Hervé Hamon

L'idée jacobine et contre nature que la même grille doit s'appliquer à des élèves hétérogènes suscite de la tristesse et de l'inégalité, de l'échec et de l'injustice.
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Arrivée sur l’Abeille, je me suis dit qu’un bateau ne ressemble à rien d’autre mais est toutefois analogue, dans son fonctionnement, à un pays, une entreprise, ou une cité. A cette nuance près qu’on n’y dépose pas le bilan ni ne redoute les élections : si l’on coule, c’est pour de vrai, jusqu’au fond, et tous en chœur (Chapitre 1 - page 44).

Si tu n'as aucun sens de l'humour, aimable passant, évite Brest. Si tu n'aimes ni Swift, ni Pierre Dac, évite Brest. Si tu bois peu, seul, et triste, évite Brest. Si chanter en public te paraît incongru, évite Brest. Si tu n'aimes que les petites chaloupes pastel tendrement échouées à contre-jour, évite Brest. Si tu n'apprécies pas la courbe d'un géant méthanier, évite Brest. Si tu as l'intention de te coucher tôt, évite Brest. Si tu es mollement sage, aimable voyageur, sois assez sage pour voyager ailleurs.

Le site de Brest pose des problèmes inhabituels. La rade est vaste, les courants violents. Pour atteindre le rail, il faut compter deux à trois heures de route, des heures qui deviennent très longues lorsqu’un cargo est en difficulté à proximité des écueils. C’est pourquoi l’Abeille Flandre, même si aucune alerte n’est déclenchée, quitte le port dès que la force du vent atteint 25 nœuds (45 kilomètres à l’heure) et mouille devant Camaret, à la sortie de la rade, ou bien monte carrément vers l’île si les rafales fraîchissent. Où qu’il se trouve, le remorqueur est prêt à appareiller en moins de quarante minutes.

- Est-ce qu’il t’arrive d’avoir peur en mer ? lui ai-je demandé.
- Peur en mer ?
Il a suspendu son geste. Et sa voix était étale, technique, guère plus émue que si je l’avais interrogé sur le beurre blanc ou l’étuvée de poireaux.

Guitou a bouclé la boucle, il a fait le tour du monde. Et il en a ramené l’absolue conviction que le marin se distingue par son aptitude à pratiquer la sieste à toute heure, en tous lieux, par tous les temps. Car ce qui est pris n’est plus à prendre.

Un navire au sec est toujours dérangeant, on a l’impression de visiter des coulisses comme un voleur ou un voyeur, de saisir ce qui n’était pas destiné à l’œil mais aux profondeurs clandestines.

Arrivé sur l’Abeille, je me suis dit qu’un bateau ne ressemble à rien d’autre mais est toutefois analogue, dans son fonctionnement, à un pays, une entreprise, ou une cité. À cette nuance près qu’on n’y dépose pas le bilan ni ne redoute les élections : si on coule, c’est pour de vrai, jusqu’au fond, et tous en chœur.

Pour lui, l’enfance n’est pas un stade atrophié, approximatif, de l’individu. C’est un océan d’histoires potentielles, un âge où il est raisonnable de croire qu’on aura la force de ses désirs. S’éloigner de pareille conviction, ce n’est pas grandir, c’est perdre.

Péninou, Kravetz et leurs amis ont compris une donnée essentielle de ces temps difficiles : la critique de la « société de consommation » est malaisément recevable par des prolétaires endurcis qui luttent depuis la Libération pour assurer l'expansion et en partager les richesses ; déconcertante aussi pour maints prolétaires de jeune souche qui aspirent à s'approprier les acquis qu'ont rudement arrachés leurs aînés. Ils devinent qu'aux yeux d'une majorité de Français - de Séguy à Pompidou – le langage contestataire sonne comme une coquetterie de gosses de riches, ou de métaphysiciens régressifs.

Les enfants de la guerre ont grandi dans l'après-guerre. L'Occupation, la Résistance, les exploits des FTP ont peuplé leur imaginaire. Ils envient ces pères (ou ces mères) qui, à vingt ans, ont rencontré l'aventure. Eux, sont condamnés à la paix, à la sécurité. La tête farcie de références glorieuses, ils n'ont, adolescents, rendez-vous qu'avec les platitudes de l'époque. Amants d'une histoire qui se dérobe à l'étreinte, frustrés, ils doivent se contenter de plaisirs solitaires, de mimer la guerre qui n'aura plus lieu.
Un temps, l'Algérie leur tint lieu d'ersatz. Eux qui mariaient Résistance et liberté ne supportèrent pas qu'au pays de Jean Moulin, précisément, on torture et on tue. En vertu d'idéaux qui, quinze ans plus tôt, conduisaient au crématoire. Une génération entière apprit, pour ne plus s'en détacher, quelques principes de base que dans les livres on appelle la morale.

Je plaiderai l'innocence. Réseau familial, hasard des études et de la vie: je n'ai jamais songé à devenir médecin. Ni regretté de ne pas l’être devenu, bien que ce soit là, manifestement, ce qu'on appelle " un beau métier". J'ai été peu malade et bien soigné.

C'est bizarre, la mer, la façon dont on en parle. On vous raconte des histoires formidables, des naufrages, des requins sanguinaires, des vagues scélérates et tout le tintouin. Mais les.marchands de mer, eux, ils vous refilent des couchers de soleil, du sable blanc et des petits poissons colorés qui ne vous veulent aucun mal. Vous êtes quoi, vous, dans le fond ? Des marins ou des marchands de mer ?
Des marchands de soupe, ricana Be Bop.

A
Ça tombe on ne peut mieux : ma première île n’existe pas, n’a jamais existé, n’existera jamais.

Il...tenait à m'enseigner que la loi est respectable mais que certaines lois ne sont pas écrites, que chaque homme porte en lui un certain droit à l'interprétation du bien et du juste, et même un certain devoir de s'y aventurer.

Non, entre ces marins, c’est autre chose : le secteur qu’ils fréquentent, la nature avec laquelle ils composent sortent si vigoureusement de l’ordinaire qu’il se crée entre eux, malgré les humeurs et les caractères, une culture commune, une solidarité de frères de la côte. Même quand ils ne s’aiment pas (et, souvent, ils s’aiment bien), ils partagent une estime mutuelle, une espèce d’admiration réciproque, jamais déclarée, niée si besoin est, mais solide. Ils connaissent les mêmes trous, les mêmes gouffres, ils calculent avec la même exactitude l’heure de la renverse, ils ont peur des mêmes rencontres, des mêmes brisants. Ils forment une aristocratie sans manière, ce qui est le summum de l’aristocratie (Chapitre 3 - page 120).

Entre donc à Brest d'un pas léger, sans exhiber ton passeport, sans justifier ta raison d'être, sans excuser tes attaches exogènes. Tu es bienvenu, surtout si tu es capable, le soir tombant, de partager le blanc frais, chez Phi Phi, aux quatre vents, accoudé dans la cohue, et de ne pas t'étonner qu'en ces lieux et à cette heure, le patron et le docker, le député et l'électeur, le matelot et son officier, le militaire et le civil, le médecin et le patient, le franc-maçon et le curé, sans oublier le flic et le voleur ni la femme et l'amant (c'est le mari qui régale), se tutoient le temps d'une tournée, voire le temps de la tournée suivante, éventuellement le temps de celle d'après, gueulant fort, gueulant contradictoire, mais gueulant en choeur.

Les puissants barons,tels Raymond Aron ou Claude Levi-Strauss,exercent une profonde influence même s’ils ne sont pas toujours physiquement présents.Que Raymond Aron exprime son hostilité à la candidature de Pierre Nora,et ce dernier passe moins aisément. L’avis du président Furet, qui livre son sentiment devant une commission électorale deux jours avant la convocation de l’assemblée, est fréquemment décisif. Il est pratiquement impossible d’obtenir un scrutin positif sans son consentement.D’autant qu’il est suivi comme un seul homme par le groupe des historiens.Le sociologue Alain Touraine pèse également lourd.
Enfin,des comme Claude Lefort,Jean-Pierre Vernant où Pierre Vidal-Naquet manifestent un talent d’orateur et une science militante de la dynamique de groupe fort efficaces.Vidal-Naquet,en particulier,qui plaide avec la même fougue qu’il s’engageait autrefois contre la guerre d’Algerie,est capable de récolter à lui seul une vingtaine de voix(sur 120) lorsqu’il parle pour quelqu’un.Il connaît son talent et travaille avec délectation la persuasion comme genre littéraire.

Nous savons bien que la planète finance s'est désolidarisée de l'économie réelle, qu'elle s'est mise à fabriquer de l'argent sans aucun travail derrière.
Nous savons bien que la chute du mur de Berlin a ouvert toutes les vannes, que cela fut théorisé par les penseurs de l'ultralibéralisme.
Mais cela n'explique pas, me semble-t-il, que se soit imposée une sorte de norme généralisée à ce point. p.261

Un fois admis que la cupidité est la chose du monde la mieux partagée, que les enjeux de classement_surtout chez les mâles_ont une charge symbolique déterminante, que l'argent appelle l'argent et que de l'accumulation naît une sorte d'au-delà de la satiété, d'ivresse trouble et addictive, reste à trouver un schéma explicatif global.