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Critiques de Gouzel Iakhina (196)
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Zouleikha ouvre les yeux

Nous sommes au Tatarstan, en 1930, dans un bled, où une jeune femme mariée,est domestique et bête de somme au service d'un mari beaucoup plus âgé......et de la belle-mère. Dés les premières pages on tombe sous le charme de Zoulheikha, Yeux verts, ce petit bout de femme soumise sans aucun autre choix, peu éduquée mais si sensible, si délicate, qui mise à part sa religion musulmane est profondément attachée aux croyances païennes héritées de sa mère.("Ce n’est pas facile de contenter un esprit.....L’esprit de l’étable aime le pain et les biscuits, l’esprit du portail, la coquille d’œuf écrasée. L’esprit de la lisière, lui, aime les douceurs. Zouleikha tient cela de sa mère."). De minutieuses descriptions de la préparation de la bania ( le bain dont la salle est en dehors de l'isba ), de la belle-mère qu'on prépare au bain et du rituel de bain achèvent le charme de cette introduction à un livre qui nous promet une aventure longue et douloureuse, suite à un rêve prémonitoire, dans une Russie en pleine ébullition, où sévit la dékoulakisation ( terrible !) menée par Staline.

Qui est qui ? Aujourd'hui bourreau, demain victime (président de soviet finit sa vie en exilé / il peignait des affiches révolutionnaires, et il se retrouve en Sibérie...), ou le contraire (!), un système sans lois, sans repères, à la merci d'un seul homme qui s'appuie sur des dogmes incohérents, une idéologie factice. Passage d'un état d'injustice à un autre encore pire....qui va entraîner la misère et la mort de milliers de personnes.



Un texte trés fort, superbement écrit et traduit, et comme le dit l'écrivaine Lioudmila Oulitskaïa, " qui nous va droit au cœur". Elle nous fait sentir la nature, le froid, le silence, la désolation, la honte, la misère, le désire, l'amour ( qu'elle dénomme "le miel", magnifique !)........au tréfonds de notre être. La richesse des images ( l'écrivaine a fait une école de cinéma ), des descriptions et la poésie et la beauté qui s'en dégagent renforcent la puissance du texte tout en adoucissant le côté dramatique des événements.

Encore une fois vous serez révolté par la misère, l'injustice, la violence et la tyrannie qu'exercent les hommes sur leurs semblables dés que l'occasion s'y présente, utilisant n'importe quelle faux alibis; et aussi émerveillé par tout ce que l'homme est capable de faire dans les pires situations de dénuement et de désespoir. Mais ce livre est avant tout une magnifique histoire, celle d'un personnage unique, inspiré de la grand-mère de l'écrivaine, "une poule mouillée" qui deviendra une femme forte au contrôle de son destin, destin d'une miraculée dans les tréfonds de la taïga.

J'ai adoré Zouleikha, et son histoire de femme, "élément antisoviétique", au sein de la terrible Histoire de la Russie de Staline ( " le sage homme moustachue" de la photo ) m'a bouleversée.

Définitivement un coup de cœur !





".........Zouleikha ouvre les yeux. Dans la brume rosée de l’aube.....une grande mouette à la poitrine blanche, posée sur le bastingage, la regarde fixement de ses yeux brillants aux reflets d’ambre."



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Les enfants de la Volga

Suite à son superbe premier roman inspiré de la vie de sa grand-mère, qui décrivait les dures conditions de vie des paysans tatares déportés massivement au début des années 30, l’écrivaine russe Gouzel Iakhina aborde ici une autre minorité opprimée , les Allemands de la Volga. Une communauté venue peupler la Russie au XVIIIe siècle à l’instigation de l’impératrice Catherine II, et qui subira aussi réquisition, famine et déportation.

Notre protagoniste cette fois-ci est Jacob Bach, un drôle de bonhomme, qui semble s’être échappé d’un conte des frères Grimm. Instituteur dans les années 20, dans le petit village de Gnadenthal, au bord de la Volga, féru de poésie, ne s’exprimant qu’à travers Goethe, Schiller, Heine, et portant une passion sans bornes pour les tempêtes. Une drôle d’invitation va l’immiscer dans une tempête plus foudroyante et imprévue , faisant perdre même aux plus puissants orages sur la Volga tout pouvoir sur lui. Elle s’appelle Klara.....et est la fille d’ Udo Grimm 😊, nom prémonitoire au monde des contes dans lequel va bientôt basculer le récit, bien que dans le fond basé sur des faits historiques véridiques ( détaillés dans les « Commentaires » de la fin ). Un monde de contes et légendes où vont se blottir les protagonistes pour fuir les réalités difficiles et douloureuses de l’existence. Mais même isolés ils seront vite rattrapés par la folie du “vaste monde”, où échapper à la dichotomie du Bien et du Mal sera presque impossible.....Une dichotomie où le Mal est aussi directement lié aux faits historiques, dont l’avènement du communisme qu’Iakhina critique virulemment ,”....le monde, dévasté par les éléments en furie, n’en gardait pas moins ses composantes principales – le ciel, le soleil, la terre ferme. Or, à présent, à Gnadenthal, il n’y avait plus ni le premier, ni le deuxième, ni le troisième : le nouveau pouvoir installé à Pétersbourg avait supprimé le ciel, déclaré que le soleil n’existait pas, et remplacé la terre ferme par de l’air...La foi, l’école et la communauté – les trois piliers immuables de la vie de la colonie – avaient été confisquées aux habitants de Gnadenthal.......”



Iakhina est une magicienne des mots, une conteuse sublime qui arrive même à maquiller le pire, l’horreur, muant sa plume en caméra ( l’écrivaine a fait une école de cinéma ), avec de très belles images et descriptions qui redonnent espoir et énergie au lecteur pour la suite. Sublime la scène de billard de Staline, lorsque la nuit tombe et son adversaire allume une lampe électrique...Un monde de réalisme magique où dans la misère totale on arrive à échanger proverbes et dictons contre des verres de lait pour un bébé, à traverser à pied un fleuve gelé alors que la glace craque, à écrire des contes prémonitoires qui redonnent vie et prospérité à un village.....le pouvoir de l’écrit ! Un monde où elle transite non seulement à travers des personnages fictifs mais aussi des vrais personnages historiques, dont Staline ici l’un des personnages du roman, qui permet de ne jamais perdre pied avec la réalité. L’univers ensorcelante d’Iakhina, d’une richesse insondable où on voudrait déchiffrer chaque détail m’interpelle infiniment , un livre que j’ai dévoré le temps d’un rêve éveillé, allongée sur les rives de la Volga 😊!



« ....contes merveilleux....ils sont les clés de ces cœurs enfantins. Enfantins parce qu’ils ne peuvent pas cesser de croire aux contes de fée....Les contes et les légendes-c’est la base ! La base de l’âme , ses fondements qui sont posés dans l’enfance, sue lequel repose toute l’essence humaine. »





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Les enfants de la Volga

A l'intérieur de chaque livre vit une chose principale qui en constitue son essence. Si on enlevait cette chose, le livre ne serait plus le même, un livre vide, comme une prune indigo sans son noyau. C'est ainsi que certains livres se démarquent par leur essence romanesque, d'autres par leur poésie, ou par leur engagement, ou encore par leur intrigue, tandis que certains brillent par leur côté visionnaire…Ce livre « Les enfants de la Volga » de l'auteure russe Gouzel Iakhina est soutenu par plusieurs piliers, combo étonnant, récit gigogne entremêlant le conte, le fantastique, la poésie, le romanesque, et l'histoire politique et économique de la Russie du début du 20ème siècle. C'est également un roman d'apprentissage. Gouzel Iakhina fait cohabiter les faits historiques avérés, parfois glaçants, voire absurdes, avec des scènes fantastiques incroyables au point de ne pas savoir parfois s'il s'agit d'un rêve ou de la réalité. Telles des matriochkas, ces fameuses poupées russes qui s'emboitent les unes à l'intérieur des autres, les styles s'imbriquent avec magie dans ce livre fleuve. Ces entrelacs m'ont fait penser au style onirique de certains auteurs slaves, notamment Laszlo Krasznahorkai, qui peut dénoncer un système politique tout en teintant son discours de rêves et de fantastique (sa fameuse baleine par exemple dans La mélancolie de la résistance). Un Laszlo Krasznahorkai en plus poétique, bucolique et sensuelle.



Le récit nous transporte sur les bords de la Volga, à Gnadenthal, au début des années 1920, près de la ville de Saratov, dans une colonie d'Allemands installés en Russie depuis le XVIIIe siècle, sur invitation de Catherine II. Ces colons ont gardé la langue et les coutumes de leur pays d'origine. Nous allons assister à vingt ans d'histoire de ce territoire marquée alors par la collectivisation des terres et l'abolition de la république autonome allemande de Staline. La traductrice Maud Mabillard a pris soin de relater l'histoire (assez méconnue) de ces colonies allemandes au tout début du livre.



Bach est le maitre d'école de cette petite bourgade, et il se retrouve mystérieusement invité sur l'autre rive, la rive où personne jamais n'ose s'aventurer, pour donner des cours particuliers à une étrange jeune fille, Klara, cachée derrière un paravent, qu'il ne doit pas voir, ordre du père, de peur que la jeune fille ne soit corrompue et perde son innocence. de cette situation inédite, source de questions, d'interrogations, où les sons et les odeurs, les soupirs, les intonations de la voix, prennent une dimension sacrée, nait un amour entre l'élève et son professeur. La lecture des contes et d'un livre de Goethe est leur unique moyen de communication, les cours se faisant en présence d'une vieille femme, une fileuse, qui les surveille. La naissance de cet amour est exquis, délicieux, Bach guettant sous le paravent les doigts de la jeune fille quand il lui passe un livre. Et « d'autres fois, par ciel clair, le soleil couchant pénétrait dans la chambre, et on voyait apparaitre, sur la toile du paravent, comme sur un écran, une tache grise indistincte : l'ombre de Klara ».



L'histoire politique et économique de ce territoire, relatée par moment avec moult détails précis et passionnants, s'imbrique intelligemment avec cette histoire d'amour. Histoire d'amour entre Bach et Klara, simple, poétique, tragique aussi, puis celle, poignante, entre Bach et la petite Anntche, qui se passe de mots, histoire avant tout sensorielle et viscérale. Par le biais de ces deux amours, d'époux puis de père, nous assistons à la transformation de Bach, ces amours lui donnant peu à peu « la capacité à être touché par la beauté du monde et à distinguer la vie même dans ses manifestations les plus intimes ». de ruisseau il devient rivière.

L'éducation instinctive qu'il développe pour la petite Anntche m'a fait parfois penser à certains passage de Jean-Jacques Rousseau « Emile ou de l'éducation », éducation basée sur le développement des sens et sur des déductions liées à l'environnement et les expériences dans la nature, coupée de toute civilisation. Ce livre évoque aussi la question de la transmission, de la paternité, et ce de façon touchante.



Ce livre se démarque également par sa facette fantastique, voire magique, facette sertie d'une écriture sublime, donnant à cette histoire une touche étonnante, tel un piment venant rehausser un plat, le fantastique colore le récit :

« Il tourna la tête de tous les côtés, n'en croyant pas ses yeux : autour de lui, le monde fondait comme du lard gras sur une poêle. Les objets perdaient leurs contours et se dissolvaient, glissant sur les bords du ravin : les gros tronçons de bois, les rochers, les billots moussus, les faisceaux de racine, les feuilles pourrissantes. Les couleurs se mêlaient, fusionnaient les unes avec les autres : la noirceur de la terre et la rougeur des feuilles, le gris du bois et le vert de la mousse : tout coulait lentement vers le bas. Bach se débattit désespérément, chercha à trouver quelque chose de solide dans ces tas mouvants. Il s'enfonçait dans ces abattis, s'enfonçait horriblement, inexorablement, comme une mouche se noie dans le miel, un papillon de nuit dans la cire fondue d'une bougie ».



Élément tout aussi important, la trame narrative basée sur les contes. L'histoire même semble souvent être un conte : « Bach se retourna, et se heurta au regard fixe de la vieille, dont les yeux déteints par l'âge, à demi dissimulés sous des ciels gris, ressemblaient à des petits Knödel flottant dans une soupe au lait, et le dévisageaient avec indifférence, tandis que ses doigts continuaient à filer sans bruit – non plus le fil, mais le vide ».

Ce sont les contes qui vont être à l'origine de l'amour entre Bach et Klara puis ils deviendront même des médiums décidant de la destinée du village. Nous mesurons alors combien les contes sont porteurs certes de lumières mais surtout de forces mauvaises, faiblesses humaines épinglées ; ces forces sombres peuvent même être leur moteur principal. Cette symbolique du conte, très présente, donne irrésistiblement envie de déchiffrer tous les détails, ceux-ci ayant sans doute une signification, pas toujours évidente de prime abord à trouver. Sans doute suis-je passée à côté d'un certain nombre d'entre eux.



L'écriture de l'auteure honore à merveille la nature et la femme. La flore, la neige et surtout la Volga, colonne vertébrale du récit qui divise le monde en deux, sont magnifiées. Gouzel Iakhina utilise les jeux de lumières, les couleurs, les odeurs et les sons, ainsi que de nombreuses personnifications pour sertir son roman de descriptions inoubliables faisant souvent penser à des tableaux.



« Il se mit dos à la lumière et regarda la femme. Elle était nue. Bach la voyait ainsi pour la première fois : faite de lait et de miel, de lumière douce et d'ombre veloutée. Ses mains fines étaient posées sur son ventre rond, le cachant et le protégeant ».



Ce mélange des styles donne une ambiance ouatée, feutrée, silencieuse, presque ralentie dans laquelle on se sent bien même si cet entrelacement, notamment celui des faits historiques et du fantastique, peut également dérouter. Mais dans tous les cas, oui, Gouzel Iakhina, « tu l'as ce fichu don d'écrire. Tu assembles tes mots comme on fait de la dentelle. Tu es un poète ». Et c'est peu de le dire. Un grand merci à Babelio, notamment à Déborah Zitt, et aux éditions Noir sur Blanc dans le cadre d'une masse critique pour cette découverte d'une vraie pépite de la littérature russe contemporaine.



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Les enfants de la Volga

C’est le genre de livre un peu magique qui vous emporte quasi immédiatement, proposant un récit miraculeusement lumineux alors que tout ce qui est raconté tend vers la tragédie.



Les jalons historiques sont très précis, liés à l’histoire de la Russie puis URSS, et des Allemands de la Volga venus s’y installer à l’invitation de Catherine II dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Gouzel Iakhina choisit comme décor la colonie allemande de Gnadenthal ( près de l’actuelle Saratov ), secouée par le cours de l’Histoire : guerre civile, collectivisation forcée, famines, grandes purges staliniennes, déportation au Goulag, de 1917 à 1942. Mais elle n’attaque pas ce contexte historique de front, préférant se concentrer sur le parcours intime de son personnage principal, Jakob Bach. De sa ferme en marge de la colonie, paradis utopique alternatif au kolkhoze, il se fait le témoin de la violence des hommes, simple individu balloté par une Histoire en marche dont il ne peut saisir la mécanique destructrice avant que de la vivre pour protéger sa femme et sa fille comme il le peut.



La beauté du roman naît justement de ce décalage entre une réalité historique d’une rare violence et une narration qui revêt les atours d’un conte presque naïf teinté de réalisme magique et de folklore germano-russe. La naissance de l’idylle entre Bach et Klara est d’une grâce folle, elle cachée derrière son paravent, les échanges se faisant, à défaut de regard, à travers la poésie allemande, les cœurs chavirant au rythme des scansions goethiennes. En fait, le conte est partout. Bach en écrit cent pour un journal communiste, exutoire à sa douleur, moyen de redonner un sens à sa vie … mais il écrit des contes qui étrangement se réalisent, dans le bonheur ou le malheur, préfigurant les récoltes fructueuses, annonçant l’épuisement des hommes dans le système totalitaire stalinien ou encore l’embrigadement des enfants dans les Komsomols.



Il y a bien quelques longueurs dans ces entrelacs de récits, je me suis parfois un peu lassée des mêmes procédés, mais le talent d’écriture de Gouzel Iakhina m’a à chaque fois raccrochée, stimulant l’imagination, imprimant des images fortes, comme ici lorsqu’elle raconte comment Bach est attiré par les orages :



« Le ciel ventru, si gonflé de nuages qu’il en touchait presque terre, bruissait, crépitait, bourdonnait. Soudain, il s’illuminait d’un éclair blanc, poussait un sanglot passionné et bas, et s’abattait sur la steppe en grosses trombes d’eau froide. Bach déchirait les pans de sa blouse, découvrant sa poitrine malingre, levait son visage vers le ciel et ouvrait la bouche. La pluie se déversait sur son corps, passait à travers lui, ses pieds sentaient la terre trembler à chaque nouveau coup de tonnerre. Des éclairs jaunes, bleus, d’un noir violacé, flamboyaient de plus en plus souvent – au-dessus de lui ou dans sa tête ? L’effervescence de ses muscles culminait – le ciel tonnait encore une fois – et le corps de Bach éclatait en milliers de particules qui s’éparpillaient sur la steppe. Beaucoup plus tard, il recouvrait ses esprits, couché dans la boue, le visage couvert de griffures et des chardons plein les cheveux. »



Cette écriture très cinématographique et poétique fait vivre les scènes, ses descriptions témoignant d’une belle sensibilité et sensorialité pour dire la nature, omniprésente, immuable pour accompagner les drames humains, à l’image de la somptueuse Volga, charriant les cadavres des victimes du régime communiste mais permettant également de garder la mémoire des morts.





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Convoi pour Samarcande

Les visages inhumains de la grande famine russe…



La contemporaine Gouzel Iakhina a indéniablement hérité de l’art romanesque des grands auteurs russes. Comme eux, ses histoires incroyablement romanesques sont serties de précisions historiques mettant intelligemment le doigt sur les traumatismes de son peuple ; comme eux, elle sait offrir moult portraits de personnages ambigus décrits à la fois avec grandiloquence et finesse, des hommes et des femmes ni bon ni mauvais qu’elle traite avec réalisme, sans le moindre manichéisme ; comme eux elle se fait peintre via les nombreux clair-obscur savamment distillés qui donnent réellement l’impression d’avoir sous les yeux non pas des mots et des phrases mais une vaste galerie dotée d’une magnifique succession de tableaux aux scènes tour à tour tragiques et saisissantes ; comme eux, elle nous marque via moult images horrifiques et visuelles, ces images qui sont de celles marquant le lecteur au fer rouge à jamais.



Comme pour son livre précédent, Les enfants de la Volga, l’histoire est soutenue par plusieurs piliers, combo étonnant, récit gigogne entremêlant le conte, le fantastique, la poésie, le romanesque, et l'histoire politique et économique de la Russie du début du 20ème siècle. Alors que son précédent livre relatait la vie dans les colonies d’Allemands installés en Russie depuis le XVIII siècle et racontait l’histoire politique et économique de ce territoire sur les bords de la Volga au début des années 1920, près de la ville de Saratov, l’auteure s’empare ici d’une réalité historique tragique : la famine des années 1920 qu’a subie cette région. Le nouvel état soviétique, après la Première Guerre mondiale et après la Révolution de 1917 n’arrive pas à nourrir la population. La collectivisation forcée des terres à coup d’impôts insoutenables pour les récalcitrants a en effet engendré une famine terrifiante en Ukraine, en Crimée, en Russie.



Le mot famine n’est pour nous qu’un concept, une idée. L’auteure nous plonge dedans, nous met la tête bien dedans, reliant à ce concept mille et une images. Une famine qui pousse à l’anthropophagie, à calmer sa faim en mangeant des soupes de sables, à sucer des cailloux, à se nourrir de poux, de semelles de cuir, de racines. Une famine qui pousse les mères à donner leurs enfants pour qu’ils aient un avenir meilleur, voire à les laisser en guise de nourriture, notamment aux loups affamés eux aussi, pour pouvoir sauver sa vie et celles d’enfants plus grands et plus robustes. La famine qui enlève toute humanité. Les très nombreux passages sur ce fléau, ses conséquences sur les organismes enfantins, les maladies dont elle est à l’origine (choléra, typhus, gonflements…), les millions de morts qu’elle engendre, n’interdit pas Gouzel Iakhina de distiller de la poésie, et même un certain humour, et c’est bien cette osmose-là qui est incroyable et qui donne du charme au livre malgré l’horreur racontée.



Pour tenter de sauver quelques centaines d’enfants de la famine, le gouvernement soviétique met sur pied des convois d’évacuation pour eux. C’est l’un de ces trains que l’officier de l’Armée rouge Deïev prend en charge, avec à son bord cinq cents enfants, qu’il doit acheminer de Kazan, la capitale du Tatarstan, jusqu’à Samarcande (une carte en tout début du livre nous permet de suivre leur périple à travers la Russie). Pour atteindre le Turkestan, terre d’abondance épargnée par la famine, il faut faire un long voyage de milliers de kilomètres à travers les forêts de la Volga, les steppes de l’Oural, puis les déserts d’Asie centrale. Chaque arrêt est l’occasion de s’imprégner des paysages très divers. Vu l’âge des enfants, de 2 à 12 ans, enfants affamés, orphelins ou vagabonds, il est facile d’imaginer que ce road-movie ne sera pas une sinécure, ce d’autant plus que les adultes ne sont pas nombreux pour cette armée d’enfants : il y a Deïev, la commissaire Blanche, femme forte et charismatique, douze nurses, un jeune cuisinier et un vieil infirmier dénommé Boug.

Chaque arrêt va être l’occasion pour eux de trouver à nouveau de la nourriture, de l’eau, du charbon, du savon, de la viande…entre la bonté miraculeuse de quelques personnages rencontrés, la chance de Deïv, les maladies contractées, la mort qui va frapper malgré toute la volonté désespérée des adultes, les essais infatigables des enfants des rues pour rejoindre ce convoi de l’espoir, le train va avancer cahin caha avec son lot d’horreurs, d’espoirs et quelques moments d’une beauté fulgurante.



Au-delà de la famine dont les ravages sont stupéfiants, je suis durablement marquée par quelques scènes qu’il me semble avoir vécues, vues, ressenties. Ce village sous la neige aux isbas vides et glacées, tous les habitants réunis dans une seule isba pour se tenir chaud, sans n’avoir rien à manger, il me semble l’avoir traversé moi aussi, avoir senti les odeurs fétides flottant dans cette isba remplie de corps monstrueusement maigres ou monstrueusement gonflés, entassés…ou encore la découverte des enfants grabataires au dernier stade de la faim dont la description est d’un réalisme glaçant, il me semble les avoir portés. Je pense aussi aux instants d’amour entre Deïev et Blanche, dans ce wagon au décor rococo, j’en ai été témoin discrète. L’histoire de ce petit garçon aussi qui en est venu à se mettre sur les rails, attendant l’arrivée du train pour en finir, le même qui a vu sa sœur dévorée par les loups et qui a retrouvé sa mère morte, j’ai lu dans ses pensées et ai été très émue. Et je pourrais en citer tant d’autres…L’auteure raconte tellement bien que nous voyons les scènes, nous sommes dans le train, à tanguer avec ces cinq cent enfants, nous sentons les odeurs, percevons la psychologie très subtile de chaque personnage qui deviennent d’autant plus attachants, sommes enveloppés par l’ambiance si singulière que distille l’auteure…



« Parfois, des juments s’ébrouaient. Les corbeaux croassaient souvent, ils étaient des nuées. Maigres, les plumes hérissées, ils sautillaient sur les toits, atterrissaient sur les sièges des chariots et les harnais des chevaux, fourrant partout leurs becs éhontés dans l’espoir de rafler quelque chose. Un épouvantail était dressé sur le faite de quelques grandes, mais les oiseaux ne craignaient rien : ils se posaient sur les mannequins, sur leurs bras écartés, et tapaient méchamment du bec sur leurs têtes, des pots fendus (Deïev remarqua que l’un des épouvantails était vêtu d’une soutane, un autre, d’un frac tout déchiré). Plus ils avançaient, plus les corbeaux étaient nombreux, et leurs cris bruyants. Et l’air était de plus en plus épais : les objets apparaissaient à travers une brume blanchâtre, les contours perdaient leur netteté ».



Chose à souligner aussi, comme pour son livre précédent, ce livre se démarque également par sa facette fantastique, voire magique, facette moins présente que dans Les enfants de la Volga mais cependant bien là, donnant à cette histoire une touche étonnante, tel un piment venant rehausser un plat, le fantastique colore par moment le récit. Citons par exemple les visions hallucinantes d’un enfant à l’article de la mort attaqué par un Pou qui m’a fait penser immédiatement à Kafka…



« Le Pou tressaillit devant l’odeur de sang frais. Il hésita encore un instant, bougeant le museau, puis arracha ses griffes-serpes de la couchette et, crissant sur le sol, se précipita vers Senia. Sa panse grasse traina sur les planches et manqua d’arracher sur son passage les châlits solidement arrimés (…) Derrière lui, il entendait déjà grincer les serpes du Pou. Celui-ci avait de la peine à avancer sur la surface lisse : il était contraint d’enfoncer l’un après l’autre ses crochets dans le fer, gauche-droite, gauche-droite, et de progresser ainsi, par à-coups, comme s’il ramait sur le toit. Sa panse à la peau épaisse heurtait les tuyaux, et on distinguait de grosses lentes qui roulaient à l’intérieur de l’animal »…



La poésie est bien présente et émane des enfants eux-mêmes. N’ayant aucune possession, même pas des habits ou des chaussures, privés de parents et de maison, et souvent même de souvenirs d’enfance, les enfants ne sont maitres que d’une chose : la langue. C’est leur richesse, leur patrie dont ils inventent de nouveau territoires. Un trésor qu’ils ne peuvent pas perdre pendant leurs errances, pendant les rixes, un trésor inusable et qui, au contraire, s’enrichit avec le temps. Un trésor qui ne trahit pas et reste toujours avec eux.



« Les enfants aimaient les rimes – non, pas celles des poètes, mais celles qu’ils inventaient eux-mêmes. Les plus entreprenants composaient des strophes. Les plus timides répétaient ce qu’inventaient les autres. Chaque situation, l’événement le plus élémentaire, comme une bousculade dans la queue de distribution du repas ou le compte des poux sur sa chaise, pouvaient être immédiatement transformés en consonances sonores. C’était une chose de menacer de taper le nez. Une tout autre, de proférer cette menace en vers : « J’vais t’écraser le groin / T’en as bien besoin ». C’était une chose de ne pas croire quelqu’un et de le lui dire. Une tout autre, de prononcer avec mépris, plissant les yeux : « Ton clapet pue les cabinets ».



La poésie est également très présente dans les moments d’humanité qui ponctuent le récit comme le « mariage » des enfants, l’amour naissant entre Deïev et Blanche, les gestes de tendresse de Fatima, les gestes de bonté surgissant au milieu de la barbarie, la solidarité des enfants entre eux…





L'écriture de l'auteure honore à merveille la nature et la femme. Comme dans son précédent livre, les femmes ici sont des êtres forts, stables et visionnaires. La flore, la neige la Volga, la steppe sont magnifiés. Gouzel Iakhina utilise les jeux de lumières, les couleurs, les odeurs et les sons, ainsi que de nombreuses personnifications pour sertir son roman de descriptions inoubliables faisant souvent penser à des tableaux comme expliqué au début de mon billet.





Au final, ce roman est un roman extraordinaire, un livre intelligent et sensible, touchant et instructif, fort et bien écrit. C’est un grand roman dans la lignée des grands romans russes qui laisse au lecteur un savoir approfondi sur l’histoire russe servi par des images inoubliables, immersives et visuelles. L’auteure nous raconte l’horreur de la famine russe des années 1920 tout en développant avec virtuosité la psychologie de ses personnages, en magnifiant la nature traversée, avec poésie et magie. Du grand art !





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Zouleikha ouvre les yeux

Tu ouvres ce livre et tu ne peux plus décoller tes yeux de ses pages :

Parce que « Zouleikha... » est un superbe roman traversé par le souffle épique des grands écrivains russes ; une fresque historique trompeusement cinématographique, se refusant tout penchant psychologisant ; il est aussi un magnifique essai sur le regard.

Et tu t'étonnes de ressentir comment ce beau livre, salutaire, peut résonner dans ton désert intérieur, en créant des petites vagues là où tout s'était figé.



Si tu le fais tien, tu verras que la question du regard est centrale et permanente : il y a l'oeil d'un dieu quelconque, inventé pour surveiller et punir, et il y a l'oeil intérieur.

Il y a le Surmoi qui tue, castre et maltraite (le parti, « le père des peuples » et leurs nombreux serviteurs zélés) et il y a toute une forêt de petits Moi, du plus humble et peureux, celui qui met du temps à s'avouer ses propres sentiments, jusqu'au communiste qui s'oublie pour faire survivre « ses » koulaks « déplacés ».



A travers les yeux de Zouleikha, tu saisiras, au-delà des arbres, l'esprit des steppes et les bulbes des églises russes, pulsant comme des fleurs dorées, et même la prison comme un grand organisme concentré sur l'effort de rester en vie. Ainsi que des jolies représentations animistes et panthéistes qui seront toutes pulvérisées face à l'amour pour son enfant et à l'énergie mobilisée pour le faire grandir.



Tu imagineras les peintures d'Ikonnikov, miettes de culture dans la nature la plus hostile, comme des fenêtres et des leçons d'histoire, telles que le jeune Youssouf les voit et que la vie met sur son chemin.



Et ton regard accompagnera, soucieux, le brillant docteur Leibe qui, pendant un bon moment, semble préférer le délire psychotique : tiède, aveuglant et protecteur face à tout ce qui fait mal à voir.



Tu vas souffrir, tu vas t'étonner, et tu prendras un énorme plaisir à te laisser entraîner dans l'illusion que Gouzel Iakhina ne fait que promener un miroir le long d'un chemin afin de générer tout ce monde – tellement riche et contradictoire, enregistrant des subtiles métamorphoses et dévoilant des ressources insoupçonnables.



Bien sûr, tu n'échapperas pas à quelques questions : qu'est-ce qui rend possible ce regard tendre sur un pan d'histoire des plus cruels ? Où puisent leur force ce manuel de survie et cette balade follement belle dans la Russie et la Sibérie blessées ? Aurait-on pu écrire de la sorte si l'on n'était pas une petite-fille des tatars « déplacés », à quelques décennies de distance de ces épisodes traumatiques ?



Livre des larmes que le temps a séchées.

Voilà un livre capable, ne serait-ce que pendant quelques heures, de te tirer d'une dépression.

Ne te retourne pas, comme la femme de Loth, sinon tes larmes te figeront sur place.

Lève-toi, prends ton lit et marche, comme Zouleikha.

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Zouleikha ouvre les yeux

Une très belle découverte que cette Zouleikha ouvre les yeux !



Zouleikha est une jeune paysanne vivant dans un village perdu de la province du Tatarstan. Elle est simple, humble, naïve, insignifiante, illettrée, maladroite, peureuse, croit aux esprits. Elle est maltraitée par son mari et sa belle-mère et ne s'en révolte pas, cela lui paraît normal. Elle ne doute pas de sa faiblesse, elle n'a même pas été capable d'avoir des enfants qui aient survécu.



Le roman se déroule dans les années trente, durant lesquelles Staline a décidé de soumettre les koulaks, ennemis de la classe ouvrière.

Les paysans craignent le pouvoir qui les rançonne et les dépouille sans cesse davantage.



Lors d'une expédition de l'armée rouge, son mari est tué par leur commandant, Ignakov. Zouleikha et les koulaks vont être déportés en Sibérie.

Le trajet est long et verra le nombre de koulaks fortement diminué par les épreuves, la maladie, les évasions et surtout la faim. Ils aboutiront enfin à destination, aux rivages du fleuve Angara et y seront abandonnés avec le commandant. C'est alors qu'une lutte pour la survie s'organise. Elle y connaîtra des intellectuels appartenant à l'intelligentsia, les moins adaptés à survivre mais qui pourtant s'adaptent ! C'est l'hiver et l'hiver sibérien est plus long et plus dur que les autres.



Cette déportation et ces épreuves vont profondément métamorphoser notre protagoniste. Elle découvre la maternité et l'amour, amour hors mariage, amour illégal mais existe-t-il encore des lois sur cette terre oubliée d'Allah et des hommes ?

Zouleikha ouvre les yeux sur une vie nouvelle, sur la misère et la grandeur de ses semblables. Elle cesse d'être victime et est respectée par tous, et tous s'efforcent de l'aider et d'aider son fils. Elle sait toujours trouver un motif pour aller de l'avant.



Tout est décrit en nuance, il n'y a pas de bons ou de mauvais, pas de compassion devant la misère, pas d'exotisme suranné, pas de moralisme, l'amour n'est pas exalté, il est tel qu'il est.



C'est une histoire qui s'insère dans un fragment de l'histoire soviétique, une histoire qui montre à quel point les difficultés peuvent changer les hommes. Dans les conditions les plus inhumaines peut se trouver une humanité

Les caractères des divers personnages sont détaillés avec justesse.



Le style est simple, poétique souvent ; beaucoup de détails trouveront leur signification plus tard. On remarquera la présence de nombreux mots tatars (il y a un lexique !).

Il y a beaucoup de rythme.



C'est un roman qui m'a touché, Zouleikha est un personnage féminin que je ne peux oublier

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Zouleikha ouvre les yeux

Une merveille. Un bijou. Une rareté.



Voici un livre vraiment unique- non, en fait, ils sont deux, et de la même auteure (et ce mot au féminin prend toute son ampleur !).



Je viens d'entrer il y a quelques semaines dans le cercle très privilégié-et j'espère pas fermé du tout- des admirateurs béats de Gouzel Iakhina !



Zouleikha m'a vraiment ouvert les yeux !



L'occurrence discrète et toujours justifiée du titre dessine en effet le parcours d'un éveil.



Les deux grands yeux verts de Zouleikha s'ouvrent à la connaissance du vaste monde... Une aventure qui, dans l'URSS de 1930, en pleine dékoulakisation, n'a rien d'un parcours de santé. Et ils s'ouvrent aussi, pour la toute jeune et naïve Zouleikha, à la connaissance de soi dans les pires conditions qui soient.



En quelques jours, en effet, Zouleikha (dont les seules manifestations d'indépendance étaient d'aller voler du sucre chez sa terrible belle-mère pour l'offrir aux divinités des bois qui veillent sur ses quatre petites filles mortes) , découvre brutalement qu'il va falloir survivre seule -ou presque : elle attend un cinquième enfant- quand la Horde rouge, commandée par Ignatov l'incorruptible, tue son (tyran de) mari et l'emmène avec d'autres paysans rétifs à la collectivisation, sur les routes et les eaux qui les déporteront en Sibérie, au milieu de nulle part.



L'histoire terrible de l'union soviétique saignée à blanc par le petit père des peuples est donc la toile de fond de cet éveil d'une conscience à la réalité du monde et à elle même.



Tout est là : les exactions, les persécutions, les déportations, le goulag, la propagande, le triomphe des bureaucrates et des lèche-bottes, la suspicion, la délation, les massacres de masse...



Et pourtant rien n'est moins atroce et violent que ce récit subtil, tendre pour ses personnages : il n'est que de voir le portrait d'Ignatov, guerrier et communiste intransigeant, qui se mue en sauveur de "ses" déportés et en divinité tutélaire du camp qu'il a construit avec eux sur les bords de la sauvage Angara.



La Russie est un pays dévasté par la révolution et la guerre civile, divisé par mille langues et traditions religieuses différentes (Zouleikha est une tartare musulmane mais plus encore imprégnée des rites et légendes animistes et païens qui restent vivaces dans sa région) : cette complexité, sous la plume ailée de Gouzel Iakhina, ouvre les vannes d'une poésie quasi magique.

La belle-mère assassinée devient un fantôme de mauvais augure, les neiges, la glace, les loups et les ours servent les voies capricieuses du destin et donnent à l'épopée des pauvres koulaks un air de conte initiatique et cruel.

Les personnages les plus odieux deviennent des caricatures dont on se moque à bas bruit.

Le désir féminin est un torrent de miel qui s'empare de Zouleikha comme si un sort lui avait été jeté.



À l'inverse, l'histoire du roi des oiseaux que Zouleikha raconte à son fils Youssouf résonne comme une parabole ou une fable politique.



Et la lecture devient, littéralement, un enchantement grâce, aussi, à une traduction époustouflante de finesse et qui a su préserver l'"exotisme" de ces steppes lointaines : un lexique final donne les clés des mots tatares qui émaillent le récit. Mais on s'y est tellement immergé et on s'est tant imprégné de cette saga qu'on les a fait nôtres depuis longtemps...



Il y a bien longtemps, aussi , que je n'avais goûté pareil plaisir de lecture...



Merci à tous les poissons pilotes de babelio à qui je dois cette précieuse découverte, Idil en tête...

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Les enfants de la Volga

Épuisés par la guerre de Sept Ans, par la famine et la ruine qui dévastent l'Europe, les colons allemands sont ravis d'être invités par Catherine II à s'installer sur les rives de la Volga, où ils conservent leur culture, leurs traditions, leur langue et leurs religions. Mais après la révolution russe, le territoire autonome allemand crée par Lénine est transformé en république socialiste soviétique soumise à la collectivisation, ce qui conduit au milieu du XXe siècle beaucoup de ces colons à émigrer vers l'Amérique du Nord et l'Argentine. Ceux qui restent seront déportés pendant la Seconde Guerre mondiale à la suite de l'invasion allemande de l'URSS.



Une histoire que je découvre avec ce formidable roman de Gouzel Iakhina qui entre descriptions féeriques de la nature et réalité atroce de ces Allemands de la Volga nous plonge dans la vie de Bach, maître d'école dans le petit village perdu de Gnadenthal. Un homme, sauvé du chagrin et du désespoir à la mort de sa femme aimée grâce à sa passion des mots, qui nous entraîne dans le monde fascinant de ses contes, souvent prophétiques des malheurs à venir de la communauté.
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Zouleikha ouvre les yeux

Quand la horde rouge, chargée de la dékoulakisition, débarque une fois de plus dans ce coin de la province de Kazan, tue son époux et emmène Zouleikha avec les paysans accusés d'être de mauvais communistes pour un trajet de plusieurs mois vers la Sibérie, ce n'est pas si grave. Même si les conditions sont redoutables au point que beaucoup perdent la vie, la jeune femme, qui vit un enfer avec un mari plus âgé et une belle-mère épouvantable, va découvrir une forme de liberté dans un système destiné à broyer les hommes...



Gouzel Iakhina revient avec finesse et poésie, eh oui, sur la dékoulakisation qui accompagna la collectivisation forcée des terres, avec des emprisonnements, des confiscations, des exécutions et des déportations de masse de paysans (environ 30 000 ont été fusillés, 2,1 millions ont été déportés, et la faim, les maladies et les exécutions auraient coûté la vie de 530 000 à 600 000 autres). Une dékoulakisation ouverte par Lénine et reprise par Staline dans les années 30, avant la généralisation du système du goulag, qui a fait l'objet d'une résistance considérable de la part des paysans. Dans le cas de Zouleikha, une héroïne oh combien attachante, cette résistance est plus une adaptation à un système inique, qui, par un fatalisme primordial propre aux Russes, trouve une forme de résilience aux pires souffrances, et une capacité à encore s'émerveiller.



« … Zouleikha ouvre les yeux. Dans la brume rosée de l'aube, tous les objets semblent devenus légers et vacillants. Une grande mouette à la poitrine blanche, posée sur le bastingage, la regarde fixement de ses yeux brillants aux reflets d'ambre. Derrière elle, dans la blancheur ouatinée, frémissante, du brouillard matinal, on devine à peine les contours des rives lointaines. le moteur est éteint, la péniche suit silencieusement le courant. de petites vagues clapotent tendrement contre la coque. »

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Les enfants de la Volga

Merci à l’opération Masse critique privilégiée et aux éditions Noir sur Blanc pour l’envoi de ce livre. Cet éditeur m’a déjà fait découvrir de nombreux joyaux de littérature slave et ce livre en est un nouveau !



J. ’avais déjà été conquis par le précédent livre de Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, et ai donc été ravi de recevoir ce nouveau roman.



Roman aux multiples facettes, inscrit dans un contexte historique que je connaissais peu, celui des colons allemands venus en Russie à l’invitation de Catherine II, ceux-ci recevant après la révolution une reconnaissance officielle de part de Lénine : la création par Lénine de la République soviétique des Allemands de la Volga, avant de connaître la déportation sous Staline à la montée du Nazisme en Allemagne. Cet aspect historique, de 1918 à 1938, est sous-jacent.



Le récit principal s’attache à Jakob Bach, Schulmeister (instituteur) dans le village de Gnadenthal au bord de la Volga. Les habitants y parlent allemand et sont peu informés de ce qui se passe dans l’immense Russie hors de leur environnement immédiat.

De la trame, je me contenterai de vous inciter à lire la quatrième de couverture, je ne souhaite pas en dévoiler davantage !



Le personnage de Jakob est complexe, et bien développé par l’auteure, ses réactions devant les événements paraissent parfois étonnantes, mais il est absolument fascinant.

Son amour pour Klara et Anntche est beau et touchant, sa recherche d’isolement du monde extérieur est particulière.

J’ai particulièrement aimé sa relation à l’écriture, il y a de très belles pages à ce propos. Jakob s’y révèle véritablement.

Ses récits sont surtout des contes qui se révèlent prophétiques mais il couche également sur papier des réflexions sur le monde et les événements - guerre civile, famine, oppression, kolkhozes.



J’ai aimé les autres personnages de ce roman, Klara notamment, ses premières rencontres avec Jakob sont surprenantes, mais aussi Hoffmann, commissaire envoyé par le Parti à Gnadenthal, Anntche, petite fille très éveillée, curieuse et téméraire et enfin Vasska, le petit Kirghize. Je vous laisse les découvrir.



Le Petit père des peuples - Staline n’est pas nommément cité - intervient dans quelques chapitres, sans qu’il n’y aie aucune rencontre avec Jakob. Staline y est présenté de manière surprenante, dans des situations inhabituelles mais où l’on perçoit toujours la crainte qu’il suscite.



Jakob crée son propre calendrier des événements, il ne donne pas de dates à ceux-ci mais les évoque en leur donnant un nouveau nom : l’année des Maisons ruinées, l’année de la Faim, l’année de la Grande lutte, etc



Roman aux multiples facettes, je le répète ! Il ne se laisse pas enfermer dans une catégorie précise, on y trouve des bribes de roman historique, de roman d’amour, de roman psychologique, de roman fantastique. Cet aspect fantastique apparaît dans des récits oniriques parfois effrayants…



Deux cartes permettent de situer les lieux et la traductrice dans une note initiale retrace brièvement l’histoire des Allemands de la Volga



Un roman que j’ai aimé, très différent de Zouleikha ouvre les yeux cependant, il confirme la talent d’écrivain de Gouzel Iakhina !

















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Zouleikha ouvre les yeux

En 1930, quelque part dans le Tatarstan, Zouleikha, épouse soumise , vit une existence de labeur , sous le joug de son mari et de sa belle mère . Insultée, abusée, harassée de travail inhumain , elle s'attache à sa condition d'épouse et la perte de ses quatre petites filles l'a encore plus placée sous l'aile de Dieu.



Pour autant, l'arrivée de la Horde Rouge , ces soviétiques qui ont épuré les campagnes et déporté des millions de paysans va bouleverser sa vie.



Roman très ambitieux , aux multiples facettes qui n'aura de négatif à mes yeux que le défaut de passages trop longs.

Car pour le reste , l'auteure nous a transporté dans le quotidien de Zouleikha et de tous ces déportés avec brio.



Mais , malgré la rudesse du texte et l’âpreté inhumaine de la vie réservée à "ces déplacés", ce roman m'a semblé mettre en exergue l'immense faculté d’adaptation de l'être humain. Tout perdre , vivre dans des conditions abominables et pourtant, avec le temps , se reconstruire, s'adapter à son milieu et reprendre espoir .



Zouleikha la soumise va osciller entre ses envies et son attachement à son Dieu et aux valeurs qu'on lui a martelées. Elle va vivre la tête baissée mais le cœur rivé à celui de son fils .



Le chef du village , Ignatov, les intellectuels de Leningrad , le fourbe Gorelov , le bon soldat Kouznets, tous ces personnages dressent une vision non exhaustive certes de l'URSS mais appuient sur l'absurdité d'un système verticalisé à l'extrême..



Un beau roman, un hommage à ces forçats de l'inutile , à ces peuples sacrifiés, à travers un très beau portrait de femme.
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Les enfants de la Volga

J'ai découvert en lisant ce roman les Allemands de la Volga et le sort qui leur a été réservé dès 1920. On y suit les péripéties de Jakob Bach un maître d’école dans le village de Gnadenthal, une colonie située sur les rives du fleuve. Il fait partie des descendants des Allemands venus s’installer en Russie au XVIIIe siècle.

L’écriture qui accompagne cette histoire est très belle, poétique et soignée. Le cadre historique et bien documenté, les sujets très intéressants. Ce roman historique avec son atmosphère qui se situe entre rêve et cauchemar a beaucoup de qualités. Mais il contient beaucoup trop de longueurs avec des passages sans réel intérêt qui ont gêné ma lecture.

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Les enfants de la Volga

Il faut un peu de persévérance pour repérer la chute d’Icare pourtant annoncée par le titre du tableau de Brueghel. Ce que voit le spectateur, en revanche, c’est une scène bucolique et familière, un homme qui pousse sa charrue. Dans son sublime roman, Gouzel Iakhina adopte une perspective identique: oui, bien sûr, la grande histoire et le mythe, mais d’abord des gens qui vivent, qui aiment, et je crois n’avoir jamais lu plus beau récit de l’amour d’un parent pour son enfant.

Sauf qu’Icare ne se contente pas de choir loin du laboureur: son échec raconte la folie des hommes qui croient s’affranchir des lois humaines; Icare victime de son orgueil mais plus encore de la cruauté du tyran qui lui refusa injustement la liberté. Et le laboureur qui croit pouvoir ignorer les exactions de son roi paiera sans doute un jour fort cher son indifférence.

L’histoire, donc, qui s’invite sur les rives de la Volga, c’est celle d’Allemands encouragés par Catherine la Grande à cultiver des terres fertiles qu’ils transformèrent en paradis autarcique et qui devinrent l’enjeu du poker menteur engagé entre Staline et Hitler. Ils furent tirés de leur superbe isolement et moururent en déportation.

Mais le personnage principal du livre est un maître d’école devenu veuf qui tente d’être un bon époux puis un bon père en vivant la simple et dure existence d’un paysan attaché à sa ferme.

Mais, bien sûr, la grande histoire n’est pas seulement une toile de fond; elle se fond au mythe pour devenir un conte, sans bonne fée ni prince charmant, mais capable de nous donner ce que délivre la littérature quand elle est grande: une leçon de vie, une raison de vivre.

Grimm, le père de la princesse prisonnière, Bach, son amoureux, et même Staline ont en commun la peur, celle qu’ils inspirent et qu’ils ressentent. Le tyran politique se rengorge d’être craint et, croit-il, tout puissant. Mais l’univers où il règne est détestable, même pour lui. La carpe féroce sera la première à être dévorée, le chef de meute sera tué d’une balle bien ajustée et Staline fera le vide autour de lui, craignant ceux-là mêmes qui veillent sur lui. Mais le despote n’est pas seul en cause: ceux qu’il asservit attendent justement d’un chef qu’il soit brutal et arrogant, à l’exemple du professeur de billard de Staline, heureux des horions portés par son élève, preuves de son talent. Quant au tyran domestique, il asservit ses filles, par amour, bien sûr. Staline n’était-il pas le petit père des peuples?

Car ce n’est pas seulement une leçon politique que nous donne Iakhina: elle nous rappelle qu’être parent consiste, pour ne pas devenir soi-même un tyran, à s’effacer, à renoncer. Renoncer à être tout pour son enfant. Renoncer à une protection qui deviendra fatalement mortifère. Refuser la toute-puissance. Le laisser être heureux sans soi.

Qu’ils sont rares les livres capables de tenir tous les fils de la vie: le fil de l’expérience quotidienne qui nous parle à voix basse, le fil de la grande histoire qui nous emporte, le fil du conte qui nous enseigne. « Les Enfants de la Volga » est de ceux-là.
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Zouleikha ouvre les yeux

Un roman Russe qui raconte les années 1930, pas une romance, mais un combat pour la survie.



Zouleiikha est une Tatare, elle habite une ferme avec son mari de quarante ans.Ils ne sont pas riches, doivent travailler dur. Sa belle-mère, qui habite dans une pièce attenante et traite durement sa belle-fille, a aussi d’étranges prémonitions. Les croyances sont importantes pour Zouleikha qui fait des offrandes et craint les monstres de « l’ourmane », la forêt profonde.



C’est une époque difficile. Leurs provisions sont pillées par les « hordes rouges ». Les petits fermiers seront considérés comme des koulaks, des ennemis du régime qu’on doit exproprier et exiler en Sibérie. Commence alors un long voyage en train, vers d’autres rencontres et d’autres paysages…



La couverture montre une image romantique d’une femme dans un champ de chaume, mais c’est trompeur, si une femme a bien un bébé dans le livre, ce sera près d’un feu de camp au milieu de la taïga qu’elle accouchera. Des conditions plus que précaires!



Un coup de cœur pour ce roman, une écriture qui transporte ailleurs, qui peut montrer à la fois les horreurs que des hommes infligent à leurs semblables et la formidable résilience des survivants.

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Les enfants de la Volga

Il était une fois, vers 1920, un instituteur qui s'escrimait, en vain, à initier ses petits élèves à la poésie allemande, dans le petit village de Gnadenthal, sur les bords de la Volga.



A cette époque, Gnadenthal et ses alentours sont peuplés par une communauté d'Allemands, qui se perpétue sur les rives du fleuve depuis environ 1750, lorsque la tsarine Catherine II de Russie les a invités à s'y installer pour en cultiver la terre. La communauté, repliée sur elle-même, a conservé au fil des siècles sa langue, sa religion, ses coutumes. Et comme la plupart des minorités, elle finira par être persécutée, en l'occurrence par le pouvoir bolchevique et en particulier par Staline au début de la Seconde Guerre Mondiale, qui craignait que les Allemands de la Volga ne s'érigent en un ennemi intérieur, alliés de l'Allemagne nazie qui venait d'envahir l'URSS. Mais nous n'en sommes pas là, reprenons depuis le début.



Vers 1920, donc, la vie tranquille de Jakob Bach, le jeune instituteur un peu étrange de Gnadenthal, va être bousculée de fond en comble. Un beau jour, il reçoit une mystérieuse offre d'emploi d'un certain Udo Grimm, riche fermier vivant sur l'autre rive de la Volga. Celui-ci invite Bach à donner des cours à sa fille Klara... derrière un paravent, sans jamais se voir. Evidemment cela n'empêche pas les deux jeunes gens de tomber amoureux, mais le reste de l'histoire est loin de n'être qu'un conte de fées. D'abord séparés par le père de Klara, ils se retrouvent après quelques péripéties et s'installent tous deux dans la ferme isolée, en se gardant de tout contact avec "le vaste monde". Qui se rappelle bientôt à eux sous la forme de trois intrus malintentionnés, qui violent Klara. Celle-ci meurt neuf mois plus tard en donnant naissance à une petite fille, Anntche. Bach, déjà traumatisé par le viol de sa bien-aimée, se replie encore plus sur lui-même, jusqu'à en perdre l'usage de la parole. Malgré son abattement, il veut préserver par-dessus tout Anntche, son innocence, sa pureté, et la garder près de lui comme un trésor, quitte à en faire une sauvageonne, pour empêcher la cruauté du monde de l'atteindre. Bien entendu, le "vaste monde" ne l'entend pas ainsi et rattrape tous ceux qui s'opposent ou essaient d'échapper à sa marche infernale et impitoyable.



Curieux mélange de genres que ces "Enfants de la Volga". Il y a principalement un conte, avec des personnages qui vivent dans une sorte de monde enchanté édénique, avec quelques incursions dans la réalité étriquée de la communauté de Gnadenthal, elle-même assez peu informée et concernée par L Histoire en marche. Et puis, imbriqués dans cette linéarité, il y a les épisodes historiques qui secouent la Russie à la même époque, autant de jalons concrets (quoique souvent imprégnés d'onirisme) pour nous faire revenir à la "vraie vie". On comprend alors qu'au fur et à mesure de la pression, de l'oppression subies par les Allemands de la Volga de la part du pouvoir bolchevique, c'est le petit monde merveilleux de Bach qui se délite.



"Les enfants de la Volga" montrent la pureté et l'innocence fracassées par la barbarie de la guerre, l'impossibilité de vivre à la marge d'une société totalitaire qui vous uniformise ou vous tue, la dévoration d'une communauté paisible et minoritaire par l'Ogre du stalinisme.



Violente critique du communisme, ce roman entre deux rives brouillées, celles du conte et de la réalité, me laisse perplexe : des personnages complexes au point que je ne suis pas arrivée à m'y attacher, ni à leurs histoires ; un style qui ne m'a pas convaincue non plus, poétique certes, mais qui m'a semblé indigeste à force de longueurs et d'énumérations sans fin. Reste le contexte historico-politique, qui m'a fait découvrir l'histoire (dont j'ignorais tout) de ces Allemands de la Volga.



En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc.



#LesenfantsdelaVolga #NetGalleyFrance
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Zouleikha ouvre les yeux

Formidable roman, remarquable à tous points de vue. "Zouleikha ouvre les yeux" s'inscrit déjà dans la grande tradition du roman russe entre drame, déchirement, barbarie sociale, ethnographie et passion.



J'ai été attirée par ce roman parce qu'à ma connaissance, c'est une des rares œuvres traduites en français se déroulant à Kazan, la capitale musulmane de l'immense Russie. Une ville posée au bord du majestueux fleuve Volga et que j'ai eu l'occasion de découvrir il y a quelques années, en m'y rendant en train de nuit depuis Moscou, située à 800 km plus à l'ouest. Capitale marchande et universitaire emblématique du Tatarstan, Kazan est aujourd'hui une métropole d'un million d'habitants (une ville moyenne pour la Russie) qui brille par son histoire et sa culture tatare steppique ; avant-poste de l'Oural et de l'infinie taïga sibérienne qui lui succède.



Zouleikha (à prononcer "Zouléira") est une jeune tatare mariée à quinze ans à un paysan propriétaire, un "koulak". Nous sommes en 1930. Sur le domaine agricole et forestier de son mari, rien moins qu'une ferme, le labeur est rude et peut sembler à des yeux occidentaux du pur esclavage. Mais comme il semblera doux et naturel, familier et réconfortant, à la jeune femme déjà bien éprouvée dans ses maternités qui sera propulsée brutalement dans le chaos soviétique.



Enlevée à l'instar de millions de "koulaks" par les autorités, Zouleikha est déportée en Sibérie dans une colonie nouvelle à fonder avec l'aide d'une poignée d'autres exilés dénutris et traités plus mal que des bêtes à l'abattoir.



La plume de Gouzel Iakhina est fascinante, son récit est à la fois d'une terrifiante réalité et d'une improbable poésie. Les descriptions de la nature aussi hostile que nourricière sont formidables et lyriques. Le rythme du roman donne au temps toute sa densité, ses longueurs telles que ressenties par les prisonniers de Sibérie - dans une bien moindre mesure. La figure de l'officier Ignatov offre quant à elle un contrepoids parfait pour appréhender les changements de mentalité d'un point de vue politique, économique et sociétal.



Le récit est d'une grande violence, tant physique que psychologique. On ressort de cette lecture informé et effrayé, on se frotte les yeux d'incrédulité tout en sachant que l'histoire de Zouleikha est le reflet de toute une génération de Russes, victime du stalinisme.



"Zouleikha ouvre les yeux" me (pour)suivra longtemps dans mon imaginaire. Roman historique, roman social, roman d'amour, roman de résistance, récit documentaire autant qu'œuvre profondément romanesque, les images et les destins que son autrice a dessinés pour les lecteurs sont d'une rare qualité, de celle qui marque ou traumatise les spectateurs.





Challenge ABC 2023 / 2024

Challenge MULTI-DEFIS 2024

Challenge PLUMES FEMININES 2024

Challenge PAVES 2024
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Zouleikha ouvre les yeux

Brillantissisme, c'est le mot qui convient pour parler de ce roman.

Comme le dit Ludmila Oulitskaïa dans la préface :

"Le roman Zouleikha ouvre les yeux est un magnifique début. Il a une qualité essentielle à la vraie littérature : il nous va droit au cœur.



Je partage pleinement ce commentaire, de plus l'écriture de Gouzel Iakhina nous emporte , nous transporte, nous berce, nous réconcilie avec le mal généré par les hommes eux-mêmes.



Le premier chapitre qui nous présente la vie de cette jeune paysanne tatare: Zouleikha est terrifiant par la maltraitance que subi cette femme par son mari et sa belle-mère.

Mais, il est aussi magique par l'évocation de cette nature austère, glaciale et pourtant qui fait vivre les hommes.

Quelle émotion nous aspire quand après une dure journée de labeur, la quête de Zouleikha se réalise, pouvoir rendre hommage aux esprits pour qu'ils protègent ses quatres filles disparues prématurément.

Dès lors, la lecture du roman nous happe, nous aspire sans trêve jusqu'à la dernière page.

Nous suivons l'arrachement de Zouleikha à sa terre, à ses croyances, à sa culture.

Pour se fondre dans l'immense masse des ces "dékoulakisés", qu'on traîne dans un train dans un voyage éprouvant pour aller vivre dans une colonie de travail en Sibérie.

Gouzel Iakhina est une grande dame de la littérature, incontestablement et tout comme Ludmila Oulitskaïa je la félicite pour son magnifique premier livre.



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Zouleikha ouvre les yeux

Ce roman est celui d'une double transformation. Celle de Zouleikha et Ignatov, et celle de la Russie qui sous le joug stalinien va subir le démantèlement de son monde paysan dont l'équilibre tenait par sa solidarité pour aboutir à la dictature. Une politique aussi destructive qu'absurde dans laquelle la notion de collectif,loin de favoriser l'horizontalité et l'égalité ancre une hiérarchie axée sur la peur,la délation et l'abus de pouvoir.

Zouleikha est une toute jeune fille tatare mais déjà mariée et dans le deuil de quatre filles. Le début du roman nous décrit une existence de soumission proche de l'esclavage entre son mari et sa belle mère. Condition de vie dont elle ne mesure même pas la violence estimant même avoir la chance d'être mariée à un homme qui ne la bat pas. Cette première partie m'a définitivement attachée à cette jeune femme qui n'est désignée par sa belle mère que comme une poule mouillée alors que j'étais admirative de son courage!. Elle doit ouvrir les yeux. Tout d'abord c'est l'injonction quotidienne de sa belle mère qui la tire du sommeil dès l'aube pour qu'elle vienne vider son pot de chambre. Mais ce sera aussi plus symboliquement pour s'adapter au nouveau monde dans lequel elle sera projetée,et aussi pour prendre conscience de son vécu,des superstitions et croyances qui l'enferment et la culpabilisent en l'empêchant de s'affirmer.

L'histoire commence en 1930, son mari refuse d'intégrer un kolkhoze et ils se font surprendre alors qu'ils viennent de cacher leur blé pour échapper à la réquisition. Son mari est tué sous ses yeux par Ignatov,soldat engagé sans le moindre doute ni scrupule dans la dekoulakisation . Commence alors le long périple de la déportation pour Zouleikha. D'abord dans des wagons à bestiaux, survivant à la faim,au froid,la peur. Voyage durant lequel elle découvre qu'elle est enceinte. Puis la péniche avec les survivants de ce convoi et enfin l'arrivée en Sibérie dans une nature hostile. Pendant un an,sous le commandement intransigeant d'Ignatov,ils vont survivre. Puis de nouveaux réfugiés vont venir et tout un village va se construire d'années en années. J'ai assisté au cheminement de cette jeune fille avec intérêt et émotion , notamment dans l'amour qu'elle porte à son fils . Les émotions troublantes qu'elle ressent de plus en plus pour leur commandant Ignatov m'ont tout d'abord fait penser au syndrome de Stockholm. Mais la transformation de cet homme qui veut assumer ses responsabilités politiques mais avant tout humaines, a modifié mon regard. Ce qui se passe est bien plus sensible et émouvant.

C'est un roman très riche qui nécessite une lecture exigeante car Gouzel Latkhina ne se contente pas de nous raconter une jolie romance. Elle nous fait vivre un pan de l'histoire russe avec ses faits politiques mais aussi en nous plongeant dans les traditions et la culture tatares. Ce qui demande donc un écrit documenté,précis et passionné.
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Les enfants de la Volga

Traduit du russe par Maud Mabillard



Une histoire terrible, racontée de façon poétique, traversée par la Volga, superbe en toutes saisons, parfumée par l'arôme des pommes.

Bach et Klara tombent un jour amoureux. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si, un jour, trois inconnus ne faisaient irruption dans leur ferme et ne violent Klara. De ce viol naîtra Anne, surnommée d'abord Anntche puis Anka. Cette tragédie aura une répercussion inouïe sur la vie de ces trois êtres. Bach est devenu mutique, un « ermite muet à la barbe grise », Anntche grandit dans l'isolement de la ferme, quant à Klara...

Leur histoire s'écrit en même temps que l'Histoire de la "République soviétique des Allemands de la Volga" voulue par Vladimir Lénine.

L'auteur se base sur des bases historiques précises, donc, c'est très instructif pour ceux qui ne connaissent pas ce pan de l'histoire de l'URSS, ce qui est mon cas.

Mon premier coup de coeur de l'année.
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