La patte poétique de l’auteure est totalement perceptible dans ce roman, qui à mes yeux tient davantage du texte hybride, qui s’inscrit entre poésie en fiction et poésie en prose.
Le fond du texte participe autant à la posture poétique de l’âme de ce roman : il a pour décor un village perdu des Pyrénées, à cheval entre l’Espagne et la France. Un coin de nature sauvage, à mi-chemin entre le paradis et l’enfer, peuplé de ses vivants, de ses morts, de ses créatures mythologiques. Évidemment, ce décor n’abrite pas que des histoires simples, des histoires heureuses, sereines et incolores, mais des vies secouées et torturées, parfois trop tôt abrégées, le mélange surprenant de ses habitants avec le souvenir de ceux qui ne sont plus. Sans oublier, cette nature qui évolue au sein, autour des aventures de ses humains. Celle-là même qui enveloppe chaque instant de vie de ces montagneux. Ces montagnes justement, c’est ce lieu disputé entre hommes, animaux, végétation, et esprits qui règnent en maître, qui décident et appliquent leur sentence impitoyablement, ils tuent, foudroient. Point de dieu foudroyant à la masculinité fièrement affichée, celle d’un Zeus grec ou d’un Jupiter, romain. Les dieux, les hommes ici ne maîtrisent plus rien, soin est laissé aux Dones d’aigua d’organiser le monde qui est le leur en réalité. Et ces sorcières, que l’on pend, ici comme ailleurs, empoisonneuse ou guérisseuse. Et cette Encantada, cette fée enjôleuse contribue à constituer encore un peu plus le folklore local.
Les Pyrénées ont leur propre mythologie, et je dois rendre grâce à Irene Solà de me l’avoir fait connaître. Sa présence drape le texte d’une aura presque éthérée lorsqu’elle-même esprits, vivants et entités animales, végétales ou minérales, ces montagnes représentent peut-être le plus imposant des personnages. L’écriture de l’auteure suit ce méli-mélo d’âmes en mouvement, s’entrechoquant parfois, cohabitant sûrement, en reproduisant le flot incontrôlé des pensées et des souvenirs de chaque entité qu’elle suit, femme, esprit, animal. Son écriture brute m’a demandé quelques pages pour m’habituer à sa cadence, car il faut décortiquer petit à petit tous les éléments de la narration dont elle nous abreuve en un seul et même flot, et surtout pouvoir distinguer ce qui relève de la réalité, ce qui relève du folklore, ce qui relève d’une réalité qui nous échappe.
Et puis, il y a une trame de fond, l’histoire d’une famille, Sió et Domènec, les enfants, Mia et Hilari , dont les hommes sont frappés par le destin, et en marge, les voisins, les amis et l’histoire par elle-même : la guerre civile a laissé ses stigmates à cette terre et ses esprits, le sol criblé de grenades, de balles, de pistolets, les montagnes portent encore les traces des guerres, mythologiques ou historiques. Rien ne s’oublie dans ces paysages où les montagnes retiennent précieusement dans le creux de leurs parois la mémoire des existences qui y sont passées, qui s’y sont éteintes, celle des animaux qui y naissent et meurent.
Ce roman a été écrit en catalan, cependant, on relèvera quelques passages, et même un chapitre en castillan : la traduction ne rend pas ce changement de langues, le lecteur français y perd forcément. Ce n’est pas toujours facile de suivre le fil narratif de ce roman qui ne cesse de célébrer la nature d’un bout à l’autre du récit, chaque étape du récit est accompagnée de digressions sur l’environnement proche, sur chaque détail du paysage, au moins aussi important que l’ensemble des protagonistes qui le peuple. Un texte qui n’est pas sans rappeler certains poètes français qui ont célébré à leur manière versifiée leur propre paysage et imaginaire poétique.
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