Citations de Darragh McKeon (99)
Voilà les petites consolations que la mort procure.Son mari parvient toujours à tourner la clé pour ouvrir une chambre inconnue au fond de son coeur.
Il reste là, se penche un peu vers les rails pour voir la rame qui arrive au moment où elle entame son virage, ses phares bousculant les ténèbres tel un bulldozer.
L’école, me disais-je, était pour moi le seul moyen de partir d’ici. Je m’en servirais pour creuser un canal avec mes livres, afin que le fleuve de la connaissance m’emporte ailleurs, me pousse jusqu’à l’estuaire.
Sa tristesse battait résolument en lui, et il était évident qu’il ne s’y abandonnerait jamais complètement, mais qu’elle ne le quitterait pas non plus : il lui fallait s’habituer à vivre avec, comme nous tous.
Nous considérons les souvenirs comme de pâles versions d’un moment particulier. Je commence à me demander si le contraire n’est pas vrai ; peut-être que notre expérience des événements et de leurs incidences sur le présent sont minces, sans relief, que nous nous contentons de les accumuler, et c’est seulement plus tard, une fois libérés, à travers le paysage du temps, qu’ils arrivent enfin à maturité.
Artiom n' a pas vu son père quand les tumeurs ont métastasé, non pas à l'intérieur du corps, mais à la surface, jusqu'à ce qu'elles envahissent son visage, couvrant ses traits tel du lierre. Il ne l'a pas vu quand il allait à la selle trente fois par jour, évacuant surtout du sang et des glaires. Quand sa peau a commencé à se craqueler sur les jambes et les bras. Que chaque soir ses draps étaient couverts de sang et que sa mère devait donner des instructions aux soldats sur la manière de le déplacer, pour s'assurer que son mari ait chaque nuit des draps propres. (p.320)
L'ampleur de leur amitié transparaît dans les silences.
Et si on l’interrogeait sur ce qu'elle redoute le plus, elle répondrait : la secrète accumulation de mois sans rien de spécial, les rangées amoncelées de néant, les colonnes vides lorsqu'elle s’assoit pour fait le bilan de sa vie.
Dans son tiroir, des chaussettes éparpillées, il en prend quelques-unes, les range par paires puis les jette dans la valise.
Une pensée l’arrête. Une catastrophe nucléaire. Il pourrait mourir là-bas.
Grigori regarde les chaussettes rayées dans son tiroir. Il va se rendre sur des terres contaminées et il prépare des chemises et des chaussettes. Il s’assied sur le lit et contemple les possibles.
Le passé exige qu’on lui soit fidèle.
Je me dis souvent que c’est la seule chose qui nous appartienne vraiment.
"Le passé exige qu'on lui soit fidèle. Je me dis souvent que c'est la seule chose qui nous appartienne vraiment."
Il voudrait se cacher dans un recoin sombre, pour y dormir peut-être, mais il est impossible d'être seul dans cette ville. Même s'il rentrait chez lui et s'enfermait dans les toilettes, on viendrait frapper à la porte. Il aurait la paix cinq minutes. En tout cas pas plus de dix. La vie de chacun empiète sur celle des autres.
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Après les deux premières semaines, les officiels ont décidé de ne pas remplacer les liquidateurs, pour ne pas en sacrifier d’autres. Au cours des réunions d’organisation du travail de la journée, chaque matin, ils calculaient de combien de vies ils avaient besoin pour telle tâche spécifique. Deux vies pour ceci, quatre pour cela. C’était comme un cabinet de guerre, quand les hommes se prennent pour Dieu. Le pire, c’est que cela n’a servi à rien. Les premiers liquidateurs ont dû malgré tout être remplacés, car à la fin, ils étaient trop malades pour continuer le travail.
Comment tu t’appelles, fiston ?
À douze ans, il a maintenant conscience de l’interaction entre la nature et le langage. Il est des choses que les gens dissimulent derrière les mots, il y a des mots cachés à l’intérieur des choses, comprimés, prêts à fleurir à tout moment.
Parfois, Maria relève la tête et une journée s’est écoulée, parfois, c’est un mois. Presque tous les soirs, Alina, sa sœur, lui demande comment ça s’est passé, aujourd'hui, et elle répond : « Rien de spécial. » Et ils s’additionnent, ces jours sans rien de spécial. Quand on se retourne sur eux, même deux semaines plus tard, on n’y découvre pas le moindre signe distinct
Au bout de trois jours, ils portaient en permanence des habits radioactifs. Après les deux premières semaines, les officiels ont décidé de ne pas remplacer les liquidateurs pour ne pas en sacrifier d'autres. Au cours des réunions d'organisation du travail de la journée, chaque matin, ils calculaient combien de vies ils avaient besoin pour telle tâche spécifique. Deux vies pour ceci, quatre pour cela. C'était comme un cabinet de guerre, quand les hommes se prennent pour Dieu. Le pire, c'est que cela n'a servi à rien.les premiers liquidateurs ont dû malgré tout être remplacés, car à la fin ils étaient trop malades pour continuer le travail.
Mais bientôt la forêt est devenue rouge, les feuilles rutilaient. Youri se souvenait que le père d’Artiom en avait ramassé une en déclarant : « Mère Nature saigne »
Il ouvre les paupières et le ciel emplit ses rétines, un ciel d'un rouge profond. On croirait que la croûte terrestre s'est retournée, que la lave incandescente est en suspens au-dessus de la terre.
Le garçon s'éveille, regarde la grande aiguille, suit son lent parcours circulaire jusqu'à ce qu'elle marque 5 heures, ce qui l'autorise à repousser ses couvertures et à sortir dans la lumière qui précède l'aube. Elle est différente aujourd'hui. Mélange de mauves et de jaunes, de tons d'un riche rubis qui au moment où il s'éveillait l'ont amené à se demander s'il n'avait pas dormi trop longtemps: l'aube était déjà là, c'était certain."
"Elles sont si curieuses les couleurs qui filtrent aujourd'hui à travers la vitre, si différentes des autres matins, elles donnent à chaque aspect de la pièce un air précieux, à croire que pendant son sommeil leur maison est devenue riche. Ses chemises usées paraissaient taillées dans du bois exotique. Il cherche le mot adéquat pour décrire cela à sa mère ce soir, au moment du dîner, mais il ne le connait pas encore.. Quand elle le lui apprendra plus tard, il le dessinera sur ses lèvres, se le répétera en silence, "lumineux", la forme des syllabes faisait ressembler sa bouche à celle d'un poisson."