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Citations de Claudio Magris (225)


Claudio Magris
Notre identité, c'est notre façon de voir et de rencontrer le monde : notre capacité ou notre incapacité de le comprendre, de l'aimer, de l'affronter et de le changer.
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Tu as toujours aimé écrire, peu importe quoi, écrire, un point c'est tout ; c'est le geste qui compte, geste de poète, geste de roi, souverain arbitre sur les pauvres voyelles et consonnes qui bondissent sur commande et se mettent en rangs, en avant marche, à droite, droite, rompez les rangs. Bouchonner la feuille et la jeter à la corbeille ; mais ça, là-bas, à la caserne, tu ne pouvais pas le faire ; chaque feuille était juste et sensée et tu la mettais à sa place dans les classeurs et dans les registres. Ah s'il avait pu en être toujours ainsi, même en dehors de la caserne, même après ton service militaire ; chaque mot chaque phrase chaque page justifiés et nécessaires comme dans ces registres, une belle et forte chanson de la vie.
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Dans le dictionnaire de la langue des Onas il n'y avait pas et il n'y a jamais eu le mot abuelo, grand-père, parce que, étant donné la durée moyenne de leur vie, aucun d'eux ne parvenait à connaître le père de son père ni le fils de son fils.
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Les Yaghans - ou plutôt les Yamanas - étaient trois mille en 1834, vingt ans avant la naissance d'Angela, et aujourd'hui il n'y en a plus un seul, ils se sont éteints pendant que le révérend Thomas Bridges rédigeait le dictionnaire de leur langue qui, en tant que langue écrite, naît donc morte et qui était déjà en partie morte puisque beaucoup d'indigènes, avec lesquels le révérend travaillait à son dictionnaire, l'avaient oubliée.
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Claudio Magris
Raconter, c’est entrer en guerre contre l’oubli et être de connivence avec lui ; si la mort n’existait pas, peut-être que personne ne raconterait.
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Nori S. était en terminale quand moi j'étais en première, elle était très belle et inaccessible, avec des cheveux châtains qui frisaient, plus clairs, dans l'air lumineux des grandes fenêtres ouvertes ou mal fermées du lycée : tous les élèves étaient amoureux d'elle depuis des années, ils l'aimaient avec la fidélité compacte d'un régiment de la garde. Quand elle passait dans les couloirs, absorbée et les ignorant, elle faisait définitivement comprendre à des centaines de recrues du destin cet au-delà qui, comme le dit un célèbre poème de Montale, est écrit dans toutes les images et qui sur son visage et dans ses yeux clairs en amande était écrit encore plus nettement que dans ce poème.
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Il descendit de l'autobus en se tenant à la barre d'appui jusqu'à ce que son pied ait touché, non sans quelque hésitation, l'asphalte. Il s'attarda un instant à serrer le métal clair, se retirant juste à temps avant la fermeture de la porte. Il était agréable à toucher, si froid, pas encore réchauffé par d'innombrables paumes moites de sueur.
(incipit)
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Un musée de la Haine. C'était une autre de ses idées, il y a beaucoup de notes à ce sujet. La guerre à vrai dire n'a pas grand-chose à voir avec la haine, aucune des deux n'a besoin de l'autre. Des bombes tombent sur la tête de gens qu'on ne hait pas, et c'est si vrai qu'une fois la guerre finie ceux qui les lançaient et ceux qui les prenaient sur la tête se serrent la main, et qu'on se retrouve dans des réunions nostalgiques d'anciens combattants naguère ennemis y compris au nom de ceux qui sont morts au combat, les tombeaux s'ouvrent, les morts se lèvent et se donnent la main. La haine est plus vraie, plus pure que la guerre ; elle n'est pas sentimentale, elle ne chante pas Lili Marlene, elle n'a besoin ni de champs de bataille ni d'armes. Il lui suffit d'un cœur et d'une tête.
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Souligner combien la guerre moderne ressemble de plus en plus aux combats énormes et effroyables de la Préhistoire, forteresses volantes et dragons ailés, ptérodactyles fondant sur des allosaurus ; reptiles cuirassés, ichtyosaures dans les marécages du crétacé supérieur, tanks dans la jungle, excavatrices géantes démolissant des immeubles comme les dinosaures dans les films, monstres marins des abysses, il y a des centaines de millions d'années et aujourd'hui. Impossible, alors et de nouveau de chanter dans les tranchées comme nos pères et nos grands-pères Ils n'passeront pas, on les aura !
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Quelle que soit l'opinion ou la foi professée par les hommes, ce qui les distingue avant tout c'est la présence ou l'absence, dans leur pensée et leur personne, de cet au-delà, et le sentiment d'habiter un monde achevé et épuisé en lui-même, ou bien incomplet et ouvert sur l'ailleurs. Le voyage est peut-être toujours un acheminement vers ces lointains resplendissants, rouges et violets dans le ciel du soir, au-delà de la ligne des mers et des monts, dans ces pays où se lève le soleil qui chez nous se couche. Le pèlerin avance dans le soir, chacun de ses pas le rapproche du couchant et le mène au-delà de la ligne de feu en train de s'éteindre. (...) Sa route est longue, même s'il ne fait que se déplacer de sa cuisine à la pièce qui donne à l'ouest, et sur les vitres de laquelle l'horizon a des lueurs d'incendie, car une maison est un royaume vaste et inconnu et une vie ne suffit pas à l'odyssée entre la chambre d'enfant, la chambre à coucher, le couloir dans lequel les enfants se poursuivent, la table de la salle à manger sur laquelle les bouchons sautent comme les salves d'un ban d'honneur et le secrétaire avec ses quelques livres et ses quelques papiers, qui cherchent à dire le sens de ce va-et-vient entre la cuisine et l'office, entre Troie et Ithaque.
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L'instant de Faust ou le chapelet de Stifter? Devant l'église de Saint-Florian, Madeleine, en train d'acheter des cartes postales, se penche pour les examiner avec cette légère moue qu'elle a toujours quand elle se concentre sur quelque chose. Le sillon que la moue dessine sur sa joue se creuse un peu plus, et l'or de ses cheveux est légèrement terni -comme pour nous rappeler que la vie n'est pas garantie inoxydable. C'est que ces cheveux blonds -encore blonds- sont eux aussi un grain du chapelet, une goutte d'oubli. Qui a raison, de Faust ou de Stifter, faut-il vouloir suspendre l'instant, l'or inaltérable, ou égrener en paix son chapelet sans en faire une maladie que les perles défilent?
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Sa chevelure, qui sait pourquoi plus foncée dans mon souvenir, soir sans lune déjà tombé sur la mer et pourtant lumineux, une faible lueur encore à l’horizon ; la vague se brise, blanche, sur le rivage, se retire et revient, elle est là, clair sourire de son visage et du monde.
(Temps courbe à Krems)
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Tout lui redevenait facile, plus rien ne lui pesait depuis qu’il n’était plus obligé de commander. Cela avait été son lot pendant si longtemps, des années et des années épuisantes et interminables, peut-être depuis le premier instant où il était arrivé en ville, laissant à jamais derrière lui la Moravie et ses forêts. Puis d’un seul coup, cette nécessité avait disparu et le monde était devenu un ballon rouge, qui ne pesait pas et qu’on pouvait à tout moment laisser s’en aller à sa guise.
(Le gardien)
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Toute la vieillesse, du reste, se résume à cela : avancer pour reculer, s’engager en territoire inconnu pour se soustraire à la réalité qui presse de toutes parts, anguleuse et envahissante.
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On descend. Les rayons de lumière de diverses couleurs s'éteignent peu à peu, d'abord les rouges, puis les orangés, les jaunes, les verts, et en dernier les violets et les ultraviolets. À dix mètres de profondeur, c'est déjà le soir.

   On descend dans la crypte toujours plus obscure d'une cathédrale, la voûte au-dessus des têtes est encore bleue, verrière sillonnée par les frétillements d'une lumière de plus en plus pâle, de plus en plus opaque. Le temps, là-dessous, ralentit, se condense. Minutes de sommeil, années. Combien de temps a-t-on dormi, combien de temps a-ton rêvé qu'on dormait ? Dans ce bleu où l'on descend et qui bientôt n'est plus bleu, tout semble advenir avec une lenteur séculaire. Le pêcheur Urashima - Ivo se souvient très bien du petit livre qu'il avait reçu à la Saint-Nicolas, une édition allemande de contes, il revoit sa couverture avec le titre en caractères gothiques, noirs sur les crêtes blanches des vagues de l'illustration - plonge de sa barque dans les bras de la princesse de la mer, son cœur s'engloutit ; non-temps de la félicité et de la mort. Ulysse ne s'aperçoit pas que dans la grotte avec Calypso se sont écoulés sept ans, Urashima ne s'aperçoit pas qu'entre les bras de la déesse de la mer se sont écoulés quatre cents ans. mais qui les compte ? Les ans sont fait de jours, et pour qu'il y ait un jour il faut que le soleil se lève et se couche, mais quand au sein de la grande marée originelle il n'y avait aucun soleil qui puisse se lever ni se coucher, ni aucune terre qui puisse tourner autour de lui, et quand dans un baiser il n'y a ni hier ni demain, les jours n'existent plus et on ne peut pas les compter. Je suis ici dessous pour faire la guerre, enseigne de vaisseau, mais ici dessous il semble impossible de penser à la guerre, à sa précipitation accélérée, à la torpille qui jaillit à toute vitesse pour trouer la mer, le mur du temps.

   Touché au large de Venise, le sous-marin a réussi à remonter, lentement et en oblique, et à faire surface en se couchant sur un banc de sable, puis une corvette autrichienne a recueilli son équipage, y compris les quatre hommes tués lors de l'explosion, puis il est rentré à Pola.

   L'enseigne de vaisseau Ivo Saganic a plus de chance que ses camarades, car à la différence des autres marins et officiers originaires de petites villes et villages plus éloignés, lui, il habite à Promontore, juste au bord de la mer, cette mer d'où il est remonté et rentré chez lui où l'attend sa femme, Mila, avec ses cheveux longs comme ceux d'une sirène. Urashima a la nostalgie de sa maison, de son père de sa mère de ses frères et sœurs, et il dit à la déesse de la mer de le laisser partir, qu'il reviendra vite. L'enseigne de vaisseau Ivo Saganic a de la peine à cause des quatre marins morts et du sous-marin qui était devenu sa barque, plus encore peut-être que celle qui l'attend amarrée presque en face de chez lui, mais il est content de rentrer même si c'est pour peu de temps ; quand les dieux envoient un message, on part ou on revient sans discuter. Pendant que le sous-marin remonte - lentement entre autres parce qu'il le fait en oblique, l'angle qui sépare sa ligne de flottaison d'une ligne horizontale est très aigu - , il pense à ces hauts-fonds qui s'éloignent et disparaissent, à toutes les plantes et à tous les poissons parmi lesquels ils sont en train de passer, au sguazeto - ce délicieux ragoût - qui l'attend chez lui  ou à l'auberge, chez Trita Trita, où ils iront peut-être, Mila et lui, fêter son retour.

   À vrai dire, il espère aller tout de suite chez lui, mais peut-être que ses camarades voudront faire une petite bringue et lui, l'un des seuls à être mariés, ne veut pas faire le fier ou passer pour un Simandl, comme ils disent en allemand - lui il est et il se sent autrichien, comme eux tous, sujet de l'empereur, mais allemand, non, pas du tout, il est istrien et italien - , ce qui signifie que sa femme ne le tient pas sous sa pantoufle, et donc ils finiront sans doute tous chez Trita Trita qui expédie la jeunesse au cimetière avec son vin noir et au boulevard des allongés avec son vin blanc, mais lui il s'éclipsera assez rapidement. Aussi parce que, ensuite, il devra retourner en mer, sous la mer. Urashima s'unira bientôt à nouveau à la déesse de la mer qui, lorsqu'il est parti, ne lui a rien dit mais lui a simplement donné un petit coffret, en l'avertissant de ne jamais l'ouvrir.

   Il y a bien des façons d'attendre un mari qui vit longtemps - qui est peut-être mort - au fond de la mer et quand l'enseigne de vaisseau Igo Savanic vit que sa femme, la belle Mila, plus belle que la très belle reine de la mer, ne l'avait pas attendu toute seule ni non plus seulement en compagnie de leur fils, le petit Tonko, il lui sembla ne plus reconnaître la maison, la barque amarrée en face et doucement bercée par la mer, la cour et l'escalier qui montait à la porte, où Mila se tenait droite et silencieuse, plus lointaine que lorsqu'il était au fond des eaux , les quelques pas, les quelques mètres qui les séparaient étaient des années, des décennies. Urashima, quand il rentre au village, ne trouve plus rien, à part les montagnes ; sa maison n'est plus là, ni aucune des maisons qu'il connaissait, personne ne se souvient d'une famille portant le même nom que lui, même au cimetière il y a d'autres tombes et les noms, que le temps a rendu presque illisibles, ne lui disent rien ; quatre cents ans se sont écoulés, entend-il dire, depuis l'époque où un typhon a détruit un village qui se dressait à cet endroit, alors il va sur le rivage de la mer solitaire, il ouvre le coffret - peut-être qu'à l'intérieur il y a un message de la déesse qui va tout lui expliquer, un sortilège qui le protégera de tout danger -, mais il n'y a que de la poussière, immédiatement dispersée par le vent. Il se regarde dans l'onde claire et placide à ses pieds qui lui montre un visage creusé de sillons comme les pierres de ces vieilles tombes et de longs cheveux blancs comme neige.

    Les jambes d'Urashima se dérobent sous lui, il tombe sur la plage, l'enseigne de vaisseau Ivo Saganic, au contraire, a regardé longuement Mila immobile sur le seuil, puis il s'est retourné et est allé sur le rivage regarder longuement la mer, la dernière fois qu'on l'a vu, semble-t-il, il prenait à pied la route qui mène à Medulin. Les registres de la marine impériale-royale en savent certainement quelque chose, étant donné que peu de jours après l'équipage du U-Boot 20 a été appelé à reprendre la mer sur une autre unité, mais dans le grand chambardement de l'Autriche, à la fin de la guerre, ces registres ont été dispersés.
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Une fois de plus, la Trieste bourgeoise, fascisante, collaborationniste par vocation même quand elle ne peut pas collaborer, a débarbouillé et remaquillé son visage. Rien que des gens respectables ; il n'y a guère d'autres villes en Italie où des industriels, des financiers, des armateurs, des banquiers se soient affichés aussi explicitement, je dirais instinctivement - mais prudemment, aussi, bien sûr - au côté des fascistes et même, quand il l'a fallu, des nazis. Tout en lâchant aussi quelque chose, et plus que quelque chose, à la Résistance, on ne sait jamais.

   " Mais est-ce que vous avez lu le témoignage si ému, pauvre naïf, de ce jeune homme qui avait été cueilli dans la rue par les nazis après l'attentat du mess du Deutsches Soldatenheim et qu'on avait envoyé au siège de la Gestapo ? Lui aussi, il aurait probablement fini pendu dans la rue Ghega avec les cinquante et un autres si, précisément à ce moment, par chance, n'était entré le vieux baron Wenck, conseiller de la Compagnie de navigation Silba, qui venait voir son ami Stulz, son ancien condisciple à Munich, présentement capitaine de la Gestapo. Alors qu'on poussait le jeune homme menotté dans un réduit, le baron est passé devant lui, l'a reconnu - car peu de temps auparavant il avait travaillé comme jardinier dans sa villa -, il s'est ému, lui a promis de l'aider et, en effet, il a parlé à Stulz et le pauvre diable a été relâché. Il lui en a été reconnaissant toute sa vie, ça se comprend, mais ne trouvez-vous pas inquiétant qu'un des patrons de la navigation à vapeur à Trieste ait été suffisamment proche de la Gestapo pour détenir le pouvoir de faire libérer un malheureux vraisemblablement destiné à la torture et au gibet ?

   " Le baron a vécu encore de nombreuses années, influent respecté et à l'aise aussi bien dans le Territoire libre que dans la République italienne comme dans sa jeunesse il l'avait été dans l'empire hasbourgeois, et avec lui ceux qui gravitaient dans le même cercle, les gens qui comptent à Trieste et qui ont lavé leur linge sale dans le Canal. Ils ont même fini par faire disparaître la Rizerie - personne n'en parlait plus, même pas les antifascistes, personne n'était au courant, et pourtant c'était le seul four crématoire qui ait existé en Italie et personne, vraiment personne, n'en savait rien, c'est cela qui est tragique, ils étaient parvenus à effacer cette vérité, cette réalité... Même le 25 avril, dans les cérémonies officielles, on n'en parlait pas. On a fini par célébrer des anniversaires, par organiser des commémorations, mais très tardivement. Des cérémonies, des conférences, c'était bien le moins qu'on puisse faire, mais il a fallu attendre le procès pour savoir, pour prendre conscience que nous savions que des choses horribles s'étaient passé chez nous, sous notre nez, et que c'était aussi notre affaire... 
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Le vieux mûrier est là, noueux et verruqueux, d'innombrables années l'ont marqué de protubérances, de loupes ; de cet héritage ligneux les mûres provocantes et juteuses, plus nombreuses que les mains des habitants qui auraient dû les cueillir, tombent en se mêlant au terreau, à la boue et à quelques flaques pour donner un moût purpurin, menstrues cancéreuses de l'Histoire.

   Les hommes et les empires tombent, les mûres pleines de jus aussi, sur la tête des visiteurs ; ce rouge sombre gicle et salit partout. Vêtements fichus, gens qui font un saut en arrière. Quand les bombes tombent, les gens sont épouvantés et il y a encore beaucoup plus de rouge. Et ces vers à soie, eux-aussi, ne sont-ils pas dégoûtant de manger les feuilles du mûrier, qui n'est là que pour être agressé, mangé ? mangé pour que quelques-uns aient de la soie, la belle soie légère comme l'air, caresse sur la main qui la palpe, voile diaphane sur les épaules ou sur un visage, lacet de soie avec lequel le sultan étranglait celui qui tombait en disgrâce. De quelque chose qu'on parte, on arrive toujours aux armes.
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Où s'achève le Danube ? Il n'en finit pas de finir, dans un présent sans fin. Les bras du fleuve s'en vont chacun pour son compte, ils s'émancipent de l'impérieuse unité/identité, ils meurent quand bon leur semble, l'un un peu plus tôt et l'autre un peu plus tard. Le logicien aurait du mal, dans cet entrelacs, à pointer l'index pour désigner le Danube, son ostention si précise deviendrait un geste circulaire, vaguement oecuménique, parce que le Danube est partout et que sa fin aussi est dans n'importe lequel des 4300 Km carrés de son delta (page 487).
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Ce creuset de races et de civilisations, c'est la soupe primordiale de notre histoire, un limon nilotique dans lequel pullulent des germes encore indistincts et confus. Si les Cimmériens, suivis de près au VIIIè siècle avant notre ère par les Scythes, sont eux aussi des Thraces comme le suggère Nestor, et si le désert des Gètes, ainsi nommé par Hérodote et Strabon, s'étendait presque jusqu'à se confondre avec l'ancien royaume des Odryses, maître du delta du Danube, suivre le fleuve en direction de son embouchure signifie également entrer dans la brume cimmérienne des origines, se perdre dans une fin qui est aussi un retour aux sources (page 446).
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A Belgrade un descendant de l'empire du Danube devrait se sentir à l'intérieur de ses propres frontières spirituelles, bien chez lui. Si la Slovénie est aujourd'hui le paysage le plus authentiquement habsbourgien, la Yougoslavie est l'héritière de l'aigle à deux têtes, de son statut supranational et composite, de sa fonction d'intermédiaire et de médiateur entre l'Est et l'Ouest, entre des mondes et des blocs politiques différents ou antagonistes. La Yougoslavie est un État réellement plurinational, c'est à dire constitué de plusieurs nations irréductibles à une seule dimension ou prédominance; tout comme le mot "autrichien", le mot "yougoslave" a quelque chose de l'imaginaire musilien; il renvoie à la puissance abstraite d'une idée, beaucoup plus qu'à sa réalisation accidentelle dans le concret (page 406).
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