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Citations de Claudio Magris (225)


Nori S. était en terminale quand moi j'étais en première, elle était très belle et inaccessible, avec des cheveux châtains qui frisaient, plus clairs, dans l'air lumineux des grandes fenêtres ouvertes ou mal fermées du lycée : tous les élèves étaient amoureux d'elle depuis des années, ils l'aimaient avec la fidélité compacte d'un régiment de la garde. Quand elle passait dans les couloirs, absorbée et les ignorant, elle faisait définitivement comprendre à des centaines de recrues du destin cet au-delà qui, comme le dit un célèbre poème de Montale, est écrit dans toutes les images et qui sur son visage et dans ses yeux clairs en amande était écrit encore plus nettement que dans ce poème.
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Quelle que soit l'opinion ou la foi professée par les hommes, ce qui les distingue avant tout c'est la présence ou l'absence, dans leur pensée et leur personne, de cet au-delà, et le sentiment d'habiter un monde achevé et épuisé en lui-même, ou bien incomplet et ouvert sur l'ailleurs. Le voyage est peut-être toujours un acheminement vers ces lointains resplendissants, rouges et violets dans le ciel du soir, au-delà de la ligne des mers et des monts, dans ces pays où se lève le soleil qui chez nous se couche. Le pèlerin avance dans le soir, chacun de ses pas le rapproche du couchant et le mène au-delà de la ligne de feu en train de s'éteindre. (...) Sa route est longue, même s'il ne fait que se déplacer de sa cuisine à la pièce qui donne à l'ouest, et sur les vitres de laquelle l'horizon a des lueurs d'incendie, car une maison est un royaume vaste et inconnu et une vie ne suffit pas à l'odyssée entre la chambre d'enfant, la chambre à coucher, le couloir dans lequel les enfants se poursuivent, la table de la salle à manger sur laquelle les bouchons sautent comme les salves d'un ban d'honneur et le secrétaire avec ses quelques livres et ses quelques papiers, qui cherchent à dire le sens de ce va-et-vient entre la cuisine et l'office, entre Troie et Ithaque.
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Comme pour Musil, pour Roth aussi la Cacanie (l'Empire austro-hongrois) est devenue le royaume de l'imaginaire : un imaginaire qui n'existe même plus dans les mots, même plus comme hypothèse ou comme alternative, même plus dans les annales poussiéreuses d'une armée dissoute.

(page 398).
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L'instant de Faust ou le chapelet de Stifter? Devant l'église de Saint-Florian, Madeleine, en train d'acheter des cartes postales, se penche pour les examiner avec cette légère moue qu'elle a toujours quand elle se concentre sur quelque chose. Le sillon que la moue dessine sur sa joue se creuse un peu plus, et l'or de ses cheveux est légèrement terni -comme pour nous rappeler que la vie n'est pas garantie inoxydable. C'est que ces cheveux blonds -encore blonds- sont eux aussi un grain du chapelet, une goutte d'oubli. Qui a raison, de Faust ou de Stifter, faut-il vouloir suspendre l'instant, l'or inaltérable, ou égrener en paix son chapelet sans en faire une maladie que les perles défilent?
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Les Allemands, qui à des époques diverses ont afflué vers Trieste et ont choisi d'en faire leur ville, se trouvent eux aussi soumis au charme de la culture italienne, ils s'adaptent dans leur grande majorité à l'italianité citadine dominante, et subissent le processus d'intégration et d'absorption.
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Il descendit de l'autobus en se tenant à la barre d'appui jusqu'à ce que son pied ait touché, non sans quelque hésitation, l'asphalte. Il s'attarda un instant à serrer le métal clair, se retirant juste à temps avant la fermeture de la porte. Il était agréable à toucher, si froid, pas encore réchauffé par d'innombrables paumes moites de sueur.
(incipit)
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Sa chevelure, qui sait pourquoi plus foncée dans mon souvenir, soir sans lune déjà tombé sur la mer et pourtant lumineux, une faible lueur encore à l’horizon ; la vague se brise, blanche, sur le rivage, se retire et revient, elle est là, clair sourire de son visage et du monde.
(Temps courbe à Krems)
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De cet observatoire, la vie apparaît comme une perte de temps, une machine fragile. Comme l'horloge qui en marque le rythme, la réalité est un engrenage, une organisation du goutte à goutte, une chaîne de montage orientée toujours et uniquement vers la phase successive. Celui qui aime la vie doit peut-être aimer son jeu d'emboîtements, s'enthousiasmer non seulement pour un voyage vers des îles lointaines, mais aussi pour les démarches administratives relatives au renouvellement de son passeport. La persuasion, qui répugne à cette mobilisation générale quotidienne, c'est l'amour pour quelque chose d'autre, qui est plus que la vie et ne luit que par éclairs pendant les pauses, les interruptions, quand les mécanismes sont arrêtés, que le gouvernement et le monde entier sont en vacances - au sens fort où "vaquer" évoque le vide, le manque, l'absence -, et que n'existe plus que la lumière haute et immobile de l'été.
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Le chat ne fait rien, il est, comme un roi. Il reste assis, pelotonné, allongé. Il a la persuasion, il n'attend rien et ne dépend de personne, il se suffit. Son temps est parfait, il se dilate et se rétrécit comme sa pupille concentrique et centripète, sans se précipiter dans un angoissant écoulement goutte à goutte. Sa position horizontale a une dignité métaphysique que l'on a en général désapprise.
On se couche pour se reposer, dormir, faire l'amour, toujours pour faire quelque chose et se relever dès qu'on l'a fait ; le chat se couche pour être couché, comme on s'étend devant la mer rien que pour être là, étiré et abandonné. C'est un dieu de l'instant présent, indifférent, inaccessible.
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Tout lui redevenait facile, plus rien ne lui pesait depuis qu’il n’était plus obligé de commander. Cela avait été son lot pendant si longtemps, des années et des années épuisantes et interminables, peut-être depuis le premier instant où il était arrivé en ville, laissant à jamais derrière lui la Moravie et ses forêts. Puis d’un seul coup, cette nécessité avait disparu et le monde était devenu un ballon rouge, qui ne pesait pas et qu’on pouvait à tout moment laisser s’en aller à sa guise.
(Le gardien)
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À Sulina arrivent maintenant tous les débris que le Danube transporte. Dans son roman Europolis, qui date de 1933, Jean Bart, alias Eugen P. Botez, voit les destinées humaines elles-mêmes aborder à Sulina comme les épaves d'un naufrage ; la ville, comme le dit le nom qu'il lui a inventé, vit encore dans un halo d'opulence et de splendeur, c'est un port situé sur de grandes routes, un endroit où se rencontrent des gens venus de pays lointains et où on rêve, en on entrevoit, on manie mais surtout on perd la richesse.
Dans ce roman la colonie grecque, avec ses cafés, est le décor de cette splendeur à son déclin, à laquelle la Commission du Danube confère une dignité politico-diplomatique, ou du moins un semblant. Le livre, toutefois, est une histoire d'illusion, de décadence, de tromperie et de solitude, de malheur et de mort ; une symphonie de la fin, dans laquelle cette ville qui se donne des allures de petite capitale européenne devient bas-fond, rade abandonnée.
(p. 533)
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Pour son roman « Le vieil homme et l'officier » Mircea Eliade est descendu dans les caves de la vieille ville, à Bucarest, cave dans lesquelles ses personnages disparaissent inexplicablement, de la même façon que les flèches qu'ils lancent en l'air ne retombe jamais plus. La police secrète de l'État, dans le roman, cherche à interpréter la signification politique de ces récits fabuleux de disparition et de magie, en s'égarant toutefois dans les méandres de la narration mythique ; le vieux maître Zaharia Farâma, qui raconte ces histoires, survit aux hautes autorités qui l'interrogent dans l'espoir de lui arracher les secrets d'État – et à la redoutée Anna Pauker qui le convoque pour qu'il lui rende compte de ces élucubrations.
Pour Mircea Eliade l'authentique et immortelle mythologie populaire s'oppose à la fausse mythologie technocratique du pouvoir. Il se pourrait que le grand spécialiste des mythes ait tort, qu'il idéalise le passé ; tout mythe archaïque, qui nous apparaît aujourd'hui comme parfaitement authentique, a sans doute été au départ trucage et coup de force des technocrates, arcane élaboré par le pouvoir, mystère dont s'enveloppe toute police secrète. Les siècles effacent les polices secrètes et leur puissance, si fait qu'il ne reste que le récit –mythos – de ce qu'elles ont d'énigmatique, récit pur et authentique comme toute fable qui ne se propose aucun but autre que celui de raconter. Quand ce qu'il faut de temps se sera écoulé, la réémergence à l'air libre et la descente aux abîmes provoquées par les travaux que Ceaușescu a ordonnés deviendront peut-être une source de poésie et de mythe, tout autant que les destructions des époques anciennes.
(p. 525-526)
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Le poète yiddish Israël [Israil] Bercovici vit lui aussi [en Roumanie] dans un quartier presque de banlieue. La littérature, me dit-il, c'est un jackpot, dans lequel la vie et l'histoire glissent subrepticement ou jettent avec violence une pluie d'événements, la lumière indicible d'un soir, des problèmes sentimentaux ou des guerres mondiales, mais dont on ne peut jamais savoir ce qui va sortir, un petit sou de rien du tout ou une royale poignée de pièces, une avalanche de poésie. Timide et discret, Bercovici est un fin poète, et de sa personne émanent cette gentillesse familière et cette tenace pietas qui sont venues à bout de siècles de violences et de pogroms ; dans sa maison modeste et bien tenue, la bibliothèque est une petite arche de Noé de l'hébraïsme oriental, et lorsqu'il nous lit un de ses poèmes, par exemple Soloveï, Le rossignol – tandis que sa femme rentre de l'hôpital où elle travaille comme médecin, prépare le repas –, on comprend mieux certains récits d'Isaac Bashevis Singer, leur mystère conjugal et le caractère épique et passionné de la vie familiale chez les Juifs.
(p. 518-519)
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Je suis sur le delta ; odeurs, couleurs, reflets, ombres changeantes sur le courant, lueur d'ailes dans le soleil, vie liquide qui s'écoule entre les doigts et nous oblige à éprouver, même en ce jour faste où nous sommes sur le pont du bateau comme un roi homérique sur son char, toute notre inaptitude à percevoir, l'atrophie millénaire de nos sens, d'un odorat et d'une ouïe incapables de saisir les messages qui arrivent de chaque touffe frémissante, divorce ancien d'avec l'élément fluide, fraternité perdue et refusée. [...] Un cormoran vole le bec grand ouvert, tendu en avant, tel un oiseau préhistorique au-dessus du marais des origines, mais le choeur immense du delta, avec ses basses continues et profondes, n'est pour nos oreilles qu'un chuchotement que nous ne réussissons plus à saisir, le murmure d'une vie qui disparaît sans qu'on l'ait écoutée.
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le romantisme est aussi la substitution d'un absolu, que l'on a conscience d'avoir perdu, par un succédané partiel, quel qu'il soit, qui devrait remplacer toutes les valeurs. Quand on cherche ce succédané dans l'amour, ce dernier devient une rhétorique acceptée mais ampoulée, un pathos sentimental redondant. C'est une rêverie fantastique, dans laquelle ce qu'on aime n'est pas l'autre, mais la rêverie elle-même ; la séduction romantique de l'amour "inséparable de la mort" renvoie aussi à la stérilité de cette ardeur qui ne crée ni ne procrée, ni dans la chair ni dans l'esprit.
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quelques mètres plus bas, sur les eaux du fleuve, dans un reste de brouillard, des canards flottent gauchement, héraldiques et familiers, comme des pétrels embourgeoisés qui font signe aux espaces lointains du Nord, mais demeurent casanièrement à leur embarcadère.
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Celui qui écrit une page et qui, une demi-heure plus tard, en attendant son tram, s'aperçoit qu'il ne comprend rien, même pas ce qu'il vient d'écrire, apprend à reconnaître sa propre petitesse et comprend, en pensant à la vanité de sa propre page, que chacun prend ses propres élucubrations pour le centre de l'univers, mais vraiment chacun, sans exception.
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El Toboso est avant tout une gamme de couleurs absolues : le blanc éblouissant des maisons, le bleu indigo du ciel et des bordures peintes sur les murs; le vent lui aussi semble avoir la clarté d'une couleur lumineuse. Il y a dans cette petite ville un Centre Cervantesque auquel entre autres les chefs d'Etat et de gouvernement du monde entier ont l'habitude d'envoyer, avec dédicace, de précieuses traductions du Don Quichotte dans la langue de leur pays. Exposées dans les vitrines, des éditions raffinées et des versions venant de tous les continents exhibent les signatures célèbres apposées sur les frontispices. Il y a même une édition italienne avec la signature de Mussolini, datée du 31 juillet 1930 : une grande écriture énergique, peut être un peu mégalomane, mais au trait généreux. Tous envoient des exemplaires de Don Quichotte, sauf deux. Hitler envoie une lourde édition de la Chanson des Nibelungen, avec une signature qui se voit à peine, un gribouillis informe, des lettres en position foetale. Il est cependant battu en muflerie par Khedafi qui envoie son Livre vert de la révolution. Tous deux montrent la condescendance, peu sûre d'elle, du chef de bureau qui menace d'un "vous ne savez pas qui je suis", quand toute la grandeur de don Quichotte, comme l'a écrit Unamuno, tient dans l'humble fermeté avec laquelle il dit : "Je sais qui je suis".
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REMBRANDTSTRASSE, 35
C'est ici qu'habitait Joseph Roth en 1913, quand il arrivait tout juste de Galicie et qu'il était inscrit sur les registres de l'Université de Vienne sous son nom complet de Moses Joseph Roth. La maison est grise, dans un paysage désolé de banlieue; l'escalier est sombre, et dans la cour mal éclairée un arbre noueux pousse de guingois. En habitant un endroit pareil, il n'était pas difficile de devenir expert en mélancolie, cette mélancolie qui est la note dominante de Vienne et de la Mitteleuropa; tristesse de caserne et de pensionnat, tristesse de la symétrie, de la fugacité et de la désillusion. A Vienne on a l'impression qu'on vit et qu'on a toujours vécu dans le passé, dont les plis cachent et protègent jusqu'à la joie. C'est le Lied, la chanson du « lieber Augustin », ivrogne et vagabond, qui vit chacune de ses journées comme si ce devait être la dernière, qui vit dans un épilogue toujours prolongé, dans un intervalle entre le déclin et la fin, dans un adieu à faire mais toujours remis. Cette pause, c'est l'instant volé à la fuite, celui dont on jouit à fond, c'est l'art de vivre à l'extrême bord du néant, comme si tout allait pour le mieux.
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La partie, sur l'échiquier de l'histoire universelle, se jouait à la vie et à la mort et la Yougoslavie de Tito, à laquelle revient l'ineffaçable mérite d'avoir osé la première rupture capitale avec la barbarie stalinienne, lutta contre cette menace avec des moyens non moins barbares.
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