C’est avec ce livre que je découvre l’auteur Daniel Charneux, très éclectique dans ses thèmes de romans si j’en crois le catalogue de son éditeur Luce Wilquin, et surtout, surtout j’ai découvert le moine et poète Ryôkan, qui a vécu au Japon de 1758 à 1831, et j’ai passé un très beau moment !
Dès la petite enfance, Eizo est un garçon original, et son lien à la nature, au monde de l’eau, des oiseaux, son goût de la solitude et de la lecture ne cessera pas, même lorsque, entrant dans le monde des adultes, il reçoit le nom de Fumitata et doit s’initier à la charge de myoshun (maire et collecteur d’impôts pour les shoguns), dont le fils aîné est censé hériter de son père. Un évènement dramatique le conduira tout droit au temple de Kosho où il demande à devenir moine bouddhiste. C’est à son ordination qu’il recevra le nom de Ryôkan, qui signifie « Grand coeur ».
A travers le personnage de Ryôkan, on découvre l’initiation à la vie monastique bouddhiste, à la méditation zazen, à la recherche guidée par l’enseignement d’un maître, à la progression du moine sur le chemin de la Voie. Les longues heures de méditation l’ouvrent à un amour universel qui veut sauver tous les êtres, qu’ils soient humains, animaux et même végétaux. Ryôkan porte bien son nom, lui qui adore jouer avec les enfants, lui qui est capable de se tenir immobile au point que les oiseaux viennent manger sur lui, lui qui ne se lasse pas de contempler les érables et les cerisiers au fil des saisons, la lune son amie argentée, ou de laisser pousser en liberté une petite tige de bambou qui s’est invitée dans son ermitage.
« La vie, la Voie, la poésie » : les trois piliers de l’existence de ce moine qui a vécu en communauté plusieurs années, puis est devenu moine itinérant, unsui, « nuage et eau » et a fini sa longue vie en ermite, continuant à pratiquer une ascèse rigoureuse, mendiant sa nourriture, accueillant toute forme de vie qui passait chez lui, jusqu’à rencontrer la moniale Teishin, « Coeur fidèle ». Ces deux coeurs s’accorderont dans une amitié que l’on peut qualifier de mystique, très pure et très ouverte.
J’ai été vraiment très touchée par la vie et l’oeuvre de Ryôkan. J’ai été frappée par les correspondances très marquées entre les moines bouddhistes et les moines chrétiens : peu importe le dieu ou le personnage de référence, ce qui compte, c’est la décision de vivre à l’écart du monde tout en continuant à porter ce monde et tous les êtres vivants dans la prière ou la méditation, l’appel à l’ascèse, à l’épure, au détachement de soi, l’exil intérieur vers une forme de vie nouvelle, en ce monde ou dans l’au-delà, tout en gardant bien les pieds sur terre par le travail, l’accueil des hôtes, et même la mendicité.
Jusqu’à la fin de sa vie, Ryôkan ne cessera pourtant de penser aux siens, à ses parents, à ses nombreux frères et sœurs, les liens, bien que purifiés par la distance, ne seront jamais tout à fait tranchés, ce qui le rend tellement humain et proche. Son amitié avec Teishin, alors qu’il approche de la mort, lui rendra « une mère, une sœur, une épouse, une amie » dont il sera « le père, le frère, l’époux, l’ami ». Tous deux sont aussi poètes, ils manient sans cesse « la pierre et l’encre, le papier et le pinceau » pour exprimer leurs sentiments dans des haikus et autres formes poétiques très codifiées qui parsèment le livre.
J’ai vraiment aimé ce temps de contemplation, de silence intérieur, de recherche auquel nous invite Ryôkan. J’ai parfois été un peu gênée, au début, par l’écriture très codifiée elle aussi de Daniel Charneux, qui emploie de nombreuses énumérations qui vont toujours par trois ou par quatre. Mais cela correspond peut-être aussi aux rituels qui rythment l’existence du moine et je m’y suis très vite habituée. C’est aussi une belle méditation sur la vie et la mort, sur l’impermanence des choses, sur l’importance de goûter l’instant présent… toutes choses qui peuvent parler à nos coeurs et nos cerveaux peut-être rassasiés de vitesse, souvent obligés à la rentabilité.
Une très, très belle découverte en forme de coup de coeur, qui n’a pas été dans me rappeler les estampes d’Hiroshige, et qui m’incite à découvrir encore davantage l’univers de Daniel Charneux
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