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Critiques de Carmen Maria Machado (41)
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Son corps et autres célébrations

Ebouriffant et inventif ce recueil de huit nouvelles qui célèbre d’une façon fascinante et fantastique le corps de la femme ! Une femme sensuelle, sauvage, espiègle, inquiétante, troublante, fragile. Une femme faite d’ombres et de lumières, dont les expériences la confrontent à la violence, réelle ou symbolique et, consécutivement, à la perte d’identité.



La première des nouvelles, intitulée « Le point du mari », a ma préférence tant son étrangeté est troublante. Une femme porte en permanence un ruban vert autour du cou et refuse que son mari le touche, l’effleure même. Ce ruban reste un mystère entre eux. Elle ne l’a jamais enlevé, elle dort avec, mange avec, fait l’amour avec. Il fait partie d’elle. On la suit dans sa vie de jeune femme, puis dans son couple avec son mari où le sexe tient une place prépondérante, nous assistons à la naissance de leur fils et la voyons soulagée à la vue de ce nourrisson sans ruban, vu que c’est un garçon.

Qu’est-ce que ce ruban jamais délié ? Seule la toute fin nous donnera la réponse. En attendant cette femme nous raconte des histoires, des contes qui sont autant de petites fictions marquantes qui font froid dans le dos…Soulignons l’inventivité de Carmen Maria Machado qui se permet de nous donner des conseils sur la façon de lire sa nouvelle, elle nous prend de temps à autre en aparté, dans des passages entre parenthèses troublants, voyez plutôt :



« Pas de ruban. Un garçon. Je me mets à pleurer et je presse contre ma poitrine l’enfant dépourvu de signe. L’infirmière me montre comment l’allaiter et je suis si heureuse de le sentir boire, de toucher ses doigts recroquevillés, comme autant de petites virgules. (Si vous lisez cette histoire à voix haute, donnez aux auditeurs un couteau de cuisine et demandez-leur de couper le fin morceau de peau entre votre index et votre pouce. Ensuite, remerciez-les.) »



Dans la seconde nouvelle, « Inventaire », une femme fait l’inventaire de ses amants et de ses amantes, nous livre des détails intimes, des expériences sexuelles mais aussi une belle sensualité, catalogue saugrenu alors qu’un fléau plonge les Etats-Unis vers l’angoisse et l’apocalypse. Un érotisme qui semble totalement en décalage avec ce que l’humanité est en train de vivre, un érotisme comme une bouée à laquelle se raccrocher lorsque la fin du monde semble éminente, une vision apocalyptique hors norme.



« Une femme. Beaucoup plus âgée que moi. Elle a médité trois jours sur une dune en attendant de pouvoir entrer. J’ai examiné ses yeux, ils avaient la couleur verte des verres de mer. Ses cheveux grisonnaient aux temps et son rire dévalait en sautillant les marches de mon cœur ».



La troisième nouvelle, « Mères », nous offre des pensées de mères, des pensées ancestrales, viscérales, des pensées inquiétantes aussi, cette nouvelle m’a remuée plus que les autres tant l’auteure nous entraine à la lisière de la folie et des pensées inavouables à jamais refoulées. La narratrice est en couple avec une femme plus âgée qu’elle, Bud, au charme hypnotique. Leur épanouissement est d’autant plus libéré qu’elles n’ont pas à réfléchir au fait d’avoir un enfant de par la nature de leur relation. Comme si elles avaient été exaucées ou punies d’avoir contournée ainsi ce rôle de mère, poids fantôme qui pèse sur toute femme, rôle avec lequel elle jouait entre elles, partagées entre le fantasme d’avoir un enfant à elles et le soulagement de ne pas à avoir à assumer la parentalité, enfant il y aura. Un nourrisson, une petite fille prénommée Mara, est amené à la narratrice par Bud avant de la quitter. La voilà seule avec ce bébé, seule avec ce nouveau rôle de mère. Seule avec ces pensées, avec la confusion du présent, du passé, du futur, seule avec sa folie et ses rêves.



« La tête du bébé me hante parce qu’elle tient du fruit gâté. Je m’en rends compte maintenant, au milieu du désert infini de sons. Elle est comme cette partie molle de la pêche dans laquelle vous pouvez enfoncer le pouce, sans trop poser de questions, ni demander si ça va. Je ne vais pas le faire, mais j’en ai envie, une envie si forte que je le dépose. Elle hurle de plus belle. Je la reprends et l’appuie contre moi en murmurant « je t’aime ma petite, je ne vais pas te faire de mal », or la première affirmation est un mensonge et la seconde pourrait l’être également. Je devrais éprouver le besoin de la protéger et je ne pense qu’à cette région molle, cet endroit où je lui ferais du mal si j’essayais, si je voulais lui faire du mal ».



La quatrième nouvelle, centrale, est une expérience de littérature. Je m’y suis reprise à deux fois tant je suis passée à côté lors de ma première lecture, et j’ai bien fait ! Cette nouvelle s’appelle « Particulièrement monstrueux ». Elle est écrite comme une série télé comprenant douze parties comme douze saisons. Des scripts, des pitchs, comprenant chacun un titre. Nous suivons un couple, Benson et Stabler, deux policiers, un homme et une femme. Des enquêtes tordues, sordides et nous comprenons peu à peu que les deux policiers croisent leur double maléfique. Ebouriffant et saisissant d’inventivité, je suis restée bouche bée lorsque j’ai compris où l’auteure voulait nous emmener. Dire que lors d’une première lecture, je l’ai sauté cette nouvelle alors qu’elle est centrale et éblouissante, elle demande juste d’accepter de se laisser porter.



La nouvelle suivante, « A corps perdu » nous montre à voir un fléau qui rend peu à peu invisible le corps des femmes, on voit littéralement peu à peu à travers elle. Des fantômes, des spectres, ces femmes évanescentes, ni vivantes ni mortes, dont la société se méfie. Une ambiance teintée de noirceur, de misère et de solitude rend cette nouvelle particulièrement sombre et triste. Elle met à l’honneur un couple amoureux dont l’une des deux femmes s’efface. Une nouvelle qui m’a touchée.



« Je m’allonge sur Petra, j’embrasse sa lèvre supérieure. J’embrasse sa gorge. Ma main plonge entre ses cuisses. Autour de nous, les minutes trottinent sur le sol comme des fourmis et dévalent dans le ruisseau en crue, emportées à jamais ».



Dans « Huit bouchées », la femme est victime du diktat de la minceur et va recourir, pour éliminer ses formes, à la chirurgie bariatrique. Une autre forme d’effacement de soi. Avec cet anneau en elle, elle pourra devenir enfin aussi minces que ses sœurs et ne plus avoir à subir le regard des autres, et en premier lieu celui de sa fille. Mais que reste-t-il d’elle ? Est-ce vraiment elle, cette nouvelle femme, mince ? Ses plis et replis ne constituaient-ils pas son essence, sa beauté ? Jusqu’où la transformation doit-elle allée ? N’est-ce pas une quête sans fin ?



« Est-ce que je serai un jour transformée au passé, ou toujours en train de me transformer, en mieux, jusqu’à ma mort ? ».



Dans « En résidence » nous découvrons une communauté d’artistes dans le lieu même où, jeune, notre narratrice faisait des camps scouts. Là où la découverte de son corps et de son penchant pour les femmes fut moquée, jugée. Là où sa vie est devenue un enfer, devenue esclave à l’intérieur même d’un conte cruel, piégé dans sa propre prison mentale. Tout au long de cette nouvelle, des signes discrets nous oppressent de par leur étrangeté et d’où l’inquiétude sourde discrètement.



« Un large escalier menait à la porte d’entrée, si large que les rampes étaient inaccessibles depuis le centre. Je suis montée par la droite, la main courant sur la rampe jusqu’à ce qu’une écharde se plante dans ma paume. La main ouverte, je l’ai examinée entre la ligne de cœur et la ligne de tête. J’ai pincé le bois visible et j’ai tiré ; ma main s’est contractée autour de la blessure qui ne saignait pas ».



La dernière nouvelle « Pénible en soirée » évoque la pénibilité, celle de devoir cacher les bleus de son mari, celle d’entendre des voix dissonantes en plein films érotiques rappelant des horreurs. Le corps devient sale, à la fois vulgaire et excitant, sensuel et langoureux. Le corps de la femme se fait objet.



Huit nouvelles qui ne laissent pas indifférent, dans lesquelles l’auteure américaine explore toutes les sensations qu’elles soient tactiles, visuelles, odorantes, gustatives, sexuelles. Un livre sensuel et inquiétant dans lequel le corps de la femme est porté à son incandescence. Des femmes qui ont atteint une certaine liberté au prix de violence, de solitude, de traumatismes, de chirurgie, d’effacement. Un récit dans lequel le féminisme s’entremêle au fantastique voire à l’horreur. Avec cependant quelques douces lumières qui nous caressent de leur chaleur, tels des battements de cil gracieux.



« Je crois à un monde où l'impossible se réalise. Où l'amour surpasse la violence, la neutralise comme si elle n'avait jamais existé, ou la transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau. Où l'amour peut l'emporter. »



Pas étonnant que ce premier recueil de nouvelles ait été finaliste du National Book Award de fiction 2017 et ait reçu de nombreux prix dont le prix John Leonard 2017 décerné par le National Book Critics Circle. Pas étonnant. Je ne souhaite qu’une chose : découvrir d’autres écrits de Carmen Maria Machado.

Merci chère amie de me l’avoir offert, j’ai pensé à toi en parcourant ces pages. Elles sont à ton image. Iconoclaste, authentique et touchante. Riche et belle de ses différences.

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Son corps et autres célébrations

Je remercie Sonia pour ce conseil de lecture même si l'ensemble m'a ennuyé.

Bien que l'écriture soit soignée et poétique, j'ai été frustrée d'incompréhensions. Malheureusement, la béotienne que je suis, n'a pas tout compris.

Lorsque je lis les billets des autres, je me dis que je dois côtoyer le niveau zéro de l'intelligence. Ou c'est mon manque de culture qui m'a fait défaut.



Néanmoins, je retiens deux nouvelles qui m'ont touché pour des raisons personnelles.



La première nouvelle qui m'a plu, le Point du mari.

Le point du mari, qu'est-ce que c'est ? C'est une suture supplémentaire que le corps médical pratique à l'insu des femmes après un accouchement sous épisiotomie, consistant à resserrer le vagin afin d'accroître le plaisir de l'époux. J'entends beaucoup d'hommes, ces derniers temps, agacés par la révolte des femmes. Cependant, je sais de source sûre que l'on n'oblige aucun homme à se torturer des morceaux de chair pour satisfaire la femme. (J'ai tellement d'autres exemples prouvant que beaucoup d'hommes considèrent la femme comme sa propriété, comme un bien matériel ou un animal domestique, mais on va s'arrêter à l'exemple de la Nouvelle.)

Il était une fois, le corps de la Femme.

Glorifié, frappé, tripoté, violé, bafoué, déchiré, sacralisé, dénigré, dévoré, baisé, amoindrie, charmé, inspiré, annihilé, pilonné, mystifié, rejeté, transformé.

Il faut le cacher sous des kilomètres de tissu. Ou il faut trop le montrer. Il faut l'épiler. Des cheveux longs. Un ventre plat mais des gros seins. Des grosses fesses mais des jambes minces comme un poulet.

Un bout de viande ou une oeuvre d'art?

Il était une fois des morceaux de femmes désassemblées, désarticulées, transformées.



Dans la nouvelle de Carmen Maria Machado, la jeune mère est mise au courant, puisque le praticien fait un clin d'oeil complice à l'époux devant la femme parfaitement consciente, qui concrètement n'a pas voix au chapitre de SON PROPRE CORPS. Pour ceux qui tombent de haut, cette pratique se fait aussi dans les pays occidentaux. Alors certes, on est loin de l'excision et de l'infibulation, mais c'est l'objectif qui est choquant. La femme est autant considérée que le jour où l'on coupe les couilles de son chien. Vous ne demandez pas à votre chien : « tu es d'accord qu'on te castre ? ». Etonnement, ni l'époux, ni le médecin ne demanderont à l'épouse si elle accepte qu'on lui diminue l'entrée de son vagin. N'ayant plus de droit sur son corps.

A partir du moment où le corps de la femme ne lui appartient plus, ou se trouvent les limites ? C'est ainsi que je comprends le message : ne cédez rien, sinon vous finirez par y perdre la tête. le mariage ne doit pas donner l'impression que le corps de la femme appartient au mari. L'épouse doit accompagner son conjoint dans la vie et non être chosifiée à ce qu'il veut au moment où il veut.



La seconde nouvelle qui m'a plu, c'est Huit bouchées. Elle m'a rappelé le roman de Sarai Walker, (in)visible, cette femme en surpoids qui rêve de devenir mince avant de réaliser, grâce à une féministe de renom, que peu importe son corps, beaucoup d'hommes ne verront en elle qu'un bout de viande. (D'ailleurs je vous invite le lire ce roman, même si certains passages sont rébarbatifs, l'auteur tient un sujet très intéressant que malheureusement elle n'exploitera pas à fond, mais qui mérite notre attention).

Dans cette nouvelle, le personnage ne rencontrera pas de féministe pour lui faire changer d'avis. Bien au contraire, elle aura toute une cohorte de femmes la poussant à la mutilation jusqu'au médecin qui va carrément m'indigner avec cette phrase : « Vous allez souffrir. Ce ne sera pas facile. Mais après, vous serez la plus heureuse des femmes. » Devenir la copie conforme de la sororité jusqu'à se perdre. S'illusionner du bonheur sacrifiant le plaisir. C'est presque de la folie. Et c'est clairement ainsi que je vois ce déséquilibre de bouffer huit cuillères par repas pour rester mince. Je dédie d'ailleurs ce billet, à ma fidèle amie que j'admire avec beaucoup d'amours, qui a refusé de se trancher des morceaux de son estomac pour plaire à son fourbe d'époux, avec cette phrase : « j'aime trop manger, j'aime trop vivre ». Refusant ainsi de perdre la tête pour un homme. Je n'ai rien contre la sleeve, il faut juste la faire pour de bonnes raisons (santé, problème physique, mais ne faîtes pas cela pour ressembler à Charlize Theron et surtout pas pour plaire à un homme).



Mention spéciale pour ce passage où la protagoniste rencontre un amas de graisse dans sa cave digne d'un Cronenberg.

N'est-ce pas avec cette nouvelle Sonia que tu as pensé à moi ?











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The Low, Low Woods

Deux adolescentes se réveillent à la fin d'un film au cinéma. Elles sont convaincues qu'il s'est passé quelque chose. Débute alors une quête pour retrouver les souvenirs perdus.



À partir de là, je ne peux pas dire grand-chose sans divulgâcher quoi que ce soit, mais c'est bon, malgré une petite longueur au centre. L'histoire fait penser à une version surnaturelle des Femmes de Stepford.



Le comic a pour thématique principale le viol. Par contre, on ne voit aucune scène de viol, et ce n'est même jamais mentionné directement de tout le livre.



Je vais certainement suivre avec intérêt les prochaines sorties de cette autrice.
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Son corps et autres célébrations

Revisiter le féminin.



Il s'agit d'un recueil de nouvelles de Carmen Maria Machado.



J'ai découvert cette autrice avec l'OLNI "Dans la maison rêvée". L’expérience ayant été plus que concluante, j'ai voulu lire d'autres écrits de Carmen Maria Machado. Ce recueil bouscule les genres brillamment. Certaines nouvelles relèvent du fantastique, quand d'autres lorgnent vers la science-fiction. La thématique commune est la vie des femmes et les différentes violences qu'elles subissent.



Trois nouvelles ont particulièrement retenues mon attention.



"Le point du mari": Cette femme porte en permanence un ruban vert autour du coup, son mari ne peut pas y toucher quelque soit la situation. Cette nouvelle repose sur un élément fantastique. Quel est ce ruban vert ? Que se passe-t-il si on y touche ? Cet élément n'est qu'un prétexte pour montrer la vie de couple du point de vue d'une femme. La nouvelle est très bien ainsi que sa chute.



"Inventaire": Une femme fait l'inventaire de ses amants, alors qu'une pandémie ravage les États-Unis. Également une très bonne nouvelle. La construction est très bien faite. A première vue, il s'agit tout d'abord d'une énumération des ébats sexuels de la narratrice, mais peu à peu la pandémie prend de l'importance.



"Particulièrement monstrueux": Cette nouvelle prend la forme d'un synopsis de série policière. Tout simplement brillant ! Je n'ai d'abord pas compris où voulait en venir l'autrice, mais à partir du milieu de la nouvelle j'ai commencé à comprendre ses intentions. D'une série policière consensuelle, nous passons peu à peu a quelque chose d’extrêmement malsain. Il s'agit de ma nouvelle préférée du recueil, si vous ne devez en lire qu'une seule, lisez celle-ci. L'expérience vaut le détour.



En conclusion, ce recueil m'a de nouveau fait passé un excellent moment. J'attendrai avec impatience les futures publications de Carmen Maria Machado.
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Son corps et autres célébrations

Pose-toi, ici. Voilà, comme ça.

Entre l’ombre et la lumière devant toi, regarde.

Un livre repose devant ta main qui frissonne, impudique et légère, le long des pages ternes de cet ouvrage si clair. Clair-Obscur. Obscur et noir.

L’américaine Carmen Maria Machado est là, quelque part, derrière ses lignes. C’est son premier recueil de nouvelles que tu tiens entre les doigts. Ton cœur s’étrangle, ta gorge palpite. Pourquoi ?

Huit textes. Huit histoires. Autant de corps et davantage encore. Célébrée par la presse, célébrée par tour, Carmen Maria Machado arrive sans prévenir aux éditions de l’Olivier.

Huit fois. Huit première fois. Huit fois étranges.

Bienvenue dans la chair et l’extraordinaire, la femme et le corps.



Dans Son corps et autres célébrations, l’américaine explore nos sensations. Tactiles. Visuelles. Gustatives. Sexuelles.

Tout commence par l’histoire surréaliste de cette femme au ruban, un simple ruban qui lui entoure le cou, un secret, son secret, sa part à elle d’intime qu’elle ne veut pas laisser à d’autre.

Dans Le point du mari, une femme épouse un homme…et elle aurait pu trouver pire. Elle lui donne un fils, elle lui accorde tous les plaisirs sexuels qu’il désire, tous les fantasmes. Elle lui donne tout, sauf ce ruban qui finit par obséder le mari. Ce mari prêt à recoudre le vagin de sa femme après une épisiotomie pour son propre plaisir. Mais la femme l’accepte, car elle l’aime.

Entre deux, elle raconte des histoires, des contes cruels et authentiques où la princesse ne finit pas avec le prince. Son corps exulte, ses histoires grincent.

Puis son fils devient un homme aussi et comme tous les hommes, il pose des questions à propos du ruban. Carmen Maria Machado livre là un conte d’une subtilité magistrale où le féminisme embrasse le fantastique et l’horreur voilée, pour une chute qui fait mal. Un ruban, c’est tout ce qu’elle demande mais même là, l’homme refuse. Malgré l’amour et la vie derrière. Le corps, dernier secret inviolable ? Ou le secret du corps de cette femme au ruban qui voulait garder son ruban, handicap ou prodige, personne ne le saura jamais.



Du corps des femmes et des hommes, il est toujours question dans Inventaire. Journal d’une apocalypse où la narratrice énumère ses expériences sexuelles et raconte son ressenti charnel. Où la virginité perdue devient une chose horrible et une note mélancolique. Où la femme rencontre à nouveau la femme, plus douce et moins auto-centrée…ou presque. Postulat inventif et glaçant, certainement la narration d’une apocalypse la plus originale jamais offert au lecteur ces dernières années, ici, le sexe devient le dernier moteur humain devant la fin des temps et une prodigieuse façon de parler de nos expériences intimes.



Puis, viennent les Mères. Deux femmes qui s’aiment et dont Carmen Maria Machado imagine l’avenir avec chaleur et lumière, empoisonné par la question de l’enfant, de la conception, de ce poids fantôme qui pèse sur la femme. Dieu merci, nous ne pouvons pas faire d’enfant. Et si en fait…si ? Qui sera cet enfant ? Les pistes se brouillent et l’écriture de l’américaine s’envole. On ne sait plus bien si la narratrice est folle ou si le monde l’a trahi mais on connaît la fin avant le début. On s’émeut devant la vie de Mara en sachant qu’elle n’existe pas, ou trop. L’histoire d’amour tourne à la déroute, le plaisir des corps féminins s’étiole et l’on reste orphelin à la fin d’une vie que Carmen n’a fait pourtant qu’effleurer.

« Je crois à un monde où l’impossible se réalise. Où l’amour surpasse la violence, la neutralise comme si elle n’avait jamais existé, ou la transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau. Où l’amour peut l’emporter. »

Des vies effleurées, gaspillées, ce recueil en est plein.

Dans À corps perdus, une étrange maladie transforme les femmes en fantômes, spectres translucides dont on ne sait pas vraiment si elles existent encore ou non. La femme invisibilisée, la femme-objet incapable de survivre autrement que par les choses de sa vie d’hier. Cousues dans des robes, les femmes s’accrochent et c’est à nouveau l’histoire d’amour de deux d’entre elles qui capotent. Parce que l’une s’efface et l’autre reste. C’est beau, doux, subtil, formidable. À travers ce texte, la femme devient esclave de la mode et prolonge son calvaire dans Huit bouchées, où une nouvelle narratrice décide de recourir à la chirurgie bariatrique pour être aussi mince et fine que ses sœurs, fatiguée d’un monde qui la juge sur ses kilos et sur son apparence physique. Mais que reste-t-il de ce conte où les sœurs maigrissent et trouve chez elle un corps qu’elles ont laissé en pâture au Diktat de la société moderne ? Que reste-t-il de cette mère incapable de dire à sa fille qu’elle sera toujours belle malgré ses kilos et que ce n’est pas ce qu’elle veut en vérité, au fond, dans les replis de son corps où huit bouchées suffisent maintenant.



Grandiose encore cette lesbienne-clichée-gothique qui vit en dehors d’elle-même jusqu’à cette résidence d’écrivain qui semble faire rejaillir les souvenirs cruelles de son enfance où la propre découverte de son corps est devenu un Enfer refoulé loin, très loin dans sa mémoire. En résidence raconte une communauté d’artistes d’où pourrait jaillir un Frankenstein mais cette Mary Shelley-là s’appelle Lucille, ou peut-être pas. Elle aime les filles et on s’est moqué d’elle, devenue esclave et lutin dans un conte cruelle, piégé dans sa propre prison mentale.

Enfin, on peut être Pénible en soirée chez Carmen Maria Machado. Pénible parce qu’on cache les bleus de son mari ou d’un autre, parce que l’on entend des voix dissonantes dans les films érotiques et pornos pour couples que personne d’autre n’entend et qui nous rappelle des choses terribles, horribles. Dans la cassette vidéo, le corps devient un objet pour passion et pour fusion, dégueulasse et excitant, amoureux et langoureux.



Mais…mais, Carmen Maria Machado atteint le sommet de son art étrange avec Particulièrement monstrueux, monument de weird fiction où horreur, science-fiction, thriller, policier, féminisme et séries télé entrent en collision sans prévenir.

Imaginez ça un peu : un texte écrit comme une série télé, séparé en douze parties comme douze saisons. Dans chaque partie, des sous-parties où chaque paragraphe est nommé par le titre de l’épisode de…New York Unité Spéciale correspondant.

Oui, vous connaissez New York Unité Spéciale, cette série d’enquêtes sur des crimes sexuels particulièrement monstrueux. Avec Benson et Stabler, la femme et l’homme, les deux policiers. Et les personnages annexes : les criminels, les procureurs, les stagiaires…

Carmen Maria Machado commence par donner le pitch de quelques enquêtes sordides puis les choses se tordent. Benson et Stabler croisent leur double maléfique et parfaits, Benson et Stabler entendent des secousses qui annoncent violence et carnages.

Benson voit des filles-aux-yeux-en-clochette qui sont des victimes de viols et d’autres atrocités et qui cherchent à la posséder. Benson tente de tuer son double.

Stabler découvre que sa femme a été enlevé par des extra-terrestres…à moins qu’elle n’ait été elle aussi violée et torturée. Stabler veut Benson mais il ne peut pas.

Et les choses empirent, avec un arrière-goût de la folie cryptique et glauque de 300 millions de Blake Butler. En moins incompréhensible et en plus retors. C’est prodigieux, scotchant, épatant. Une expérience littéraire totale où l’écriture de Machado explose et où votre pauvre cerveau de lecteur finit en compote.



Célébrez Carmen Maria Machado. Célébrez le corps féminins libéré des contraintes masculines, apaisé par la douceur d’autres femmes.

Ce premier recueil à la fois terrifiant, doux, renversant, féministe, intelligent et subtil, ce premier recueil est un délice où le masculin se conjugue au féminin. Un tour de force littéraire, rien de moins.
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Dans la maison rêvée

La maison rêvée à la manière d'une critique sur Babelio.



Carmen a rencontré son âme sœur. Tout se passe pour le mieux jusqu’à que sa compagne s'avère jalouse, paranoïaque et violente.



Ce livre est une excellente surprise. L'auteure nous raconte sa relation avec son ancienne compagne. Celle-ci parfaite au premier abord, est dans les faits une manipulatrice. Ce livre apparaît, en premier lieu, comme une autobiographie, un témoignage. Mais, en second lieu, il est aussi une tentative d'essai sur la vision de la société sur les personnes LGBT+, la violence entre conjoints du même sexe et les relations femmes-hommes. Le tout en utilisant un style différent par chapitre. Ce livre est un O.L.N.I (Objet littéraire non identifié).



L'auteure manie excellemment sa plume. Dans un chapitre elle fera preuve d'humour noir, dans un autre elle nous fera ressentir son désespoir, quand elle ne fera pas de parallèle avec d'autres œuvres ou essais. Le tout en changeant en permanence de style littéraire.



Les premiers jours sont heureux, puis l'orage s'annonce et les jours suivants ne sont plus que peur et désespoir. L'auteure fait d'abord face au déni, puis ne sait pas comment annoncer sa situation à ses proches. Ne risque t-elle pas de confirmer les préjugés de la société sur les queers forcément instables et malveillants ? A l'inverse les préjugés sexistes sur les femmes font que ces dernières sont considérées comme incapables d'être violentes entre elles. En effet, les violences conjugales ne seraient que le fait d'hommes sur des femmes. Ainsi les violences conjugales dans les couples lesbiens sont un tabou. L'auteure nous explique ainsi tout les mécanismes qui contribuent à maintenir ces non-dits.



Au final, ce livre est excellent. L'auteure est clairement à suivre.
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Son corps et autres célébrations

Comme des personnes, il est des lectures pudiques. Elles ne se dévoilent que si on leur accorde intérêt et attention. Ainsi l'on peut choisir de s'en détourner si elles n'ont pas à nos yeux la curiosité qui suscite un effort de notre part. Tout comme à l'inverse l'on peut décider, armé de patience, avide de compréhension face à une oeuvre ou à quelqu'un qui nous paraît fascinant, de semer dans notre petite tête des graines de réflexion et d'imagination. Graines qui pourraient faire croitre de beaux fruits goûteux et de belles feuilles brillantes, faire épanouir et éléver une pensée, lui donner forme et force. le tout parfois auréolé d'admiration pour autrui.

Comme j'admire dorénavant le talent d'autrice de Carmen Maria Machado, après avoir décidé de me donner le temps de relire et de digérer ce premier recueil de nouvelles daté de 2017. Après avoir choisi de ne pas me fermer au premier abord, parceque le sens m'avait échappé pour une bonne part des 8 nouvelles. Ma curiosité et mon admiration tout de même titillée dès la première " le point du mari ", je n'ai pas pu me détourner de ce livre, et passer simplement à autre chose, sans lui donner toute l'attention qu'il mérite.

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La voix est donnée à plusieurs femmes au cours de ces nouvelles. Par des façons détournées, qui surprennent, comme ce ruban vert qu'une femme a noué à son cou, n'autorisant à personne le droit de le toucher, dans une première nouvelle, il est notamment question de la condition féminine de toute une société. Il est question du corps, sa posséssion par autrui, son appropriation par soi-même, son usage comme objet de désir et de plaisir pour les autre et pour soi-même.

Dans une autre nouvelle "A corps perdu" ce corps féminin devient peu à peu transparent, les femmes étant atteintes d'un mal mystérieux qui les fait disparaître. Ici la condition féminine ne détruit pas le corps, elle l'annihile purement. Et les femmes oscillent entre soumission et malice, tristesse et rage. Ma nouvelle favorite, le frisson si difficile à atteindre entre sens et incongru, entre folie et clairvoyance, entre brutalité et finesse.

La condition fémninine, mais aussi les injonctions de la société sur les femmes, sur leur corps, sont aussi très présentes dans la non moins magnifique nouvelle "Huit bouchées". Accepter de se rencontrer soi-même, ou répondre aux injonctions, là est le dilemne de cette femme qui se fait poser un anneau gastrique. Et la réponse de l'autrice est merveilleuse, et m'a beaucoup touchée.

D'une manière différente, cette question de l'acceptation de soi est aussi traitée dans " En résidence ", sous le prisme de l'identité sexuelle. L'homosexualité, le sexe, sont centraux dans les nouvelles de l'autrice dont le discours est aussi engagé que celui de toutes les femmes auxquelles elle donne la parole.

Les scènes et les mots sont crus, choquants tel un tableau expressionniste, avant même d'en saisir le sens. Dans "Pénible en soirée" une femme est aux prises avec un traumatisme dû à une agression. Elle sort à peine de l'hôpital et voudrait reprendre sa vie et sa sexualité en main, mais le traumatisme s'insinue en elle de façon étrange.

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Je ne vais pas égrénner toutes les nouvelles une par une, toutes m'ont saisie, tant par le fond que par la forme. Certaines m'ont laissée de côté malgré mes relectures, comme " Mères ", où réalité et folie sont intriquées, entre peur et désir, entre passion ennivrante et destructrice entre femmes. Un fantasme né de la question de maternité dans leur couple semble les pousser à la rutpture. "Particulièrement monstreux" a fait baisser ma note, car je n'ai pas eu le courage de la relire. En plus d'y être paticulièrement hermétique pour ma part, je l'ai trouvée particulièrement longue.

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Toujours est-il que, malgré ce de quoi je suis hélas passée à côté, et c'est une frustration et non une critique, je suis conquise.

Le style de Machado a le tranchant d'une hache, de part sa crudité, son animalité, et la finesse d'un cristal, de part les émotions et la réflexion qu'il suscite. Les femmes que j'ai croisées ont la force de toutes celles qu'elles représentent en nombre, et l'évanescence de leurs fragilités. Leur pluralité élève haut la voix de toutes les femmes.

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Mention spéciale à la couverture des éditions de l'Olivier. Oui, nous célébrons notre corps, notre pensée, notre liberté souvent entravée et tout un tas d'autres célébrations dans ce titre si bien choisi. L'image, ce dos de femme désirable à la nuque dévoilée, fait écho notamment à la première nouvelle de part la couleur verte qui parait à son cou, comme un ruban, par transparence avec le fond vert de la couverture. Une figure féminine en noir et blanc qui contraste sur un fond vert fluo, qui correspond bien à une charge acide, trash et incongrue qui ne manque pas d'interpeller durablement.
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Dans la maison rêvée

Ce livre n'est pas un roman mais une histoire vraie romancée, un témoignage, un récit et même un essai tant il est riche en réflexions.

L'auteur (Carmen donc dans le livre) raconte comment, alors qu'elle était toute jeune et débutait son travail d'écrivain, elle s'est retrouvée enfermée dans une relation difficile parce que devenue réellement toxique, avec une autre jeune femme, qui était devenue sa compagne.

Cette jeune femme jolie, intelligente, amoureuse, s'est révélé, au fil du temps parano, jalouse, violente verbalement et capable des pires colères quasi inimaginables à soupçonner même parmi son entourage proche.

Cette maison rêvée où toutes les deux se retrouvent pour vivre librement leur amour, devient pour la narratrice (l'auteur donc) un lieu de souffrance. Sa compagne la déprécie sans cesse psychologiquement, puis elle affirme ensuite qu'elle a tout oublié des événements violents, et revient vers elle, toute souriante et aimante.

Mais les dérapages se multiplient, les crises de jalousie et de colère se succèdent pour un rien et la relation après être devenue étouffante, devient carrément toxique et insupportable.

Bien entendu, lors des "premières fois", la narratrice est sidérée : elle met du temps à comprendre que sa compagne veut la dominer ; elle ne réagit pas et se contente d'espérer retrouver un jour prochain celle qu'elle aime. Carmen ne sait plus où elle en est. Elle mettra des mois, elle qui est écrivain, à mettre des mots sur son ressenti et surtout sur son vécu.

Dans ce récit, qu'elle écrit des années après alors qu'elle a trouvé l'amour et vit une vie stable et heureuse avec sa nouvelle amie avec qui elle s'est mariée, l'auteur revient sur ces mois difficiles où elle a vu ses sentiments bafoués et son couple s'effondrer.

Elle nous livre ses réflexions d'aujourd'hui, étayées par de nombreux exemples concrets, sur la manière dont le harcèlement moral et la violence psychologique, se mettent en place peu à peu. Elle évoque aussi son ressenti face à cette alternance de "coups" et de réconciliations, tout à fait déstabilisants et qui fragilisent encore davantage celle qui les subit.

La maltraitance dans un couple homosexuel, je savais bien qu'elle existait mais ce livre nous la fait vivre à la fois différemment et de manière semblable que dans un couple hétéro. En effet la mise en place de la violence est la même et n'est pas que l'apanage des hommes. L'auteur brise les tabous à ce sujet, démontre que même les juges ne savent pas juger ces cas de maltraitance, sans se référer à ce qu'ils connaissent de la violence dans les couples hétéro, parce qu'ils n'acceptent pas, inconsciemment, que deux êtres de même sexe, puissent vivre ensemble une vraie sexualité.

En plus de son sujet fort intéressant qui ne peut que nous toucher, il faut noter que ce livre est très original et même carrément étonnant par sa construction littéraire que je n'avais encore jamais lu, ni vu auparavant dans un témoignage.

L'auteur bâtit en effet ses chapitres de différentes longueurs (parfois très courts quelques lignes à peine) en racontant les événements dans le désordre et "à la manière de"... C'est très étrange, car cela peut être "à la manière" d'un conte, d'un film d'horreur, d'un road movie, d'un vaccin, d'un manoir hanté, d'un naufrage, d'une cabane dans les bois, d'un mythe, d'un roman d'espionnage ou d'un voyage dans le temps, "d'un livre dont vous êtes le héros" ou....autre méthode.

Elle fait référence à des livres, des auteurs ou philosophes, classiques ou contemporains, des films connus ou moins connus et je suis bien certaine que je n'ai pas trouvé toutes les références en le lisant.

Mais qu'importe, cela donne du rythme au récit et nous permet surtout de rentrer dans cette histoire d'amour qui dérape, tout en gardant une certaine distance face à l'émotionnel et au contenu poignant de ce qu'elle nous raconte.

La seconde originalité de ce livre c'est que l'auteur parle de son histoire mais qu'en même temps, dans certains chapitres, elle s'adresse à celle qu'elle était à cette époque, il y a donc des années.

Peu à peu, sans forcément chercher à reconstituer les événements de manière chronologique car cela n'a aucune importance, le puzzle se met en forme.



J'ai trouvé ce livre édifiant. Même s'il est question de souffrance dans une relation homosexuelle, même si l'auteur y parle de son expérience personnelle, il concerne tout le monde car il a un côté universel. Il peut être lu par tous et toutes car il explore remarquablement bien la mise en place de la violence psychologique qui peut advenir en amour comme en amitié d'ailleurs, et aussi les violences au sein des couples homosexuels qui sont finalement très rarement traitées encore aujourd'hui car tabous. Il casse aussi les clichés que nous pouvons avoir sur les relations au sein d'un couple homosexuel. Si dans les couples hétérosexuels, c'est le plus souvent l'homme qui fait preuve de violence, comment expliquons-nous que dans un couple homosexuel, une femme puisse faire de même...or la violence n'est pas que l'apanage des hommes, ce livre nous le prouve si vous en doutiez.

Je ne regrette pas d'avoir découvert cet auteur et sa plume. C'est un texte féministe et militant, dans lequel l'auteur s'adresse à nous avec réalisme et sensibilité, mais aussi les années aidant, avec une pointe d'autodérision. Je reconnais cependant avoir gardé une certaine distance en le lisant.

Ce livre-témoignage autobiographique a reçu plusieurs prix et été élu meilleur livre de l'année non-fiction en 2019 dans plusieurs pays.
Lien : https://www.bulledemanou.com..
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Dans la maison rêvée

Le rêve virant au cauchemar, l’emprise de la violence dans le couple en général, et dans le couple lesbien en particulier, en un impressionnant tour de force littéraire à facettes techniques et à beautés humaines.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/30/note-de-lecture-dans-la-maison-revee-carmen-maria-machado/



Sept ans après la publication de sa toute première nouvelle, et deux ans après la publication de son premier recueil, « Son corps et autres célébrations », couronné par le prix Shirley Jackson et nommé à plusieurs autres prix littéraires prestigieux (dont le National Book Award), Carmen Maria Machado publiait en 2019 « Dans la Maison rêvée », traduit en français en août 2021 par Hélène Cohen chez Christian Bourgois. Bien que sobrement sous-titré « A memoir » dans sa version originale américaine, ces 350 pages représentent bien davantage qu’un « simple » récit autobiographique. Pour aborder avec une puissance inouïe le sujet doublement brûlant de la violence à l’intérieur du couple (avec tous les mécanismes tragiques et connus, mais si difficiles à auto-diagnostiquer en temps et en heure, d’acceptation de l’emprise et de culpabilité mal placée) d’une part, et de la violence à l’intérieur du couple lesbien d’autre part (dont elle documente avec minutie la monstrueuse difficulté supplémentaire que représente le simple fait de pouvoir penser cette violence, là où précisément la relation se construit individuellement, collectivement et socialement en rejet des scories les plus meurtrières du patriarcat), elle a construit un véritable thriller psychologique et intime, en utilisant toutes les ressources de son art de conteuse, de nouvelliste et de formatrice en création littéraire.



Elle nous offre ainsi une formidable progression de chapitres courts ou très courts « à la manière de », tous placés sous le signe d’une forme ou d’une inspiration littéraire particulière (ouverture, prologue, non-métaphore, picaresque, machine à mouvement perpétuel, exercice de point de vue, élément perturbateur, palais de la mémoire, voyage dans le temps, inconnue arrivant en ville, classique lesbien culte, célèbre mot de la fin, confession, rêve incarné, question de chance, road-trip à Savannah, roman sentimental, déjà-vu, roman d’apprentissage, classification des contes de fées, texte érotique, roman noir, utopie, fantasy, roman lesbien de seconde zone, pour n’en citer que quelques échantillons), fournissant chacun par leur titre un programme en soi, pour exorciser en beauté (et avec un art paradoxal du suspense) le calvaire vécu par elle, et pour le rendre exploitable par les lectrices qui seraient directement concernées, mais aussi par tous les autres, lectrices ou lecteurs, pour lesquels le déni des emprises de toute nature demeure si souvent d’actualité, même bien cachée. Et pour démontrer au passage, et de quelle manière, que l’art du récit sophistiqué constitue, maîtrisé comme ici, un medium ô combien plus puissant que n’importe quel essai jouant en trace directe et explicative. Du grand art, intelligent et bouleversant, jouant à merveille de la détonation produite entre humour noir, violence, sensibilité et amour serein reconstruit ailleurs.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Son corps et autres célébrations

Si on voulait tenter de décrire cet ouvrage singulier, on pourrait dire qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles érotico-féministe lesbien surréaliste d'horreur! Autour des thèmes de la corporalité, de la sexualité et de la violence, s'élaborent des univers énigmatiques et inquiétants. La réécriture d'une série télévisée policière populaire, un genre de pastiche gothique de "La maison hantée" de Shirley Jackson, des références à différentes légendes urbaines connues... Il est entre autres question de relations toxiques, de maternité, de chirurgie et de viol, autant de violences exercées sur le corps des femmes.



La plume de Carmen Maria Machado est saisissante et envoûtante. C'est vraiment bien écrit, plein d'émotions et de détails qui frappent l'imaginaire. le recueil est un peu inégal – notamment parce que le texte le plus long ne m'a pas semblé le plus intéressant –, mais le tout demeure excellent. "Le point du mari" et "L'inventaire" sont les deux nouvelles que j'ai préférées. Une voix et un talent à découvrir!
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Dans la maison rêvée

Il y a dans cette maison rêvée, plusieurs modes littéraires : à la fois étude de mœurs autour de l'homosexualité, récit à fond autobiographique, usage de formes littéraires différentes. C'est un véritable exercice de style(s). En cela, ce roman est addictif, j'ai été subjuguée par cette histoire qui, bien qu'elle soit parfois redondante, précipite vers l'issue. Si toutefois, il y a une issue : comment sortir d'une relation toxique sans y laisser une partie de soi-même ? Les dernières pages, sont à ce sujet, assez édifiantes.

Je ne m'étais jamais vraiment "arrêtée" sur la violence conjugale, appliquée à un couple lesbien, et ce récit très fort, usant d'un vocabulaire précis, percutant, m'a un tantinet bousculée !
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Son corps et autres célébrations

Je crois que ce recueil était un peu trop moderne pour moi, au niveau; je ne sais pas, de la construction des nouvelles. Je voulais les aimer, si fort, et il y en a même deux pour lesquelles j'y suis arrivée, l'inventaire et à corps perdu, mais les autres..... j'ai horreur de ce genre d'histoires où rien n'a n'y queue ni tête, et une écriture soignée, talentueuse, que j'ai admiré chez l'auteur, ne suffit pas à contrebalancer le reste.

C'est dommage parce que toutes ont des thèmes très intéressants et des protagonistes assez originales. Mais les deux nouvelles qui m'ont plu, elles je les recommande avec chaleur!
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Son corps et autres célébrations

J’ai pris énormément de plaisir à lire ces nouvelles ! C’est un des livres les plus innovants, les plus surprenants que j’ai lu depuis un moment. Certaines de ces nouvelles touchent au génie. Une seule d’entre elles m’a laissé dubitatif (Particulièrement monstrueux), mais je pense que c’est aussi parce que je manquais les codes (pop culture américaine) pour l’apprécier véritablement. Toutes les autres sont à mes yeux parfaites ! Mes préférées sont Inventaire, À corps perdu, Le point du mari et Pénible en soirée.



Son corps et autres célébrations est le premier livre de l'autrice américaine Carmen Maria Machado. C'est un recueil de huit nouvelles innovant, jouant avec les codes littéraires, à rebours de ce qu'on a l'habitude de lire en matière de littérature contemporaine. Mais c'est aussi un recueil politique et féministe : en interrogeant les corps féminins et le désir – vers des hommes ou vers d'autres femmes – Machado a écrit un très bon premier livre.



Il n’y a pas une histoire, mais huit. Ce serait sans doute fastidieux de revenir sur toutes les histoires. D’autant que ce qui fait la force des nouvelles, c’est l’effet de surprise. Donc je vais taire les intrigues de chacune des histoires.



Ce que je peux faire en revanche, c’est parler des thèmes qu’on retrouve dans chaque nouvelle, et qui vous donneront peut-être envie de les lire. Dans plusieurs nouvelles, Carmen Maria Machado interroge le désir féminin. Chaque narrateur ou presque est une femme, beaucoup vivent en couple (avec des hommes ou des femmes), et Machado nous fait nous poser des questions sur les relations amoureuses, hétérosexuelles ou lesbiennes. Quand la narratrice part s’isoler un moment, ou qu’une autre rêve une vie qui n’a pas existé, quand une autre n’est pas épanouie, et qu’une autre encore voit sa compagne disparaître. Ce qu’on retrouve aussi beaucoup, c’est le thème de la fuite, de la perte, des rencontres et des ruptures. Tout ça m’a plu, parce que c’est très proche de nous, ça nous touche toutes et tous.



Mon avis complet se trouve sur mon blog :
Lien : https://ledevorateur.fr/son-..
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Son corps et autres célébrations

Ce recueil de 8 nouvelles que nous fait découvrir Carmen Maria Machado, nous dévoile des histoires qui sortent de l ordinaire.



Il y en a trois que j ai particulièrement apprécié, les autres un peu moins. Un peu moins loufoque ou qui sortent de l'ordinaire.



Des histoires de femme et d homme dont le destin est chamboulé...
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Dans la maison rêvée

J'ai été complètement saisie par ce livre. Son style, sa structure, son contenu, m'ont fait marquer l'arrêt à la fin de plusieurs chapitres pour me dire "wow c'était génial". Si j'avais pu, je l'aurais lu d'une traite, mais finalement l'espacement forcé entre chaque lecture m'y a fait revenir avec encore plus d'appétit. Mention spéciale aux notes de bas de page qui renvoient à des codes de contes de fées et font se mêler témoignage et traditions littéraires. De manière générale, la forme que donne l'exercice de style à l'expérience des violences conjugales m'a complètement bluffée. C'est percutant, c'est fin et ça prend aux tripes.
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Dans la maison rêvée

Carmen est une jeune écrivaine lorsqu'elle croise dans sa vie son grand amour, une femme déterminée, sensuelle, passionnée. Dans les Etats-Unis des années 2000, elles vivent leur amour avec le bonheur d'être à deux et l'anxiété encore sous-jacente en des lieux moins sûrs. Son amoureuse n'est pas toujours auprès d'elle, leurs activités les séparent de plusieurs états. Mais assez vite, leur relation devient assez toxique, Carmen étant terrorisée par les accès de jalousie, de colère de sa copine, qui tarde également à se séparer de Val avec qui elle entretient une relation en parallèle. Jour après jour, l'espoir d'une stabilisation de leur relation s'amenuise...



Dans la maison rêvée est un livre très personnel, des mémoires écrites pour mettre en lumière ce qui se tait, ce que l'on ne sait pas concevoir : les violences conjugales dans les couples lesbiens. Aux Etats-Unis, où seule la violence physique serait pénalement reconnue, les souffrances liées à l'enfermement psychique, à la terreur passionnelle, aux jalousies maladives, aux perversions narcissiques, restent tues.



Sur la forme, le récit est atypique. De courts chapitres tous intitulés "La Maison rêvée à la manière de..." ("...à la manière d'un very bad trip", "...à la manière d'un décor", "...à la manière d'une hypocondrie"...) enchaînent les souvenirs du récit mais aussi les références cinématographiques et littéraires - que je suis loin d'avoir maîtrisées. L'autrice s'autorise même des passages dont nous serions les héros. Carmen Maria Machado s'évertue à trouver tous les prémices des premiers récits de violences homosexuelles et à les mettre en lumière selon les regards portés par l'extérieur (hétérosexuel) ou l'intérieur (du monde queer). L'autrice réussit assez bien à décrire par ses réactions ou ses non réactions, par ses pensées, les mécanismes de cette peur toute enveloppée d'amour, cette terreur sourde qu'on ne veut pas admettre par crainte aussi de s'avouer un échec, de révéler l'imperfection d'un type de relation rêvée, d'une vie voulue dans la maison rêvée, d'une désillusion amoureuse et presque sociale...

Un livre intéressant que j'ai pourtant eu un peu de mal à lire.
Lien : http://chezlorraine.blogspot..
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The Low, Low Woods

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes, initialement parus en 2020, écrits par Carmen Maria Machado, dessinés et encrés par Dani (Danae Kilaidoni), et mis en couleurs par Tamra Bonvillain. Les couvertures ont été réalisés par Sam Wolfe Connelly. La couverture variante de chaque épisode a été réalisée par Jenny Frison.



Au milieu des années 1990, Eldora (El) Lourdes Alvarez et son amie Octavia se réveillent dans une salle de cinéma vide, alors que le mot Fin s'affiche à l'écran et que les crédits commencent à défiler. El est certaine qu'il leur est arrivé quelque chose, Octavia pense qu'elles se sont juste endormies. Elles se souviennent avoir mangé du popcorn, et après plus grand-chose. El se lève et vomit dans l'allée. En sortant, elles croisent Josh, le jeune homme qui s'occupe de la salle. El lui demande s'il sait quelque chose : son visage est en sueur, mais il n'a rien à leur dire. Elles sortent à l'extérieur et El va détacher son vélo, puis elle ramène Octavia debout derrière elle. En pédalant, elle repense au dernier roman qu'elles ont lu : The Awakening, sur une femme au début du vingtième siècle qui est une épouse et une mère, et qui finit par se rendre compte du carcan qui pèse sur elle. El ne comprend pas l'idée d'être une épouse, ou une mère, ou même d'aimer un type. Elle continue de pédaler et elles traversent les bois. Le vélo fait une embardée lorsqu'un lapin traverse devant leurs roues, et les deux jeunes filles tombent par terre, déséquilibrées. À terre, elles aperçoivent une silhouette de cerf dans les ténèbres. L'animal se redresse, et en fait c'est une créature mi-cerf, mi-femme. Elles remontent sur le vélo, et Eldora pédale le plus vite possible.



Après avoir déposé Octavia, Eldora se souvient de l'histoire de cette petite ville minière, appelée Shudder-to-Think en Pennsylvanie : les hommes qui se tuent littéralement au travail, les femmes qui tombent malades, victimes d'étranges épisodes d'amnésie, l'incendie souterrain dans les galeries des mines, les femmes accouchant d'enfants malformés, l'entreprise qui fait venir de la main d'œuvre de Virginie Occidentale, qui ferme les mines, qui essaye de racheter les maisons des mineurs, certains habitants qui déménagent, d'autres non. Eldora est arrivée chez elle. Elle salue son père Reinaldo qui est en train de travailler sur sa maquette de la résidence de vacances Heaven on Earth. Octavia est rentrée chez elle et elle s'est assise sur le canapé à côté de sa mère pour regarder la télévision. El va prendre une douche. Le lendemain, elles se retrouvent au cours de littérature de madame Karst. El regarde les autres élèves autour d'elle : Morgan, Josh, Heather, Jason, Tonya, Holly, et la très belle Jessica dont la mère a gagné le concours Miss Black Diamond en 1973. Une fois le cours terminé et les élèves ayant quitté la classe, madame Karst demande à El si elle a réfléchi à demander une bourse pour aller à la fac de lettres. Celle-ci répond que oui, et qu'elle ne voit pas comment elle pourrait réussir, alors qu'elle est la fille d'un père invalide touchant une pension, et d'une mère serveuse.



Dans la deuxième moitié des années 2010, la branche Vertigo meurt doucement, publiant une poignée d'histoires complètes en 6 ou 8 épisodes, une partie relevant du genre horreur, et s'éteignant officiellement et sans bruit en janvier 2020. Quelques semaines plus tard, l'éditeur DC Comics annonce la création et le lancement d'un label appelé Hill House, placé sous la direction artistique de Joe Hill, scénariste de Locke & Key, avec Gabriel Hernandez. Le premier titre publié par ce label est Basketful of Heads par Joe Hill & Leomacs, puis suivent plusieurs récits complets dont celui-ci. Le lecteur commence le récit avec curiosité, mais sans attente particulière vis-à-vis de ces deux autrices ayant réalisé peu ou pas de comics précédemment. De fait, les dessins sont un peu esquissés avec une apparence un peu lâche, un peu facile, et le scénario commence avec des gros sabots d'enlèvement probable de jeunes femmes qui ne s'en souviennent pas, de créature bizarre (la femme cerf dans les bois) dans une bourgade sur le déclin, sans parler d'un gouffre impossible au niveau du ventre d'une femme. Et puis c'est quoi ce nom de ville Shudder-to-Think ? Je frémis, rien que d'y penser… Sans oublier l'apparition d'hommes sans peau, ne semblant pas souffrir d'être écorchés, des individus horrifiques, dessinés de manière lâche, au point que l'horreur corporelle visuelle ne fonctionne pas, comme si c'était des effets spéciaux fauchés.



Dans le même temps, les réflexions d'Eldora, puis d'Octavia ne restent pas au niveau des pâquerettes, et le lecteur ressent une tension sexuelle, aggravée par une ou plusieurs métaphores une peu floues, par exemple ce gouffre au niveau du ventre de Jessica qui fait penser au vide de l'utérus, même si la métaphore et l'image ne se superposent pas bien, car il manque la fonction de matrice. D'un autre côté, il y a assez de mystères pour susciter la curiosité du lecteur, et les deux jeunes femmes sont vite attachantes dans leur normalité. La scénariste intègre quelques éléments qui font récit d'adolescentes : le camarade de classe dégoutant (Josh), les autres élèves de la classe catalogués (dont la très belle Jessica), la relation avec les parents et la différence d'âge qui sépare mais sans opposer, l'amitié éternelle et la brouille soudaine, avec un soupçon d'études et d'interrogation pour la transition vers les études supérieures. Cette composante est bien présente, mais en arrière-plan, sans dramatisation particulière, juste comme un environnement normal. L'amitié qui lie El et Octavia est très forte, presque fusionnelle au point de pouvoir être vue comme surnaturelle à une ou deux occasions. L'artiste œuvre dans un registre réaliste, avec des traits de contour assez fins, parfois cassants, pouvant donner une sensation de manque de précision dans les arrière-plans, et de manque de consistance dans certains visages, ou certaines silhouettes, ajoutant une impression de normalité un peu détachée.



Pourtant, le lecteur se rend compte qu'il manifeste un intérêt plus que poli pour l'intrigue. Les petits et les grands mystères ne se neutralisent pas : ils forment une toile dont il est difficile de distinguer la forme globale, ou le schéma qui se dessine. La femme cerf semble sans rapport avec le gouffre ventral, ou avec cette impression tenance d'avoir oublié quelque chose. De la même manière, les dessins montrent des visuels intrigants : la femme cerf qui reste dans l'ombre, la maquette à laquelle le père d'El occupe ses journées, le sentiment diffus de culpabilité qui se dégage de l'attitude de Josh, le regard résigné d'une pensionnaire de la maison de repos, l'apparence de la sorcière de la ville, l'attaque surréaliste des hommes sans peau, etc. Au fur et à mesure des séquences, le lecteur se rend compte que la narration visuelle de Dani est beaucoup plus riche que n'en donne une impression superficielle, qu'elle sait trouver le bon dosage entre ce qu'elle montre et ce qu'elle suggère. En fait de scène en scène, l'artiste montre beaucoup de choses : les tenues vestimentaires appropriées à chaque personnage pour son âge, son occupation et sa condition sociale, les aperçus extérieurs et intérieurs des maisons, des autres bâtiments, et les sensations qui se dégagent des bois environnants, différentes la journée que la nuit. Mieux encore, sa façon de dessiner fait que les images sortent des clichés visuels ordinaires, et que les éléments surnaturels sont plus faciles à croire que s'ils avaient été représentés de manière plus détaillée. S'il a lu Coffin Bound avec Dan Watters, le lecteur constate que Dani a adapté les caractéristiques de ses dessins à cette histoire qui est différente.



Au fil des pages, le lecteur prend également conscience que la scénariste dispose d'une réelle maîtrise des spécificités de la narration en bande dessinée, entremêlant trois niveaux de narration en faisant coexister et se répondre ce que montrent les dessins, avec ce que disent les personnages, et le flux de pensée qui peut apparaître dans les cartouches de texte, avec une ou deux références culturelles à point nommé comme Einstein on the Beach (1975-1976) de Philip Glass, ou la magicienne Circé. L'intrigue récèle plusieurs surprises et suit un déroulement qui va bien vers une confrontation contre la source des phénomènes horrifiques et surnaturelles, mais pas vers une confrontation physique contre le gros monstre tapi dans les bois. La sensation de métaphore prend plus de corps au fur et à mesure du récit, avec des interprétations variables, ayant toutes trait à la sexualité et au viol. L'horreur ne provient pas que de cet acte ignoble, elle provient également des conditions dans lesquels il s'opère et comment la petite communauté de Shudder-to-Think gère son existence. L'horreur provient donc de cet acte, du silence étouffant, de l'angoisse des femmes de la communauté, et du fait que l'acte sexuel est présenté comme une agression systématique de l'homme, quelles que soient les circonstances. Les autrices parviennent à mettre mal à l'aise autant les femmes que les hommes, tout en restant entre le non-dit et l'allusion, avec un dosage extraordinaire. Le récit se termine sur une résolution en bonne et due forme, mais qui laisse des interrogations sur la nature systémique de la société qui a permis ces crimes, et sur la souffrance de la femme cerf parce qu'il lui est impossible d'ouvrir un flacon (image aussi bizarre que parlante).



Avec les premières pages, le lecteur s'apprête à lire un récit d'horreur de plus, vraisemblablement bien fait, mais pas forcément ambitieux. Il se laisse guider par une intrigue recelant des mystères, et des dessins sympathiques sans être mémorables. Sans qu'il ne s'en rende compte, il s'enfonce dans une atmosphère angoissante du fait de non-dits, avec des dessins développant une ambiance inquiétante de chaque instant. Au final, il ressort d'une lecture éprouvante dans le bon sens, c’est-à-dire qu'elle tient les promesses d'un récit vraiment horrifique et personnel, évoluant au-dessus des clichés prêts à l'emploi, et restant à l'esprit une fois la bande dessinée refermée.
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Son corps et autres célébrations

Voilà un recueil de nouvelles particulièrement prenant. Nous retrouvons ici une bonne dose de réalisme magique qui mêle, en fonction de la nouvelle, fantasy, horreur, dystopie, fantastique et réflexions féministes. Ces nouvelles traitent de violences, des rapports qu’entretiennent les femmes avec les hommes et vice-versa, mais également de désir, de sensualité, de notre rapport à notre corps. Ces histoires sont queers, elles parlent de féminité, de maternité, mais également des maltraitances subies par les corps féminins.



J’ai eu un énorme coup de cœur pour l’étrange « Particulièrement monstrueux » qui est directement devenue une de mes nouvelles préférées. Carmen Maria Machado n’hésite pas à utiliser des procédés d’écriture originaux et intelligents, et elle le fait avec talent. Elle a une voix bien spécifique, qui vibre d’originalité. Son écriture m’a vraiment happée, j’ai enchaîné rapidement toutes les nouvelles. Seul petit bémol : comme souvent dans les recueils, les nouvelles ne sont pas toutes aussi bien les unes que les autres. C’est malheureusement inévitable et ça ne concerne que le principe même d’un recueil de nouvelles et non celui-ci en particulier.



En somme, je découvre ici une autrice à la plume entrainante, qui aborde des sujets importants avec originalité et un certain cynisme (que j’adore). J’ai hâte de m’attaquer à ces autres travaux, en particulier Dans la maison rêvée, qui est dans ma PàL depuis quelques temps.

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Dans la maison rêvée

Récent mais déjà culte, "Dans la maison rêvée" est un objet étrange, à cheval entre l'autobiographie et l'essai. L'autrice s'y dévoile au fil des courts chapitres, comme autant de petites touches de peinture qui viendront former un tableau plutôt effrayant : celui d'une relation qui démarre comme un conte de fées avant de se transformer lentement en cauchemar.



Il est rare que les violences conjugales dans les couples de femmes soient abordées : Carmen Maria Machado s'en désole et nous donne des pistes de lecture (très peu traduites en français malheureusement). Elle donne aussi de nombreux exemples culturels (livres, cinéma...) dans lesquels on retrouve des histoires de domination.



Chaque chapitre raconte un souvenir, appuie une théorie, raconte l'avant, le pendant, l'après. Comment est-on piégé dans un tel amour ? Comment en sortir ? Comme elle le souligne, les clichés que l'on ressasse font perdre leur réalisme à la situation : pourtant, ils sont réels.



Le dénouement est dans la plus pure tradition lesbienne, mais on s'en réjouit tant l'on souhaite pour l'autrice un happy ending bien mérité.



Un Ovni dévoré en un week-end et qui restera longtemps dans mon esprit, c'est certain.
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Dans la maison rêvée

Carmen, jeune écrivaine américaine, est fascinée par sa nouvelle compagne, une autrice sophistiquée et sûre d’elle, dont elle tombe éperdument amoureuse. Cependant la relation, d’abord joyeuse et sensuelle, tourne rapidement au désastre : une véritable emprise psychologique enferme Carmen dans une spirale de violence et de brutalité sourdes. La maison rêvée où les deux jeunes femmes se sont installées prend bientôt les allures d’une maison hantée : une cage dorée, dont l’éclat, très vite, se détériore, dont l’ambiance un temps légère se révèle insensiblement oppressante et malsaine.

Carmen Maria Machado fait de ce récit intime une histoire universelle, donnant une visibilité inaccoutumée aux violences conjugales au sein des couples lesbiens, sujet encore tabou y compris au sein de la communauté LGBTQI. L’autrice livre une fiction puissante qui, au-delà du récit autobiographique, explore les mythes et les clichés, et documente l’histoire des relations queer en s’appuyant sur un important travail de recherche. L’écriture, simple et élégante, et la forme originale du roman, composé de dizaines de courts chapitres jouant à la manière de brillants exercices de style avec les codes de nombreux genres, font de ce récit une œuvre particulièrement originale, courageuse et nécessaire.
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