Citations de Guy des Cars (762)
Aucun romancier à l’imagination féconde, nul poète épris d’idéal n’aurait pu imaginer une première rencontre plus romanesque que celle qui fut vécue par le jeune prince Carol de Hohenzollern et la bouillante princesse Élisabeth de Wied à la cour de Berlin alors que le jeune homme n’était encore qu’un brillant lieutenant et la jeune fille une créature dont la gaieté et l’entrain avaient besoin d’une perpétuelle activité.
Si l’on pénètre, profondément dans l’histoire de sa vie, on serait tenté de dire que Carol Ier a réussi, non pas grâce à ses qualités positives, mais plutôt par ses qualités négatives : c’est un homme qui n’a commis aucune erreur… Ce n’est pas par la sagesse et la bonté, ni par l’énergie de la volonté, qu’il a conquis sa place dans l’histoire universelle, mais par le fait qu’il n’avait aucune rudesse, ni aucune faiblesse. Plus que tout autre mortel, il a pu supporter, attendre, souffrir… Son absence de passions était compensée par la persistance et la conscience de ses devoirs.
Certes les rois – Michel le sait mieux que personne – doivent se montrer capables de mourir quand c’est nécessaire pour sauvegarder leur peuple, mais il est parfois plus pénible d’accepter provisoirement l’amertume de l’ignominie pour pouvoir un jour, quand le véritable moment sera venu, reprendre le pouvoir qui décuplera l’éclat de leur couronne. La véritable grandeur peut se cacher sous un silence digne.
Comme son épouse, Michel aime la simplicité. Modeste, assez direct quand il réussit à vaincre sa timidité, courtois et même aimable, il possède l’art – qui n’appartient qu’aux grands rois – de donner à son interlocuteur, quel qu’il soit, l’impression qu’il est sur le même pied d’égalité que lui. Son grand-père, Ferdinand, agissait de même, mais pas son père, Carol, qui aimait maintenir les distances. Cependant, malgré cette simplicité, Michel intimide toujours un peu les gens. Cela vient sans doute de ce qu’il ne se montre jamais familier. S’il lui arrive parfois de faire le premier pas, son interlocuteur, gêné sans savoir trop pourquoi, n’osera jamais faire le second et, toute la conversation durant, un sentiment de malaise subsistera.
Les vrais rois n’abdiquent jamais tout à fait. Nés rois, ils sont faits pour mourir rois. À moins qu’ils ne se retirent dans un monastère pour prier et pour expier leurs fautes.
L’existence qu’elle menait, faite d’aventures très courtes comme de liaisons prolongées et plus ou moins bien orchestrées, pouvait donner à penser qu’elle était une femme satisfaite de son sort. Ses besoins matériels immédiats n’étaient-ils pas comblés grâce au commerce de ses charmes ? Et n’avait-elle pas un grand choix pour assouvir ses appétits sexuels qui étaient, elle le reconnaissait elle-même, peu communs ?
Au fond, la charmante brune ne savait pas encore très bien, malgré ses trente-deux années révolues, si elle serait capable un jour de tomber réellement amoureuse. Ce n’était pas tant sa faute que celle d’une existence qui l’avait entraînée, au moment où elle avait tout à apprendre, dans un engrenage aussi diabolique qu’incertain. C’est peut-être aussi parce qu’elle n’avait jamais connu le vrai bonheur, qu’elle en était presque arrivée à se demander si celui-ci ne se limitait pas pour une femme à plaire aux hommes.
Sylvana n’était pas heureuse. Et pourtant ! N’avait-elle pas la chance de posséder ce don qu’envient la plupart des femmes : la séduction ? Sans être particulièrement jolie, elle plaisait beaucoup. Et elle le savait ! Sa séduction était un moyen de conquête et de défense. L’unique arme qui ait été mise à sa disposition aussi bien par la nature que par ceux qui s’étaient chargés de son éducation.
Nous avons pour principe de laisser faire aux gens ce qu’ils veulent. De plus, depuis une année que vous êtes à notre service, nous avons pu vous juger : vous êtes intelligente, capable de mener votre barque vous-même et sachant très bien ce que vous voulez. Je ne vous cache pas non plus que nous regretterons votre départ tout en pensant que vous commettez peut-être une erreur en vous laissant attirer par le mirage de la capitale.
Des mots croisés ? C’est fatigant et il faut souvent un dictionnaire à portée de la main. Ça ferait cours du soir... Boire ? Jamais quand ce n’est pas un client qui paie ; ça fait tomber le chiffre d’affaires sur « la petite recette » qui est fournie par le prix des consommations... Écouter de la musique douce ou de charme ? Pour ce qui est de la douceur, il n’en faut pas trop dans la profession. Quant au charme, il doit toujours y être organisé...
On prétend aussi que l’image la plus exacte du couple est celle d’une pomme coupée en deux : tant que l’une des moitiés du fruit n’a pas retrouvé l’autre, aucune vie commune n’est possible. André a été l’une des moitiés de cette pomme et moi l’autre.
Le seul dérivatif était le cinéma que je découvrais à cette époque. Dire que cet art m’a passionnée serait exagéré : pour moi il n’a été et ne sera toujours qu’un passe-temps permettant d’imaginer qu’un jour peut-être viendra où l’on vivra comme les grandes vedettes de l’écran : dans le luxe. Parce qu’il n’y a que cela à m’intéresser vraiment.
Il ne faudrait pas croire non plus que je me rendais dans les salles obscures pour y faire des rencontres ou y ébaucher des flirts ! Je n’ai jamais été pour le flirt qui, à mon avis, n’est que du temps perdu. Je suis pour l’amour, le grand, le vrai, l’unique qui meuble toute une tranche de vie : celui que j’ai connu avec André.
Ils sont sinistres, ces gens de la campagne qui éprouvent le besoin de se mettre en noir les jours de fête et que je me dois d’imiter. Et, pour peu que l’on réfléchisse, c’est inepte de se donner des allures de tristesse un jour pareil ! La Toussaint devrait être une fête gaie, joyeuse même, puisqu’elle est celle de tous les saints que l’on croit entrés dans un paradis où ils ne peuvent qu’être heureux...
L’un des rares privilèges qui reste à la jeunesse, c’est l’orgueil d’elle-même.
Si je me suis retrouvée prématurément l’égale d’une veuve, j’ai quand même vécu avec l’homme que j’aimais et qui a su m’aimer à sa manière. Et j’ai pu hériter de la fortune que nous avons édifiée ensemble. C’est pourquoi je ne regrette pas de ne pas avoir été une beauté : c’est tellement fragile – et dangereux – la beauté ! Ça passe, tandis que l’argent dure parfois...
Je n’ai jamais été ce que l’on appelle une très jolie fille et je ne suis pas aujourd’hui une belle femme. M’imaginer le contraire serait la plus grande preuve de stupidité. Si j’avais eu une telle chance, je n’aurais certainement pas choisi mon métier. J’aurais fait l’autre : celui de toutes celles dont j’ai été le faire-valoir. Mais avec le recul du temps et quand je vois ce qu’elles sont devenues pour la plupart, je suis certaine qu’aujourd’hui je serais beaucoup moins riche ! Faire des rencontres, avoir des aventures – surtout quand on est bien « guidée » par une personne d’expérience – c’est à la portée de la majorité des jeunes femmes si elles ne sont pas des laiderons.
N’est pas entremetteuse qui veut ! Pour le devenir, il faut d’abord être habitée par une sorte de fièvre passionnée qui pousse à s’acharner au travail... Il faut aussi savoir mêler l’indifférence à la compréhension : quel est l’être humain qui n’a pas ses faiblesses ? S’il arrive que parfois les exigences du métier vous contraignent à vous montrer cruelle, vous devez être capable, en contrepartie, de faire preuve de cœur... Il faut, plus que pour toute autre profession, avoir la main ferme dans le gant de velours et passer, presque sans transition apparente, de l’incompréhension voulue à l’attendrissement calculé. Surtout, il ne faut jamais perdre son sang-froid. Bien que les rouages essentiels du délicat mécanisme du proxénétisme soient toujours les mêmes, chaque « affaire » a sa particularité propre : il faut donc savoir s’adapter aux circonstances avec une extrême rapidité. Ce qui exige une forme d’intelligence. Une femme sotte peut donner une honnête prostituée, mais jamais une bonne entremetteuse.
Si un homme qui a tâté de la politique conserve toujours l’âme d’un politicien, si une fille reste toujours une fille même si elle est parvenue à s’embourgeoiser, si un officier de carrière ne peut pas cesser d’être un ancien militaire, une femme telle que moi – dont la vocation a été jusqu’à ce jour de jouer le rôle d’intermédiaire entre hommes et femmes, entre femmes et femmes et même, cela m’est arrivé plus d’une fois, entre hommes et hommes, tout cela pour permettre aux uns et aux autres d’assouvir des aspirations ou des besoins intimes – doit éprouver un mal infini à ne plus être une entremetteuse.
Toute fortune qui n’augmente pas diminue.
Quelle est la force mystérieuse qui vient de m’obliger, après tant d’hésitations et sans doute aussi beaucoup de paresse, à m’asseoir devant cette table-bureau et à me pencher enfin sur ces feuilles blanches que j’ai achetées, il y a déjà plusieurs mois, avec l’intention de les noircir ? Je ne parviens pas à comprendre comment j’ai un tel courage aujourd’hui... Car ce n’est pas mon métier d’écrire ! Je sais bien que les femmes, plus que les hommes, aiment se raconter, surtout lorsqu’elles se retrouvent, comme moi, absolument seules. Mais entre vouloir écrire et le faire, il y a une marge !