VLEEL Collection PASSE MURAILLES, Isabelle Stibbe et Charlie Roquin, Éditions Le Cherche midi
Les parents, quand ils faisaient la grève, c'était pour des augmentations de salaire. Les fils, aujourd'hui, ils font la grève pour continuer à travailler. Chacun sent bien qu'ils sont au cœur de la contradiction : le travail à l'usine est toujours vécu comme une aliénation. Or ce travail, c'est ce qui les rend dignes.
Ce que j'aime chez B., c'est cette espèce d'innocence - et non de naïveté - qui fait qu'elle s'indigne de ce qu'elle trouve injuste. Que ne sont-ils tous comme elle ? Le monde marcherait sur ses deux jambes au lieu de marcher sur la tête.
Une seule personne osait se démarquer, par conviction, dérision ou plus sûrement par goût de jouer les esprits forts : " Heureusement que vous ne l'avez pas appelée Sapho, elle aurait été lesbienne", ironisait sa grand-mère Mathilde, qui avait des lettres et la plaisanterie facile, introduisant parfois une variante : " Vous croyez que si vous l'aviez appelée Isabelle, elle serait devenue catholique ?".
Ce que voit le sculpteur : non pas des trucs, des bidules, un grand fatras, mais une cité de fer, quelque chose qui ressemblerait aux fabuleuses cités incas.
Enfin, elle allait reparaître sur scène, enfin elle allait revivre, oublier dans le décor du salon Grand Siècle les ignominies du XXe.
Ils préfèrent croire que demain ils ne seront pas l’arbre face à la cognée, mais l’arbre qui reverdit.
Ils préfèrent croire qu’ils ne connaîtront pas le parjure, mais le respect de la parole donnée.
Ils préfèrent croire à la bonne nouvelle, celle qu’ils veulent entendre, et ils baptiseront ce jour Thanksgiving Day, jour d’actions de grâce, dû à leur seul courage, à leur détermination collective.
Encore une nuit à attendre, quelques heures, ce n’est rien.
"Que leur vie eût été infime ou grandiose, peu importe, elle aurait été et on n'avait pas le droit de la leur prendre."
Il faut voir ça au déboulé, le feu qui arrive sans crier gare de son trou de coulée. Ça déferle d’un coup, ça fait peur tant on le sait dévastateur ce feu qui surgit – grand barouf, fumées et poussières –, inquiétant, anarchique, méchant même, et parfois c’est tout son contraire, c’est une petite chose qui pointe comme apeurée, repliée sur elle-même mais brusquement vous en percevez nettement les potentialités et là, peu à peu, l’étincelle grandit, d’autres s’ajoutent et ensemble elles forment un grand feu qui se met à crépiter et qui danse follement, libre, bouillonnant, heureux, traçant son chemin comme s’il le connaissait déjà. Un feu de joie uniquement dominé par les rigoles dont les contours deviennent les règles du jeu : comme un pilote dans son bobsleigh, le feu fait de la luge.
Ils ne comprennent toujours pas, ils avaient signé pour un emploi qui leur permettait d'accéder à la permanence, le haut-fourneau avait la solidité des choses qui durent ; la pierre, l'Etat. Consistance. Durabilité. Résistance. L'acier représentait une tradition autant qu'une fierté. Qu'en reste-t-il ? Leur ancienne vie a fondu comme le métal qu'ils s'employaient à couler. Ils font connaissance avec la caducité, mais qui voudrait trinquer avec cette piquette-là ? On peut bien leur expliquer qu'ils sont dans l'ère postmoderne, qu'aujourd'hui le temps de travail moyen d'un employé de la Silicon Valley équivaut à huit mois, on peut bien leur dérouler année par année la chronique des plans sociaux, c'est pas ça qui va remplir leur frigo.
Parfois dans la vie il y a des moments parfaits. Ce sont généralement des moments très fugaces, ils durent une seconde à peine mais ils sont vécus si fortement qu'ils s'impriment pour toujours dans une existence. Peut-être sont-ils aussi intenses parce qu'ils apparaissent à l'improviste, sans que rien ne les prépare ni n'annonce leur venue. Il ne s'agit pas de moments heureux, de périodes fastes comme en connaît toute vie, mais d'instantanés très courts où tout à coup vous savez avec certitude que tout est bien.