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Jeanne Modigliani (Autre)
EAN : 9782070369546
320 pages
Gallimard (24/06/1977)
4.23/5   318 notes
Résumé :
« Le Christ s'est arrêté à Éboli », disent les paysans de Gabliano, petit village de Lucanie, tellement ils se sentent abandonnés, misérables. L'auteur, antifasciste, a vécu là, en résidence surveillée, de 1935 à 1936. L'histoire de son séjour forcé parmi ces gens frustes et douloureux a été un des grands événements de la littérature italienne.
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Critiques, Analyses et Avis (57) Voir plus Ajouter une critique
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Je n'aurais sans doute jamais lu : le Christ s'est arrêté à Eboli si je n'avais vu, l'année dernière, l'émission d'Arte sur Matera - ville du Basilicate en Italie - capitale européenne de la culture en 2019. J'avais été fascinée par cette cité aux ruelles tortueuses, accrochée au flanc d'une blanche montagne calcaire. Un paysage d'une beauté sauvage mais aussi d'une parfaite désolation ! Je m'étais jurée de lire le roman de Carlo Levi, assigné à résidence de 10935 à 1936, car antifasciste, dans un village voisin Aliano, devenu dans le roman Gagliano. C'est chose faite et je ne le regrette vraiment pas...
Tout comme l'auteur, je me suis sentie immédiatement sous l'emprise de "cette terre sans consolation ni douceur où vit le paysan dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride face à la mort". Carlo Levi s'est attaché à ces hommes et ces femmes avec une empathie et une humanité qui, pour moi, sont contagieuses. Et son regard de peintre fait surgir, au fil des pages, tout une galerie de portraits de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Qu'il s'agisse de Giulia, sa servante, des enfants du village et même de Barone, son chien, tous prennent vie, sous nos yeux, avec une acuité et une présence étonnantes.
Tout aussi attachante est sa verve satirique lorsqu'il évoque les "seigneurs du village", une classe déchue, qui fait peser sur le monde des "cafoni", les paysans, un pouvoir féodal sans faille. Ce monde paysan qui occupe une place essentielle dans le roman, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour rejoindre ses champs au bord de l'Agri, une rivière insalubre qui explique la malaria dont est victime cette population rurale déshéritée et résignée à son sort. La seule consolation à laquelle ces paysans puissent se raccrocher : les mythes et légendes qui alimentent bien sûr leurs terreurs mais les orientent aussi vers une sorte de panthéisme primitif où tout est divin. Monde étonnant aussi que celui des "cafoni" où les femmes exercent un matriarcat de fait tout en devant se plier à des règles sociales très strictes, notamment sur le plan des relations hommes/femmes. Caarlo Levi a donc su, dans son roman, faire oeuvre d'historien, d'anthropologue et de portraitiste avec une verve qui ne se dément jamais tout au long du récit.
C'est aussi à son talent de pamphlétaire que je rends hommage, lorsqu'il critique avec une ironie tour à tour enjouée et féroce, ce monde quasi féodal, au sein duquel il a vécu une année. Non moins interpellante est l'analyse politique qu'il fait du rapport que ces paysans du Sud de l'Italie entretiennent avec l'Etat et qu'il évoque en ces termes : "Leur aversion pour l'Etat, étranger et ennemi s'accompagne [...] de ce que, pour eux, devrait être l'Etat : une volonté commune qui se fait loi". Comment ne pas voir les résonances très contemporaines de ce genre de citation...
Pour Carlo Levi, cette expérience de vie dans ce village perdu du Basilicate fut une révélation qui lui a permis de vivre une sorte d'ascèse intérieure. Mais c'est avec une belle lucidité qu'il évoque aussi le poids de la solitude et la coupure douloureuse avec toute une partie de lui-même. Son départ de Gagliano fut donc empreint d'une nostalgie un peu ambivalente...
Je terminerai cette chronique avec cette belle évocation qui vous donnera peut-être envie de lire ce roman comme cela a été le cas pour moi : "Mais sur cette terre sombre, sans péché, et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu. le Christ s'est arrêté à Eboli".
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En reclassant ma bibliothèque, avec mon nouvel emménagement, je retrouve ce texte autobiographique qui avait été , il y a très longtemps, une grande émotion. de très nombreuses notes sur les usages, les traditions... dans cette région reculée, dans une période historique, âpre

Jeune médecin turinois, membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup un témoignage doublement bouleversant entre l'oeil du médecin et celui de l'écrivain...
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Ce livre aurait pu figurer dans la collection Terre Humaine tellement ce récit est avant tout un témoignage ethnographique et en même temps un récit autobiographique.
En 1935, pour ses activités au sein du mouvement Justice & Liberté, Carlo Levi, bourgeois turinois, médecin et peintre se voit « confiné » dans un village de Lucanie (aujourd'hui Basilicate) par les autorités fascistes au pouvoir.
Ce bouquin raconte les deux années qu'il passa là-bas.
Très loin des « aventures » de Don Camillo, l'auteur nous montre l'incurable misère des paysans de ce Mezzogiorno oublié de Rome.
Il décrit les saisons (supportable qu'une dizaine de jours au printemps), les coutumes (sorcellerie notamment) et la Culture (les hommes s'exilant pour gagner leur vie ...), les légendes (dragons, etc.) et l'anticléricalisme des habitants de cette région aride et sujette aux épidémies de malaria.
Il dépeint le mépris réciproque des paysans et des « seigneurs » (petits potentats, fonctionnaires, religieux ...), à peine moins pauvres que les premiers. La résignation des uns, l'impunité des autres. L'auteur se fera néanmoins quelques amis dans les deux camps, l'hospitalité étant la règle de tous temps.
De l'antifascisme de l'auteur il n'est que très peu question ; cette région est indigente et déshéritée depuis des siècles.
L'écriture est claire. Les portraits de tous les personnages sont précis, vivants ; on sent l'artiste-peintre derrière l'écrivain. Les paysages sont décrits de façon expressive, ils sont solaires et minéraux. le ton est fataliste, il n'y a rien à attendre de cette terre, de cette époque non plus.
Un beau témoignage, d'une période pour l'heure révolue, car aujourd'hui le tourisme « nettoie » la pauvreté ... et c'est tant mieux. Allez, salut.
P.S. : J'ai acheté ce livre (2€ à la Bouquinerie du Sart, Villeneuve-d'Ascq) pour lire « local » lors de vacances dans les Pouilles et la Basilicate.
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Italie, annés 30. le fascisme de Mussolini règne sur la péninsule. Carlo Levi, peintre et intellectuel turinois (1902-1975), amis de nombreux artistes comme Pavese ou Modigliani se tourne très naturellement vers un engagement politique anti-fasciste. Cela lui vaut d'être d'abord emprisonné, puis relégué en 1935 dans un village perdu de Lucanie, région déshéritée du Mezzogiorno. La vie au sein cette petite agglomération, nommée Gagliano dans le roman, est pour le citadin et artiste venu du Nord l'occasion d'un choc culturel frontal. Plus que la misère, la désolation et la malaria qui sévissent dans ce petit pays, perdu au milieu de nulle part, habité de quelques notables et d'une majorité de paysans, c'est la différence des mentalités - résignation ancestrale entrecoupée de bouffées de révolte - et de la civilisation, ici pré-chrétienne (ce qui explique le titre), croyant aux esprits, aux bêtes et à la magie, qui frappent son regard attentif et sa sensibilité.
Livre d'un peintre (son activité principale malgré ses études de médecine), le Christ s'est arrêté à Eboli présente d'une série de tableaux très suggestifs et forts qui traduisent son questionnement devant un mode de vie, fruste et archaïque, qu'il n'aurait même jamais imaginé auparavant.
C'est aussi le récit d'un apprivoisement : devant tant de souffrances muettes et de maladies endémiques, l'ancien étudiant en médecine reprend du service pour venir en aide aux familles de paysans. Courtisé par les notables en tant qu'homme cultivé venu de Turin, aimé par les gens simples qu'il soigne et apprend à connaître de mieux en mieux, il n'en vit pas moins dans un tel éloignement de tout ce qui faisait sa vie d'artiste citadin, que la désolation de ces collines arides se communique à lui, et que, malgré ses activités de peintre et de médecin, il finit par souffrir de cette solitude à laquelle rien ne l'avait préparé.

Le roman, dépourvu de trame mais conçu comme une succession de considérations et de descriptions puissantes, comporte une première phase portant sur la découverte de ce monde inconnu et de ses coutumes, puis devient davantage une chronique des événements qui marqueront son auteur pour le reste de sa vie.
La force et la beauté des évocations de ce livre, leur justesse, en font un chef-d'oeuvre devenu un classique, adapté au cinéma par Francesco Rosi.
Lu en V.O.
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Carlo Levi : l'homme de convictions.
Pour son implication dans l'opposition antifasciste, il est condamné en 1935 au régime de « confino », contraint à résidence dans un village perdu de Lucanie.

Carlo Levi : l'homme de lettres.
Cette résidence surveillée lui permet de brosser un tableau réaliste d'une population rurale, aigrie entre frustration et pauvreté, un monde fermé aux rapports humains pourris par des haines réciproques, où la petite bourgeoise se livre une lutte interne de pouvoir sans répit, indifférente au quotidien sordide des paysans.

Misère, maladies, (Carlo Levi a une formation de médecin), ignorance et superstitions n'empêchent pas la tradition d'accueil des campagnards du Mezzogiorno, induisant chez le visiteur « obligé » un regard littéraire pétri de compassion et d'humanité.

Cette cohabitation inspirera profondément le peintre écrivain. Il produira de nombreux tableaux de genre « rural » et après sa libération, ce récit détaillé de ces mois de relégation.

J'ai pris beaucoup d'intérêt à ce très ancien conseil amical de lecture.
Une plongée italienne sociale et historique qui restera en mémoire durablement.
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Mais sur cette terres ombre, sans péché et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe pour toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu.
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Plusieurs années se sont écoulées, chargées de guerre et de ce qu’on appelle histoire. Ballotté çà et là par le hasard, je n’ai pu, jusqu’à présent, tenir la promesse que j’avais faite, en les quittant, à mes paysans, de revenir parmi eux, et je ne sais si je pourrai jamais le faire. Enfermé dans une pièce, monde clos, il m’est pourtant agréable de retourner en souvenir dans cet autre monde que resserrent la douceur et les coutumes, ce monde en marge de l’histoire et de l’État, éternellement passif, cette terre sans consolation ni douceur, où le paysan vit, dans la misère et l’éloignement, sa vie immobile sur un sol aride, en face de la mort.

« Nous ne sommes pas des chrétiens, disent-ils ; le Christ s’est arrêté à Éboli. » Chrétien veut dire, dans leur langage, homme – et ce proverbe que j’ai entendu répéter si souvent n’est peut-être dans leurs bouches que l’expression désolée d’un complexe d’infériorité : nous ne sommes pas des chrétiens, nous ne sommes pas des hommes, nous ne sommes pas considérés comme des hommes, mais comme des bêtes, des bêtes de somme, encore moins que des bêtes, moins que les gnomes qui vivent leur libre vie, diabolique ou angélique, parce que nous devons subir le monde des chrétiens, au-delà de l’horizon, et en supporter le poids et la comparaison. Mais il en est de cette phrase comme de toute expression symbolique : le sens littéral est beaucoup plus profond : le Christ s’est vraiment arrêté à Éboli, où la route et le train abandonnent la côte de Salerne et la mer, pour s’enfoncer dans les terres désolées de Lucanie. Le Christ n’est jamais arrivé ici, ni le temps, ni l’âme individuelle, ni l’espoir, ni la liaison entre causes et effets, ni la raison, ni l’histoire. Le Christ n’est pas arrivé ici, pas plus que n’y étaient arrivés les Romains qui ne suivaient que les grandes routes et ne pénétraient pas entre monts et forêts, ni les Grecs, qui florissaient sur la mer de Métaponte et de Sibari ; aucun des hommes hardis de l’Occident n’a porté ici le sens du temps qui se déroule, ni la théocratie étatique, ni cette éternelle activité qui se nourrit d’elle-même. Nul n’a touché cette terre autrement qu’en conquérant, en ennemi ou en visiteur indifférent. Les saisons coulent sur les labeurs paysans, aujourd’hui comme trois mille ans avant Jésus-Christ. Nul message, ni humain ni divin, n’a touché cette pauvreté tenace. Nous parlons un langage différent ; notre langue est presque incompréhensible ici. Les grands voyageurs n’ont pas dépassé les frontières de leur propre monde ; ils ont parcouru les sentiers de leur âme et ceux du bien et du mal, de la moralité et de la rédemption. Le Christ est descendu dans l’enfer souterrain du moralisme judaïque pour en briser les portes temporelles et les sceller dans l’éternel.

Mais sur cette terre sombre, sans péché et sans rédemption, où le mal n’est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe pour toujours dans les choses mêmes, le Christ n’est jamais descendu. Le Christ s’est arrêté à Éboli.

(INCIPIT)
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Plusieurs années se sont écoulées, chargées de guerre et de ce qu'on appelle histoire. Ballotté çà et là par le hasard, je n'ai pu, jusqu'à présent, tenir la promesse que j'avais faite, en les quittant, à mes paysans, de revenir parmi eux, et je ne sais si je ne pourrais jamais le faire. Enfermé dans une pièce, monde clos, il m’est pourtant agréable de retourner en souvenir dans cet autre monde que resserrent la douceur et les coutumes, ce monde en marge de l'histoire et de l'État, éternellement passif, cette terre sans consolation ni douceur, où le paysan vit, dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride, en face de la mort.
« Nous ne sommes pas des chrétiens, disent-ils ; le Christ s'est arrêté à Eboli. » Chrétien veut dire, dans leur langage, homme - et ce proverbe que j'ai entendu répéter si souvent n'est peut-être dans leur bouche que l'expression désolée d'un complexe d'infériorité : nous ne sommes pas des chrétiens, nous ne sommes pas des hommes, nous ne sommes pas considérés comme des hommes, mais comme des bêtes, des bêtes de somme, encore moins que des bêtes, moins que les gnomes qui vivent leur libre vie, diabolique ou angélique, parce que nous devons subir le monde des chrétiens, au-delà de l'horizon, et en supporter le poids et la comparaison.
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Sono passati molti anni, pieni di guerra, e di quello che si usa chiamare la Storia. Spinto qua e là alla ventura, non ho potuto finora mantenere la promessa fatta, lasciandoli, ai miei contadini, di tornare fra loro, e non so davvero se e quando potrò mai mantenerla. Ma, chiuso in una stanza, e in un mondo chiuso, mi è grato riandare con la memoria a quell'altro mondo, serrato nel dolore e negli usi, negato alla Storia e allo Stato, eternamente paziente; a quella mia terra senza conforto e dolcezza, dove il contadino vive, nella miseria e nella lontananza, la sua immobile civiltà, su un suolo arido, nella presenza della morte.
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L'amour ou l'attrait sexuel est considéré par les paysans comme une force de la nature, d'une puissance telle qu'aucune violence n'est en mesure de s'y opposer. Si un homme et une femme se trouvent ensemble à l'abri d'un témoin, rien ne peut empêcher qu'ils ne s'étreignent. Ni les résolutions prises, ni la chasteté, ni aucun autre obstacle ne peut les retenir, et si par hasard ils ne s'unissent pas effectivement, c'est comme s'ils l'avaient fait. Se trouvaient ensemble équivaut à faire l'amour.
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