Guy des Cars

Mon seul souci, à mon âge, est de vous apporter un peu de réconfort. Je n’ai pas à donner mon avis sur les raisons qui vous ont conduites, les unes et les autres, en prison. Mon rôle doit se limiter à essayer de vous aider, et de vous comprendre.

Si tous ceux qui échafaudent des plans d’évasion venaient me les soumettre, je ferais bien de changer de métier avant de me retrouver moi-même derrière les barreaux pour complicité aux yeux de la loi !

Le mur d’enceinte mesure dix mètres de haut. Pour lancer l’échelle jusqu’à son sommet, il faut une force redoutable dont peu de femmes peuvent faire preuve ! Il est vrai que Maureen était bien bâtie, mais tout de même ! La police estime que la performance a dû se produire entre les deux rondes de deux heures et quatre heures du matin. Mais personne n’a rien remarqué puisque l’échelle pendait du côté de la rue.

Il est vrai que c’est une ancienne illusionniste. Dans sa profession, on est capable d’apparaître ou de disparaître à volonté ! Mais je ne me doutais pas qu’elle était également acrobate.

Très souvent, c’est elle qui écoutait ce que personne, à l’extérieur, ne voulait entendre : l’angoisse de l’enfermement, le sentiment atroce de solitude que ressentaient ces femmes cloîtrées. C’est elle également qui recueillait les messages ou les doléances qu’elle se chargeait ensuite de transmettre à leurs destinataires ; sa tendresse instinctive inspirait confiance.

N’importe quel compagnon de cellule vaut mieux que la solitude.

Quand on tourne en rond dans un espace aussi exigu, c’est obligatoire qu’après quelque temps on finisse par repérer les têtes…

Depuis que l’organisation du P.M.U. s’est infiltrée partout, on ne peut plus opérer en toute tranquillité. Les gens ont de moins en moins recours à nous : ce qu’ils veulent c’est leur ticket avec le cachet du P.M.U… À une époque, ce fut fameux mais ça périclite ! Il y avait des jours où ça marchait et d’autres où ça n’allait pas du tout ! Je prenais aussi les paris pour les matchs de football ou de rugby : c’était presque meilleur… Pour résumer, je connaissais des hauts et des bas. Comme vous le disiez tout à l’heure : je vivotais mais plutôt mal que bien !

Les gens ont la conviction que plus ils paieront cher un avocat à tapage et plus leur peine sera légère. Ce en quoi, pensait Deliot, ils se trompent lourdement ! Trop de publicité faite sur le nom d’un avocat n’est pas toujours la meilleure arme défensive. Mais comment un vieil homme comme lui pouvait-il lutter – dans ce siècle de bluff grandissant et de mégalomanie universelle – contre un courant qui envahit même les cours de justice ? N’étaient-ils pas légion ses confrères, dont la longue expérience et la pratique patiente des couloirs du Palais n’avaient plus grand poids devant l’assaut de jeunes Turcs aux toques fraîches dont l’unique ambition était de se faire un nom au plus vite et cela par n’importe quel moyen.

J’ai encore en mémoire, comme beaucoup de gens sans doute, le souvenir, après avoir lu les journaux, des façons magistrales dont vous avez sauvé, il y a quelques années déjà, un sourd-muet et aveugle de naissance accusé d’avoir assassiné un Américain ainsi qu’une jeune fille qui avait tué son père adoptif. Et je m’étais toujours dit que si, par malheur, il m’arrivait de me trouver dans un cas aussi désespéré que les leurs, ce serait à un homme tel que vous que j’aurais recours. Si je ne l’ai pas fait il y a deux ans, c’est parce qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre, mais d’un simple hold-up manqué où il n’y a pas eu le moindre blessé. Mais, cette fois, je sens que les charges qui risquent de peser contre moi sont beaucoup plus lourdes à cause des apparences et des circonstances dans lesquelles est mort mon codétenu.

La peinture s’est révélée pour moi un excellent remède. Chaque fois que l’une de ces visions que je déteste m’apparaît, je me précipite sur mes toiles pour les regarder à nouveau et avec l’impression de contempler quelque chose qui me paraît vrai. Ça fait s’évanouir les autres visions qui ne peuvent être que fausses. Tu devais avoir raison : j’ai trop d’imagination… Le meilleur moyen n’est-il pas de remplacer immédiatement le rêve par la vue de quelque chose qui existe réellement ?

— Mamie, pourquoi fait-on des rêves ?
— Personne ne pourra vraiment te l’expliquer… Ce sont des souvenirs ou des prémonitions qui passent dans le cerveau pendant que l’on dort. Ceci parce que le cerveau ne s’arrête jamais de travailler. Jadis, les Anciens croyaient à la puissance des rêves… C’est pourquoi ils avaient souvent auprès d’eux des mages qu’ils consultaient pour savoir ce que voulait dire le rêve qu’ils avaient fait.

Tu as une âme trop pure et trop sincère pour attacher de l’importance à l’argent. Tu sais comme moi qu’il en faut, mais pas trop ! C’est un moyen, pas un but ! Alors commence à te laisser vivre et à profiter de l’existence quand il en est encore temps pour toi. Tu devrais sortir, t’amuser, voyager, t’évader du carcan où tu t’emprisonnes volontairement.

C’est très joli, le travail, mais même s’il apporte l’illusion de meubler une existence, il ne la remplit pas ! Si je n’avais pas, enfouie dans mon cœur, la solide provision de mes souvenirs d’une jeunesse épanouie, je n’aurais pas pu tenir le coup comme tu me vois le faire depuis des années !

Je sais bien que si tu trouvais un mari qui te convienne ou même seulement un homme qui te plairait, je te perdrais et que nous ne pourrions sans doute plus vivre l’une auprès de l’autre comme nous le faisons depuis tant d’années, mais cela n’aurait aucune importance. C’est seulement ton bonheur de jeune femme qui compte et pas ma vieillesse douillette ! À soixante-dix ans passés, on est mûre pour se familiariser avec la solitude. C’est notre lot à nous les grands-mères qui avons connu la vie et surtout l’amour quand nous avions l’âge de nos petits-enfants qui ne doivent pas se sacrifier pour nous qui ne le méritons pas.

Une femme belle et méchante plaît souvent aux hommes : elle les excite ! Plus sa conquête paraît difficile et plus ça les passionne d’essayer de la posséder.

En réalité j’ai connu une certaine forme de bonheur et je sens très bien qu’aux yeux de mon entourage immédiat et de tous ceux qui me connaissent je fais même figure de femme comblée. Seulement entre une apparence trompeuse et la réalité, il y a une sérieuse marge… Disons, si vous le voulez bien, que ce bonheur relatif ne m’a pas encore permis d’atteindre la réussite complète à laquelle j’estime avoir droit.

Peu importe. Ce qui compte est que ce soit vrai. Mais cette double vie n’existe que parce que vous l’avez bien voulue sans dire pour autant que vous vous y complaisiez. On a même l’impression qu’elle vous pèse et cela expliquerait que vous ne pouvez plus supporter cette dualité qu’elle a fait naître en vous et qui vous est devenue insupportable. Les traits dominants de votre caractère, qui peuvent sûrement se modifier sous des influences extérieures, ne sont pas à première vue très sympathiques. Ne m’en veuillez pas d’être aussi franche mais, telle que je commence à vous découvrir, vous ne me paraissez pas être une femme à redouter qu’on lui dise ses vérités. Et je suis convaincue que vous ne seriez pas venue me trouver si j’avais la réputation de ne pas tout dire.

Depuis quelques mois déjà je suis hantée par une idée assez étrange : je ne sais pas trop pourquoi, je ressens la désagréable impression d’avoir une double personnalité. D’un côté, celle de quelqu’un qui se sent comblé par la vie, de l’autre celle d’une femme qui n’est qu’une perpétuelle insatisfaite. Je ne parviens pas à m’analyser ni à comprendre les raisons qui m’ont fait prendre conscience de cette dualité. Comme je sais que l’on ne parvient jamais à bien se connaître soi-même, j’ai pris la décision de m’adresser à un ou à une spécialiste. Pendant plusieurs semaines j’ai hésité entre un psychiatre et quelqu’un qui possède le don de voyance.

N’étant ni trop grande ni trop petite, possédant des attaches fines, des jambes bien plantées et des formes harmonieuses, Madame Nadia est, de loin, l’une des plus jolies voyantes que l’on ait vues à Paris depuis longtemps. Et, ce qui ajoute encore au charme, elle est intelligente.
C’est là où la liberté d’esprit entre en jeu : un esprit délié et à la compréhension vive qui lui permet d’exercer sa profession avec une réelle maîtrise. Alors qu’elle approche à peine la trentaine, sa réputation n’est plus à faire et a même dépassé les frontières. Ce qui déchaîne automatiquement la jalousie, l’envie et presque la haine de la plupart de ses rivales ou concurrents.