Eleanor Catton

Les relations, les liens, les connexions... c'est tout aussi fondamental pour n'importe quel système que les individus en soi, les données en soi. Non ? Et dans une relation, on fait toutes sortes de trucs qui remettent radicalement en cause l'ordre établi néo-libéral : on se sacrifie, on fait passer l'autre en premier, on apprend le compromis, on se soucie de l'autre, on aide, on écoute, on fait don de soi... et fondamentalement, ces sacrifices-là ne sont pas du même ordre que tous ceux qui misent à fond sur l'autodiscipline et l'adoption d'un régime. Ils ne sont pas individualistes : ils sont mutuels.

(...) la véritable information, c'est ce que quelqu'un a intérêt à empêcher de publier, tout le reste n'est que de la publicité.

La surveillance de masse, c'est le totalitarisme et l'oppression. La classe des milliardaires sape la solidarité par sa seule existence : elle est fondamentalement néfaste pour l'environnement, elle est réactionnaire et elle est injuste.

L'idée que le moindre choix humain puisse être dépourvu de moralité, de dimension morale... c'est du pur capitalisme, considérer le marché comme un espace neutre du point de vue des valeurs, où la morale n'existe pas, où les gens sont libres de se faire concurrence sur un pied d'égalité, où il y a, genre, des lois naturelles de l'offre et de la demande ou je ne sais quoi... et bien sûr tout ça c'est des conneries, les marchés sont fabriqués, ils sont toujours fabriqués, ils sont toujours contrôlés et régulés et soumis aux interférences de l'Etat.

Combien mourraient en aval, à cause de tous les déchets toxiques et radioactifs que rejetaient ces usines ? Combien étaient morts pour fournir les composants à base de terres rares de l'avion dans lequel on est assis, et du téléphone qu'il avait dans la poche, et de l'ensemble des appareils électroniques que tout le monde possédait, avec leurs appareils photo, leurs fonctions GPS, leurs écrans LCD, et les nombreux systèmes de navigation qui avaient permis d'expédier leurs composants aux quatre coins du globe, et puis les robots et les ordinateurs de toutes les usines où ils étaient fabriqués, assemblés, stockés, emballés, réparés ?

(...) nul ne pouvait se battre contre les lois et les ressorts de la nature, et il n'y avait pas de place pour le jugement, pas de débat possible : la preuve résidait dans les seuls végétaux, et dans le sol, dans l'air, dans la récolte.

Apprendre ne serait-ce qu'une chose aussi simple qu'arroser les racines des plantes plutôt que leurs feuilles, ce n'était pas se voir asséner la brutalité d'une réalité implacable, c'était plutôt être initiée à un mystère.

Elle avait lu quelque part sur Internet que les choix électoraux des parents étaient de loin le facteur le plus précis pour prédire les opinions de quelqu'un, loin devant l'âge, l'appartenance ethnique, le sexe, le niveau d'éducation ou l'origine géographique.

Non : il ne pouvait pas risquer qu['on] découvre la vérité..., ce qui signifiait que la vérité allait devoir changer.

Désormais, s'il le désirait, il pouvait à la fois altérer les messages qu'elle recevait, et en envoyer — à n'importe qui — en se faisant passer pour elle. C'était une prise de contrôle nette et sans bavure.

Comme tous les rebelles qui se plaisaient à entretenir leur légende, Mira préférait les ennemis aux rivaux, et faisait souvent de ses rivaux des ennemis, pour mieux mépriser ces agents de l'ordre établi qui ne disaient pas leur nom.

p296
-Tout ça, c’est ce que vivent les adultes, ce que je n’ai jamais vécu avec lui. Les gens parlent de moi maintenant comme d’une enfant à qui on a imposé criminellement un rôle d’adulte. Ils parlent de ma relation avec lui comme d’une relation d’adulte, illicite, intempestive, prématurée. Mais c'est le contraire qui est vrai. C'est M. Saladin qui a eu avec moi une relation d'adolescent, qui a qui a eu avec moi une relation d’adolescent, qui a revécu les chuchotements sur la banquette arrière et l’obligation d’être à la maison avant minuit, les éternelles attentes que les parents soient endormis ou sortis, les messages codés qu’on s’envoie en loucedé. Ce n’est pas moi qui ai joué l’adulte. C’est M. Saladin qui a fait l’enfant.

p34
La prof de saxophone prend une voix de circonstance, tout sucre tout miel :
- Voulez-vous que je vous dise ce qui, à mon avis, ne va pas ? Il me semble que c’est un peu comme si ce type horrible au lycée, cet individu vil et répugnant, avait laissé l’empreinte de son gros doigt gras sur les verres de vos lunettes. Vous avez beau regarder ailleurs, vous ne voyez que lui.
Je sais, vous auriez voulu que votre fille découvre la chose comme cela se fait en temps normal. Qu’elle s’initie derrière les remises à vélos ou sous les tribunes du terrain de rugby ou dans son module d’éducation à la santé, en assimilant des faits inscrits au marqueur sur le tableau blanc. Vous auriez voulu qu’elle regarde en cachette des magazines et des films interdits. Quelle commence par une partie de touche-pipi, les yeux fumés, les doigts poisseux, au salon d’un copain, un samedi soir, quand les copines sortent vomir dans les pots de fleurs. Cela aurait pu se répéter. Cela aurait pu devenir une phase. Mais vous auriez été préparée.
…/… -Vous auriez voulu quelle attende d’être en première avant d’avoir une vraie relation, avec un garçon sans caractère, qui en jetterait et ne vous plairait guère, mais avec qui vous finiriez par la prendre en flagrant délit, un beau jour où une intuition vous ferait rentrer un peu plus tôt que d’habitude, et voilà, ça y serait : sur le canapé, au beau milieu de la moquette ou même dans son lit de jeune fille, avec ses ours en peluche et ces petits coussins roses à fanfreluches quelle n’aime plus vraiment, mais dont elle ne se séparera jamais.
Elle insiste :
- Je respecte ces choses que vous auriez voulues pour votre fille. C’est sans doute, je le conçois, ce que toute bonne mère souhaite, et il y a quelque chose d’atroce à penser que cet individu vicieux ait pu ravir sournoisement l’innocence de votre enfant sans même la toucher, en lui fourrant ses sales petits secrets dans la gorge comme des bonbons bon marché. Mais…
Sa voix n’est plus qu’un murmure :
- Ce qu’il faut comprendre, ma chère, c’est que ce petit avant-goût qu’on vient d’offrir à fille est un échantillon d’une chose qui pourrait se réaliser. Elle l’a avalé. Elle le porte maintenant en elle.

On n'est jamais si fortement attaché à une loi que lorsqu'elle est bafouée (...)

J'ai jamais lu l'écriture néo-zélandaise, mais d'après les critique et la note il me semble que le livre parait excellent !