« Alors j’ouvrais les yeux dans le noir et sortais m’immerger dans cette parcelle moite d’univers que le destin nous avait attribuée : le périmètre de l’ambassade, enveloppé de ténèbres. »
A lire la 4ème de couverture je m’attendais à un récit choc…C’est le contraire, j’ai lu un texte d’une exquise courtoisie. Mais, ne vous y méprenez pas, François Bizot dit ce qu’il a à dire, sans complaisance ; il a le style plus lyrique, qu’il met au service d’une parfaite connaissance de la région, et de ses us et coutumes.
Ce texte découpé en chapitres de longueur traditionnelle, se compose en réalité de deux parties égales non matérialisées qui représentent les deux " périodes" auxquelles il fait référence.
La première, est relative à sa détention au cours de l’année 1971 dans un camp Khmer. Il y fera la connaissance de celui qui sera jugé quarante années plus tard pour crimes contre l’humanité, Douch. Quelle que soit l’époque, quel que soit les lieux, nous retrouvons la dure réalité des camps, avec ses variantes locales…ici le paludisme, et la cruauté toute particulière des Khmers rouges ; bien curieuse manière d’honorer un idéal démocratique, et d’égalité….
Curieusement, c’est Douch qui se révèle le plus humain. Bizot sera relativement épargné, sans aucun doute parce que français, et parce connaissant parfaitement la culture khmère dont il parle d’ailleurs la langue. C’est dans cette partie du récit, que Bizot, met en évidence la mise en place de l’idéologie révolutionnaire et de ce qui en suivra. C’est avec beaucoup d’intelligence, en mettant à disposition toute ses connaissances de sa culture, qu’il réussit à faire parler Douch, pour ainsi mieux le sonder.
« Ah !, coupa t-il (c’est Douch qui s’exprime), leur duplicité m’insupporte au plus haut point ! La seule façon est de les terroriser, de les isoler, de les affamer. »
Et voilà ce qu’en dit Bizot, qui avait bien cerné la complexité du personnage :
« Or, n’était-ce pas seulement l’homme en lui qui était un danger ? Car je n’avais pas devant moi un monstre abyssal, mais un être humain que la nature avait conditionné pour tuer affilant son intelligence telles les dents du requin ou du loup…quoiqu’en prenant grand soin ne pas lui ôter sa psychologie humaine. »
La seconde partie fait référence à une période plus tardive, 1975, marquant si je peux dire le début de la fin. Les Khmères rouges ont investi la capitale, les réfugiés arrivent en masse vers l’ambassade où Bizot est interprète. Il lutte jusqu’aux dernières limites pour faire évacuer un maximum. Tout se joue au niveau du portail au-delà duquel l’extraterritorialité est de plus en plus bafouée. Le portail c’est la frontière. C’est une vie de reclus, dans une ville en état de siège, où bientôt commencera un génocide, dont hélas personne ne pale plus guère de nos jours…
Avec habileté, Bizot travaille au service des français, qui pour beaucoup d’entre eux ont aussi des attaches très fortes au Cambodge. Il fera aussi son possible pour extraire les cambodgiens qui se retrouvent seuls. Tout son amour pour ce pays, et sa culture séculaire émane de ce livre. C’est un déchirement pour lui de partir, de ne pouvoir sauver ses travaux effectuer à l’Ecole d’extrême –orient, et d’assister impuissant à cette descente aux enfers dont le pays mettra des décennies à se relever.
« Telle une âme libérée – pour la seconde fois – par le juge des morts, je sortis de l’enfer cambodgien, en passant le pont des transmigrations. »
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