Citations de Diaty Diallo (109)
Alors j'imagine que c'est une fois en la présence des agents que les gars captent qu'ils vont devoir se justifier, encore, sur ce qu'ils font de leur existence à ces dépositaires qui ne les valident pas par principe.
Bah je sais pas, sandwichs, canettes, on est bien quoi, dans le luxe, des princes, des pharaons quoi.
De quoi vous avez parlé autant de temps même ? demande Issa. Chérif dit comme d'hab, actes de naissance, de décès, obtention de diplômes, un point administratif quoi.
Chérif, ça le fait bien chier en revanche. Il a la sensation de devoir dealer avec un petit savon mouillé qu'il est impossible de retenir dans ses mains.
Sa mère est partie au bled avec ses tantes. C'est le premier été où elle n'emmène pas Samy. Pas d'argent pour, et puis il est grand maintenant. Samy, à vrai dire, n'est pas si contrarié que ça. Il aime la mer et ses cousins mais ne rien branler avec ses potes lui convient aussi.
Nous aussi, Chérif, moi et notre équipe certaine, Demba, Nil et Issa, on a été des petits frères. Des turbulents, des farceurs aux histoires mythologiques sans cesse ressassées. Les rôles bien distribués. Le posé, le cassos, le cramé, ce genre de catégories. Maintenant c'est différent, on traîne ensemble surtout le soir, nos aventures sont moins fantaisistes et s'amuser implique parfois d'avoir de l'argent dans les poches. Chérif est dans ses études de droit, moi j'ai lâché les arts appliqués pour faire jardinier, Nil est artisan, Issa va devenir éducateur et Demba écrit et chante. Nos vies sont tranquilles, presque chiantes.
Les petits frères ont le rire et l'apostrophe faciles - ou ils ont l'air borné et arrogant selon le point de vue -, et ils se promènent toujours par grappes d'une dizaine. Mais dans les faits chacun est souvent accaparé par un truc noir, insondable. Une affaire bien à lui qu'il tente de chasser, en bande et en allant plus vite que le vent. Solitaires entre eux. T'as des problèmes chez toi ? Fais de la bécane.
Depuis qu'on a cessé de se déplacer en calèche, la jeunesse retire aux mobylettes leur pot d'échappement pour les faire gueuler plus fort que le vacarme des rouages qui la forcent à vieillir. C'est réel.
Les petits frères font gronder des bécanes empruntées aux plus grands. Leurs corps encore tout gringalets et dans leurs yeux l'imminence du tremblement du monde, avec du bruit, avec du risque.
De minuscules êtres humains dans de toutes petites salopettes piaillent comme des oisillons. Il y a des coutumes qu'on observe : les strapontins, les filles qui en tressent d'autres, le bissap en bouteilles de cristaline, les beignets stockés dans des glacières.
Ça sent le bourbier, les heures de garde à vue, et je n'ai pas la gueule qu'il faut pour que ça se passe autrement alors j'attends un moment, assis sur les marches, que ça se calme au-dessus.
Mes yeux à la recherche du beige dans les siens, du miel coule le long des murs, je voudrais les lécher, y plonger ma langue et mes doigts.
Les contours de la fête sont devenus flous, une lumière mielleuse baigne les danseurs comme des insectes dans de l'ambre.
En fait je pourrais dire que j'écoute des classiques, elle dit. "T'écoutes quoi ? J'écoute des classiques. Du classique ? Non gros, des classiques. "
Mon cerveau produit des petites étincelles chaque fois que sa voix se pose à l'intérieur de mes oreilles et je pense que je veux explorer des manières de faire futur avec sa main dans la mienne.
Il y a quelque chose à calmer ce soir. Ensemble. Quelque chose de dur qu'il faut soulager à défaut de guérir. Ensemble.
Mais moi je pense qu'ils se sont d'abord connus dans une vie antérieure . Aux étrangetés compatibles, aux obsessions entrelacées. Aux amitiés fusionnelles.
Et plus que le goût, je crois que c'est l'interminable attente qui donnait tout leur charme aux repas pour les occasions. Bonnes ou tristes.
Le lien social comme subterfuge, les institutions aimaient bien nous faire travailler gratuitement.
Une bataille à laquelle on n'a jamais pigé grand-chose. On savait qu'on perdrait quelqu'un, simplement on ne savait pas ni qui ni quand. On savais juste qu'il s'agirait de celui de trop.