AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Carlo Levi (60)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le Christ s'est arrêté à Eboli

... Il s’est arrêté à Eboli, mais n’est pas allé plus loin. Certainement pas jusqu’à ce petit village de la province de Lucanie, aujourd’hui nommée Basilicate et dont Matera est le chef-lieu. Le village, c’est Gagliano. Ce village devient donc le symbole de tous ceux qui se trouvent au-delà: sans Christ, on n’est pas chrétien et quand on n’est pas chrétien, on n’est pas italien et vous pourrissez lentement...

Sorte de “Choses Vues” de Hugo, avec ce récit autobiographique, Carlo Levi raconte comment, en tant que “confinato”, un indésirable politique opposé au régime fasciste et ses ambitions territoriales en Ethiopie, il est exilé en Lucanie. Levi décrit son arrivée à Gagliano, comme “ une pierre venue du ciel, tombée dans un étang”.

Médecin turinois, Levi y rencontre l’autre Italie, celle du Sud. Il était loin d’imaginer comment dans un même pays, l’on puisse rencontrer deux sociétés si diamétralement différentes. En Lucanie, ce sont les cafoni, des paysans incroyablement pauvres, qui n’ont jamais rien eu, n’ont rien et n’auront peut-être jamais rien. La malaria et le paludisme décime la population sans relâche. L’auteur nous fait notamment une description poignant de Matera, où les gens vivent dans les maisons troglodytes de la ville dans des conditions effroyables. Ni le soleil, ni l’espoir n’y pénètrent jamais..

Ici, il n‘y a plus de Bien ni de Mal. Il y a la terre, si avare, et les gens. La notion de Bien et de Mal n’est plus une idée morale. Le Mal, c’est cette douleur quotidienne et le Bien, les paysans le cherchent en dehors de Dieu, puisque le fils du Tout Puissant les a si bien ignorés..

Dans cette région oubliée par tout un pays, le paganisme a pris le dessus. Ici, on ne célèbre ni Garibaldi, ni Cavour, ni les Savoie, mais on s’adonne au brigandage, à la sorcellerie. On raille don Trajella, l’archiprêtre qui a abandonné toute entreprise rédemptrice sur ses ouailles (ce qu’ils refusent d’ailleurs d’être) et qui tente de sauver quelques symboles sacerdotaux malgré tout...

Pour eux, Rome est juste une institution gloutonne qui envoie ses agents taxer ce qui peut encore l’être. Souvent, ceux-ci repartent juste avec un quart de pain, une chèvre rachitique ou une livre de farine, car tout est pris depuis longtemps. Les paysans ont ensuite un an afin de gratter à nouveau leur sol aride et pour offrir quelque chose à l’ogre ... “Pour les paysans, l’Etat est plus loin que le ciel, plus redoutable, car il n’est jamais de leur côté”. Voilà la façon cinglante dont Carlo Levi qualifie le sentiments des gens du Basilicate ... Cette Rome centrale de 1935 qui a assujetti ces hommes, instaurant ainsi une sorte de colonie intra muros et privée ...

A Gaglioni, il y aussi les “seigneurs”, tout aussi démunis que les paysans, mais dont la primauté sociale joue un rôle quasi féodal sur les cafoni. Ils sont boutiquiers, coiffeurs, tenanciers de débit de boissons, mais l’émulation économique ayant disparu depuis belle lurette, comme les paysans, ils vivent de rien, sinon de l’illusion. C’est le cas de Don Luigino, le podestat, maître d’école et représentant de l’Etat à Gagliano, s’accoquinant discrètement à la mafia...

Le style de Levi est très particulier. Sur un ton presque badin, Carlo Levi nous raconte la vie des habitants de Gagliano comme s’ils étaient des amis de fortune, de simples compagnons de route. Il adopte le ton de la comédie pour décrire les conditions de vie désespérantes des cafoni de Lucanie.

Grand livre, dont le thème est facilement transposable chez nous et à notre époque. Pas loin de notre confort petit bourgeois, la misère existe, dans nos frontières ou un peu au-delà.
Commenter  J’apprécie          110
Rome fugitive

Trente textes écrits par Carlo Levi entre 1951 et 1953, publiés pour l'édition originale en italien en 2002, et pour la première fois en français en 2023.



C'est donc une très belle plongée dans la ville éternelle une soixantaine d'années en arrière au coeur de laquelle ces très beaux textes emportent le lecteur, dans des atmosphères bien différentes de celles que l'on peut ressentir en parcourant la ville aujourd'hui, encore que la lumière, les ciels changeants, les pluies quelquefois diluviennes soient toujours présentes dans la cité.



J'ai choisi de lire ces jours-ci ce recueil, qui m'attendait depuis un certain temps, mais l'occasion d'un nouveau séjour à Rome était trop belle pour ne pas l'associer au parcours varié et poétique proposé par Carlo Levi.



Et bien sûr, ce fut un ravissement, aussi bien dans la ville vide des petits matins dominicaux des années 60, qu'au fil des saisons, chacune conférant à la ville une lumière différente, ou encore avec les oiseaux, les arbres, les fêtes, la lune, tout ce qui participe de la féerie romaine. Celle-ci me saisit à chaque passage sur les pavés des forums, dans l'obscurité des églises où une pièce va permettre d'illuminer deux minutes un Caravage, dans tous les lieux d'une cité qu'il faut prendre le temps de sentir et d'aimer.



Carlo Levi évoque aussi le peuple de Rome, riches et pauvres, petits délinquants, filles dévoilant leurs charmes, toujours davantage à mesure de l'avancée vers l'été et ses chaleurs. Il conte de multiples anecdotes dans lesquelles interfèrent la comète, les jouets japonais, la marche, l'élégie de la mi-août, tous les attraits de cette ville qui s'enfuit sous nos pas, laissant toujours le souvenir impérissable de toutes les sensations qu'elle offre.



Prendre le temps de lire quelques-unes de ces pages dans le parc de la villa Borghese ou même dans la foule de la Piazza Navona permet de savourer encore davantage le bonheur d'être simplement là, dans Rome.
Commenter  J’apprécie          806
Le Christ s'est arrêté à Eboli

J’avais le souvenir de vagues images du film de Rosi, avec G. M. Volonté. J’ai plus récemment visité la Basilicate (nouveau nom de la Lucanie) dont parle Levi. C’est un joli pays… pour le touriste et cela n’a rien à voir avec la pauvreté glauque d’il y a un siècle. Levi a su en faire une description lucide et distanciée, sans tomber ni dans le mépris ni dans l’incompréhension du citadin se retrouvant plongé dans un autre monde et ses structures et mentalités sociales d’un moyen-âge attardé. Il regarde vivre, se regarde vivre, avec l’acuité d’un ethnologue curieux, étonné et plutôt compatissant. Un beau livre.
Commenter  J’apprécie          90
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Lors d’un séjour en Italie, nous avons traversé tout le pays en voiture. Un point qui m’a particulièrement marqué est le contraste saisissant entre le Nord, riche et florissant et le Sud, plus pauvre et désert. Après divers recherches, je suis tombé sur cet ouvrage qui décrit les conditions de vie des paysans vers les années 1930. C’est avec stupeur que je découvre qu’il y avait même la malaria dans cette zone !

Ce livre est purement descriptif : l’auteur partage ses impressions sur le village où il est enfermé. Pour passer le temps, il fait de la peinture et exerce bénévolement la médecine. C’est ainsi qu’il découvre le quotidien des paysans qui vivent dans la misère et la pauvreté. Il nous décrit aussi les coutumes, les superstitions, les contes et légendes de la région, l’antagonisme entre les différentes classes sociales. Les habitants n’attendent rien des autorités locales, du gouvernement ou de toute autre entité extérieure. Certains choisissent l’exil en Amérique du nord, d’autres de devenir soldat.

Je me répète peut-être mais ce roman est une succession de descriptions, sans aucune action. Par contre, il y a un passage qui m’a choqué : à un moment, l’auteur souhaite effectuer le portrait de sa femme de ménage. Cette dernière refuse mais il insiste, la frappe afin d’imposer sa décision.

Le style d’écriture est lent, lourd du fait que le texte est exclusivement descriptif. Ce livre exige beaucoup d’attention, de temps et d’énergie. Honnêtement, je me suis ennuyée. J’ai mis presque un mois à le terminer pourtant il est relativement court.
Lien : https://leslecturesdehanta.c..
Commenter  J’apprécie          00
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi : l'homme de convictions.

Pour son implication dans l'opposition antifasciste, il est condamné en 1935 au régime de « confino », contraint à résidence dans un village perdu de Lucanie.



Carlo Levi : l'homme de lettres.

Cette résidence surveillée lui permet de brosser un tableau réaliste d'une population rurale, aigrie entre frustration et pauvreté, un monde fermé aux rapports humains pourris par des haines réciproques, où la petite bourgeoise se livre une lutte interne de pouvoir sans répit, indifférente au quotidien sordide des paysans.



Misère, maladies, (Carlo Levi a une formation de médecin), ignorance et superstitions n'empêchent pas la tradition d'accueil des campagnards du Mezzogiorno, induisant chez le visiteur « obligé » un regard littéraire pétri de compassion et d'humanité.



Cette cohabitation inspirera profondément le peintre écrivain. Il produira de nombreux tableaux de genre « rural » et après sa libération, ce récit détaillé de ces mois de relégation.



J'ai pris beaucoup d'intérêt à ce très ancien conseil amical de lecture.

Une plongée italienne sociale et historique qui restera en mémoire durablement.

Commenter  J’apprécie          320
Le Christ s'est arrêté à Eboli

En 1935, Carlo Levi, un intellectuel de Turin, a été appréhendé par les autorités pour activités antifascistes et, comme beaucoup d’autres opposants au régime, il a été envoyé en résidence surveillée dans un petit village isolé et miséreux du Mezzogiorno. L'expression locale « Le Christ s’est arrêté à Éboli » traduit l’abandon de cette région du sud par tous, Dieu y compris. 

 

Pendant un an, le confinato Levi s’est mêlé aux habitants de Gagliano (Aliano). Médecin de formation, il les a soignés et, surtout, il les a observés et écoutés. Dans son récit autobiographique, l’auteur raconte leurs histoires, plus surprenantes les unes que les autres, toujours passionnantes. L’écrivain était également peintre et, comme dans un tableau, chaque court chapitre se focalise sur un personnage ou un thème : trip de pouvoir des petits bourgeois (dignes des personnages de Zola), rites païens et sorcellerie, culte à la Madone de Viggioano (la vierge noire), brigandage, théâtre ambulant, ravages du paludisme, etc. L'ouvrage revêt une dimension anthropologique et politique certaine, mais c’est surtout le regard humaniste de Levi qui ressort. J’ai refermé ce livre extraordinaire, la larme à l’œil.
Commenter  J’apprécie          141
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Qu'écrire de plus que ce qui n'a déjà été écrit...? Un livre plein d'intériorité, de saveur, d'odeur et de paysage, un petit peuple de villageois à la (sur) vie rude d'un monde disparu.

Je m'arrêterais là, tout a été dit sur la trame de l'histoire. Il me fait penser, par son "atmosphère" à "l'arbre aux sabots", film italien réalisé par Ermanno Olmi sorti en 1978 et qui a obtenu d'ailleurs la palme d'or à Canne à l'unanimité cette même année. Et tout comme lui, moi qui ne lis quasi jamais de roman (Tellement d'ouvrage à lire par ailleurs...) j'ai accroché sur celui-ci et, tout comme le film que j'ai vu au cinéma à 14 ans, cité précédemment, je ne suis pas près de l'oublier ! Ah li'Italie...! Quel que soit l'époque (Mise à part le fascisme sous Benito Mussolini!), le lieu où la saison, ça reste l'Italie !
Commenter  J’apprécie          140
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi a été « confiné » par le régime fasciste c’est-à-dire qu’il a été assigné à résidence dans un village perdu de Basilicate, Gagliano près de Grassano vers Matera pour des raisons politiques. Pendant un an en 1935 et 1936, CL, médecin qui n’exerçait pas et artiste peintre va observer la société rurale composée de « seigneurs », de petits bourgeois et de la masse des paysans. Il montre à quel point les paysans sont un monde à part hostile à l’Etat, loin de la religion officielle, pauvres, ravagés par la malaria, résignés. Une étincelle peut cependant ressusciter le mythe des brigands, hostiles aux riches, sur lesquels ils portent un regard bienveillant. CL montre les bassesses de seigneurs et des petits bourgeois. Il décrit magnifiquement le passage des saisons, les vieilles pierres avec un regard de peintre. Il décrit les fêtes, les danses, les coutumes, les mœurs avec précision, délicatesse et empathie.

Un livre profond, magnifique. Un chef d’œuvre. A offrir.

Commenter  J’apprécie          80
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Depuis quelques années, j'ai une grande attirance pour le sud de l'Italie, région pauvre et reculée mais chargé d'histoire et d'une immense beauté. La Basilicate (anciennement appelée la Lucanie), dans le creux du pied de la botte, est probablement l'une des régions les plus reculées et enclavées de ce Mezzogiorno. Les deux villes principales, Potenza et Matera, sont petites, enclavées et éloignées de Naples et Bari... et encore plus de Rome ! C'est mal desservi (même à l'heure actuelle la région ne possède pas d'aéroport), coincé entre la mer ionienne dans le golfe de Tarente et des montagnes abruptes qui culminent parfois à plus de 2000 mètres d'altitude.

D'où le titre de ce livre : on dit que le Christ s'est arrêté à Eboli parce qu'il n'a pas pu accéder à l'intérieur des terres lucaniennes.

Sous Mussolini, le régime fasciste a utilisé cet enclavement pour y exiler les opposants dans les années 1930. C'est ce qui est arrivé à l'auteur, médecin et artiste turinois un peu trop ouvertement opposé au fascisme. Exilé dans un petit village au beau milieu des montagnes de Basilicate de 1935 à 1936, il raconte donc son expérience dans ce livre. Si cet exil intérieur n'était pas le plus dur (on est loin des horreurs des camps nazis ou du Goulag de Staline), il était quand même interdit de sortir du village (sauf autorisation spéciale) et d'exercer ses fonctions de médecin, alors même que la région était ravagée par la malaria dans l'indifférence complète du pouvoir. Ce livre est à la fois une autobiographie et une quasi-étude anthopologique dans lequel l'auteur relate ses expériences avec les villageois, leurs inter-relations, leurs traditions et leurs croyances. Ce n'est pas forcément joyeux, à l'image des conditions de vie assez rudes dans cet extrême sud italien sous un régime non moins rude, mais c'est en tout cas très intéressant.
Commenter  J’apprécie          71
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Je suis venu à ce livre après avoir vu le film extraordinaire de Francesco Rosi, avec le monstre acteur Gian Maria Volonte dans le rôle principal. Est-ce que le film m'a tellement marqué ou bien est-ce que ce film était un reflet très exact de l'atmosphère du livre? Toujours est-il que je me suis senti dès les premières pages complètement dans le bain, dans l'ambiance si particulière de cette déportation aux confins de l'Italie, la région de la Lucanie, sorte de Sibérie italienne dans les années 30... Bien sur, l'écriture de Carlo Levi est d'une simplicité directe qui ne peut que mettre en confidence le lecteur : assigné à résidence (contre son gré donc) en 1935 par le régime fasciste auquel il s'oppose, Carlo Levi va vivre cette condamnation comme une expérience essentielle et un apprentissage, expérience qui transformera sa vision du monde de façon définitive. A ce titre, le moment le plus émouvant, le moment le plus bouleversant du livre (pour moi) est celui où, bénéficiant d'une "permission" pour décès familial lui donnant l'opportunité d'une semaine à Turin (sous surveillance rapprochée), il reverra ses amis proches, notamment des amis engagés dans la lutte antifasciste, pour se rendre compte qu'un fossé les sépare désormais, eux qui n'ont aucune vision de ce que le quart-monde prolétariat paysan a de totalement et viscéralement hermétique à tout sorte de directive provenant de l'Etat, qu'il soir fasciste, bourgeois ou socialiste.

Cette prise de conscience qui survient sans préméditation, et qu'il ne sait pas forcément gérer sur le moment, j'ai trouvé que c'était l'élément le plus fort du livre, d'autant que rien d'autre que la contrainte de cet exil forcé ne l'a amené à cette révélation. Carlo Levi, dont la vie a été marquée par cette expérience au point qu'il a demandé à être inhumé dans le village de cet exil, retournera malgré tout à la vie citadine "normale", mais avec une conscience de la vie transformée. Ca me touche énormément car je crois que nous sommes nombreux, toutes proportions gardées bien sur, à vivre des expériences uniques, ponctuelles, pas forcément d'une durée importante, et qui transforment totalement et de manière non réversible la vision de la société qui nous restera pour le restant de notre vie.



OK, j'arrête là !

Je concluerai tout simplement par : voilà un auteur qui a vécu quelque chose d'important, qui a quelque chose à en dire et qui le dit de manière directe et efficace et réaliste.
Commenter  J’apprécie          70
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Magnifique livre, à classer dans les monuments historiques. A sa parution, il avait bien remué les regards sur l'Italie. Je l'ai lu, il y a très très longtemps. Il remet en cause les stéréotypes, et met en avant les inégalités de développement incroyables dans un pays dit moderne comme devait l'être l'Italie alors.

Il est universel car il est empli d'une grande humanité.
Commenter  J’apprécie          150
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Fortement impressionné par l'adaptation cinématographique de Francesco Rosi, je trouve le texte un peu distant, intellectuel, emphatique. Mais, je ne vois pas cela comme un défaut. Car cela correspond à la fois à la réalité socio-culturelle du "confinato" Levi", et à un retour sur soi et sur l'expérience. Et puis le livre, une fois refermé, s'avère poursuivre un travail d'analyse politique et humaniste : les personnages continuent à vivre à la manière de souvenirs ; les enjeux, les dilemmes, les affres, les forces et les faiblesses de ce monde, du Sud, du monde, de l'homme résonnent dans un débat intérieur.
Commenter  J’apprécie          00
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Assigné à résidence pour trois ans par le régime fasciste dans un village désolé du sud de l'Italie, Carlo Levi témoigne de cette expérience d'incarcération hors des murs, de sa difficile adaptation à cet univers rural âpre et immobile, tout en décrivant et analysant avec l'oeil d'un ethnologue et le coeur d'un citoyen le microcosme perdu et miséreux que formait la communauté de Gagliano dans les années trente.

On se coule comme dans des eaux lourdes avec intérêt et fascination dans ce récit statique où la nature est avare, presque hostile, le temps hors du temps et les hommes immuablement inscrits dans un déterminisme résigné.

A Gagliano l'Etat est loin, les paysans ne l'acceptent pas mais n'ont d'autres choix que de se soumettre à l'autorité des médiocres petits bourgeois qui le représentent pour leur propre profit.

Le travail est dur, le pain est rare, l'église vide, l'espoir absent notamment pour les "Américains" rentrés au village après la grande dépression, leurs rêves de richesse envolés.

Les hommes sont mutiques et les femmes fortes comme des arbres. Au milieu d'eux, Levi compose comme il peut entre paysans qui l'adulent pour ses qualités de médecin, représentants de l'autorité qui le surveillent sans relâche et avec défiance, et femmes qui cachent de vives ardeurs sous le poids des traditions. Pour s'échapper et s'occuper, il peint : le village, la nature, mais pas les hommes que leurs croyances ancestrales poussent à craindre de se faire voler leur image.

J'ai beaucoup aimé ce récit hors du temps, qui par certains accents m'a rappelé la saga rurale Les paysans de Ladislas Reymont.
Commenter  J’apprécie          293
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Ce livre aurait pu figurer dans la collection Terre Humaine tellement ce récit est avant tout un témoignage ethnographique et en même temps un récit autobiographique.

En 1935, pour ses activités au sein du mouvement Justice & Liberté, Carlo Levi, bourgeois turinois, médecin et peintre se voit « confiné » dans un village de Lucanie (aujourd’hui Basilicate) par les autorités fascistes au pouvoir.

Ce bouquin raconte les deux années qu’il passa là-bas.

Très loin des « aventures » de Don Camillo, l’auteur nous montre l’incurable misère des paysans de ce Mezzogiorno oublié de Rome.

Il décrit les saisons (supportable qu’une dizaine de jours au printemps), les coutumes (sorcellerie notamment) et la Culture (les hommes s’exilant pour gagner leur vie ...), les légendes (dragons, etc.) et l’anticléricalisme des habitants de cette région aride et sujette aux épidémies de malaria.

Il dépeint le mépris réciproque des paysans et des « seigneurs » (petits potentats, fonctionnaires, religieux ...), à peine moins pauvres que les premiers. La résignation des uns, l’impunité des autres. L’auteur se fera néanmoins quelques amis dans les deux camps, l’hospitalité étant la règle de tous temps.

De l’antifascisme de l’auteur il n’est que très peu question ; cette région est indigente et déshéritée depuis des siècles.

L’écriture est claire. Les portraits de tous les personnages sont précis, vivants ; on sent l’artiste-peintre derrière l’écrivain. Les paysages sont décrits de façon expressive, ils sont solaires et minéraux. Le ton est fataliste, il n’y a rien à attendre de cette terre, de cette époque non plus.

Un beau témoignage, d’une période pour l’heure révolue, car aujourd’hui le tourisme « nettoie » la pauvreté ... et c’est tant mieux. Allez, salut.

P.S. : J’ai acheté ce livre (2€ à la Bouquinerie du Sart, Villeneuve-d’Ascq) pour lire « local » lors de vacances dans les Pouilles et la Basilicate.

Commenter  J’apprécie          342
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Imaginez que vous soyez confinés …. Non pas en raison d’un virus en couronne (ou pas) mais pour opinion politique divergente. Vous n’êtes pas reclus chez vous mais loin au contraire, dans une nature hostile et pauvre, dans un village perdu de Lucanie dans le sud de l’Italie. Vous ne côtoyez que des paysans mutiques décharnés par la malaria et des potentats locaux incompétents et orgueilleux, au ventre aussi gros que leur suffisance. Pour seule compagnie un chien un peu fou.

Voilà votre espace et à vous de découvrir comment l’auteur va découvrir et se confronter dans ce lieu oublié de Dieu à une humanité rugueuse loin de toute illusion.

Un livre profondément humain, qui donne une dignité à ces hommes et ces femmes sans avenir prisonnier de ce monde lithique où rien ne pousse si ce n’est les enfants aux yeux tristes et au ventre rond de malaria

Commenter  J’apprécie          120
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Écrit à Florence dans le premier semestre 1944 et publié en Italie en 1945, c'est un classique de la littérature italienne dont Francesco Rosi a tiré un film sorti en 1979 avec Gian Maria Volontè.



Dans sa version poche (Folio) de 300 pages, c'est un récit dense, à la police de caractère petite et peu d'espaces, les pages sont pleines. A peine entré dans le livre on s'aperçoit qu'on ne pourra pas passer des lignes ou des mots et qu'il faudra prendre le temps de savourer. Lent, très lent c'est le récit d'un confinato qui, petit à petit, apprend à connaître les gens qui l'entourent. Il décrit admirablement ce qu'il voit, contemplatif, dans de superbes tournures de phrases : "A la balustrade des balcons se balançaient paresseusement au vent des chapelets de figues, noires de mouches accourues pour en aspirer les derniers sucs, avant que la brûlure du soleil ne les eût taris. Devant la porte, dans la rue, sous les étendards noirs, des nappes liquides et sanguines de conserves de tomates séchaient sur des planches au soleil. Innombrables comme le peuple de Moïse, des essaims de mouches passaient à gué les parties déjà solidifiées de cette Mer Rouge ; tandis que d'autres se précipitaient et s'engluaient dans les zones humides et s'y noyaient comme les armées du pharaon, avides de vivre." (p.72)



Assez rapidement, puisqu'il est médecin de formation, il est sollicité par les paysans ; profondément humain et préférant la compagnie des paysans à celle des notables même si son statut d'intellectuel (médecin, journaliste, peintre et écrivain) l'oblige à les fréquenter, il en est vite accepté. Entre deux consultations et son activité de peintre, il prend le temps d'observer, analyser ce qu'il voit. Il décrit finement les habitants du village : les notables imbus, fiers et profiteurs et les paysans pauvres, harassés de travail. La coupure entre les élites de Rome et les gens isolés du sud de l'Italie est nette, forte. Ces derniers ne s'occupent que peu des affaires italiennes, de la guerre qu'elle soit en Europe ou contre l’Éthiopie, ils n'en ont pas le temps.



Ce récit dense est, je l'écrivais plus haut, admirablement écrit, oppose les deux mondes, celui des paysans de Gagliano et Rome, deux mondes qui ne se rencontrent jamais. Carlo Levi retrace également l'histoire du sud de l'Italie, de la Lucanie, autant l'histoire avec un grand H que les légendes et croyances, tout ce qui forge l'identité des gens qui y habitent.



Un grand roman, qui, à certains égards, parle également de nos sociétés actuelles dans lesquelles les dirigeants, malgré leurs discours, n'ont jamais été aussi loin des préoccupations des peuples. Actuellement, chez nous, on nous rebat les oreilles avec l'immigration, les migrants, la sécurité -parce que quelques personnalités surfent sur nos bas instincts croyant que ça suffira à se faire un nom et voulant imposer dans la société une vision étriquée, raciste et xénophobe d'une France de (bons ?) Français qui n'accepterait pas la différence- alors que la plupart d'entre nous n'en a rien à faire et serait au contraire prête à aider des gens dans la misère qui fuient leur pays...



Pou, pouf, je m'emballe, mais ce qui se dit en ce moment m'agace au plus haut point, je dois évacuer... En attendant, lisez ce très bon et beau livre de Carlo Levi.
Lien : http://www.lyvres.fr/
Commenter  J’apprécie          52
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Dans ce roman autobiographique, Carlo Levi réussit parfaitement à allier deux de ses passions en dressant un sublime tableau de l'Italie profonde d'avant guerre (qui, dans une certaine mesure, s'applique un peu toujours aujourd'hui). Il est parvenu à me faire ressentir ce que tant de fois j'ai ressenti en me rendant dans certains des villages qu'il mentionne : un double sentiment qui mélange stupéfaction et fascination, dégoût et amour, pour cette misère si profonde mêlée à l'authenticité de cet autre monde.



Éventuellement, c'est ce sentiment qu'il capture si bien dans la fin (que je vous laisse découvrir), sentiment qui l'attire inexplicablement vers cette région d'Italie alors qu'il semble ne pas en avoir réellement envie, qui lui commande d'y rester alors qu'il veut en partir.



Une très belle lecture sur la nature humaine et son rapport à la misère, à laquelle on pardonne sans difficulté quelques passages forts descriptifs ou un peu plus étranges.
Commenter  J’apprécie          00
Le Christ s'est arrêté à Eboli

En 1935, pour s'être opposé au régime fasciste, le Turinois Carlo Levi a été placé en résidence surveillée dans un petit village de Basilicate (l'ancienne Lucanie) qu'il a baptisé Gagliano. Ainsi, lui le citadin septentrional, s'est-il retrouvé dans le Sud profond, à l'extrémité de la péninsule où il restera jusqu'à l'année suivante, sur cette terre où sévissait une pauvreté endémique sur fond de paludisme (la malaria). Un endroit abandonné à son triste sort, oublié même de Dieu. le titre signale ainsi que le Christ en personne s'est arrêté à Eboli. Jugeant inutile d'aller plus loin. D'ailleurs aux yeux de Rome, symbole d'un État indifférent et lointain, ces lieux reculés ne sont rien de plus qu'un pays de bêtes de somme sans aucun rapport avec une terre chrétienne. Rien de plus naturel également que d'y rencontrer des créatures à l'animalité latente, comme cette femme qui a à la fois une génitrice humaine et une vache pour mère.



Notons qu'à l'époque, les individus exilés à l'intérieur de leur propre pays en des contrées peu amènes étaient appelés « confinati » et que si, dans un passé récent en Italie, on a employé le mot « lockdown » au lieu de « confinamento », ce choix lexical se justifiait, car le mot confinement aurait été bien trop connoté...



Mais revenons à nos moutons. Notre « confinato », médecin de formation mais qui n'exerce pas l'art médical, est également peintre. Et il va d'ailleurs beaucoup peindre pendant son exil. Puis, quelques années plus tard, celui-ci va rassembler tous les souvenirs engrangés à Gagliano (en réalité Aliano) et dans les environs (Grassano, Matera) pour peindre d'autres tableaux, avec des mots cette fois-ci. Et, à ce moment-là, il était loin de se douter que ce séjour forcé lui aurait inspiré un petit miracle littéraire traduit en 37 langues, à présent considéré comme un classique de la littérature italienne.



Ainsi l'auteur, grâce à un pouvoir d'évocation saisissant, construit son récit par touches successives pour nous transporter dans un autre temps. Bien que relégué dans le trou du cul du monde, il a semble-t-il fait plus d'expériences enrichissantes en seulement quelques mois que le commun des mortels en l'espace d'une vie. À tel point que c'est presqu'à regret qu'il quittera Gagliano en 1936 en promettant aux villageois qu'il reviendra, mais comme on s'en doute ceux-ci ne le croient pas et ne peuvent s'empêcher de se sentir de nouveau laissés pour compte.



Ce n'est qu'en 1943 que Carlo Levi regarde en arrière pour consigner par écrit cette tranche de vie. L'ancien exilé porte un regard rempli d'humanité sur les paysans opprimés de Lucanie, victimes des injustices et des absurdités du système. Pour eux, face à leur immense détresse, le narrateur acceptera notamment – à ses risques et périls – de passer outre l'interdiction qui lui est faite d'exercer la médecine pour leur venir en aide. de plus, il découvre un autre monde où coutumes et superstitions ancestrales sont fortement enracinées.



Cependant, ses conditions d'isolement seront pour le moins adoucies quand on sait qu'il avait à sa disposition une servante ! En la personne de la dévouée Giulia, toute disposée à même lui frotter le dos pendant sa toilette… Voire plus encore. Mais l'auteur préférera succomber à d'autres charmes, car la dame un peu sorcière est en mesure de lever le voile qui recouvre un monde occulte. Ce qui lui permettra d'approfondir ses connaissances sur les croyances locales et facilitera son intégration parmi les humbles.



On doit par ailleurs à Carlo Levi la description de scènes de genre d'anthologie correspondant à différents événements marquants de la vie villageoise comme la venue d'une troupe de théâtre ou le passage du châtreur de truies…



Lu en VO (italien)
Lien : http://scambiculturali.over-..
Commenter  J’apprécie          161
Le Christ s'est arrêté à Eboli

Il me semblait que j'avais lu ce livre (il y a des décennies), mais j'avais tout oublié. Il ne s'agit pas d'un roman, ni même d'un récit autobiographique vraiment centré sur l'auteur, et encore moins d'un pamphlet politique. C'est presque un texte relevant de l'ethnographie. Pour l'écrire, C. Levi n'avait pas besoin d'aller en Amazonie ! En fait, le hasard a voulu qu'il soit assigné à résidence par le pouvoir fasciste d'alors dans un village reculé du Mezzogiorno. Et là, pendant une petite année, l'écrivain ne s'est pas morfondu. Au contraire, il a cherché à connaitre toutes les strates de la micro-société de la localité, des « seigneurs » aux paysans. Il a observé les hommes avec une acuité extrême, et aussi avec une certaine bienveillance, sans préjugé et sans naïveté. Il peint le tableau d'une communauté oubliée de Rome, soumise à la « politique du rien » et sans aucun espoir d'une significative amélioration des conditions de vie. Une société d'apparence "primitive", dont la mentalité est presque étrangère au monde moderne. J'ai été fasciné par son mode de vie et ses pratiques atypiques. (C'était en 1935-1936: je suppose que, en un siècle, les choses ont bien changé !)



Sans qu'il cherche à s'en prévaloir, C. Levi a écrit un livre sérieux qui illustre bien son esprit d'ouverture et sa finesse. Avec beaucoup de simplicité, il a su gagner en quelques mois l'estime et l'affection de ces hommes rudes, frustes, misérables et opprimés; auprès d'eux, il a joué notamment le rôle de médecin alors que, en fait, son activité principale était la peinture. Je trouve vraiment que le texte - sobre et précis - est admirablement écrit. le lecteur y trouve de nombreux morceaux de bravoure, très forts, comme par exemple: la messe de Noël, le décès du malade victime d'une péritonite, la stérilisation des truies, etc etc... On y décèle une vraie authenticité, qui n'a rien d'un vulgaire folklore. C'est un beau livre, qui - il faut le noter - demande beaucoup de temps pour bien le lire.

Commenter  J’apprécie          141
Peur de la liberté

Partant d’une opposition entre le sacré et le religieux, Carlo Levi propose dans ce « poème philosophique », « une description générale de la crise contemporaine dans son ensemble », une théorie de l’État, idole sociale de laquelle l’esclavage est consubstantiel, de la liberté, de la guerre et implicitement du nazisme, « alors que les divisions blindées des Allemands parcouraient les plaines de la Pologne », comme il le rappelle dans sa préface.

(...)

Avec ce superbe et profond ouvrage, rédigé de septembre à décembre 1939, Carlo Levi élabore une théorie de l'État ancrée dans le religieux ou plus exactement dans le sacré, basée sur le sacrifice. La montée du nazisme et son expansion tragique transparaissent bien sûr en filigrane, mais c’est bien toute l’histoire de l’humanité qu’il convoque et examine. On pense beaucoup à Bakounine, par la puissance définitive et destructrice de ses analyses des fondements de l’État.



Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
Commenter  J’apprécie          270




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Carlo Levi (683)Voir plus

Quiz Voir plus

le bourgeois gentilhomme

comment s'appelle le personnage principal ?

monsieur Jourdain
Covielle
Dorante

8 questions
422 lecteurs ont répondu
Thème : Le Bourgeois Gentilhomme de MolièreCréer un quiz sur cet auteur

{* *}