Ismet Prcic

Avant de partir, maman jeta la majeure partie de nos vêtements pour remplir nos valise d'huile, de farine, de conserves de viande et de poisson, de café, de sucre, de levure et de sucre en poudre. Quant à moi, je dus, une fois de plus, me séparer de mes bouquins.

C'est de la merde en barre, mais c'est emballé comme du chocolat.

L'encre d'un érudit est plus précieuse que le sang d'un martyr.

- Elle vous a posé un lapin, hein ? lance le vieil homme, qui se tient maintenant devant moi.
- Pardon ?
- Estimez-vous heureux. Vaut mieux qu'elle vous quitte maintenant que plus tard, quand vous serez vieux et malade comme moi.
Il me tape sur l'épaule, puis s'éloigne. Mon souffle s'est bloqué dans ma gorge.

Avant moi, deux autres Prcic avaient fait le même voyage: mon grand-oncle Bego avait échappé aux nazis en passant par Paris et s'était installé dans un appartement de Flushing Meadows, où il était mort seul; et mon oncle Irfan avait fui les communistes en 1969 et s'était installé en Californie, où il m'invitait à le rejoindre vingt-six ans plus tard.
Nous étions tous trois originaires de la même ville bosniaque, mais nous avions quitté trois pays différents: Bego avait fui le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes; Irfan avait fui la République socialiste fédérative de Yougoslavie; et moi, je fuyais le jeune Etat de Bosnie-Herzégovine.
Ce qui donne une petite idée de la situation dans les Balkans: les régimes se succèdent, aucun ne dure, mais tous poussent à la fuite.

Je me tournai vers le guichet qu'occupait maintenant une énorme masse de chair, vaguement humanoïde ou du moins constituée d'un matériau à celui que Dieu emploie dans la Genèse pour modeler le premier homme.

Je me penchai pour l'embrasser. Elle m'enlaça et me fit basculer sur elle, avant de plaquer fiévreusement sa bouche sur la mienne. Ce fut grisant. Extravagant. Je savourai l'instant de toutes les parcelles de mon corps, comme si ma conscience se démultipliait, comme si elle se glissait dans mes lèvres, au bout de ma langue, sur mon dos mouillé de rosée que ses mains froides agrippaient sans ménagement, et plus bas, là où mon sexe en érection se pressait contre elle. Je n'avais jamais rien éprouvé d'aussi merveilleux.

A chaque nouvelle naissance, il se promet de ne pas ressembler à son père, de progresser et de moderniser ses méthodes d'éducation pour faire le bonheur de ses enfants, mais sa volonté seule n'y suffisait pas : il ne pouvait pas davantage se débarrasser du code gravé en lui que repousser la nuit en clouant des planches à ses fenêtres.

Tu voudrais t'enfuir. Pleurer. Ou te balancer d'avant en arrière.

Nous sommes tous les descendants de ces petites particules stupides, de ces êtres trop réels qui ont oublié qu'il n'étaient rien. Nous nous lançons dans des grandes épopées. Pourtant, issus du néant, nous retournons au néant ; nous ne laissons rien derrière nous, sinon la perpétuation de nos propres illusions. Nous savons, au fond de nous-mêmes, que nous ne sommes rien, mais nous sommes trop terrifiés pour y penser. Et pour le temps que dure ce long voyage du néant au néant, nous avons l'impression, l'espoir même, qu'il y a quelqu'un, quelqu'un d'autre, une troisième présence qui nous suit, qui nous observe, qui nous raconte, qui nous invente à chaque instant. Et nous espérons de toutes nos forces que cette présence signifie quelque chose. Qu'elle a du sens.
Mais qui est-elle, au juste ?
1. Remplissez le blanc à l'aide de la réponse appropriée :
La troisième présence est _______________ ?
a. Dieu
b. Le narrateur
c. Ismet
d. Mustafa
e. Pardon ?
f. Moi
g. Vous
h. Qu'Est-ce que ça peut faire ?
i. Quelque chose
j. Rien
k. Toutes les réponses précédentes
l. Aucune des réponses précédentes
m. Toutes / Aucune des réponses précédentes*

*Si vous avez répondu "m. Toutes / Aucune des réponses précédentes", vous êtes déjà sur la voie du néant.