Les deux villes principales, Potenza et Matera, sont petites, enclavées et éloignées de Naples et Bari... et encore plus de Rome ! C'est mal desservi (même à l'heure actuelle la région ne possède pas d'aéroport), coincé entre la mer ionienne dans le golfe de Tarente et des montagnes abruptes qui culminent parfois à plus de 2000 mètres d'altitude.

D'où le titre de ce livre : on dit que le Christ s'est arrêté à Eboli parce qu'il n'a pas pu accéder à l'intérieur des terres lucaniennes.

Sous Mussolini, le régime fasciste a utilisé cet enclavement pour y exiler les opposants dans les années 1930. C'est ce qui est arrivé à l'auteur, médecin et artiste turinois un peu trop ouvertement opposé au fascisme. Exilé dans un petit village au beau milieu des montagnes de Basilicate de 1935 à 1936, il raconte donc son expérience dans ce livre. Si cet exil intérieur n'était pas le plus dur (on est loin des horreurs des camps nazis ou du Goulag de Staline), il était quand même interdit de sortir du village (sauf autorisation spéciale) et d'exercer ses fonctions de médecin, alors même que la région était ravagée par la malaria dans l'indifférence complète du pouvoir. Ce livre est à la fois une autobiographie et une quasi-étude anthopologique dans lequel l'auteur relate ses expériences avec les villageois, leurs inter-relations, leurs traditions et leurs croyances. Ce n'est pas forcément joyeux, à l'image des conditions de vie assez rudes dans cet extrême sud italien sous un régime non moins rude, mais c'est en tout cas très intéressant.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi : l'homme de convictions.

Pour son implication dans l'opposition antifasciste, il est condamné en 1935 au régime de « confino », contraint à résidence dans un village perdu de Lucanie.



Carlo Levi : l'homme de lettres.

Cette résidence surveillée lui permet de brosser un tableau réaliste d'une population rurale, aigrie entre frustration et pauvreté, un monde fermé aux rapports humains pourris par des haines réciproques, où la petite bourgeoise se livre une lutte interne de pouvoir sans répit, indifférente au quotidien sordide des paysans.



Misère, maladies, (Carlo Levi a une formation de médecin), ignorance et superstitions n'empêchent pas la tradition d'accueil des campagnards du Mezzogiorno, induisant chez le visiteur « obligé » un regard littéraire pétri de compassion et d'humanité.



Cette cohabitation inspirera profondément le peintre écrivain. Il produira de nombreux tableaux de genre « rural » et après sa libération, ce récit détaillé de ces mois de relégation.



J'ai pris beaucoup d'intérêt à ce très ancien conseil amical de lecture.

Une plongée italienne sociale et historique qui restera en mémoire durablement.

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Assigné à résidence pour trois ans par le régime fasciste dans un village désolé du sud de l'Italie, Carlo Levi témoigne de cette expérience d'incarcération hors des murs, de sa difficile adaptation à cet univers rural âpre et immobile, tout en décrivant et analysant avec l'oeil d'un ethnologue et le coeur d'un citoyen le microcosme perdu et miséreux que formait la communauté de Gagliano dans les années trente.

On se coule comme dans des eaux lourdes avec intérêt et fascination dans ce récit statique où la nature est avare, presque hostile, le temps hors du temps et les hommes immuablement inscrits dans un déterminisme résigné.

A Gagliano l'Etat est loin, les paysans ne l'acceptent pas mais n'ont d'autres choix que de se soumettre à l'autorité des médiocres petits bourgeois qui le représentent pour leur propre profit.

Le travail est dur, le pain est rare, l'église vide, l'espoir absent notamment pour les "Américains" rentrés au village après la grande dépression, leurs rêves de richesse envolés.

Les hommes sont mutiques et les femmes fortes comme des arbres. Au milieu d'eux, Levi compose comme il peut entre paysans qui l'adulent pour ses qualités de médecin, représentants de l'autorité qui le surveillent sans relâche et avec défiance, et femmes qui cachent de vives ardeurs sous le poids des traditions. Pour s'échapper et s'occuper, il peint : le village, la nature, mais pas les hommes que leurs croyances ancestrales poussent à craindre de se faire voler leur image.

J'ai beaucoup aimé ce récit hors du temps, qui par certains accents m'a rappelé la saga rurale Les paysans de Ladislas Reymont.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

La Basilicate est une région italienne qui avait pour nom la Lucanie, notamment dans les années 30. C'est cette région oubliée de l'Italie fasciste qu'a découvert Carlo Levi, alors membre du mouvement Justice et Liberté, pendant son exil. Ce livre retrace tout ce qu'il a observé et ressenti de cette région pauvre ravagée par la malaria et la misère humaine, où les habitants tentent de garder un semblant de vie et de traditions. Il s'agit d'un roman autobiographique où la réalité prend à la gorge!
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Imaginez que vous soyez confinés …. Non pas en raison d’un virus en couronne (ou pas) mais pour opinion politique divergente. Vous n’êtes pas reclus chez vous mais loin au contraire, dans une nature hostile et pauvre, dans un village perdu de Lucanie dans le sud de l’Italie. Vous ne côtoyez que des paysans mutiques décharnés par la malaria et des potentats locaux incompétents et orgueilleux, au ventre aussi gros que leur suffisance. Pour seule compagnie un chien un peu fou.

Voilà votre espace et à vous de découvrir comment l’auteur va découvrir et se confronter dans ce lieu oublié de Dieu à une humanité rugueuse loin de toute illusion.

Un livre profondément humain, qui donne une dignité à ces hommes et ces femmes sans avenir prisonnier de ce monde lithique où rien ne pousse si ce n’est les enfants aux yeux tristes et au ventre rond de malaria

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Alors que les prisonniers politiques Russes avaient pour habitude d’être expédié au Goulag au‭ ‬fin fond de la Sibérie,‭ ‬les confinatis du régime fasciste‭ ‬faisaient du tourisme rural dans des contrées méconnues de la belle Italie.‭ ‬Carlo Levi a pu ainsi connaître l‭’‬aride et sévère région des Pouilles.‭ ‬Son arrestation et les motifs de celle-ci,‭ ‬il ne s‭’‬y attarde pas trop,‭ ‬préférant se concentrer sur le quotidien vécu dans un village rural aux croyances et aux coutumes archaïques‭ (‬on a du mal à croire que le récit se déroule au‭ ‬20eme siècle tout de même‭)‬.‭ ‬Lui-même étant médecin de formation,‭ ‬il va mettre à contribution ses‭ ‬connaissances théoriques pour soigner une population affaiblie par des carences nutritives et des conditions climatiques délétères.‭ ‬

C'est un beau récit poignant.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Magnifique livre, à classer dans les monuments historiques. A sa parution, il avait bien remué les regards sur l'Italie. Je l'ai lu, il y a très très longtemps. Il remet en cause les stéréotypes, et met en avant les inégalités de développement incroyables dans un pays dit moderne comme devait l'être l'Italie alors.

Il est universel car il est empli d'une grande humanité.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Relégué dans une petite ville de Basilicate, dans le sud de l'Italie mussolinienne, l'auteur, antifasciste notoire, nous conte par le menu sa vie dans ce coin perdu, oublié de tous. Il va y découvrir une civilisation paysanne, remontant aux temps les plus lointains et ayant survécu à toutes les vicissitudes de la religion et de la politique. Dans un paysage de mauvaises terres infestées par la malaria (le paludisme), la population survit au prix d'un labeur effréné, avec comme seule médecine le savoir ancestral de quelques sorcières patentées. Carlo Levi, qui a abandonné l'exercice de la médecine, y exerce son activité favorite, la peinture. Devant la misère physique et morale des paysans et le désintérêt des villageois les plus aisés (les "seigneurs"), il va se mettre à les aider et leur apporter quelque réconfort, stoppant pour un temps la mortalité galopante qui ravage la population. Dans ce récit puissant, l'auteur nous délivre un message aux résonances tout actuelles. Que représente l'État, et ses affidés, lorsque l'on se sent collectivement mis au ban de la société ? La révolte, lorsque la situation devient insupportable, n'est-elle pas la seule façon de se faire entendre, même si l'on sait d'avance qu'elle est vouée à l'échec ? Hors des idéologies dominantes, qu'elles prônent la dictature ou la démocratie, Carlo Levi propose des solutions pour redonner leur honneur aux plus démunis. Puisse son message être entendu, en ces temps où s'effondrent les modèles politiques et économiques qui ont cru assurer le bonheur de l'humanité…
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

J’avais le souvenir de vagues images du film de Rosi, avec G. M. Volonté. J’ai plus récemment visité la Basilicate (nouveau nom de la Lucanie) dont parle Levi. C’est un joli pays… pour le touriste et cela n’a rien à voir avec la pauvreté glauque d’il y a un siècle. Levi a su en faire une description lucide et distanciée, sans tomber ni dans le mépris ni dans l’incompréhension du citadin se retrouvant plongé dans un autre monde et ses structures et mentalités sociales d’un moyen-âge attardé. Il regarde vivre, se regarde vivre, avec l’acuité d’un ethnologue curieux, étonné et plutôt compatissant. Un beau livre.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

difficile de définir ce roman autobiographique tant il est pesant, lourd de sous entendu et de non dits de misère mais aussi plein de références traditionnelles, de piété et de la déclaration d'amour de l'auteur pour ce pays qui ne sera plus le pays de l'exil des débuts
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Je rentre d'un voyage dans les Pouilles au cours duquel j'ai visité la ville de Matera, capitale culturelle européenne cette année. C'est ce périple dans une région finalement assez peu connue qui m'a donné envie de lire l'ouvrage de Carlo Levi. L'auteur a été assigné en résidence surveillée dans cette province, pendant les années 30. Son comportement déplaisait au gouvernement fasciste italien. J'ai trouvé le portrait que Carlo Levi dresse de cette province abandonnée de tous (même de Dieu) particulièrement intéressant. L'auteur décrit les deux villages dans lesquels il a été successivement interné avec une grande richesse de détails et beaucoup d'humanité. Il a fallu cette curiosité induite par le voyage pour que je me prenne au jeu car j'ai trouvé certains passages un peu longs. Je ne regrette pas ma démarche cependant car Levi est un bon écrivain et qu'il est intéressant de comparer la vision contemporaine que nous avons eue de Matera et de la région avoisinante, avec le portrait misérable qu'en dressent l'auteur ainsi que sa sœur qui vient lui rendre visite au cours de son internement.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi est un médecin et peintre opposant au régime fasciste, durant la seconde guerre mondiale, qui se retrouve assigné à résidence dans un village des plus pauvres et désolés d’Italie. Il raconte donc son expérience dans ce livre, qui est largement autobiographique. L’auteur s’est beaucoup attaché aux paysans de ce village, le récit est d’autant plus touchant que des années plus tard, Carlo Levi a demandé à être inhumé là-bas.

En ouvrant le livre, j’avais un peu peur de la morosité, d’un côté austère, voire moralisateur, alors que pas du tout. C’est vraiment un très beau roman, écrit avec le cœur comme un hommage rempli d’amour envers des gens anonymes mais remplis d’humanité, qui l’ont accueilli à bras ouverts, et qui ont essayé de le retenir quand il est parti. Les personnages sont vrais, décrits dans toute leur profondeur humaine, avec pas mal d’humour et de réalisme. Il y a beaucoup d’anecdotes drôles et plaisantes à lire. Carlo Levi, l’étranger, représente une ressource potentielle inespérée pour ces villageois qui n’ont rien : c’est un « Monsieur » cultivé, un vrai médecin qu’ils respectent et qui peut les soigner, c’est un homme à marier, une distraction aussi qui occupe quotidiennement les passions et les ragots. De ces gens si vivants découlent une force vitale, une telle énergie, qu’on pense à un double sens dans le titre « le Christ s’est arrêté à Eboli » : est-ce que cela signifie, comme le présente l’auteur, « le Christ n’est pas allé jusqu’à ce village » ( c’est ce que pensent les villageois), ou bien, « le Christ séjourne parmi eux, il s’est arrêté à cet endroit précisément) ?

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

La région du Basilicate, la province de Matera, la commune d'Aliano, tous ces noms ne disent pas grand'chose à beaucoup d'entre nous, car ces lieux appartiennent au midi italien dans ses parties les plus centrales, à l'écart des grandes voies de communication et des circuits économiques modernes. C'est sans doute pourquoi le gouvernement de Mussolini y assignait à résidence en tant que confinés des opposants politiques ou présumés tels. C'est ce qui est arrivé à Carlo Lévi, pendant trois ans dans les années trente à Aliano (Gagliano dans le livre), village de onze cents habitants aujourd'hui.

Ainsi l'auteur nous raconte-t'il en 1945, presque dix ans après, son séjour forcé au milieu d'une population pauvre et rurale, par ailleurs peu chrétienne, dominée par quelques potentats locaux, à la mentalité plus que rétive à la notion d'État central, ce qui se comprend au vu de l'abandon dans lequel la région se trouve, l'État justement ne se souvenant d'elle que lors de la collecte de l'impôt.

Carlo Lévi porte sur cette population un regard presque ethnographique, essayant de comprendre sa culture et les fondements de sa mentalité. Comme beaucoup de bons écrivains il porte un regard chaleureux sur les gens simples du menu peuple, qu'il a soignés car il était médecin (n'exerçant en principe plus mais médecin tout de même), et qu'il a aussi peints, ainsi que des paysages, car il était aussi peintre.

Tout cela est raconté d'une façon très simple et très agréable à lire. De plus Carlo Lévi sait aussi être poète, comme il nous le montre à intervalles réguliers dans son ouvrage.

Son livre, très autobiographique donc, fait aussi penser à tous ceux de l'excellente collection "Terre humaine" et intéressera certainement les mêmes lecteurs, ainsi que d'autres bien sûr.

Bonne traduction de Jeanne Modigliani.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Un homme est condamné au confinement dans un village perdu de l'Italie du sud, entre autres pour ses idées politiques, pendant l'âge d'or du régime fasciste. Là il va découvrir une réalité qui lui était inconnue, la vie des paysans de cette région, qui sont totalement laissés pour compte par l'Etat, en proie à la misère et à la malaria. Il essaie alors de les aider comme il peut, en exerçant clandestinement l'activité de médecin ainsi que l'activité de peintre amateur. Ce livre a été adapté au cinéma.

Un témoignage poignant, souvent triste, et malheureusement bien réel. C'est très intéressant et assez facile à lire. Je le conseille; après c'est sûr que ce n'est pas le meilleur ouvrage pour se changer les idées...
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Quelle écriture !!!! Du grand art , finement ciselé mais avec tact et discrétion .Un bijou de précision et d’humanité ,de vocabulaire et d’empathie ,de style et de d’intelligence bienveillante.

Le talent et l’intelligence du cœur .

Nous avons - peut-être - une peu perdu l’habitude d’une lecture aussi dense, alors il faut parfois ,un tantinet , s’accrocher avant de « tomber >>  sur cette planète lunaire de l’exil ( c’est l’image que j’en ai gardé lors de ma visite dans ce village inoubliable ) mais vous ne le regretterez pas ....
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

En reclassant ma bibliothèque, avec mon nouvel emménagement, je retrouve ce texte autobiographique qui avait été , il y a très longtemps, une grande émotion. De très nombreuses notes sur les usages, les traditions... dans cette région reculée, dans une période historique, âpre



Jeune médecin turinois, membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup un témoignage doublement bouleversant entre l'œil du médecin et celui de l'écrivain...
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Je n'aurais sans doute jamais lu : le Christ s'est arrêté à Eboli si je n'avais vu, l'année dernière, l'émission d'Arte sur Matera - ville du Basilicate en Italie - capitale européenne de la culture en 2019. J'avais été fascinée par cette cité aux ruelles tortueuses, accrochée au flanc d'une blanche montagne calcaire. Un paysage d'une beauté sauvage mais aussi d'une parfaite désolation ! Je m'étais jurée de lire le roman de Carlo Levi, assigné à résidence de 10935 à 1936, car antifasciste, dans un village voisin Aliano, devenu dans le roman Gagliano. C'est chose faite et je ne le regrette vraiment pas...

Tout comme l'auteur, je me suis sentie immédiatement sous l'emprise de "cette terre sans consolation ni douceur où vit le paysan dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride face à la mort". Carlo Levi s'est attaché à ces hommes et ces femmes avec une empathie et une humanité qui, pour moi, sont contagieuses. Et son regard de peintre fait surgir, au fil des pages, tout une galerie de portraits de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Qu'il s'agisse de Giulia, sa servante, des enfants du village et même de Barone, son chien, tous prennent vie, sous nos yeux, avec une acuité et une présence étonnantes.

Tout aussi attachante est sa verve satirique lorsqu'il évoque les "seigneurs du village", une classe déchue, qui fait peser sur le monde des "cafoni", les paysans, un pouvoir féodal sans faille. Ce monde paysan qui occupe une place essentielle dans le roman, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour rejoindre ses champs au bord de l'Agri, une rivière insalubre qui explique la malaria dont est victime cette population rurale déshéritée et résignée à son sort. La seule consolation à laquelle ces paysans puissent se raccrocher : les mythes et légendes qui alimentent bien sûr leurs terreurs mais les orientent aussi vers une sorte de panthéisme primitif où tout est divin. Monde étonnant aussi que celui des "cafoni" où les femmes exercent un matriarcat de fait tout en devant se plier à des règles sociales très strictes, notamment sur le plan des relations hommes/femmes. Caarlo Levi a donc su, dans son roman, faire oeuvre d'historien, d'anthropologue et de portraitiste avec une verve qui ne se dément jamais tout au long du récit.

C'est aussi à son talent de pamphlétaire que je rends hommage, lorsqu'il critique avec une ironie tour à tour enjouée et féroce, ce monde quasi féodal, au sein duquel il a vécu une année. Non moins interpellante est l'analyse politique qu'il fait du rapport que ces paysans du Sud de l'Italie entretiennent avec l'Etat et qu'il évoque en ces termes : "Leur aversion pour l'Etat, étranger et ennemi s'accompagne [...] de ce que, pour eux, devrait être l'Etat : une volonté commune qui se fait loi". Comment ne pas voir les résonances très contemporaines de ce genre de citation...

Pour Carlo Levi, cette expérience de vie dans ce village perdu du Basilicate fut une révélation qui lui a permis de vivre une sorte d'ascèse intérieure. Mais c'est avec une belle lucidité qu'il évoque aussi le poids de la solitude et la coupure douloureuse avec toute une partie de lui-même. Son départ de Gagliano fut donc empreint d'une nostalgie un peu ambivalente...

Je terminerai cette chronique avec cette belle évocation qui vous donnera peut-être envie de lire ce roman comme cela a été le cas pour moi : "Mais sur cette terre sombre, sans péché, et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu. le Christ s'est arrêté à Eboli".
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Lu, relu et encore relu. Ce livre n’est pas un roman mais une chronique, une sorte de journal d’un homme relégué par Mussolini dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit, le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup à la littérature italienne certaines de ses plus belles pages. Ce qui me frappe c’est la continuité qui existe entre ce petit peuple de Basilicate et n’importe quel autre petit peuple de méditerranée. Je reconnais dans les croyances des habitants de la Basilicate, les croyances de mes aïeux, encore vives, comme celles relatives aux assasen, gardiens des maisons qui peuvent prendre n’importe quelle apparence, et qui veille la nuit tombée sur les habitants de la maison. Et ces expressions que Levi rapporte « bénies soient les mamelles qui vous ont nourris », expression qui me paraît juste de ce que on peut encore entendre dans les rues de mon village après une longue absence.
Lien : http://j-suerte.blogspot.fr/
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Magnifique écriture, tout est magnifié les personnages, les lieux...
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