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Citations de Diaty Diallo (109)


Peine. Période qui ne possède pas d’instruments de mesure. Ni sablier ni clepsydre ni bougie ni horloge. Personne n’aura l’autorisation de venir s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il vit, ni de donner de noms à son épouvante, ni de formes à ses larmes. S’il veut en pleurer des froides, il pleurera des perles de glace, et s’il ne veut pas parler, il ne parlera pas.
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Le principe de déjeuner à midi était souvent repoussé vers dix-sept heures. Et plus que le goût, je crois que c'est l'interminable attente qui donnait tout leur charme aux repas pour les occasions. Bonnes ou tristes.
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Les premiers instants qui suivent la nuit ou le jour durant lequel commence un deuil ont des couleurs qui n'apparaissent qu'à celles et ceux qui pleurent leurs morts. Des couleurs au dessus des sens.
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À quoi penses-tu Chérif, est-ce que tu peux encore penser ? La manière
qu’a ton corps d’épouser les fines plaques de fer dit que tu es maintenant en
possession de la liberté propre à ceux qui ont un jour craqué. Qu’on a un
jour brisés. Mais quelle est ta météo intérieure, mon chéri Chérif ? dirait
l’animatrice de nos mercredis petits. Crachin de chauve-souris ? C’est d’un
triste ça Chérif ! Raconte-nous quelque chose de joyeux. Nuages
thermiques d’obsolescence programmée ? Ce n’est pas ton jour.
Les immeubles semblent démesurément tristes, comme s’ils avaient
aspiré l’humeur des habitants de la place. Chérif a l’air tout petit devant ces
géants de béton armé.
Il a l’air petit, Chérif le chétif, recroquevillé dans sa peine dont il est
pour toujours le seul maître. Peine. Période qui ne possède pas
d’instruments de mesure. Ni sablier ni clepsydre ni bougie ni horloge.
Personne n’aura l’autorisation de venir s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il
vit, ni de donner de noms à son épouvante, ni de formes à ses larmes. S’il
veut en pleurer des froides, il pleurera des perles de glace, et s’il ne veut pas
parler, il ne parlera pas.
Il n’est pas le seul comédien sur les planches, mais son texte ne
s’adresse qu’à lui-même. Quand il ouvre son visage pour donner la
réplique, ce n’est plus lui, c’est un jumeau décalqué à la va-vite qui
s’exprime, à partir de ce qu’il était lorsque tout était avant. C’est une
photocopie dont seul le verso semble offrir quelques mots de réconfort avec
lesquels on formera une phrase pour rassurer la mère. Qu’elle n’ait pas
perdu tous ses enfants dans la bataille.
À quoi penses-tu, Chérif ?
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Les petits frères ont le rire et l’apostrophe faciles – ou ils ont l’air borné et arrogant selon le point de vue –, et ils se promènent toujours par grappes d’une dizaine. Mais dans les faits chacun est souvent accaparé par un truc noir, insondable. Une affaire bien à lui qu’il tente de chasser, en bande et en allant plus vite que le vent. Solitaires entre eux. T’as des problèmes chez toi ? Fais de la bécane.
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On pense à ça, affalés sur le banc, la peinture qui s’écaille dessous nous,
ces assises qu’ils casseront elles aussi. Ce qui procure de la joie ou du repos
ne tient pas dans le temps, chez nous. Ils laissent se délabrer les stades,
bouchent les raccourcis, sécurisent les aires de jeux, ils baisent les forêts,
confisquent chaises et chichas, démolissent les passerelles, tout ce qui
permet de prendre un peu de hauteur, ils spéculent sur les endroits non
construits, les espaces de reprise du souffle et de rêveries. Alors pouvoir
s’affaler sur un banc, encore, c’est presque un luxe. On pense à ça et on se
les dit ces paroles qui n’ont de sens que pour nous. Nos mots sont
comprimés par le climat. Il fait si lourd c’est un truc de fou. La chaleur
semble s’allonger sur chaque syllabe qu’on prononce et tasse nos
interrogations.
Sur le banc, on parle de ça.
On prend le temps qu’il nous reste.
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Derrière un grillage sans fin s’étend un terrain vague, zone d’habitat en
devenir peuplée de jeunes pousses, de buissons et d’arbustes à qui les jours
sont comptés. Cette friche, le terrain des aventures de notre enfance.
J’élargis à coups de pied une ouverture dans la clôture puis j’y faufile mon
grand corps, adulte depuis quelques étés. À des mètres au-dessus du lieu de
rendez-vous, le sol vibre déjà. Les branches et feuilles d’espèces
indiscernables dans le noir de la nuit tremblent au rythme des pulsations
souterraines. Je décide de me diriger à l’oreille et me figure un passage au
milieu des cailloux, canettes et dunes cabossées. J’aperçois le point d’accès.
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Sur une passerelle reliant deux pieds d'immeubles au-dessus de la dalle, j'aperçois Samy qui se tient debout. Transparent, à la surface des billes de gaz dans I'air. Fixe, le bras enroulé autour d'un pilier avec la main qui lui arrive au niveau de la tête, il a la joue collée contre le béton froid. Un survêtement iridescent l'habille. Il est beau, mort et nous observe, l'iris amusé. Je crois, comme dans les films, qu'il m'adresse un léger signe de la tête pour me dire bonjour de l'au-delà. Pour me dire ça va, en vrai, dans l'au-delà. Pour me dire, tranquille, on est là, on est ensemble, toujours, dans l'au-delà. Pour me dire on a du temps, dans l'au-delà, on vous attend mais pressez-vous pas, faites vos trucs ici. Pour me dire on n'a plus que du temps, dans I'au-delà, on n'a que ça. Là-bas, du temps.
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Je m'oriente à l'œil, à l'oreille, au nez. Toujours.
Nique sa mère la cartographie.
T'es sûr que c'est par là ?
Sûr.
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Quelques heures avant, le même soir.
Un soir d’été comme tous les soirs d’été.
Des passants, des équipes, des mères sont dispersés un peu partout.
Posés sur les marches dans le labyrinthe de la fontaine ou sur des bancs. Ça
discute de choses pas sérieuses. La chaleur lourde limite les entretiens,
ralentit les débats. Certaines mamans, fâchées par des bêtises observées de
loin, poussent de molles gueulantes quand elles en ont le courage. De
minuscules êtres humains dans de toutes petites salopettes piaillent comme
des oisillons. Il y a des coutumes qu’on observe : les strapontins, les filles
qui en tressent d’autres, le bissap en bouteilles de cristaline, les beignets
stockés dans des glacières.
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Tout est cyclique, tu sais : les rires le calme les larmes les cris les rires.
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Et en boucle j'étais depuis, et je suis frénétiquement. Faut pas arracher les cheveux des noirs. Faut pas baisser les caleçons, faut nous croire quand on dit qu'on est nous-mêmes et pas grand-chose d'autre de plus que sur une carte d'identité. Faut pas nous plier, faut pas nous plier, faut pas nous pourchasser, arrêtez de nous faire courir, faut pas nous tabasser, nous violer, nous flinguer. Faut arrêter s'il vous plaît. On est blasés.
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Les premiers instants qui suivent la nuit ou le jour durant lequel commence un deuil ont des couleurs qui n’apparaissent qu’à celles et ceux qui pleurent leurs morts. Des couleurs au-dessus des sens. Des couleurs et du goût, une odeur, denses. Quelque chose situé au départ du nez, là où les yeux se touchent presque. (...)
Les premiers instants de la nuit ou du jour durant lequel commence un deuil sont un secret qu’on découvre sans volonté, émergeant des entrailles du vivant. Et on l’apprend avec le temps, d’ailleurs, qu’il ne faut rien creuser. Les premiers jours on reste à la surface et o éponge ce qu’il y a à absorber. On apprend à partager l’oxygène avec celles et ceux dont les poumons sont vides. On apprend à se forcer à ça. Car la douleur des autres est insupportable.
(p. 61-62, “Chérif”).
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On veut contraindre nos corps à la disparition, nous les avons fait briller. La résistance est dans le mouvement. Notre terrain aujourd'hui est un carnaval.
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Ils ont 13, 15, 16 ans, ils sont des ouvriers de la débrouille comme seuls en produisent les quartiers pauvres.
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Les premiers instants de la nuit et du jour durant lequel commence un deuil sont un secret qu'on découvre sans volonté, émergeant des entrailles du vivant. Et on apprend avec le temps, d'ailleurs, qu' il ne faut rien creuser.
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Faut pas arracher les cheveux des noirs. Faut pas faire baisser les caleçons, faut nous croire quand on dit qu'on est nous-même et pas grand-chose d'autre de plus que sur une carte d'identité.
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Et tu le sais, que la suite, c'est à toi de la mener. Tu le sais, que c'est ton combat qui est venu te chercher dans ta tranquillité. Tu le sais, que tout n'allait pas à peu près bien, avant, que rien n'allait convenablement tous les jours, qu'on avait tous les tickets d'une tombola pour le cimetière mais qu'au micro, c'est le nom de ton ton frère qu’on a appelé. Pas le tien, le sien.
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Les premiers instants qui suivent la nuit ou le jour durant lequel
commence un deuil ont des couleurs qui n’apparaissent qu’à celles et ceux
qui pleurent leurs morts. Des couleurs au-dessus des sens. Des couleurs et
du goût, une odeur, denses. Quelque chose situé au départ du nez, là où les
yeux se touchent presque.
Mes épaules ne portaient aucun disparu prématuré.
Je les avais prêtées plusieurs fois, mises à disposition des copines et des
copains désormais sans père, sans mère, sans cousin ou cousine. Sans frère
ou sœur.
Tous présentaient à peu près les mêmes traits.
Les mêmes traits des premiers instants qui suivent la nuit ou le jour
durant lequel commence le deuil. Une capacité élevée à rire nerveusement.
Des globes oculaires épuisés et insondables. Une rationalité à toute épreuve.
Le futur désormais jugé comme audacieux.
Et puis toutes et tous craquaient dans la semaine qui suivait. Souvent la
nuit, durant un apéro. Et, avant l’âge des apéros, pendant un cours à l’école
ou simplement pendant le coup de fil du soir pour se raconter ce qu’on a fait
durant la journée qu’on a pourtant passée ensemble.
Les premiers instants de la nuit ou du jour durant lequel commence un
deuil sont un secret qu’on découvre sans volonté, émergeant des entrailles
du vivant. Et on l’apprend avec le temps, d’ailleurs, qu’il ne faut rien
creuser. Les premiers jours on reste à la surface et on éponge ce qu’il y a à
absorber. On apprend à partager l’oxygène avec celles et ceux dont les
poumons sont vides. On apprend à se forcer pour ça. Car la douleur des
autres est insupportable.
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Et puis – personne ne saura jamais l'expliquer à celles et ceux qui demanderont pourquoi – Bak et Samy semblent se mettre à exister un peu trop, pour ces hommes qui peinent à les rattraper. Un peu trop fort, un peu trop loin.


Un peu trop, quoi.
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