Emmanuel Carrère

Hervé ne me jugeait pas, ne me conseillait pas. Il sait si intimement que nous sommes tous boiteux, désaccordés, faisant ce que nous pouvons mais pouvant peu, et vivant mal, qu'en sa présence je cessais de me justifier, de m'expliquer sans fin.

"Ce que tu fais à un autre, tu le fais à toi même." Ce que tu dis d'un autre, tu le dis de toi-même. Traiter quelqu'un de con, c'est dire : "Je suis un con", l'écrire sur une pancarte et se la coller sur le front.

p. 410

Si tu fais advenir ce qui est en toi, ce que tu feras advenir te sauvera. Si tu ne fais pas advenir ce qui est en toi, ce que tu n'auras pas fait advenir te tuera. (p.413)

A un moment de ma vie, j'ai été chrétien. Cela a duré trois ans, c'est passé.

Car rien n'est dans ce monde plus solide et précieux que l'entente d'un homme et d'une femme qui tiennent ensemble leur maison.

(p. 423)

Il ne se dit ni le Christ, ni le Messie, ni le Fils de Dieu, ni celui d’une vierge. Seulement "le Fils de l’Homme" - et cette expression qui traduite en grec puis dans n’importe quelle langue, semble nimbée de mystère, les biblistes nous disent qu’en araméen elle signifiait "l’homme", tout bonnement. Celui qui parle est un homme, rien qu’un homme, qui ne nous demande pas de croire en lui, seulement de mettre en pratique ses paroles.

Mais quel enfant, si on déroulait devant lui son avenir, s'il lui était donné de comprendre vraiment ce qu'il sait assez tôt de façon purement abstraite, qu'il sera un jour vieux, vieux comme ces vieilles dames qui piquent quand on les embrasse, quel enfant ne resterait pas bouche bée?

Quand ils ont tout détruit, les Romains appellent ça la paix. (Galgacus)

Ceux qui croient ce qu’ils voient ont perdu, ceux qui voient ce qu’ils croient ont gagné.

Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, pourtant je te demande d’établir en moi ta demeure. Pour t’y faire place, il faut que je diminue, je le sais. Je résiste à cela autant que j’y aspire. Je n’y arriverai pas seul, on ne diminue pas seul. Nous ne tendons jamais, de nous-mêmes, qu’à prendre toute la place. Aide-moi à diminuer pour que tu grandisses en moi

Un athée croit que Dieu n’existe pas. Un croyant sait que Dieu existe. L’un a une opinion, l’autre un savoir.

En vérité, je te le dis, Quand tu étais jeune, tu ceignais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras les mains et un autre te ceindra, et il te conduira là où tu ne voulais pas aller.

Vivre au premier siècle après J.C en comprenant toutes les subtilités des textes sacrés, de l'Histoire d'alors : tel est le miracle accompli par ce livre magistral

Beatrice Beck, aujourd'hui, est une très vieille dame, libre et déroutante. A un moment, on lui demande si elle est toujours croyante et elle répond que non. C'était un moment de sa vie, il est passé. Elle en parle comme pourrait parler de son engagement quelqu'un qui a été communiste, ou comme on parle d'un grand amour de sa jeunesse. Une passion orageuse qu'on est heureux, somme toute, d'avoir connu. Mais c'est loin. Elle aborde la question parce qu'on lui a posée, en réalité elle n'y pense plus.
Je trouve ça terrible. Elle pas, visiblement, mais moi je trouve terrible l'idée que la foi puisse passer et qu'on ne s'en porte pas plus mal.

Maintenant, ce qui fait la réussite d'un film, ce n'est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain-là, Luc est sans rival : l'auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu'on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par un ange, viennent en procession s'attendrir sur l'enfant... Les rois mages viennent de Matthieu, le boeuf et l'âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l'a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect.

"Celui qui a déjà, il lui sera donné davantage, et celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré."
Je pense que cette parole est profondément vraie, qu'ont peut la vérifier tous les jours, mais elle est tout sauf agréable à entendre , et Jésus ne se montre pas plus sympathique quand ses disciples lui demandent 'être un peu plus clair et qu'il répond " Vous, je vous explique ces mystères. Mais les autres, je leur parle par énigmes, afin que, regardant, ils ne voient pas, qu'entendant ils ne comprennent pas,, de peur qu'ils se convertissent et soient sauvés" p 554

"Moi, Paul, apôtre, envoyé non par des hommes ni par un homme mais par Jésus le Christ lui-même, je suis stupéfait de voir que vous vous détournez de celui qui vous a appelés pour aller vers un autre Évangile. Mais il n'y en a pas d'autre, d'Évangile ! Il n'y a que des gens qui veulent détruire en vous l'Évangile du Christ.
Écoutez-moi bien. Même si un ange venu du ciel venait vous dire autre chose que ce que je vous ai dit, il ne faudrait pas le croire. Même si, moi, je venais vous dire autre chose que ce que je vous ai dit, il ne faudrait pas me croire. Il faudrait maudire l'ange, il faudrait me maudire. Car ce que je vous ai dit, je ne le tiens pas d'un homme, mais de Jésus le Christ, directement."

Quant à l'Evangile je choisis de m'attaquer à celui de Jean parce que le passage où il est question d'aller ou on ne veut pas aller se trouve chez Jean. J'ai la vague idée, aussi, que de la bande des quatre c'est le plus mystique, le plus profond. Dès le premier verset je suis servi "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était avec Dieu." C'est raide, surtout pour quelqu'un qui cherche moins des éclairs métaphysiques que des règles de conduite, et je me demande s'il ne vaudrait pas mIeux changer de monture avant de quitter l'écurie. Comparé à ce pur-sang qui m'accueille d'une ruade, Marc, Matthieu et Luc font l'effet de robustes percherons, plus recommandés pour un débutant.

Je relis ces notes, trois ans plus tard. Elles sont à l'opposé de celles que j'ai prises sur l'Evangile de Jean vingt ans plus tôt. Je ne crois plus que ce que je lis est la parole de Dieu. Je ne me demande plus, en tout cas plus au premier chef, en quoi chacun de ces mots peut me guider dans la conduite de ma vie. Au lieu de cela, devant chaque verset, je me pose cette question : ce que Luc écrit là, d'où le sort-il?

Ce livre que j'achève là, je l'ai écrit de bonne foi, mais ce qu'il tente d'approcher est tellement plus grand que moi que cette bonne foi, je le sais, est dérisoire. Je l'ai écrit encombré de ce que je suis : un intelligent, un riche, un homme d'en haut : autant de handicaps pour entrer dans le Royaume. Quand même, j'ai essayé. Et ce que je me demande, au moment de le quitter, c'est s'il trahit le jeune homme que j'ai été, et le seigneur auquel il a cru, ou s'il leur est resté, à sa façon, fidèle.