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Critiques de Henri Michaux (139)
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A distance

Échappé, arpenteur, rêveur, hanté, philosophe explorateur , sapeur, habitant habité, voyageur voyagé, inventif, traversé traversant , hardi, évadé, Poète libérant libéré !

On se déferlutte  de grande langue. Voilà l'« Illustre et modeste odeur de paille de l'enfance ».

Un peu de grand Michaux pour faire dégueunillette à nos petits jours de peine.

« Leger comme une plume Madame » !

Léger mais profond, aussi profond que cet étang à qui le poète et l'enfant ont donné une âme.

« Ciel à tête », c'est un bonheur !

« Le monde revient, le monde remonte ».

Et nous traversons, à distance, et nous rebondissons d'un texte dans l'autre, emportés, étonnés...

Nous respirons ! Sonnez clairon ! Sonnez à la conscience du monde .

«  Je crache à la bouche de la foule ».

Le poète, cet animal sans œillères, sans paupières, fait pile à la beauté et face aux douleurs de notre Mal.

Et il convoque les mots :

« Une fois de plus, venez

venez, mots misérables encore

pour exprimer le tombé, le dévasté, le méconnaissable

le trois fois plus redoutable qui dans l'ombre se prépare »…

redoutable comme l' « homme se croit une civilisation » .

voilà «  le même » ,

voilà «  quelqu'un », voilà tous nos pareil à la pelle même.

160 visages, comme une bande dessinée.

A tous ces semblables fleurissant…

des mots toupie, des mots portes fenêtres , des mots cheminée , des mots volutes cendres brumes et regard à ces lieux lointains ,

« Ici est la patrie de ceux qui n'ont pas trouvé de patrie, cheveux de l'âme flottant librement. »

Mais il faut également redouter , car le poète nous le conte : si nous redoutons les lions, craignons bien plus la férocité des chiens.

Le lion nous blesse, le chien nous dévore.Voilà la vérité à crue.

Ouvrons l'oeil et colorons le trou noir de nos espaces !

Chassons la noirceur du silence !

Il faut armer son coeur contre les escadrilles du malheur qui font tomber les oiseaux du ciel, qui arrachent les branches des arbres.

« il n'est pas permis à être au monde de commettre l'imprudence d'avoir confiance ».

L'innocence n'entame en rien la vigilance, ni la conscience du poète.

Conscience au portes grandes ouvertes, battantes.

Il faut bien cela pour assister la naissance du monde !

« L'époque abonde – L'époque met au monde- Elle n'est pas encore signée. ».

Garder la capacité de Voir.

«  Dans l'adversité la beauté de l'existence n'est pas absente. »

Alors «  sur la toile du monde il va faire quelque chose », « prendre conseil d'un arbre , d'un arbre pour qui sucer entre le dur gravier c'est déjà la vie en rose ».

Etre capable, capable d'essentiel.

Voilà donc le rôle de l'oiseau. L'oiseau qui ne devrait jamais « laisser à la révolte son nid de duvet ».

Et puis dans un ultime moment, être capable, capable « dans l'amitié du silence «  de s'enfoncer seul dans la nuit immense ».

Ne pas être complice de l'Un,ne pas en être objet, ne pas sautiller dans l'image, ne pas être observé, ne pas être observant, ne pas être observateur.

Etre opérateur de son propre voyage.

Alors rester voyant, ne pas se perdre dans « une poussière de pouvoirs » .

Chercher toujours la lumière et en plein jour, être capable d'attendre le lever du soleil.

L'espace n'est pas rien, n'est pas néant.

Il est une étoffe, faite de plein qui répondent aux vides, tout est pluriel, divers. Correspondances.

« Paysages sans site, abstraits par réserve par vérité, par recul ».

Le peintre explore il entre dans les fibres, dans d »indécis cotonneux territoires », là où, plus exactement, à travers quoi «  l'immuable se forme, se reforme sans formes, l'existence, la résistance, la commune connaissance ».

« Sous les yeux » est la naissance. « l'amas , la masse, le reste, l'oeuf ».

Mais hâtons nous, il faut mouvementé , secoué, l'espace, « Il faut se hâter , l'Histoire va fermer »…

Mais, « l'aube de l'oublie qui la voit ? »

Alors «  Il faut repartir / le squelette a enterré le cadavre ».

aller d Ailleurs, se vouloir méconnaissable dans la multitude des regards, éviter cette nappe qui se fraie une terreur dans l' âme, cette « nappe qui ne conduit nulle part vient de partout ».

Pays où l'on se noie, maladie des ensembles qui nivelle, villes, bruits, murs, qui ensevelissent , pays où « le plus petit prodige est un tic »…

s'échapper, sauver ses os, traverser, passer, au dehors de l'anéantissement.

Une vague qui élevera une grande poussière. La désintégration, l'« infinisation »,

Ce moment.. «  le moment de la paille touchant à la paille ».

Il ne met pas le feu au poudre, ni de poudre à nos yeux.

Non, il est l'urgence de son propre voyage.

Il faut nourrir sa terre, encrer chaque sillon, un sillon comme un paysage, une ligne, une onde, une lame, un visage, une jachère.

« de toute façon s'en aller

de n'importe quelle façon,

s'en aller. »

Mais toujours veiller en corps, à chevet.

Au chevet de l'enfant visage « enfant sans main, sans pied, ne quittant pas le lit ».

l'enfant visage « rêve à l'élémentaire », cet enfant porté à la fenêtre des îles.

À ces pays d'ailleurs . Téké , « tes narines sentent au loin »

« à coups redoublés, la liberté, à gros bouillons, à tue-tête, à tire d'aile. Le continent sombre cassera la roue, cassera les chaînes, retrouvera ses filles multicolores, son flambant neuf et son retour de flammes ».

Teké ! , il te faut partir.

« Téké marche sans demain, creuse ta tombe homme d'usine ».

«  traversés plafonds, planchers et finies dissipées les répulsions ».

….« Parfois la tête , c'est un oiseau ».

Se libérer des mots, faire gestes plus que signes, s'en aller au hasard, ne jamais le provoquer, éclater plutôt que former. Percer, écartelé de demain, «  cherchant la sortie du terrier ».

Prendre le risque de s'effacer, et « sur sa vie soudain elle passe le buvard » , retirer l'espace, «  le temps a corrigé », prendre distance, et comprendre sa liberté.

Fuir les labyrinthes, fuir leur ville, leur règne, leur méchantes pensées. Être «  extrêmement infiniment distant ». « pour ressortir d'aventure de toute aventure où la boue ne s'attache pas où la poussière ne se pose pas », et cela sans mesure.

Se liquéfier, s’éparpiller, de dissiper, se dissoudre. Peu importe, il lui faudra vivre toute traversée.

Devenir « forme non fermée indéfiniment reformée ».

Comme des volutes de fumée.

«  Libérée du poids de la Terre des remontrances de la Terre, des réseaux /Là où les têtes commandantes n'ont plus accès ».

« Informe, peu informé, le corps n'a pas encore de plein, n'a pas de membres.Un fil, un simple fil, un fil entoure le vide de l'être.Enveloppe seulement. Poussée vient. Des bras sortent, de la tête de n'importe où, pour s'étirer, pour se détendre, pour davantage s'étendre, à l'aventure, bras de fortune sans savoir où déboucher, essais d'enfants, dessins d'enfants ».

« Cerveau d'enfant, cerceau d'enfant, cercles, cercles... »

« Vie comme un livre ouvert, en évidence sur une table, et qui seul compte, devant lequel sans le lire on passerait sans s’arrêter, sans y songer, sans le pouvoir ». Alors à travers page, à distance, « s'en aller de n'importe quelle façon, s'en aller. » et traverser.





Toi qui lira cette correspondance , qui regarde une partie de mon âme , toi qui sais le voyage, sache maintenant que l'histoire va bientôt se refermer, alors hâte toi, traverse le livre passage !



Astrid Shriqui Garain

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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Emerveillé par la poésie foisonnante d’Henri Michaux après la lecture d’un recueil rassemblant "Qui je fus", "Les rêves et la Jambe" et "Fables des Origines", je prolonge ma découverte par un autre triptyque intitulé "Ailleurs" incluant "Voyage en Grande Garabagne", "Au pays de la Magie" et "Ici, Poddema". Le poète nous embarque dans des territoires imaginaires non pas pour nous offrir quelques instants d’évasion mais plutôt pour prendre un peu de recul sur les réalités de notre propre monde. Grâce à ce principe souvent utilisé en littérature, Henri Michaux dévoile les absurdités de la soi-disant normalité. La violence, la brutalité et les rivalités destructrices, causées par les incompréhensions et les appréhensions entre peuples ou entre communautés, dominent dans ce recueil. La prose d’Henri Michaux témoigne ainsi de son époque, des montées fascistes des années 1930 aux difficultés de l’après-guerre en passant par le terrible et nauséeux second conflit mondial. Ce qui intéresse Michaux dans ces pays imaginaires ne réside pas dans le paysage ni l’environnement mais dans les êtres : leurs pratiques sociales, leurs mœurs et leurs coutumes. Nous assistons à des scènes incongrues, loufoques et improbables parce que Michaux s’amuse à les exagérer en utilisant le gros pinceau. Pourtant, en affûtant notre regard, nous percevons, derrière cette apparence cocasse, le ridicule de nos pratiques sociales et la déplorable bêtise de nos trop envahissants dogmatismes.
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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

J'ai découvert ce livre il y a de cela quelques années. Ce récit de voyage est vraiment tout à la fois dépaysant et étrange.



On suit ici le journal d'un voyage dans un pays fictif où Michaux énumère de manière parfois absurde plusieurs aspects de ce pays fictif. La description des cultures, parfois absurde, peut être vue par moments comme une critique de la vision un peu colonialiste de certains occidentaux.





On a également quelques reprises de bestiaires, notamment dans la description de la ranée, une bête de somme bien particulière. Ces descriptions culturelles reprennent les codes de récits de voyages plus ou moins fictifs comme les "États et empires de la Lune" de Cyrano de Bergerac ou certains récits de voyages de Marco Polo.



Si l'on lit entre les lignes, nous pouvons trouver dans ce livre une forme de critique sociale à peine voilée, la soi-disant différence culturelle entre nos pays créant une sorte de miroir déformant de notre monde. La présentation du livre se fait sous forme de poésie en prose (du moins c'est comme ça que le livre est présenté), ce qui induit que le texte est particulièrement compartimenté, ce qui facilite grandement la lecture et permet des séances de lecture rapides si l'on est en voyage, ou dans un transport en commun.
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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Plagiant les écrits de voyage, y compris les siens, Henri Michaux promène son lecteur dans des pays imaginaires où il faudrait se garder de voir des métaphores et des allégories trop appuyées du monde réel : Michaux est trop fin, trop humoriste et trop subtil pour ce genre de bêtise engagée. Ce qui est juste en revanche, c'est l'étrangeté profonde de ces mondes absurdes, non moins absurdes que le nôtre, non moins sérieusement absurdes, mais souvent plus jolis, plus fantaisistes, plus cruellement et drôlement poétiques. S'il fallait absolument des analogies, Michaux serait plus proche de Swift que de Voltaire, et il est, en ce triste XX°s tellement dogmatique, le seul poète de langue française vraiment comique.
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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Pour voyager Ailleurs (c.-à-d. plus haut), Henri Michaux empreinte des routes stupéfiantes, des chemins hallucinants, mais toujours, il en revient. Et c’est bien le principe du voyage que d’en revenir, sinon c’est ... autre chose, le quotidien, peut-être ... Michaux s’intéresse plus aux habitants qu’aux paysages, moi je dis, dommage car j’aime les paysages et je dis tant pis, parce que ces Mages (habitants du pays de la Magie) ou ces Poddemaïs (de Poddema), tous ces Hacs et ces Emanglons nous ressemblent un peu trop, ils ont souvent nos travers, nos tares et nos folies. Pourtant les pays que Michaux visite ne sont pas sur nos atlas, ni sur nos planisphères (j’ai vérifié !); attention, je ne dis pas qu’ils n’existent pas, puisqu’Henri y est allé, mais je les trouve plus fantaisistes que poétiques, car c’est l’altérité qui les sous-tends. Heureusement on sent bien une bonne dose d’humour dans ces descriptions, ainsi que dans les détails qui font ces étranges récits. Alors, si ça vous tente ; Bon voyage et ... à bientôt.
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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Pays sauvages, pays aux passions complexes, aux lois iniques, pays aux nuits interminables en bord de mer et où les femmes accouchent aux bercements des vagues, pays où frères et voisins s'entretuent dans un bain de boue, sous les ovations de la foule, pays de langueurs, de fierté ou de magie, où l'on déplie les enfants, où l'on retient l'eau de couler, et où l'on entoure de brouillard - sept différents - ce qu'il y a de plus important.

Le pays de la Magie, celui des Ourgouilles, des Emanglons ou encore des Orbus. Voici ceux qu'Henri Michaux, grand voyageur, a rencontrés, imaginés, fantasmés, cauchemardés avant d'en faire ce recueil de poèmes en prose.

Lire ce livre, c'est comme pénétrer dans un monde parallèle, fantastique, régi par des lois incompréhensibles ou inacceptables. Mais finalement, à y regarder de plus près, les descriptions de ces pays pourraient bien ressembler à celles qu'un voyageur ferait d'un lieu totalement inconnu, présent ou passé.

La poésie de Michaux est infiniment riche, belle, émouvante et complexe. Si complexe que j'ai le sentiment de n'en avoir découvert, dans ce livre, qu'une infime partie. A acheter donc, et à relire encore et encore. Je ne connaissais encore rien de cet auteur et c'est une très belle découverte.
Lien : http://pourunmot.blogspot.fr..
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Chemins cherchés - Chemins perdus - Transgres..

Moins connu, ce recueil est toutefois un de mes préférés de l'auteur namurois.



J'ai retrouvé avec plaisir le style rocailleux propre à l'idée que je me fais de chez nous et l'onirisme souvent un peu déjanté parce qu'halluciné de l'auteur.
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Choix de poèmes

Poète belge, découvert sur les bancs du lycée, mais ce n'est que bien plus tard que j'ai pu me procurer ce mince volume de poésies choisies où l'absurde rime avec ... rien. Mais quel bonheur de se plonger dans un autre monde avec des mots nouveaux ou de nouveaux sens dessus-dessous.
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Choix de poèmes

Poésie d'amour, de révolte et de vie qui est puissante et belle.
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Comme un fou qui pèle une huître

J'avoue que je connaissais très peu, pour ainsi dire quasiment pas (si ce n'est de nom bien sûr) Henri Michaux jusqu'à présent. Je trouve donc que c'est une très bonne initiative de la part de Télérama d'avoir réédité ces quelques poèmes tirés de son oeuvre.



En commençant le lecture de cet ouvrage, je me sentais un peu perdue, ne voyant pas où l'auteur voulait mener le lecteur puis, petit à petit, j'ai compris. A la différence des autres poètes que j'ai lu jusqu'à présent, Henri Michaux n'aborde pas les thèmes qui sont en général propres à chaque ouvrage de poésie, à savoir l'amour, la vie et une glorification de la femme et en gros de l'amour. Ici, il est essentiellement question de l'homme (avec un grand H). L'Homme dans toute sa splendeur mais aussi dans toute sa miséricorde. En effet, autant celui-ci est capable d'accomplir de grandes choses (tels les hommes de science ou encore les philosophes), autant il est capable d'accomplir les pires atrocités qui soient. La guerre en étant le parfait exemple et est magnifiquement (enfin si l'on peut employer ce terme) illustrée ici.



Un court ouvrage mais qui est pourtant d'une grande profondeur et qui ,surtout, demeure intemporel puisque, malheureusement, toujours d'actualité. A découvrir et à faire découvrir !
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Connaissance par les gouffres

J'ai enfin entrepris la lecture de Connaissance par les gouffres de Michaux, ayant toujours eu un peu peur de la lecture des "voyages". En fait, les recherches sur l'effet des drogues le sont aussi sur notre fonctionnement et, même si ce n'est que les mots d'un poète expérimentateur, m'émerveille... Partie des facultés de cette délicate et splendide machine; le cerveau qui nous a été accordé, intact dans la plupart des cas, et dont nous faisons l'usage que nous pouvons. Car la description du résultat parfois fascinant, souvent d'un ennui prononcé à cause du vide créé, des jeux que permettent les drogues débouche sur Situations-gouffres beau lamento sur la détresse des folies et leur parenté avec ces états.

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Connaissance par les gouffres

Etrange livre qui tente de dire l'indicible, qui essaie de relater l'expérience de la drogue et celle de la folie. Michaux (d)écrit la mescaline qui assaille le cerveau, il fait de la poésie sous haschisch, il tente de drôles de champignons qui n'ont rien de drôle, puis il entre, par le biais des drogues, dans la tête des fous, il montre l'enfer qu'ils s'inventent et où ils sont enfermés, il les restitue dans la vérité de leur délire. Le lecteur assiste, surpris, à la naissance d'un monde parallèle. Il reste à son bord, désorienté, impressionné par les mille détours possibles et imaginaires du cerveau humain quand il se déglingue.
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Donc c'est non - Lettres réunies et annotées pa..

Si vous ne savez dire non, lisez ce livre d’Henri Michaux, le champion du non toutes catégories, vous serez vacciné. Et vous aurez à disposition un lot fourni de formules aussi fermes que définitives (et cependant courtoises) propres à décourager les importuns qui s’aviseraient de promouvoir votre œuvre.



On savait Henri Michaux très indépendant, pour ne pas dire atypique, le choix des 91 lettres qui composent cet ouvrage est fidèle à son image de rebelle irréductible porté sur le secret et l’isolement. HM, c’est ainsi qu’il parle de lui, ne cesse d’aligner et de souligner un NON résolu à tout ce qui lui est demandé : retours en arrière jugés « insupportables », entretiens, photos, biographies, revues, anthologies, rééditions, spécialement en collections de poche ( « Il y a déjà deux mille imbéciles qui me lisent pourquoi y en aurait-il vingt mille ? »), récitals, émissions radiophoniques ou télévisuelles, thèses et autres mémoires, colloques, conférences, illustrations, prix littéraires, cénacles ou académies, en un mot tout ce qui pour lui constitue « le carnaval médiatique » qui entoure une œuvre. Une petite exception (on appréciera l’humour) pour certaines traductions : « Il ne faut pas que le oui soit tout à fait oublié non plus. » Il ira même jusqu’à refuser sa panthéonisation dans la Pléiade, c’est dire ! Ainsi qu’un prix d’une valeur de plus de 50 000 euros actuels alors qu’il déclarait « un revenu fort modeste ». Il affiche la même intransigeance pour son œuvre picturale, qu’il traite de « petits mimodrames », ou pour la belgitude dans laquelle certains inconscients voudraient l’enfermer. Fichue notoriété ! Devant l’afflux des sollicitations, comment trouver une secrétaire qui sache « de quarante à cinquante façons écrire non » ?



Une philosophie du non



Ce n’est chez Michaux ni une fausse modestie ni une coquetterie de star. L’écrivain fuit tout enfermement, tout carcan qui fige les choses. Il craint sans cesse d’être étouffé, embrigadé dans un système. Ni « honneurs publics, ni largesses pécuniaires », il désire farouchement se tenir éloigné de toute gloire médiatique, de toute consécration officielle. Il envisage son œuvre comme un parcours, un mouvement, lui, HM, « passant au travers », et donc n’éprouve que dégoût pour toute forme de reconnaissance, de distinction sclérosante : « elle ferait de moi définitivement un professionnel au lieu de l’amateur que je préfère être et demeurer. » Son œuvre de silence et de recueillement se suffit à elle-même, voyage dans « l’espace du dedans » et non soumission à un tourbillon extérieur aussi vain que délétère. « La distance est nécessaire à mes écrits », affirme-t-il. Si on n’accepte pas son choix, c’est qu’on ne comprend pas son œuvre.

On ne s’ennuie pas un seul instant à lire cette litanie de refus tant les lettres sont savoureuses et drôles. On s’amuse de la constance des demandes, de la persévérance des solliciteurs et de l’invariabilité des réponses. Les admirateurs en sont pour leurs frais, quels que soient leurs noms, leurs états de service ou recommandations. Les mots de Michaux sont forts, inlassablement répétés, parfois cinglants. À l’issue de l’ouvrage, on reste admiratif devant une telle exigence qui ne sut déroger à ses principes. « Je signe mes écrits. Je ne peux signer ce que d’autres ont rédigé. Je ne peux rédiger des écrits que d’autres avec moi signeraient. » Dont acte.

On serait cependant en droit de se demander d’où Michaux tenait cette obsession intraitable de l’effacement alors qu’à certains moments on le voit s’inquiéter de la parution de ses livres, du non-paiement de ses droits d’auteur pour un texte interprété en public sans son accord. Lui qui haïssait toute « vedettomanie », qui répugnait « à l’étalage », au « tapage », que dirait-il de notre époque où le poète doit se faire marchand, bateleur, histrion pour diffuser ses livres et se faire un nom dans un milieu si foisonnant ? Que penserait-il de sa cote sur le marché de l’art ? De tous ces commentaires de commentaires qui envahissent nos papiers, nos écrans ?

A l’instar de la lettre pirouette rédigée en autodérision par Outers à la fin de l’ouvrage, que HM nous permette avec cette présente glose un pied-de-nez aussi paradoxal qu’enthousiaste.

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Donc c'est non - Lettres réunies et annotées pa..

Une correspondance à la fois jubilatoire et pathétique d'un poète- écrivain- peintre dont j'avoue mal connaître l'œuvre, pourtant si vaste et si éclectique...

Une personnalité étonnante qui s'est battue toute sa vie contre la "vedettomanie", contre toute publicité autour de son nom et de ses textes...

Impressionnante réunion de lettres de refus..., qui montre à quel point cet artiste était horripilé par le cirque éditorial et littéraire...quelle énergie déployée pour ne céder à aucune facilité...



[ 29 novembre 1973- (...) Dans l'entourage verbal des autres, je ne me retrouve jamais" ]



"3 juillet 1958.... A Monsieur Bréchon (...)



Mes livres montrent une vie intérieure. Je suis, depuis que j'existe, contre l'aspect extérieur,

contre ces photos appelées justement pellicules, qui prennent la pellicule de tout, qui prennent tant qu'elles peuvent les maisons familiales ou autres, les murs, les meubles, tout

ce qui est permanent et stabilité et que je n'accepte pas, au travers de quoi je me vois passant" (p. 73)



Michaux se révèle être insatisfait, et très exigeant face à ses textes, ses écrits...On lui voit des interlocuteurs d'une qualité exceptionnelle ,qui sont aussi parmi les "obscurs"...comme

cet autre écrivain-poète que j'affectionne profondément, M. Jean de Boschère...



" A Jean Boschère...1946- (...) Mais vous exagérez sans doute mon importance- Un autre paraîtra un jour, qui connaissant des états analogues , les dira infiniment mieux" (p.50)

...

Au même, le 15.11.1965

(...) Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire " non" " (p. 93)



Quel incroyable parcours...de talent et d'anti-conformisme...de bagarres pour qu'on lui fiche la paix...Si rare...



Cet homme, aux talents multiples... ne souhaitait surtout pas se soumettre à aucun mouvement littéraire, aucun mouvement , aucune revue, aucun parti d'aucune sorte...

Une sorte de rage le prenait à chaque sollicitation et elles étaient bien nombreuses !!





" A Gaston Gallimard - 8 octobre 42



(...)

Je ne désire aucunement la réédition de textes, de plaquettes ou de livres de moi, et même je m'y oppose ici catégoriquement. Dans la crise du papier, ce ne sera pas moi qui mordrai dans le stock...." (p. 43)



Il reste à remercier la passion et la ténacité de Jean-Luc Outers, ainsi que son admiration sans bornes pour Michaux....



"Préface De J.L. O...

La littérature aide à vivre, dit-on. Pour moi, Michaux résume à lui seul cette formule. Si je lui avais proposé mon projet, nul doute que j'aurais rejoint la liste des éconduits qui se consolent sur le bord de la route en lisant et en relisant ébahis

la lettre qu'ils ont reçue à la fois comme une caresse et une gifle. Il y a des gifles qui font du bien... " (p. 21)



Avec une très haute idée de la poésie... qui ne doit pas être galvaudée ni mise en spectacle à n'importe quel prix, Michaux se battra sur tous les fronts...toute son existence...

" Déjà en 1941, il écrivait à son ami l'écrivain Jean de Boschère qui publiait une modeste revue littéraire: " je vous en prie instamment, ne me consacrez jamais un numéro spécial. Ce serait un cas de brouille.". Les colloques, les manifestations

commémoratives, les anthologies, les demandes d'articles, d'hommages ou de réédition subissent le même sort: retour à l'envoyeur. L'université, ce n'était pas sa langue. s'agissant de poésie surtout, il voulait se tenir éloigné " de tout endroit

où la poésie est l'occasion d'un discours" (p. 18- préface de Jean-Luc Outers)

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Donc c'est non - Lettres réunies et annotées pa..

Il faut donc remercier Jean-Luc Outers pour ce recueil « à l’agressivité tonique », comme il le dit dans sa belle présentation des lettres écrites entre 1931 et 1984, joliment intitulée une « philosophie du non ».
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Donc c'est non - Lettres réunies et annotées pa..

L’œuvre ne réclame pas d’autres scènes que la sienne. Elle se mani­feste dans le recueille­ment, le creux du silence. Lequel ne peut se gre­ver des remugles de vani­tés d’usage. Ses lettres res­tent donc des voyages dans le « non ». Ce mot devient l’emblème et la clé de l’oeuvre. Le silence, la paix doivent se méri­ter afin que le tra­vail suive son cours. C’est pour­quoi là où d’autres se trou­ve­raient tou­chés, Michaux se sent atteint dans son inté­grité : non seule­ment il fait le gros dos, il recule.
Lien : http://www.lelitteraire.com/..
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Ecuador : Journal de voyage

Est-il moins périlleux de voyager de nos jours qu'en 1928 ? Le voyageur sédentaire que je persiste à demeurer -- nul péril pour moi en la demeure -- hésite peu à en douter au narré des histoires horrificques des touristes, ces bonnes gens qui seraient mieux chez eux et que l'industrie du voyage transporte dans des endroits qui seraient mieux sans eux, rapportent avoir vécu lors de leur transhumance vacancière.



Pour moi, c'est dans mon fauteuil, sous l’œil du chat Ludo, lung ching à portée de main, qu'avec Henri Michaux, poète découvert grâce au livre de Michel Cournot, j'ai temps et espace franchi pour quelques heures. Le moment, 1928, destination : l'Équateur. Toute une année. À commencer par une traversée de l'Atlantique et du canal de Panama : « Entre gens du bord, un lien : les jeux de carte. Bridge, manille, poker : la seule monnaie de notre civilisation qui ait cours partout. » Puis depuis Quito, l'aventure ... et l'écriture :



« Dans deux ou trois ans, je pourrai faire un roman. Je commence grâce à ce journal à savoir ce qu'il y a dans une journée, dans une semaine, dans plusieurs mois.

C'est horrible, du reste, comme il n'y a rien. On a beau le savoir.

De le voir sur papier, c'est comme un arrêt. »



Ne vous y trompez pas, Michaux ne raconte rien, ou si peu, dans son journal de voyage ; quelques faits, certes, mais surtout une évocation poétique (le texte comporte d'ailleurs quelques beaux poèmes en vers libres) de son très difficile périple.



Et on appréciera son rendu des différences culturelles qu'il constate. Ainsi, avec un certain agacement :



« Une résolution une fois exprimée en parole devant témoins, beaucoup de Français se sentent obligés d'agir suivant le dit.

L'Équatorien n'est point ainsi. Il a dit demain, eh bien ce sera après-demain ; vous l'attendez le surlendemain, ah, non, fini, plutôt autre chose, ou plus rien du tout, il a changé d'idée.

Il ne met pas la parole à part dans le solennel.

Non ! Il change d'idée, il change de parole, c'est tout un.

Ceci est la cause de nos nombreux retards, et de mon malaise depuis des mois. »





Au passage, un commentaire a frappé mon attention :



« On se demande souvent pourquoi les jeunes gens de cette génération sont désespérés. C'est qu'ils sont sacrifiés. Ils entrevoient la belle époque. Ils n'y vivront pas. Lequel d'entre eux n'accepterait n'arrêter sa vie actuelle pour vivre en l'an 2500 ?

Cet état d'esprit est nouveau dans le monde ; autrefois on n'attendait pas de l'avenir tout ce que nous en attendons. »



Ne lit-on pas là l'équivalent de la complainte de ce qu'on appelle aujourd'hui la génération X ? À la réserve près que celle-ci, et la nôtre aussi d'ailleurs, savent qu'il n'y a guère à attendre de l'avenir, et que le progrès n'est qu'une idéologie vieillissante, sinon morte.
Lien : http://les-cendres-et-le-plu..
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Ecuador : Journal de voyage

Michaux offre un livre multiforme: poésie ? Journal ? Récit de voyage ? Récit fantastique et surréaliste ? Anthropologique ?



L'artiste part pour l'Amérique du Sud ( les Andes d'Equateur et traverse un bout d'Amazonie) . Il décide de la tenue d'un journal, avec une grande économie dans le récit. Pas de longue prose, il va à l'essentiel. Expérimentant les psychotropes locaux, il découvre des visions et des sensations qu'il verse sur le papier. Le paysage est personnifié, tutoyé.



"J'ai rarement entendu parler des Tropiques avec naturel. Ce ne serait guère possible. On avance ici comme des policiers. Et rien que pour s'asseoir, il faut prendre des précautions de laboratoire. Au lieu qu'en Europe, on peut s'abandonner à la nature, vivre de plain pied avec elle. Quant à avoir ici sa propriété... Et puis ? Le serpent vient vous tuer chez vous.

Sans doute, il y a bien toute une forêt autour de moi. Mais par grande chaleur, mes veines chantent. Chanson bien monotone. D'autre part chanson bien mienne, et je l'écoute toute la journée. "
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Ecuador : Journal de voyage

Entre journal intime et carnet de voyage, un livre CONTRE !

Qui nie être journal intime ou carnet de voyage.
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Ecuador : Journal de voyage

Quatre ans avant l’Asie, un barbare surréaliste en Équateur.



Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/05/15/note-de-lecture-ecuador-henri-michaux/

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