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Critiques de Francesca Melandri (264)
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Tous, sauf moi

Attilio Profeti, quatre-vingt-treize ans, est officiellement père de trois fils, et d'une fille, Ilaria, qui découvre un matin sur son pallier un jeune éthiopien se disant être son neveu, et le petit-fils d'Attilio. D'abord incrédule, la jeune femme, qui se met à fouiller dans le passé de son père, va se rendre compte qu'elle ne connaît pas cet homme dont l'histoire personnelle trouble est indissociable de celle de l'Italie.



Colonisation éthiopienne barbare, fascisme, racisme, corruption, ultra libéralisme, Francesca Melandri juge l'Italie d'hier et d'aujourd'hui. Dans les dérives nationalistes de son pays, à partir de l'histoire de la famille Profeti, d’Attilio ancien colon de l'époque mussolinienne à ses enfants, citoyens de l'Italie immorale, corrompue et xénophobe de Berlusconi, elle montre comment passé et présent se rejoignent.



Francesca Melandri raconte, avec la voix intime et singulière qui est la sienne, une histoire perturbante et bouleversante (étayée par un travail historique solide). Sans filtre, elle met en lumière des épisodes peu glorieux du passé d'une Italie qui continue, aujourd'hui encore, à être tentée par des voies extrêmes.



Un grand merci à Babelio et aux Éditions Gallimard pour leur confiance et pour la rencontre prochaine avec l'auteure.
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Plus haut que la mer

« L'histoire se fait avec les armes. La philosophie avec les idées. »



Sur une île prison au large de l'Italie, bloqués par une tempête trois inconnus vont se confier et tisser des liens. Ainsi Paolo et Luisa qui viennent visiter des prisonniers, l'un son fils meurtrier politique récidiviste, l'autre son mari violent coupable d'avoir tué deux hommes, et leur garde sur l'île, Nitti, n'hésiteront pas à révéler leur fêlures à leurs compagnons d'une nuit.



Soucieuse de montrer la face obscure de l'histoire italienne, partant d'histoires individuelles, comme dans ses romans, Eva Dort et Tous sauf moi, qui en révèlent d'autres épisodes peu glorieux — l'annexion du Haut Adige (Tyrol du sud) et la colonisation brutale éthiopienne sous Mussolini, les années Berlusconi, la tentation de la droite extrême et la crise des migrants, pour ne citer qu'eux — dans Plus haut que la mer Francesca Melandri met en scène les années de plomb. Epoque où la violence aveugle qui a endeuillé son pays était selon son héros, Paolo, celle de révolutionnaires usant de mots creux, symptômes de la misère de leur langage et de leur engagement.



Toujours en quête de vérité, Francesca la militante livre un roman historique profondément humain. À une époque politiquement violente où les actes perpétrés étaient choquants, ses personnages malmenés par la vie nous émeuvent, tout comme la nature qu'elle suggère magnifique et indomptable.
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Tous, sauf moi

On connait bien mal ceux qui nous entourent.



Ceux que nous aimons,  pour nous,  sont un mystère tant notre regard sur eux est voilé par la tendresse ou émoussé par l'habitude.



C'est ce que semble penser Ilaria,   l'intransigeante héroïne du troisième  roman de Francesca Melandri, Tous sauf moi -  Sangue giusto,  en italien.



En le  lisant,  je n'ai cessé de penser à un film de Costa Gavras, Music Box, où l'héroïne, incarnée par Jessica Lange, découvre  peu à peu le monstre qu'a été,  qu'est encore son père,  émigré hongrois devenu americain, self made man charismatique, citoyen  respectable, grand père adulé, père chéri- et pourtant tortionnaire de la pire espèce, raciste impénitent, suppôt  des nazis en Hongrie...



Ilaria Profeti,  "petite Robespierre" , est elle aussi amenée à faire sur son père, Attilio Profeti, ce très vieil homme qui perd un peu la boule, des découvertes successives, et plutôt désagréables.



Le facteur déclenchant est l'arrivée , dans sa vie et son appartement romain,  d'un jeune homme venu d' Éthiopie, d'un noir d' ébène, et qui se dit son neveu.



 L' enquête d'Ilaria  sur l'identité  réelle d'Attilio Profeti, derrière les mensonges déjà presque démasqués de ses nombreuses "familles", de ses épouses, de ses enfants cachés,  va largement déborder le cadre d'une enquête familiale.



 Elle la conduit  à exhumer l'histoire de son propre pays dans les rapports sordides qu'il a eus, qu'il a encore, avec l'Afrique, cette terre meurtrie.



Fascisme, berlusconisme, libéralisme: trois  compagnons du colonialisme, trois fléaux .. tiens, comme Attila, le surnom d'Attilio. On y revient...



Après  les grèves succédant à la Grande Guerre, c'est l'avènement des chemises noires, l'occupation et la "pacification" de l'Abyssinie, sa mise en coupe réglée au nom de la Difesa della razza, chère aux anthropologues fascistes,   qui ravale les Ethiopiens au rang de créatures inférieures. On peut dès lors, sans scrupule,  les asperger d'ypérite , les nettoyer au lance-flamme. Les Habeshas, autre nom des Abyssins," les Brûlés ",  ne semblent plus devoir  leur nom à  la seule couleur de leur peau..



Apres la défaite fasciste, l'empire  du Négus est une sorte de régression féodale puis, une fois  le Négus destitué et étouffé , s'établit en Éthiopie la pire dictature socialiste qui soit, celle du sanguinaire Mengistu, avec la bénédiction des démocraties européennes, dont l'Italie,  qui lui envoient des chefs d'entreprise peu regardants sur la question des droits humains mais âpres au gain. L'Afrique si misérable est une terre de profits étrangers: une nouvelle colonisation économique qui n'a rien à envier à  l'ancienne. Les Éthiopiens émigrent en masse. Après les Brûlés,  voici les Sortis..



L'enquête d'Ilaria se déroule sur fond de corruptions et de scandales   berlusconiens , du bunga bunga à  la réception compromettante de Khadafi à  Rome - qui n'a rien à envier, elle non plus, à celle du même Khadafi par Sarkozy...-



 Et l'arrivée du jeune neveu d'Ilaria , menacé d'expulsion , la renvoie  aux lois iniques-  votées par le centre gauche,.-  sur l'immigration...et à  ce "Jus sanguinis" , ce droit du sang, abusivement traduit par "sang juste"!



Ce périple historique afro-italien croise et recroise la piste d'Attilio, le beau, le charismatique, le séducteur, le chanceux Attilio.  Et à chaque croisement,  une facette noire du personnage apparaît, une "facetta nera" comme dans  la chanson raciste des milices fascistes..



Comme sa fille, Ilaria,  on pousse un soupir de soulagement à voir s'éteindre, dans la sénilité et la démence, celui qui n'a jamais eu assez conscience de lui-même pour avoir des remords,  ni  assez de courage pour défendre vraiment les siens, à l'opposé  de son vieux copain Carbone, "madamato' comme lui, mais resté avec sa "madame"  éthiopienne et ses enfants métis, sacrifiant toute ambition, par fidélité et amour...et gagnant, au poteau, le concours de longévité qui était le but suprême d'Attilio. "Ils peuvent mourir tous, sauf moi. " ne cessait-il de répéter .



Raté. 



Encore plus dense, plus ambitieux, plus terrible , plus fouillé que les deux ouvrages précédents de Francesca Melandri , 'Tous sauf moi" est un livre puissant, dont l'enquête procède par cercles concentriques - et non, comme je l'ai fait plus haut, par souci de clarté, dans une démarche linéaire et chronologique.



Cette " enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon" s'élabore dans un désordre savant, comme dans  une vraie recherche, où le hasard mène à une vérité,  où les coïncidences  éclairent un contexte obscur, où  les rapprochements, les associations d'idées font soudain  jaillir la lumière.



Cette structure mouvante, sensible, intelligente, est un des atouts du livre, et rend l'identification à  Ilaria plus étroite. 



Rien d'explicatif, de pesamment surligné : la recherche historique profonde, solide, reste sous- jacente, discrète : elle est toujours sous le contrôle de la construction romanesque, elle dépend entièrement des aléas narratifs, de la psychologie des personnages,  ce qui est un vrai tour de force pour une matière historique aussi complexe.



Du coup, le lecteur  en sort non seulement bouleversé mais plus instruit, comme si ce tâtonnant  voyage, ce lent cheminement vers la vérité, il l'avait construit lui-même,  à la force du poignet.



Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour ce beau et grand moment de lecture! 

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Plus haut que la mer

L'île n'était pas en pleine mer. Mais, c'était tout comme. Elle était séparée de la terre ferme par le Détroit. Sur cette île, se dressait au-dessus de la mer, dans une succession sinueuse de petites baies, la prison de haute sécurité. Une prison qui sentait le sel de mer, le figuier et l'hélichryse.

Luisa s'était levée de très bonne heure, avait trait les vaches pour épargner le travail à ses enfants et avait fait le voyage, en train puis en ferry, pour s'y rendre. En effet, son mari, un homme violent, y purgeait sa peine pour avoir tué à deux reprises.

Cela faisait la quatrième fois que Paolo se rendait sur l'île, qu'il exécrait. Membre des Brigades Rouges, son fils était impliqué dans plusieurs assassinats politiques.

Pierfrancesco Nitti, lui, est gardien dans la prison. Renfermé et taiseux, il tente de se protéger, ainsi que sa famille, de la violence qui règne à l'intérieur.



Francesca Melandri plante son décor sur cette île d'où se dresse la prison de haute sécurité. Durant les années de plomb, c'est ici que se rendent Luisa et Paolo. Elle, paysanne qui se dit inculte, élevant seule ses 5 enfants. Lui, le professeur de philosophie, rongé par le remords. Deux personnes que tout semble opposer mais qui, sur le ferry les emmenant vers l'île, vont se rapprocher. Le temps d'une journée et d'une nuit, et leur vie sera à jamais bousculée. L'auteur décrit avec justesse, délicatesse et profondeur les sentiments et les ressentis de chacun mais aussi le portrait d'un pays en pleine crise. Ce roman, aussi doux que cruel, profondément humain, est servi par une écriture poétique et sensible...
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Tous, sauf moi



« Nous sommes blancs Ilaria. Notre père est blanc. S’il avait vraiment un quart de notre sang, il serait, disons, beige. Et en fait, il est marron.

- Beige ? Marron ? Mais qu’est ce que tu dis Attilio ! Tu veux évaluer la couleur de sa peau avec un Pantone ?

- Je n’ai pas besoin d’un nuancier. Je le vois de mes propres yeux qu’il est trop foncé.

- Moi, j’ai vu de mes propres yeux une carte d’identité où figure le nom de mon père qui est aussi le tien. Et ça c’est un fait ! ».



Passionnée d’histoire, j’étais impatiente de lire ce livre. Imaginez-vous un matin de l’année 2010 découvrir sur votre palier, un jeune homme éthiopien qui est à la recherche de son grand-père qui n’est autre que votre père. A partir ce cet épisode, il devient évident d’élaborer un récit qui met en lumière cette part d’ombre de la période fasciste de ce pays en partant de la vie d’Attilio Profeti père.



Et la vie d’Attilio a été particulièrement remplie. C’est une personnalité fascinante par sa grande capacité à tamiser certaines parties de sa vie. Ilaria va naviguer dans les zones grises de l’existence de ce père. Séducteur, opportuniste, lâche, manipulateur, menant double vie, sans scrupule, Attilio a toujours eu de la chance. Mais aujourd’hui, avec ses 95 ans, sa mémoire s’effiloche. Ilaria va donc mener son enquête. Elle va mettre au jour les secrets de son père et l’histoire peu glorieuse de l’Italie, l’occupation par les chemises noires de l’Ethiopie de 1936 à 1941 et toutes les exactions, la violence, les massacres d’Addis-Abeba, l’horreur, les lois raciales, l’interdiction du métissage malgré de nombreux enfants nés des « talians », la corruption, l’utilisation du gaz Ypérite.



Quant à ce jeune homme éthiopien qui se trouve sur le palier d’Ilaria, il se nomme Shimeta Ietmega Attilaprofetti. C’est le petit fils d’Attilio dont personne ne connait l’existence. Sa demande d’asile a été rejetée et il raconte, lui aussi, à sa tante, toutes les épreuves et les atrocités qu’il a du affronter, lui le « sorti ».



Passionnant, érudit, intelligent, ce récit mêle l’histoire d’une famille fictive, celle d’Attilio Profeti père, à des portraits d’hommes connus historiquement. L’auteure s’est appuyée sur un énorme travail de documentation. Elle s’est rendue en Ethiopie. A rencontré des migrants afin d’être au plus près de la réalité. Mais voilà, ladite construction promène le lecteur d’une période à une autre sans cohérence ou dont la connexion n’apparaîtra que plus tard, plusieurs histoires s’entremêlent dont certaines ne m’ont pas paru indispensables ou je n’ai pas tout saisi, l’histoire est à la fois en 2010 et en même temps avec Mussolini. Cette gymnastique intellectuelle alourdie le récit et ne rend pas la compréhension du texte évidente. Ce puzzle risque de décourager plus d’un lecteur. Rien à voir avec le style d’écriture de « Plus Haut que la mer ».



Francesca Melandri cherche à mettre en évidence la politique coloniale de l’Italie et sa répercussion sur les mentalités et les migrations d’aujourd’hui. Avec ce livre, elle a espoir de sortir son pays du déni collectif de ce passé ou de son ignorance sans pour autant se poser en donneuse de leçons, elle est plutôt comme une archéologue qui fouille, qui creuse, pour mieux connaître le passé afin de mieux vivre le présent.



En juillet 1959, le Général De Gaulle en accueillant l’empereur Haïlé Sélassié lui rendit hommage en ces termes : « Nous savons, Sire, la France entière, le monde entier, savent qu’en votre personne on peut reconnaitre le souverain dont le courage et la valeur se sont démontrés avec gloire pendant la guerre et avec éclat durant la paix ».



Mais néanmoins, après toutes ces lectures qui n’ont pour vocation qu’éveiller les consciences, je ne me fais aucune illusion sur l’être humain.



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Eva dort

Eva remonte le temps tout en méditant loin de l’agitation du quotidien. Elle regarde défiler les différents paysages. Elle traverse l’Italie du Nord au Sud, mille-trois-cent-quatre-vingt-dix-sept kilomètres. Elle se dirige à la rencontre d’un homme, Vito, qui a beaucoup compté dans son enfance ainsi que dans la vie de sa mère, Gerda. La vision bucolique de la diversité des régions tout comme les quelques étapes dans les gares, le bercement tranquille du train, loin du rythme du monde, tout concoure à lui faire revivre les remous et les combats qui se sont déroulés avant de parvenir à la constitution de la région autonome du Trentin-Haut-Adige.





J’apprécie beaucoup Francesca Melandri. Je suis une lectrice assidue de ses romans : « Plus haut que la mer » et « Tous sauf moi ». Elle fait partie de ces auteures qui savent relier le passé au présent, entre la vie politique d’hier et ses conséquences sur la vie d’aujourd’hui. Si « Eva dort » fut son premier roman, si je peux lui reprocher un manque de fluidité, c’est avec enthousiasme que j’ai dévoré ce récit tant il est prenant et riche d’une histoire dont nombre d’italiens ignore, encore aujourd’hui, les drames qui s’y sont joués.



« Eva dort » retrace, depuis les accords signés le 29 juin 1919 dans la Galerie des Glaces, l’histoire de cette partie du Tyrol Sud dont fut amputé l’Autriche pour devenir territoire italien, italianisé de force par Mussolini déclenchant ainsi un mouvement indépendantiste qui ne cessera d’amplifier pour atteindre son point culminant en 1960 avec le mouvement terroriste BAS. Territoire de langue allemande, bénéficiant de nombreux atouts qui se sont développés au fur et à mesure des années, cette région va connaître une importante immigration italienne du sud, rendant impossible l’administration de celle-ci, alimentant ainsi le mécontentement des germanophones.



Il rend aussi hommage à deux hommes politiques, Silvius Magnago, originaire de la région de Bolzano. Sa carrière débutera comme conseiller municipal de Bolzano pour devenir un des dirigeants du SVP (Südtiroler Volskpartei). Et Aldo Moro, Président du Conseil italien. Ces deux hommes après maints échanges, ont pu trouver un terrain d’entente avec intelligence pour parvenir à l’autonomie de cette région. J’ai revécu avec émotion l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro.



L’auteure s’appuie sur une saga familiale, pour toile de fond, dont l’origine a pour filiation Hermann Huber, le grand-père d’Eva. Un homme qui a tout perdu et qui en est devenu froid et acariâtre, rongé par la rancœur. A partir de 1919, ce petit morceau de l’Autriche devient italien. Les perdants de la Grande Guerre doivent payer. Il faut imaginer cette minorité, soumise à l’humiliation, luttant désespérément pour survivre malgré Mussolini qui va chercher à l’italianiser de force entre 1922 et 1943. La langue allemande interdite, ne parlant pas un mot d’italien, l’injustice et l’incompréhension viennent envenimer la situation économique et le travail se fait rare pour les germanophones.



Le récit décrit l’évolution de la famille, les naissances, les us et coutumes, les vêtements, mais aussi les engagements politiques. Par le biais de la vie de cette famille, nous pouvons mesurer l’étendue de leur misère, la dureté du quotidien, mais aussi l’attachement à leur culture, leur identité, les discriminations et les luttes parfois violentes pour mieux nous faire intégrer toutes les étapes et toutes les révoltes auxquelles furent soumises cette minorité allemande.



L’histoire de la région prend largement le pas au détriment de celle de la famille. Malgré cela, le roman trace deux portraits de femmes : celui de Gerda, fille d’Hermann et celui d’Eva, fille de Gerda. Personnellement, c’est le portrait de Gerda qui a retenu toute mon attention. Mère célibataire dans une époque soumise à des principes moraux drastiques qui nous apparaissent totalement absurdes aujourd’hui, elle a dû lutter pour devenir chef-cuisinière et c’est ce portrait que j’ai aimé tout particulièrement.



Un autre passage très émouvant, sur le meilleur ami d’Eva, Ulli, homosexuel, est particulièrement éloquent sur les préjugés de l’époque.



Pour son premier roman, Francesca Mélandri dresse le portrait d’une région et d’une famille confrontée à une histoire bien particulière telle que celle du Haut-Adige. Malgré le manque de limpidité peut-être par trop de retours en arrière et de retours sur le présent, peut-être aussi à vouloir traiter deux portraits de femme, j’ai beaucoup aimé ce livre et je m’y suis plongée avec grand plaisir. A noter, j’ai appris beaucoup de mots allemands et qu’il existait une langue nommée le ladin!!! Cette particularité régionale, je l’ai découverte avec Marco Balzano « Je reste ici », encore un excellent roman sur cette exception italienne.



« Mon passeport est italien, ma langue c’est l’allemand, ma terre c’est la partie du sud du Tyrol dont les autres parties, le Tyrol du Nord et de l’Est, sont pourtant en Autriche. Nous l’appelons Tyrol du Sud mais en italien on dit Haut-Adige, puisque la différence dépend toujours du côté où on la regarde : d’en haut ou d’en bas. »





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Eva dort

Lu en V.O.

J'ai toujours été passionné par l'histoire, mais ce livre m'a fait réaliser que j'ai encore beaucoup de lacunes : j'ignorais tout de l'histoire, pourtant récente, du Haut Adige ou Tyrol du Sud, rattaché à l'Italie après le traité de Versailles bien que peuplé en majorité d'habitants de langue allemande.

Et pourtant, ce n'est pas un livre d'histoire mais un roman.

Tout part d'un colis adressé à Eva que sa mère, Gerda, fait renvoyer à l'expéditeur en expliquant au facteur qu'"Eva dort."

Lorsque Eva quelques années plus tard reçoit un message de Vito, un grand amour de sa mère et quelqu'un qu'elle-même a considéré presque comme le père qu'elle n'a jamais eu, lui annonçant qu'il est très malade et souhaiterait la revoir, elle entreprend un long voyage de 1.397 kilomètres à travers toute l'Italie, du Tyrol du Sud à la Sicile pour le revoir. Ses souvenirs remontent à la surface.

Le livre donne une vue chronologique, par l'histoire de sa famille, à travers les personnages de son grand-père Hermann, de sa mère Gerda - fille-mère, son frère Peter et tant d'autres attachants, mais également par l'histoire de sa région depuis son rattachement de force et sa colonisation par Mussolini, la résistance de ses habitants, leur attachement à leur culture, les attentats commis pour un rattachement à l'Autriche, pour enfin arriver à un compromis avec le gouvernement Italien lui octroyant une grande autonomie.

Chaque chapitre de cette chronologie est nommé par année.

A cette vision chronologique s'interbrique une vision géographique, celle du trajet qu'entreprend Eva vers Vito, ici les chapitres sont intitulés comme des bornes kilométriques. Les descriptions des lieux traversés et des divers personnages rencontrés durant ce voyage sont belles et sont entrecoupées par les souvenirs d'Eva.

C'est un livre extrêmement bien documenté et qui m'a beaucoup appris sur l'histoire de cette région, souvent lors de sa lecture, il m'a donné envie d'en savoir plus et m'a incité à ma documenter davantage sue les noms cités (notamment Andreas Hoffer, Silvius Magnago que je l'avoue, je ne connaissais pas...). J'ai vraiment eu l'impression de lire un livre d'histoire à ces moments-là.

Le livre fourmille de mots allemands ou plus exactement dialectaux tyroliens, désignant l'habitat, les vêtements et surtout la cuisine.

La partie plus romanesque ne m'a pas laissé indifférent non plus, et la fin du livre est très émouvante.



On sent de la part de l'auteure un véritable amour pour cette région. Elle m'a donné envie de la découvrir.
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Tous, sauf moi

Le presque centenaire et désormais sénile Attilio Profeti a officiellement eu trois fils et une fille, Ilaria. Aussi, quelle surprise pour celle-ci lorsqu'un réfugié venu d'Ethiopie se présente chez elle en se déclarant petit-fils d'Attilio. Ilaria, amenée à se pencher sur le passé de son père, découvre un homme qu'elle ne connaissait finalement que bien peu. Au travers de la vie du vieil homme, c'est toute l'histoire de l'Italie fasciste et colonialiste qui resurgit, tout un passé occulté qui a pourtant laissé bien des traces, parfois inattendues, jusqu’à aujourd’hui.





S’il pèse souvent lourd dans l’estomac en raison de la relation des manipulations d’embrigadement fasciste, des obsessions racistes et phrénologiques, des comportements et des crimes de guerre de la « race pure » à l’encontre de ses « inférieures », mais aussi parce qu’on finit, d’une part, par étouffer dans l’évocation de l’omniprésente corruption, passée et contemporaine, qui infeste la société italienne, d’autre part, par ressentir un véritable malaise face au traitement infligé de nos jours aux migrants qui affluent à Lampedusa, ce long et dense roman prend les allures d’un documentaire lucide et sans concession, fondé sur une analyse sérieuse et solide qui interroge tant le passé que le présent.





Ce remarquable roman historique mérite largement l’effort de sa lecture, éprouvante et consternante, mais édifiante et nécessaire. Il vous fera découvrir un pan d’histoire méconnu des Italiens-mêmes, rétablissant courageusement une vérité occultée dans la mémoire collective.





Prolongement sur l'empire italien d'Ethyopie dans la rubrique Le coin des curieux, en bas de ma chronique sur ce livre sur mon blog :

https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/07/melandri-francesca-tous-sauf-moi.html


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Tous, sauf moi

En premier chef, des immenses Mercis aux éditions Gallimard et à Masse Critique pour la réception de la dernière traduction de Francesca Melandri, que je découvre, avec curiosité, à cette occasion. Une histoire familiale qui nous fait découvrir un autre pan de l'Italie et ses rapports avec l'Ethiopie... Les colonisations, les migrations, toutes les souffrances insupportables vécues par les migrants, partout, à toutes les époques... les exclusions raciales, les extrémismes politiques... qui font fi des droits élémentaires des autres hommes ! Un roman polyphonique dont il est très complexe de rendre la densité ... Je vais tenter d'en donner l'atmosphère et la pluralité des questionnements, des directions et des récits, de façon très imparfaite et subjective !



Avec cette fresque familiale et historique, j'ai découvert une période de l'histoire italienne, qui m'était complètement inconnue... ainsi que les folles ingérences, désir de puissance, d'annexion d'un pays... par le Duce, alors qu'avant les années 30, l'Italie entretenait des échanges amicaux avec l'Ethiopie. Mussolini, sans déclarer ouvertement la guerre à ce pays d'Afrique a envoyé ses troupes avec des moyens de combat sans commune mesure avec ceux des Ethiopiens, dont des gaz de combat.... 5 années de colonisation brutale... alors que ce pays avait été l'un des rares pays...qui avait échappé aux annexions extérieures ! Une vaste fresque qui nous pousse à de multiples réflexions , malheureusement toujours d'actualité...lorsqu'on constate l'hostilité, les nationalismes en ces temps de crise, s'exacerber de nouveau,et avec une propagation inquiétante ! Une oeuvre magistrale...perturbante, qui interroge nos sociétés en dérive, excluant, réactivant toutes sortes de racismes, de cupidités en périodes de crise... A travers le récit des personnages d'une même famille, à travers les époques... nous visitons et apprenons les coulisses politiques, historiques de deux pays ! De nombreux portraits de gouvernants abusifs, dont un portrait -charge de Silvio Berlusconi ainsi qu'un panorama historique de la société italienne, de Mussolini à nos jours, mettant en relief, par le biais d'une histoire familiale, des épisodes peu glorieux de l'Italie, et la folie mégalomaniaque du Duce , envers l'Ethiopie !



Lorsqu'on a fait fi des sauts de la narration dans différentes époques, identifié les très nombreux personnages... et dépassé l'insoutenable de certaines descriptions lorsqu'il s'agit des catastrophes humaines, et de misère absolue supportées par la majorité des Ethiopiens, nous sommes interpellés, pris , captivés par le récit de cette famille... et de cet aïeul, le Grand-père, nonogénaire , Attilio, personnage haut en couleurs, séduisant , ambigü, ayant vécu mille vies, entre sa jeunesse en Ethiopie, puis l'Italie... plusieurs mariages, des pans de vie cachés, des enfants... dont un enfant secret , né en Ethiopie...dont le petit-fils, surgira de nulle part, du jour au lendemain, en frappant à la porte de sa tante, Ilaria..., après deux longues années de "parcours du combattant" de "migrant" pour être accepté sur le sol italien ! Ilaria, adorée par son père, enseignante estimée, va devoir creuser, questionner pour découvrir le passé secret de son père, sa jeunesse en Ethiopie, dans une période politique critique... Ainsi nous ferons des allers-retours entre passé plus ou moins lointain, et présent... Elle ira de surprise en surprise, de révélations dérangeantes en questionnements perturbants, interrogeant l'universelle Humanité et ses dérives !...



Grâce à cette enquête familiale, nous découvrirons les différentes évolutions, ou stagnations du régime italien, les parodies des gouvernements, Les malheurs continus des éthiopiens... sans oublier la désinformation quant à ce pays maints fois éprouvé... dont les photographes ne rapportent , le plus souvent, que les "images-chocs"... de la famine dans les années 1975 !... "La faim en Ethiopie avait mis au centre du monde un pays dont beaucoup ignoraient l'emplacement, voire l'existence encore quelques mois plus tôt. Les plus célèbres photographes accouraient pour immortaliser de leurs clichés tragiques (...) l'énormité de la catastrophe (...) L'altérité représentée sur ces photos niait toute parenté humaine possible entre sujets et spectateurs. Epargnant ainsi à ces derniers le terrible abîme de la véritable empathie. "(p. 156) Une admiration confirmée face à ce texte foisonnant... à la documentation stupéfiante... aussi stupéfiante que le détail final, très impressionnant des remerciements de l'auteure; je tiens à retranscrire le tout dernier message, bouleversant... qui confirme une partie de mon ressenti.



Ce roman profond, riche d'analyses, d'observations très critiques sur les abus de tant de gouvernements,leurs vélléités, leurs cupidités, dont ceux de l'Italie... comme si l'auteure, par ce texte incroyable tentait , à son "modeste niveau" d'apporter quelque réparation, et un peu de juste reconnaissance envers les Ethiopiens, mais également envers tous les migrants du monde... souvent exploités, colonisés autrefois , et encore rejetés par les anciens colons , lorsqu'ils essayent de fuir la misère et la guerre ...!! (...) à Shimeta Ezezew pour m'avoir emmenée- à temps- chez les anciens -arbagnoch- Abuhay Tefere et Ato Channe : " Quand j'étais jeune, je me suis battu contre ton peuple et aujourd'hui tu viens chez moi pour m'écouter. Quel heureux jour ! Dimanche prochain, après la messe, je le raconterai à tout le monde." Un large bandeau nous offre une magnifique illustration des plus significatives : un très beau vol d'oiseau-migrateurs, avec au loin un bateau amarré ! Un appel tonitruant et vigoureux à la prise de conscience de tous !! Si il était besoin ... le mot "migrants" lorsque vous aurez lu cet ouvrage, ne pourra être entendu qu'autrement, avec une résonance toute neuve ! "Migrer est un geste total mais aussi très simple : quand un être vivant ne peut survivre dans un endroit, ou il meurt ou il s'en va. Hommes, thons, cigognes, gnous au galop dans la savane: les migrations sont comme les marées, les vents, les orbites des planètes et l'accouchement, tous des phénomènes qu'il n'est pas donné d'arrêter. Et sûrement pas par la violence, même si cette illusion est répandue. "(p. 49) Après ce grand choc de lecture, je suis doublement curieuse de lire ses deux autres ouvrages traduits et édités par Gallimard, comme de rencontrer prochainement cette auteure, chez son éditeur, ce 28 mars 2019 .... N.B : J'allais omettre des remerciements à la traductrice, Danièle Valin, qui a traduit l'oeuvre d'Erri de Luca ainsi les deux autres textes de Francesca Melandri , chez Gallimard...
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Plus haut que la mer

Ce jour-là de 1979, le mistral souffle fort sur le Détroit. Malgré l'avis de tempête, le ferry a quitté le port, emmenant ses passagers vers l'Île. Parmi ceux-ci, aucun touriste, uniquement des agents de la prison de haute sécurité construite sur l'Île, ainsi que Luisa et Paolo. Ils ne se connaissent pas, ou pas encore, ils viennent d'endroits et d'univers totalement différents. Lui est un intellectuel citadin, veuf, bourgeois aisé, ancien professeur de philosophie. Elle est une paysanne dans un village de montagne, habituée aux travaux des champs et du foyer depuis le plus jeune âge, et qui maintient sa ferme et élève ses cinq enfants, seule. Leur point commun est d'avoir un parent prisonnier dans l'Île. Paolo rend visite à son fils, membre des Brigades Rouges, avec des litres de sang sur les mains, répandu froidement, tandis que Luisa va voir son mari violent, criminel de droit commun, assassin de deux hommes sur des coups de sang.



Après la visite au parloir, le vent est tel qu'ils ne peuvent quitter l'Île. On met à leur disposition quelques pièces aménagées dans un bâtiment désaffecté de l'administration, où ils passent la nuit sous la surveillance de Nitti, agent carcéral. Au fil des heures se tisse alors entre eux une certaine complicité, fugace mais intense, de celles qui surgissent lorsque des âmes tourmentées se reconnaissent. Après cette nuit, ils sauront, chacun à sa façon, mettre des mots sur ce qui les oppresse, ce qu'ils ne se sont jamais avoué à eux-mêmes. Culpabilité, soulagement, libération, peur de sa propre part d'ombre violente, cette nuit de tempête a remué les âmes et les emporte vers un nouveau départ comme sur une vague de résilience.



Dans ce roman, dans l'Italie des années 70-80, la violence de la nature indomptable semble répondre à la violence des hommes "maîtrisée" en l'occurrence par une prison de haute sécurité. Dans ce contexte particulier, l'auteure dépeint une période troublée, où les attentats politiques s'ajoutent à la violence ordinaire, où la violence ne s'arrête pas à l'entrée de la prison, où elle atteint même l'intégrité de ceux chargés d'y maintenir l'ordre.



"Plus haut que la mer" est un roman touchant et délicat, qui décrit avec une grande justesse le ressenti des personnages, tout en laissant les non-dits exprimer beaucoup de poésie et de profonde humanité. Malgré un épilogue superflu, ce roman est à la fois doux et amer, déchirant et apaisé.
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Plus haut que la mer



Une île-prison au large d'une autre grande île. Une tempête et un fort coup de mistral. Plus personne n'aborde, plus personne ne repart.



Non, ce n'est pas Shutter Island. Ce n'est pas Suskwann Island non plus.



C'est une île italienne sans nom, transformée, pendant les années de plomb, en quartier de haute sécurité pour y enfermer les multi-récidivsites, les gros maffieux et les terroristes noirs et rouges de ces sombres années-là.



Évitant l'écueil de son premier roman, "Eva dort", qui se transformait en dépliant touristique du Haut-Adige, puis de toute l'Italie vue du train, Francesca Melandri gomme, dans ce deuxième roman bien plus réussi, toute notation géographique trop précise, toute référence historique trop nette. Si on connaît un peu l'Italie, on reconnaît la grande île: la Sardaigne, et on trouve vite la petite, l' île-prison des années 70 : Asinara. Et on y sent la marque douloureuse de la mort d'Aldo Moro. Mais l'histoire ou la géographie ne sont pas le sujet.



Un cadre à la fois flou et resserré. Une période violente et traumatisante. C'est tout.



Le lieu et le moment d'une brève rencontre intense et déterminante entre un homme et une femme. Paolo et Luisa.



Non, non, pas chabada bada..pas chabada bada du tout. L'amour n'est pas non plus le sujet. C'est beaucoup plus fort et beaucoup plus profond que cela. Même si malheureusement la fin du livre, hélas, cède à la facilité habituelle de donner la trajectoire sentimentale de chaque personnage.



Une rencontre et un échange, donc.



Un homme, un veuf, un intellectuel, qui est le père d'un terroriste rouge aux mains pleines de sang, et une femme, une fermière, mère de six enfants, toute simple, femme maltraitée et brutalisée par un mari ultra-violent qui est lui aussi sous les verrous pour longtemps. Lui cherche dans l'éducation qu'il a donnée à son fils ce qui a fait de celui-ci un meurtrier sans conscience. Elle cache son soulagement d'être protégée de ce mari brutal par les barreaux d'une prison.



Tous deux sont en visite. Tous deux sont immobilisés par la tempête, 24 heures, sur l'île. Avec eux, pour les surveiller, Nitti, un jeune maton dont la femme est institutrice des enfants du personnel pénitentiaire et qui ne supporte plus ce que son travail est en train de faire de lui, insidieusement.



Je n'en dis pas plus: de magnifiques paysages marins, des personnages très réussis, peu nombreux, humains et vrais, et un questionnement tellement juste sur la violence- celle des maris brutaux, celle des idéologues enfermés dans leur système de pensée, celle de certaines professions qui à force de côtoyer la violence tous les jours dérivent dangereusement vers elle.



Sur ces maux du siècle, Francesca Melandri tente de mettre des mots, mais elle dit aussi que parfois les mots, sans la réalité qu'ils évoquent, deviennent une espèce de novlangue pire encore.



Un beau récit, philosophique et simplement humain, vibrant d'empathie, qui aurait dû s'arrêter- c'était parfait- quand repart le ferry.



Un prix Strega mérité!



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Tous, sauf moi

Tous, sauf moi est un gros pavé de cinq cent cinquante pages très denses. Son abord ne le rend pas forcément attractif pour celles et ceux qui recherchent des lectures faciles. C'est pourtant un ouvrage tout à fait passionnant et les amateurs de romans historiques l'apprécieront.



En toile de fond, l'Italie des années vingt à nos jours, avec un large focus sur les pérégrinations africaines de la période mussolinienne. En trame narrative, le quotidien actuel d'une famille romaine, amenée par les circonstances à se pencher sur un passé occulté. En premier plan, la longue, très longue vie de son patriarche, un homme nommé Attilio Profeti, sur le point de s'éteindre, en 2010, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans.



Cet homme n'est alors plus en état de se prononcer sur les assertions d'un jeune Noir, un sans-papiers éthiopien qui a franchi la Méditerranée sur un rafiot déglingué surchargé de migrants, et qui prétend être son petit-fils. Sa fille Ilaria, une intellectuelle bobo, perplexe devant l'apparition de ce neveu surprise, décide de mener l'enquête et de se pencher en profondeur sur le passé de son père. Elle ira de découverte en découverte.



Attilio Profeti avait bénéficié d'un physique et d'une prestance qui lui avaient toujours conféré une forme d'aisance et d'autorité naturelle. Tout au long de sa vie, il avait ainsi obtenu spontanément la confiance et la sympathie des personnes qu'il avait croisées. Stratège, opportuniste, manipulateur, occasionnellement truqueur, régulièrement chanceux, il avait su saisir de belles opportunités de carrière, tout en ayant toujours la sagesse de rester discrètement en seconde ligne, ce qui lui avait évité de rendre des comptes peu reluisants lorsque les vents avaient tourné. Grand séducteur, il avait multiplié les conquêtes féminines et avait assumé de mener une double vie… Peut-être même triple !



L'originalité de la grande fresque historico-romanesque écrite par Francesca Melandri est le déroulement de sa narration en sens inverse de la chronologie. Attilio Profeti apparaît d'abord en septuagénaire portant beau, participant en 1985 à une délégation officielle en Ethiopie, un pays qu'il avait quitté précipitamment quarante-cinq ans plus tôt. Que vient-il donc y faire ? On n'en connaîtra l'intégralité des tenants et aboutissants que bien des chapitres plus loin, en l'y retrouvant, dans les années trente, jeune et séduisant officier des troupes coloniales italiennes. Entre-temps, on l'aura vu en go-beetween dans un groupe de promotion immobilière très investi dans la rénovation urbaine à Rome : une reconversion habile et fructueuse dans les affaires, après avoir été l'assistant d'un anthropologue suprémaciste blanc, au sein d'un Ministère des Colonies rebaptisé subtilement, après la guerre, Ministère de la Coopération.



Dans cette chronologie à rebours, le lecteur avance comme dans un puzzle. Il ne peut comprendre l'intégralité de certaines péripéties, puisqu'elles découlent d'événements passés qu'il ne connaît pas encore. Leur révélation viendra plus tard, comme des pièces manquantes venant compléter les espaces vides. Un procédé littéraire qui donne du piment à la lecture.



J'ai été impressionné par la documentation extraordinairement riche et précise, attestée d'ailleurs par les longues lignes de remerciements à la fin de l'ouvrage. Il se peut toutefois que la profusion de détails, certes instructifs, lasse le lecteur privilégiant les aspects romanesques.



Plus haut que la mer, le précédent roman de Francesca Melandri, m'avait profondément ému par son humanité et sa délicatesse. Tous, sauf moi est écrit d'une plume sèche, analytique, comme une série de chroniques documentaires. Pouvait-il en être autrement en exhumant des épisodes peu glorieux de l'Histoire de l'Italie, enfouis au plus profond de la mémoire nationale ? Une mémoire qu'il n'est certainement pas facile d'assumer pour les natifs d'un pays ayant fait une partie de la guerre aux côtés de l'Allemagne nazie et l'ayant terminée dans les bagages de l'armée de libération américaine.



Vers la fin du livre, en découvrant l'enfance d'Attilio accompagnant la montée du Fascisme, j'ai pensé à la chance que j'ai eue, d'avoir été élevé en un lieu et un temps où toutes les idées pouvaient librement s'exprimer. J'ai pu choisir et construire les miennes en conscience. Elles sont ma responsabilité. Qui aurais-je été, si l'on m'avait bourré le crâne ?



Avec Tous, sauf moi, Francesca Melandri délivre un message très sombre. Libérés du fascisme et de ses crimes, les Éthiopiens sont tombés sous le joug féroce d'un régime démocratique populaire à la soviétique, avant d'être confrontés plus tard à la famine, à la guerre et aux luttes religieuses. L'Histoire est tragique et ses acteurs sont des monstres.



Une petite lueur : l'amour pourrait être un refuge acceptable.



Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard.


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Plus haut que la mer

« Plus haut que la mer » est un roman plein d'humanité, de tendresse , d'amour qui m'a complètement séduite. Et pourtant il s'agit d'un roman qui se passe dans les années 70 en Italie, période de très grandes violences. Un roman sur les effets de l'institution pénitentiaire pour ceux qui vivent mais aussi pour ceux qui sont à l'extérieur.

Francesca Melandri nous raconte avec une grande sensibilité, une nuit bouleversante pour Luisa, Paolo et Nitti. Quel lien entre ces trois personnages ? Nitti est le surveillant de la prison haute sécurité située sur une île en face de la Sicile où sont incarcérés le mari de Luisa et le fils de Paolo.

Tous trois vont se retrouver ensemble pour une nuit , bloqués sur cette île en attendant que la tempête cesse et que Luisa et Paolo puissent rentrer chez eux.

Nous sommes embarqués dans ce huis-clos avec beaucoup d'émotions. On apprend que le fils de Paolo faisait partie des Brigades rouges , que le mari de Luisa est incarcéré suite à des violences ayant entraîné la mort. Nitti, quant à lui est « maton » et progressivement, la violence régnant dans les cellules déteint sur lui et devient lui-même acteur de cette violence.

Le temps d'une nuit, ils vont parler et se soulager d'un poids qui les empêche de vivre, ils vont ainsi trouver une issue. Paolo va pouvoir parler de sa souffrance de sa culpabilité qui le ronge, il se sent responsable d'avoir peut-être entraîner son fils vers cette violence. Luisa va réapprendre à vivre autrement que sous les coups, la peur, le travail, la soumission, et Nitti va s'interroger sur ce qu'il est devenu , sur ses dérives.

Ils vont tous les trois se redécouvrir et se reconnecter à la vie.

Francesca Melandri nous fait partager cette nuit troublante, émouvante, touchante avec beaucoup de sensibilité. Son écriture est sensitive et enveloppante.

Merci à toi visages de m'avoir mis ce livre entre les mains, il m'avait échappé !

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Plus haut que la mer

"Si on veut garder quelqu’un vraiment à l’écart du reste du monde, il n’y a pas de mur plus haut que la mer"

Entourée de courants dangereux, une île aménagée en prison de haute sécurité pour les membres des brigades rouges ou les criminels dangereux.

Après un long voyage en train et bateau, les visiteurs arrivent par la navette. Bien qu’il ne comprenne ni n’admette ses agissements, Paolo continue venir voir à son fils, révolutionnaire fanatique impliqué dans des assassinats politiques. Rongé par la culpabilité, il porte sur lui la photo de la fille d’une victime de son fils.

Luisa, femme d’un homme violent qui a tué plusieurs fois sous l’emprise de la colère, voit la mer pour la première fois. Travailleuse et femme de devoir, elle pense qu’elle « a de la chance » parce qu’elle a cinq beaux enfants et que ses séances au parloir ne se passent pas trop mal.

Bloqués sur l’île par une tempête, ils sont surveillés par Pierfrancesco Nitti, un agent carcéral que ses années de service ont peu à peu déshumanisé. Le temps d’une nuit et d’un repas partagé, des liens se tissent entre ces trois personnages.



Francesca Melandri nous livre un roman subtil et délicat avec beaucoup de non-dits, les personnages sont magnifiques, le décor grandiose et angoissant.

Après « Eva dort », je suis totalement conquise par la plume de Francesca Melandri.

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Eva dort



Eva dort…Elle a dormi, mais pas moi - j’ai même beaucoup appris.



D’abord , l’histoire ethno-linguistique du Haut –Adige, depuis la première guerre où il quitta le giron de l’Autriche, son Heimat, en passant par l’italianisation forcée, à grands coups de saton fasciste, sous Mussolini, puis par son intégration insidieuse et aliénante dans la nouvelle république italienne… qui remit le feu aux poudres, jusqu’au « Kompromis » intelligemment mis en place par Silvio Magnago, leader politique du Sud-Tyrol, et Aldo Moro qui surent reconnaître la spécificité linguistique et culturelle du Haut-Adige tout en lui faisant partager l’ italianité qui le liait aux autres régions de la Botte…



J’ai aussi fait une bonne révision géographique car cette fresque historique se déploie dans le temps en même temps que l’héroïne, Eva, se déplace dans l’espace, en train, du Nord au Sud de l’Italie et accomplit tout un périple destiné à retrouver in extremis celui qui fut son père de cœur : les chapitres sont autant d’étapes kilométriques et le paysage italien défile par les fenêtres (sauf quand un tunnel empêche le déploiement du regard et du prospectus touristique)…



J’ai aussi appris une foultitude de mots allemands, un peu de ladino, quelques expressions tirées des dialectes calabrais ou sicilien.



Et je crois que je saurais préparer sans problème, des Wiener schnitzel ou la petite salade au pourpier et au foie de volaille inventée par Gerda…



Mais les personnages, fades et peu consistants, et la trame romanesque trop vaste et sporadique, noyée par l'approche historique, ont souffert de cette volonté didactique et exhaustive - Francesca Melandri est documentaliste.



J’ajoute que « Eva dort » est un premier roman. Il en a les défauts et qualités : rien n’est laissé au hasard, le récit est extrêmement construit, très bien documenté, il est écrit dans une langue fluide, classique, sobre- mais sans grand caractère. Un peu comme les personnages : on ne fait pas deux héroïnes, de la mère et de la fille, en se contentant de les déclarer belles, désirables et libres…C’est un peu court…Les personnages masculins sont encore plus esquissés et réduits à un trait : le cousin Ulli est l’homosexuel malheureux et humilié, Hermann, le grand’ père tyrannique et fasciste, Vito, le carabinier protecteur et altruiste…



J’aurais préféré que Francesca Melandri ne creuse qu’un sillon : la vie de Gerda dans son grand hôtel méritait à elle seule tout un livre, tandis que se développent les premières stations de ski et que s’émancipe, lentement, douloureusement l'autonomie de la femme, entre grossesse non désirée, abandon d’enfant ou opprobre public, travail chichement rémunéré et compétences difficilement reconnues, salaires rognés et congés volés – le syndicalisme est encore un très vilain mot !

Ou alors il fallait raconter le seul parcours tragique et violent de Hermann, l’homme au regard farouche auquel les mots font défaut. Mais Eva qui est le « fil rouge » de cette grande saga est malheureusement la plus inintéressante de tous…



J’ai été plus passionnée par l’Histoire que touchée par l’histoire…et je me suis même un peu ennuyée quand les péripéties romanesques tentaient de reprendre pied sur la toile de fond historique si prégnante- et intéressante !



A mon grand regret, je ne mets donc que trois étoiles à ce livre ambitieux, bien documenté et assez bien écrit, mais qui ne m'a ni attachée, ni bouleversée.



Qui trop embrasse…

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Plus haut que la mer

Coincés pour cause de tempête sur une ile pénitentiaire, Paolo et Luisa mêlent pour quelques heures leur solitude de parents de prisonniers. Elle est venue visiter un mari "droit commun", lui un fils détenu politique des années de plomb italiennes. Ils cohabitent par obligation sur ce bout de nature majestueuse, pris en charge par un gardien de prison, épuisé par l'ingratitude de son métier et sa dépendance à la brutalité.



Francesca Melandri aime les personnages. Elle a le talent d'en créer de magnifiques, attachants, cabossés par la vie, malmenés par des événements qu'ils ne maitrisent pas. Cette prison en ciel ouvert ne parle pas de prisonniers mais du sort des familles, coincées entre leur douleur, leur devoir d'assistance, l'amour qui s'étiole, la peine de la séparation, la honte et la culpabilité. La parole au quotidien leur est peu donnée, comme celle de ceux qui portent le trousseau de clés dans un monde de violence larvée.



Entre la femme paysanne abandonnée et mal aimée par un mari violent et le professeur pétri de solitude, la tristesse et l'abattement vont s'entremêler, trouvant un réconfort et une solidarité dans le miroir de leurs peines. Comme un "lâcher prise" d'espérance.



En marge des personnages, l'ile est omniprésente, la mer Mediterranée, la beauté des paysages, les oiseaux et les poissons, comme en décor de beauté pernicieuse et imposée.

Le livre est très descriptif, construit sur peu de dialogues, accentuant les sentiments d'intimité, d'humanité. Je l'ai dévoré d'une traite, aidée par ses 200 pages et cette atmosphère particulière de tristesse et de beauté mêlées.

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Eva dort

Un joyau dans la cuvée littéraire de l’année 2012 !

Eva dormait lorsqu'un petit paquet est arrivé pour elle et que sa maman l'a renvoyé à l'expéditeur : 1397km aller et pareil au retour, de la Calabre jusqu'au Sud-Tyrol ou Haut-Adige, c'est selon... 30 ans plus tard, Eva entreprend de faire ce voyage, les yeux grand ouverts sur son pays, pour retrouver l'expéditeur ; au fil des kilomètres qui la séparent de la Calabre, on découvre l'histoire du Haut-Adige, une région insolite et meurtrie de la frontière austro-italienne, détachée de l'Autriche pour être attribuée à l'Italie en dépit de ses habitants très majoritairement germanophones, italianisée par la force dans la violence et le déni des cultures, terreau de terrorisme... Histoire identitaire donc, histoire de l'Italie, oui mais c'est aussi un exceptionnel portrait de femme : celui de Gerda, bouleversante beauté nordique, mère célibataire dans une région pauvre et reculée dans l'Italie d'après-guerre, luttant pour conserver son emploi de cuisinière dans un grand hôtel, avec sa fille, Eva. Mais qu’on ne s’y trompe pas, aucune mièvrerie dans cette histoire là, il ne s’agit pas d’un roman à l’eau de rose et loin s’en faut. Avec une construction impeccable, un texte très maîtrisé restituant à merveille les particularismes régionaux, une écriture lumineuse et pleine d’humour, Francesca Melandri réussit là un magnifique premier roman empreint d’une émotion palpable, un roman qui envoûte de la première à la dernière ligne, Sans aucun doute, un des meilleurs romans de l'année, UNE VRAIE RÉUSSITE A NE PAS MANQUER !

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Plus haut que la mer

Ce roman magnifique, superbement écrit, m'a captivé et bouleversé.



Une île italienne, montagneuse, rocheuse, tout près de la Sardaigne. le soleil fait étinceler les roches au dessus d'une mer bleu intense, virant au turquoise à l'approche des plages de sable blanc. La faune est incroyablement riche : des ânes albinos, des chevaux sauvages, des mouflons, des sangliers, toutes sortes d'oiseaux aquatiques... L'accès est très difficile : juste une passe étroite et peu profonde balayée par des rafales de mistral.



A la fin des années soixante-dix, existait sur cette île aujourd'hui classée parc national et réserve protégée, un ancien et vaste complexe pénitentiaire comportant une prison de haute sécurité. Car pour maintenir des détenus très dangereux à l'isolement, il n'est pas de mur plus haut que la mer.



Parfois, le soir, orage et tempête habillent de sombre le ciel et la mer. N'apparaissent plus, par intermittence, que les zébrures lumineuses des éclairs et l'écume des crêtes de vagues en forme de virgules blanches. Impossible alors de quitter l'île.



Un homme et une femme sont ainsi contraints d'y passer une nuit. Une rencontre fortuite qui va leur permettre de rompre des chaînes invisibles. Ils ne viennent pas du même monde, ils n'ont rien en commun, si ce n'est d'être tous deux venus rendre visite à un proche, détenu à l'isolement, en régime spécial.



Lui, Paolo, a enseigné la philosophie dans une grande ville. Son fils unique a été condamné trois ans plus tôt pour assassinat. Des meurtres froidement exécutés, sans remords, au nom de la révolution. Ce sont les « années de plomb » en Italie.



Elle, Luisa, est une paysanne. Depuis que son mari, violent, a tabassé à mort il y a dix ans un camarade de beuverie, puis récidivé sur un gardien de prison, elle élève seule ses cinq enfants en faisant tourner la petite exploitation agricole familiale.



Paolo sait manier les idées et les mots. Il peut donc identifier son enfer personnel. Il exècre de toute son âme ce que son fils est devenu. Dans le même temps, il lui voue une sorte de fidélité paternelle quasi charnelle, mêlée de mauvaise conscience ; une raison unique de vivre depuis que le chagrin a emporté sa femme. Symbole de ce sentiment paradoxal, une coupure de journal qu'il conserve sur lui et qu'il contemple souvent, avec la photo d'une petite fille de trois ans en manteau noir, posant une fleur sur le cercueil de son père « exécuté ».



Luisa n'a pas la même éducation. Sa vie frustre lui a appris à prendre les choses comme elles viennent. Son mari est emprisonné à vie ? Tant pis ! Peut-être même tant mieux, compte tenu de ce qu'elle n'a jamais dit – car il y a des choses qu'on ne dit pas ! Et puis, il faut bien survivre, élever les enfants, et pour cela, travailler dur. Et compter, tout compter, pour ne pas se laisser gruger par des hommes qui pourraient la sous-estimer...



Au cours de cette nuit sur l'île, où rien n'est organisé pour héberger des visiteurs, Paolo et Luisa vont s'observer ; chercher à comprendre et à partager ce qu'il leur manque. Luisa surprendra Paolo à contempler longuement la photo de la petite fille en manteau noir... Il expliquera... Elle se mettra à pleurer en silence sans pouvoir s'arrêter ; toutes les larmes qu'elle n'avait pas pleuré depuis son enfance. Lors du départ, le lendemain, elle emportera la coupure de journal. « C'est moi qui la porte, maintenant » déclare-t-elle. Partage, libération...



Par le choix de ses mots, par la justesse et la percussion de son écriture, Francesca Melandri nous fait vivre sur l'île, entendre le ressac de la mer ou le vacarme de la tempête, respirer l'odeur du sel et des figuiers. Elle nous fait partager des sentiments que ni Paolo ni Luisa ne peuvent exprimer, faute de trouver eux-mêmes les mots qu'il faudrait.



Accessoirement, elle nous fait aussi percevoir les états d'âme silencieux d'un troisième personnage, un jeune agent carcéral, installé dans l'ile avec femme et enfants. Il doit composer entre l'indicible – la violence nécessaire pour maîtriser certains détenus – et l'inavouable – les transgressions que lui dicte son empathie. Son silence effraie sa femme. Mais comment pourrait-il lui en parler ?... Vous avez dit partage ?...



Certains livres comme celui-ci témoignent du pouvoir magique de la littérature.


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Plus haut que la mer

Luisa n’avait jamais vu la mer. Il a fallu que son mari, un meurtrier violent, soit enfermé sur l’île d’Asinara (qui hébergeait une prison de haute sécurité où ont été emprisonnés des terroristes, des mafieux, et criminels de droit commun dangereux) pour qu’elle la découvre. Luisa fait son devoir: elle se présente au parloir, quel que soit l’éloignement de la prison, au gré des transferts, malgré la ferme à tenir et les enfants à élever, et se souvient parfois du sourire de son fiancé tout en respirant un peu mieux depuis qu’il ne partage plus sa vie.

Paolo aussi se sent coupable : il a enseigné à son fils l’amour de la justice et cet enfant tant aimé est entré dans les Brigades Rouges où il a appris à tuer sans état d’âme les ennemis du prolétariat. Il a enseigné à ses élèves la rigueur de la réflexion, qui ont à sa grande honte absout les crimes du fils.

C’est parce qu’il a compris que Luisa n’avait jamais vu la mer que Paolo a commencé à la regarder. C’est parce que la tempête les a obligés à passer la nuit sur l’île qu’ils ont commencé à se parler et que leur forteresse intérieure s’est entrebâillée. Elle ne savait pas qu’on pouvait la considérer avec égard; il ignorait que le langage pût être compris sans rhétorique ni sous-entendu ; ils se sont fait du bien.

Melandri tient un discours simple et généreux : aller vers l’autre, ne le considérer ni comme un ennemi ni comme un étranger, c’est ce qui nous rend humain; et l’humanité est contagieuse. Nitti le gardien se sentira comme Jean Valjean devant Mgr Bienvenu en découvrant que ses hôtes indésirables l’ont protégé de son supérieur.

Une nuit peut suffire à aller plus haut que la mer, à voir sa vie autrement que comme un naufrage. C’ est ce que nous chuchote ce roman délicat et lucide : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »
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Plus haut que la mer

C'est un étrange huis clos qui réunit une nuit, sur une île prison, à la faveur d’un accident de voiture, Paolo, Luisa et Pierfrancesco.



On est en 1979, en Italie ce sont les années de plomb. Paolo est le père d'un membre des Brigades rouges détenu sur cette île de l'administration pénitentiaire. Il est impliqué dans plusieurs assassinats politiques dont une affaire qui ressemble beaucoup à celle de l'enlèvement suivi du meurtre d'Aldo Moro. Luisa vient rendre visite son mari, un homme violent qui a assassiné un compagnon de beuverie, puis un gardien dans une autre prison, et Pierfrancesco est gardien et réside sur l'île.

Francesca Melandri évoque un univers carcéral dans lequel il n’y a pas que les condamnés qui sont enfermés. Les gardiens le sont tout autant et ne quitteront l’île qu’à leur retraite. La violence de leur métier les changent et les isolent de ceux qui les aiment. Les familles des prisonniers, vivent quant à elles une forme d’enfermement dans la douleur.

L’île n’est pas qu’un lieu géographique c’est aussi une métaphore, dehors gronde la tempête, c’est presque shakespearien comme ambiance.

Le temps de cette nuit, avec la nécessité de partager un toit et des repas, va se jouer quelque chose de fondamental dans ces trois destins, de la complicité dans les relations, des larmes libératrices, des petits gestes tendres et la douleur enfin mise en mots.

Comment comprendre ce fils tueur froid et impitoyable ? Comment vivre au village lorsqu’on est la femme de l’assassin ? Comment dire à son épouse que la colère a transformé celui qui doit faire appliquer la loi en tortionnaire ?



Un roman réellement émouvant, qui évoque à mots couverts ces années terribles de l’histoire de l’Italie, comme pour ne pas réveiller des blessures encore douloureuses.

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De se taire pour écouter le bruit du vent
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