Juifs et chrétiens devant la
douleurPour ce vendredi saint
Bernard PIVOT a convié
Gérard BESSIERE, Lucile LICHERY,
Claudine VEGH,
Elie WIESEL et
Didier DECOIN pour débattre de la
douleur de deux
traditions religieuses mais aussi de deux histoires.
Gérard BESSIERE,
prêtre du diocèse de Cahors, auteur du "Journal étonné" parle de son"
journal" fait de ces instants qui sont pour lui de grâce. du fait même d'exister, il tire un...
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Je sais aussi que le serrement de cœur d'un instant peut laisser une ride intérieure définitive.
L'aurore court à travers la nuit.
La chapelle reste obscure. Nous voyons souvent dans la pénombre ou la ténèbre. Le drame et la mort sont à l'avant-scène du théâtre de ce monde.
Les premiers frères avaient promis d'obéir au Pape, mais il n'est pas possible d'avoir recours à lui fréquemment. Le Cardinal Jean de Saint-Paul, qui avait été le premier lien de la Fraternité avec le pape, est mort. Honorius III donne son accord pour que le Cardinal Hugolin, évêque d'Ostie, soit l'accompagnateur et le protecteur de l'Ordre.
Le temps s'est arrêté. Tout à l'heure il faudra bien ramener sur le corps les pans du linceul et quand disparaîtra le visage ce sera comme s'il mourait une seconde fois. Terrible instant où les yeux ne servent plus qu'à pleurer.
Les deux hommes n'avaient interrompu leur conversation qu'un instant, en montant.
"Pourquoi a-t-il dit que les dogmes à propos de la Sainte Vierge étaient des dogmes 'de luxe'?
- Parce que ce sont des dogmes qui ne sont pas 'fonctionnels'. L'Immaculée Conception, l'Assomption, ça n'introduit aucun changement dans l'existence chrétienne. Si par hypothèse, on ne les connaissait pas, ça ne changerait rien.
- Ah ! oui, je vois...
- Et comme ce sont les seuls pour lesquels a fonctionné l'infaillibilité pontificale, ça pose un problème...
- L'exposé de l'historien, ce matin, était impressionnant : c'est au moment où les sociétés européennes marquées par la Révolution française s'organisaient autour de l'idée de la souveraineté du peuple que l’Église sacralise en réaction une autre type de souveraineté en proclamant l'infaillibilité pontificale en 70.
- Et où ça mène alors?
- Eh bien ! il l'a dit. On en arrive à penser qu'il n'y a de véritable infaillibilité, dans le contexte actuel, que si elle se condamne au silence. D'ailleurs, on l'avait assorti, dès son principe, de tellement de conditions que c'était sacraliser l'autorité sans recourir, en fait, à l'exercice de cette fameuse infaillibilité.
- L'historien n'a pas parlé des contradictions entre documents pontificaux?
- Non, mais le théologien a dit qu'il faudrait reconnaître qu'on s'est trompé, qu'on a tenu des positions contraires parfois, malgré la référence 'aux prédécesseurs d'immortelle mémoire', mais que c'était intenable...
- Si le Pape a filé, t'as pas l'impression que c'est aussi parce qu'il avait senti ça?
J'ai aussi attendu de longs moments pour voir les rais du soleil glisser sur les pavés sombres, gravir la petite marche, parvenir sur l'autel après avoir lorgné du côté des médaillons d'or, caresser le visage de Jésus, puis arriver à Joseph, Jean, la femme anonyme, les sculpter de lumière et d'ombre, et enfin venir iriser d'une délicatesse extrême la frange du voile de Marie, laissant son front tout à son mystère.
Par les portails toujours ouverts au Levant et au Couchant, beaucoup traversent le transept de la cathédrale, comme s'il offrait un raccourci sacré au sommet de la cité. Un instant de fraîcheur ou de tiédeur selon la saison, un instant vers Dieu, et l'on retrouve le frais soleil ou le vent glacé.
On s'arrête, on fait silence avant d'accomplir les derniers gestes de l'ensevelissement. Mais ici tous sont restés immobiles depuis bientôt cinq siècles. Comme s'ils attendaient quelqu'un... avant de plier le linceul.
Ils nous attendent.
De plus en plus j'ai vu, j'ai compris que les personnages derrière le Christ ne font pas cercle : ils invitent tout homme, ils m'invitent à prendre place avec eux et à participer au dernier acte d'un drame qui est celui de toute humanité.