Citations de Ingrid Astier (174)
- N'empêche, continua Seb, c'est presque aussi fort que de marcher sur l'eau...
Il l'avait dit avec une admiration franche. Des voyous de ce calibre, ce serait peut-être le seul de sa carrière. Et le Gecko avait les mains propres. S'il volait des bijoux, des œuvres d'art et des montres, il ne dérobait la vie de personne.
Haute voltige
Quai de la Rapée.
Un drôle de nom où finissaient les morts violentes, subites ou suspectes. Des qualificatifs qui débutaient comme la vengeance, le venin, la vipère, le sexe, les sévices ou les supplices. La Rapée, on ne savait plus vraiment si c’était un commissaire des guerres civiles de Louis XV ou un vin de piquette qui grisait l’esprit : un vin de râpure autrement nommé rapé. En tout cas, avant les tremplins bétonnés et la dentelle métallique du pont, s’épanouissaient des vignes, des marronniers et même un étang : l’étang du Berci, quand l’eau se la filait douce depuis Montreuil avant d’embrasser la Seine. Un temps s’égaya une guinguette : la guinguette des Grands Marronniers, où l’on venait danser pour se goinfrer de matelote et de friture. Aujourd’hui, on était loin de l’orangerie et de la ménagerie du sieur de la Rapée.
Pourtant, la morgue valait tous les cabinets de curiosités. (p. 45)
- Seb... Je peux te poser une question ?
À son hésitation, elle le sentit inquiet.
- Vas-y.
- Tu trouves que tu as une vie normale, toi ?
- Euh... normale, comment ?... Parce qu'être flic de PJ, ce n'est pas exactement s'endormir les pantoufles au lit...
- Non, bien sûr, mais tu vois... Le Gecko, c'est un solitaire. À part son pote SDF, on ne lui a pas vu un ami. Il grimpe où il veut et il tape la nuit, on ne sait même pas avec qui il vit, et chaque fois qu'il nous file sous le nez, il repart avec Vendôme dans les poches. En plus, il court sur les glissières de sécurité. Ce sont des choix de vie étranges.
Ils vont diner ensemble, et le premier festin est celui des mots dont l'autre se nourrit
La littérature rend notre esprit poreux.
Elle s'attaque en nous en ce que nous avons de plus sensible.
Lorsqu'elle vise juste, elle s'allie à notre pensée jusqu'à l'habiter..
Rien ne viendra l'en déloger
J'aime cette berceuse de Chopin pour le somnambulisme qu'elle provoque. Alors je peux dormir debout - et écrire, puisque écrire est un songe éveillé. Un retrait du présent tel qu'il est, une vie parallèle, dans les terres hallucinées d'où le monde semble étranger. Dès lors, les moi potentiels se réveillent - et les projections fictives, que les personnages viennent incarner.
La première fois que Rémi avait aperçu l'Institut médico-légal, c'était, comme tout le monde, depuis le train fantôme du métro. Les wagons chahutaient sur le viaduc hélicoïdal, en mugissant. Fait étrange, la station de métro enlaçait les murs austères, entamant autour des fenêtres à barreaux une ronde reptilienne.
Le beau temps est malheureusement comme le mauvais temps : on croit qu'il s'installe... et il ne demeure pas.
Le corps cette nuit de l'esprit.
La plupart des êtres humains passent leur vie avec un corps qui leur est étranger. Ils n'ont d'eux qu'un rapport de surface. Peu d'occasions nous sont offertes de nous sonder, l'introspection exceptée.
La lecture, comme l'astronomie, est une pratique volontaire de l'enchantement.
Il sortait de son hôtel où il s’était installé le matin même. Il y avait posé ses affaires dont une mallette fermée à clef qu’il avait fourrée avant de sortir au fond de son élégant sac de sport et n’avait rien pris avec lui si ce n’est un pistolet UZI qu’il portait dans un holster de ceinture, dans son dos, bien caché par la Parka. Avant de le glisser là, il y avait vissé un silencieux.
André Fortin
Comment un con pourrait-il changer ? Ce genre de mec avait l'esprit fossilisé.
Elle priait seulement pour que sa mère n'ait ni trop chaud ni trop froid au cimetière. Et pour qu'elle ne s'ennuie pas. Les cimetières, c'était calme, mais ça manquait de conversation. Et on ne choisissait pas qui on avait en face de soi.
Le crime s'esquissait, loin, très loin, à coups de grands traits flous. Il ne fallait pas négliger le ressenti de cette vision encore myope, ni la subir.
Elle avait peur des pensées qui viennent habiter la nuit. Elles se glissent doucement, tout doucement dans le lit. Et grandissent dans l’ombre. Pareilles à ces animaux sauvages qu’on ne croise jamais le jour. Comme déformées par des torches de feu, ces bêtes deviennent gigantesques sur le mur, elles prennent plusieurs têtes et leur gueule crache une semence immonde au goût de vice.
N'empêche, continua Seb, c'est presque aussi fort que de marcher sur l'eau...
Il l'avait dit avec une admiration franche. Des voyous de ce calibre, ce serait peut-être le seul de sa carrière. Et le Gecko avait les mains propres. S'il volait des bijoux, des œuvres d'art et des montres, il ne dérobait la vie de personne.
J'aime cette réclusion dans le bathyscaphe de la nuit.
- Alors... t'es jamais tombé amoureux?
Il m'a regardé incrédule :
- Tu rigoles! Tout le temps ! Les femmes sont comme le vent, elles vont, elles viennent... Faut-il qu'il m'en souvienne, comme dit le poète, je sais plus lequel d'ailleurs... Basta, moi je chope le vent quand il est là.
La mélancolie est une nuit perpétuelle. Plus rien qui ne vienne éclairer l'esprit - au sens de l'égayer, de le divertir de cette finitude d'être soi.
Combien de lettres d'amour nées de l'insomnie furent rangées au fond d'un tiroir, au petit matin ? Et les sentiments de rester en dormance.