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Critiques de Jacques Le Goff (107)
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La naissance du purgatoire

Existe-t-il un temps et un lieu de participation à l'oeuvre de salut pour l'âme promise à la rédemption grâce à la Passion et à la Résurrection du Christ mais appelée à un chemin de pénitence - pas forcément de tout repos, bien au contraire - entre le jugement individuel qui suit la mort de chacun et le jugement dernier qui viendra conclure un jour l'histoire humaine ? C'est une étrangeté - sans en être une - qui conduit un monde chrétien occidental et médiéval à la recherche de ce qu'il est et de ce qu'il doit devenir, à "inventer" le purgatoire, imaginé par ceux qui pensent que toutes les âmes atteintes par le péché ne sont pas destinées à l'Enfer ou si les péchés sont rédimés au Paradis, de toute éternité.

Jacques Le Goff s'est intéressé très sérieusement à ce sujet, et il a produit là, d'après moi, son plus beau texte.

L'idée germait dans l'Ancien Testament - depuis la littérature deutérocanonique et le Deuxième livre des Macchabées - et dans la production néo-testamentaire (Matthieu et Saint Paul). Elle a commencé à se cristalliser avec Saint Augustin, qui concevait que dans l'intervalle entre les deux jugements, il y avait pour les âmes impures perfectibles et fautives seulement de péchés véniels un temps purgatoire, en tant qu'épreuve, dans l'attente d'une admission au Paradis. Soulignons cette notion de temps, qui ne s'accompagne pas encore de la définition ou de la délimitation d'un endroit donné compris dans une partie quelconque de l'espace connu ou à découvrir dans l'au-delà. C'est peut-être Grégoire le Grand qui a été l'un des premiers à penser que ce châtiment purgatoire "provisoire" était une peine appliquée sur le lieu même où les fautes avaient été commises, c'est-à-dire sur notre planète Terre. Comment ? Cela n'est pas absolument clair dans l'esprit du temps. Car y aurait-il une planète Terre pour les vivants et une autre Terre invisible à ces derniers et peuplée par les âmes dans l'attente de la Résurrection et de l'Élection-rachat ?

Une Légende Dorée donna enfin une place reconnue au Purgatoire - glissant de l'adjectif au substantif - pris comme lieu de purgation des fautes et crimes "légers" commis par ceux qui devaient l'habiter mais étaient passibles pour cela de sanctions adaptées et plus ou moins proportionnées à leurs fautes. Le Concile de Lyon de 1274 ratifiera cette avancée, cette entrée progressive dans le dogme chrétien, qui n'était finalement pas si définitivement inscrit dans le marbre d'une croyance rigide et figée. Cette théologie médiévale était donc bien susceptible d'explorer des champs nouveaux. Les Cisterciens, les Franciscains et les Dominicains aidèrent à cette entrée du Purgatoire dans l'histoire des hommes et dans le projet divin pour les hommes. Comme on voulait se représenter le monde géographiquement parlant, on tentait de donner forme à un Purgatoire inscrit maintenant à sa place entre Enfer et Paradis non comme lieu de passage entre les deux mais comme intermédiaire entre le temps des hommes et le temps du Jugement final des hommes. Séjour premier des humains qui n'avaient pas eu la chance de connaître le salut chrétien de leur vivant, puisqu'ils avaient vécu avant Jésus-Christ, mais qui s'étaient conduits comme des Justes et des êtres droits durant leur séjour terrestre. Il fallait sortir du classement simpliste entre réprouvés et élus : il fallait trouver un temps et un lieu pour permettre aux gens qui avaient des scrupules, des doutes et le besoin de justifier leur fortune et leur part de pouvoir bien ou mal acquis pour leur faciliter l'accès au Paradis en passant par l'épreuve du Purgatoire. Voilà bien de la compassion. Comme si les choses pouvaient se passer aussi simplement.



François Sarindar
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Faut-il vraiment découper l'histoire en tranc..

Faut-il que les historiens du Moyen Âge annexent la Renaissance, comme semblait avoir tendance à le faire Jacques Le Goff dans cet essai - ou ensemble de réflexions - intitulé : Faut-il vraiment découper l'Histoire en tranches ?

Si les questions que se pose Jacques Le Goff (1924 - 2014) sont utiles et bienvenues, et si nous sommes très nombreux à partager certaines de ses pertinentes et brillantes analyses, il me semble toutefois que les réponses apportées vont peut-être un peu loin.

Autant il est utile de rappeler que les bornes chronologiques posées par commodité et confort intellectuel - plus que par vrai et pur rationalisme - ont un côté quelque peu artificiel, puisque forcément les changements viennent de loin et se préparent dans la longue durée avant d'éclater au grand jour comme une évidence, autant il me paraîtrait exagéré et imprudent de systématiser l'emploi des mots "long Moyen Âge", comme si cette période qui ne s'arrêterait pas en 1453, 1492 ou 1499-1500, mais au XVIIIème siècle pouvait tout englober de ce qui s'est présenté entre le XVIème siècle et le XVIIIème siècle. Il faudrait reprendre, détail dans le détail, chaque exemple choisi pour s'assurer que les assertions de l'auteur se vérifient bien historiquement de manière précise, sinon totalement objective - ce qui est impossible dans la mesure où l'Histoire est et demeure une science humaine, par définition mouvante dans les classifications, délimitations et le sens qu'elle donne aux choses et dans la lecture qu'elle fait des événements selon les époques d'où l'on se place et les points de vue d'où l'on part pour en parler. Tout peut changer sans cesse si l'on doit tout réinterpréter à l'aune des options idéologiques qui sont celles de l'historien qui s'exprime et qui est immergé dans une société qui influence son état d'esprit.

Est-ce que l'Histoire, à partir du moment où elle est devenue matière d'enseignement et de recherche, a pris cette forme avec découpage de périodes bien délimitées par esprit de simplification ou parce qu'il existait des critères objectifs de présenter les choses ainsi et que cela resterait malgré tout valable ?

Je crains qu'il ne plaise pas vraiment aux spécialistes de la Renaissance et à ceux de l'Âge classique qu'on les fasse passer par un exercice pratique dans lequel on chercherait à vérifier que ce que Jacques Le Goff nous a laissé entendre est une chose absolument démontrable.

On peut se livrer librement à ce genre de réflexions comme l'a fait Jacques Le Goff sans remettre totalement en cause nos grilles de lecture, et sans tout relativiser.
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L'automne du Moyen Age

Sur la période du bas Moyen-Âge, ce livre est devenu un classique. On a l'habitude de regarder les 14e et 15e siècles comme une époque charnière annonçant un déclin des modèles médiévaux, faits de ténèbres, et de répétitions des habitudes pourtant désavouées par les faits en cette fin de cycle.

Les temps de rupture et de passage posent problème dès lors que l'on cherche à poser des limites historiques tranchées entre ce qui finit et ce qui va commencer. Il est de fait significatif que l'on ait longtemps traduit le titre de cet ouvrage en employant le terme de "déclin" (Le déclin du Moyen-Âge), remplacé aujourd'hui par "automne", qui sonne plus juste.

Mais comment appliquer des coupures nettes entre Moyen-Âge finissant et début de la Renaissance ? N'y a-t-il pas plus de survivances que l'on ne croit de l'un dans l'autre ? La chevalerie et ce que l'on disait être son esprit étaient-ils vraiment morts au XVIe siècle ? Bayard, entre autres exemples, n'était-il pas lui aussi un modèle de chevalerie comme on l'entendait auparavant ? Tout ce qui se réalise au XVIe était bien en germe au XVe siècle ; il n'est que de regarder ce qui se passe à Florence, sous Laurent de Médicis, pour en trouver l'illustration. Fin et commencement ne sont pas si distincts et éloignés qu'on ne nous l'a abondamment répété. Si l'on déplace les limites du Moyen-Âge de 1453 - année de la prise de Constantinople par les Turcs et de la fin de la guerre de Cent Ans - à 1492 - année qui voit la fin de la Reconquista en Espagne et le ďébarquement de Christophe Colomb dans le Nouveau-Monde, on n'a pas encore répondu à la question de savoir pourquoi les hommes de ce que l'on appelle la Renaissance se comportent encore pour partie -si ce n'est en totale continuité - comme ceux du XVe siècle ? Même ce que l'on va désigner sous les termes de Réforme protestante n'est-il pas l'aboutissement de ce qui s'est produit avant, comme une tentative de réponse à des questions soulevées depuis des siècles ? L'HISTOIRE ne se découpe pas abusivement en tranches, comme on le croit un peu facilement. Et les périodes dites de "crise" ne sont finalement pas moins riches que celles que l'on qualifie de "dorées". Les 14e et 15e n'ont finalement pas moins apporté de nouveautés et/ou d'évolutions que les 13e et 16e siècles. Cela se voit mieux quand l'on cesse de schématiser, classifier et périodiser. La Renaissance n'a pas moins éte cruelle que le Moyen-Âge et celui-ci n'a pas moins vu d'avancées artistiques et politiques, entre autres choses, que le 16e siècle, même si ce dernier a rompu avec l'art gothique - évolutif depuis les XIIe et XIIIe siècle - pour renouer avec l'art gréco-romain - mais pas sans adapter encore pendant un temps une ultime forme de l'art ogival. Tout rentre bien dans tout, en dépit des affirmations de rupture.

Alors, il serait bien de "revisiter" le sujet traité par J. Huizinga, de manière à nuancer encore plus qu'il ne l'a fait.



François Sarindar
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L'automne du Moyen Age

"Toute époque aspire à un monde plus beau. Plus le présent est sombre et confus, plus ce désir est profond. Au déclin du moyen-âge, la vie s'emplit d'une sombre mélancolie."



Un vieux souvenir de fac... le pire examen de l'année. le meilleur professeur. La sensation odieuse d'une tête complètement vidée de sa substance : le cerveau, cuit par la canicule précoce de cette fin mai, essaie de trouver la réponse à la question toute simple :

"Avez-vous lu "L'automne du Moyen Âge" ?

- Ehm... hm... nonhm...

- Dites-moi de quoi parle ce livre. Ce que vous imaginez qu'il pourrait contenir. Courage, vous allez trouver !

- Si vous le croyez..." (ha, certainement !)

Quand je suis ressortie d'un pas incertain au soleil, dans l'affreuse veste vert pomme, la tête me tournait encore. Pendant presque deux heures, on a discuté d'un livre que je n'ai même pas ouvert. Mais aussi de l'art sacré et profane, de l'architecture "flamboyante" du moyen-âge déclinant, de l'amour courtois et des idéaux chevaleresques qui n'étaient alors plus qu'un reflet sentimental de la gloire passée, de la mentalité des gens capables de pleurer pendant des semaines un roi qu'ils n'ont jamais vu, ou commettre un meurtre quand leur adversaire trichait aux échecs. Des prémices timides de la Renaissance dans une époque languissante pleine de codes et symboles obscurs, passions, larmes, contrastes et extrêmes. Et je voulais vraiment lire ce Huizinga !



Rien que le titre "L'automne du Moyen Âge" prépare déjà le lecteur à un fastueux saltarello allégorique, où les dates, les noms et les événements mènent la danse avec l'art et la culture, et créent un tourbillon de chaos parfaitement organisé.

Avec sa fresque expressive, Huizinga ressuscite les dernières décennies du moyen-âge agonisant. Il l'adore, et il ne le cache pas : son ouvrage est une sorte d'élégie, un soupir mélancolique sur un monde disparu, et ceci dès les premières lignes - "Quand le monde était de cinq siècles plus jeune qu'aujourd'hui, les événements de la vie se détachaient avec des contours plus marqués".

Le livre, inspiré par l'oeuvre de Jacob Burckhardt, est conçu comme une mosaïque impressionniste qui mélange les observations de l'auteur avec de nombreuses descriptions et anecdotes cueillies chez les chroniqueurs d'époque, et des citations fragmentaires : ce qui peut paraître de près comme des taches de couleur disparates révèle avec un peu de recul tous les aspects de la culture médiévale tardive dans un surprenant ensemble. Un tel livre ne peut pas rester froidement objectif, ni suivre aucune thèse centrale clairement définie, malgré sa division en cercles thématiques.

L'auteur se concentre sur la période du bas moyen-âge (15ème siècle), en particulier en France et dans les pays de l'actuel Benelux. Il parle avec passion de la culture de l'époque : ce qu'on comprend traditionnellement comme les événements "historiques" (guerres, politique, économie) est plus ou moins éclipsé en faveur des arts (les célèbres Danses macabres ou la peinture flamande) et de la littérature (poésie lyrique courtoise). Il considère la diversité et l'intensité des contrastes de la vie quotidienne comme les traits principaux de l'époque, et il accentue avec un plaisir non-dissimulé les facettes bizarres, parfois grotesques, de la façon de penser de nos ancêtres. Il ne prétend pas présenter ces faits comme quelque preuve de la "mentalité" médiévale, mais cette mosaïque finement composée la reflète aussi bien que n'importe quel miroir. (Les limites que pouvait atteindre tant l'appétence que le dédain pour la vie terrestre seront ensuite parfaitement décrits par M. Bakhtine dans "L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire".)



"L'automne du Moyen Âge" (1919), considéré désormais comme un classique, n'est donc pas un manuel foncièrement rébarbatif destiné aux étudiants en histoire, mais un ouvrage "littéraire", qui prouve que la distance entre l'hagiographie et la fiction n'est parfois qu'illusoire. Huizinga est un bon narrateur et un excellent styliste, et il est impossible ne pas le recommander... même s'il pourrait s'avérer quelque peu dangereux pour une toute première excursion au moyen-âge. Comme un mystérieux feu follet, il peut conduire le lecteur au milieu de la forêt médiévale, touffue, enchanteresse et pleine de dangers, et le laisser errer sans plus lui indiquer le chemin.

Un livre sur l'art et l'esprit du moyen-âge qui est déjà une oeuvre d'art en soi, quoi vouloir de plus ? 5/5
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Les grandes Civilisations (3) : La civilisa..

Un homme important vient de s'éteindre (01/04/2014). Il aura eu la malchance, si j'ose dire, de le faire au même moment qu’une romancière populaire. De ce fait, sa disparition fut à peine évoquée par les médias télévisés, plus friands de points d'audimat que de culture, cela va sans dire. Pourtant, Jacques Le Goff révolutionna quelque peu le monde des médiévistes. Offrant au lecteur sa science et ses recherches, il le faisait avec passion et simplicité.



Cher Jacques, vous avez inscrit votre nom dans l'Histoire. Qu'il brille désormais au firmament !





*****





"La civilisation de l'Occident médiéval" est le premier livre que j'ai lu de ce grand médiéviste. Ouvrage majeur, il remet en cause la vision des Historiens en s'intéressant surtout au côté intellectuel de cette époque et à la christianisation qui a joué un rôle important. Autrement dit, il ne va pas exploiter ici l'héritage matériel de nos ancêtres mais faire des recherches dans les sources ecclésiastiques afin de montrer le poids des valeurs religieuses. Elles ont façonné l'homme médiéval et sont devenues notre patrimoine immatériel.



Le Goff pointe également du doigt le découpage arbitraire - il faut bien l'avouer - des périodes historiques : le Moyen Âge est-il une continuité ou une rupture avec l'Antiquité ? Question épineuse à laquelle il répond ainsi : "Il semble souvent que la continuité l'a emporté sur la rupture, le point d'arrivée est pourtant si éloigné du point de départ que les gens du Moyen Âge eux-mêmes, dès le VIIIe siècle et jusqu'au XVIe, éprouveront le besoin de retourner à Rome parce qu'ils sentaient qu'ils l'avaient bien quittée. En chaque renaissance médiévale les clercs affirment plus encore la nostalgie du retour à l'Antiquité le sentiment d'être devenus autres. Revenir à Rome, ils n'y songent d'ailleurs jamais sérieusement. Quand ils rêvent d'un retour, c'est à celui qui les ramènerait au sein d'Abraham, au paradis terrestre, à la maison du Père". (P 54)



Se replonger dans cette époque, la regarder avec une vision médiévale et non moderne, apprendre d'elle pour comprendre ce qui nous relie à cette dernière, voilà ce qu'a voulu faire Le Goff. Cet ouvrage est une mine d'or pour celui qui cherche à en savoir plus sur cette période qui, soudain, devient plus proche, dénuée de ses clichés.


Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Une histoire du corps au Moyen Age

"La terreur que l'esprit ressent devant le corps a rendu fous d'innombrables immortels."

(D. H. Lawrence)



Le Moyen Âge est fascinant. Le Moyen Âge est divin, et nul n'est mieux placé que Jaques le Goff (avec, peut-être, feu Georges Duby, in memoriam) pour vous en persuader.

Je me suis jetée sur le "Corps", le l'ai dévoré, et je m'en suis délectée.



Ce livre a un grand avantage - il se lit bien et très facilement. Cela reste pour autant une lecture intéressante et très bien documentée. Le Goff ne vous fait pas bâiller aux corneilles, ni ne vous noie pas dans d'innombrables références - il raconte, et il explique...

Autre avantage est l'originalité du sujet. Le Moyen Âge, ce n'est pas seulement la correspondance de l'abbé Suger et Bernard de Clairvaux, tournois, croisades, hydromel et chanson de geste. Même le corps, ce tas de viande et d'os, a son histoire ! D'un côté, on le condamne et on s'en méfie, et de l'autre on glorifie le corps de Christ.

Sur les contrastes similaires et les tensions entre eux est bâtie la culture médiévale.



Ca parle de la santé et des maladies, des privations du Carême et les bombances du carnaval, de l'attitude de la société envers l'enfance et la vieillesse. Du sport et de la mode. Sans oublier la chambre conjugale et extraconjugale.

Vous regarderez dans les officines des apothicaires et dans les cuisines.

Vous lirez un chapitre sur le rire, les larmes, le sang, sur le péché de la gourmandise, et pour finir, vous rajouterez la partie sur les métaphores médiévales du corps comme une image du monde.



Dites-moi, auriez-vous jamais pensé que le rire dans les monastères n'était pas toléré, parce que dans la Bible, on voit Jésus pleurer trois fois, mais jamais il ne rit ? Oui, parce que vous vous souvenez encore du "Nom de la rose". Mais savez-vous ce qu'a désiré et pour quoi a prié St. Louis, cet idéal de souverain médiéval, mort au milieu d'une croisade ratée quelque part en Tunisie ? Pour quelque chose que l'on a tous, et parfois on le gaspille assez inutilement...



Vous hésitez ? Alors, vite à la bibliothèque, pour chercher le "Corps" !



Comment ne pas donner cinq étoiles au livre qui définit les trois ordres par rapport à leur attitude au corps ? Quel merveilleux sujet à aborder dans les cercles littéraires de nos chaumières !

Vive le Moyen Âge, et gloire éternelle au corps !
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L'automne du Moyen Age

Paru en 1919, ce livre est en avance sur son temps. Bien avant le début de la Nouvelle histoire (pour situer, 1919, c’est l’année de naissance de Georges Duby), il s'attache à faire une histoire des mentalités aux XIVème et XVème siècles, quand la fin du Moyen-âge s'entrelace avec le début de la Renaissance.



Parce que l'intention de l'auteur, c’est de montrer que la Renaissance est loin de la rupture présentée par ses prédécesseurs, dont l’incontournable Jules Michelet. Et pour ce faire, il va puiser à toutes les sources disponibles : les arts plastiques, la littérature, les écrits philosophiques, énormément de chroniques, quelques éléments notariés ou d’état civil…

Ce faisant, il se perd un peu en chemin, oublie parfois son objectif initial pour s’abîmer dans son étude des mentalités du Moyen-âge. Et ce n’est pas dommage, parce qu’il est passionné par son sujet et nous transmet cette passion pour cette époque « primitive » parce que si contrastée.

Néerlandais, Johan Huizinga s’intéresse aux deux grands ensembles rivaux que sont alors le duché de Bourgogne, qui va de la Bourgogne aux Pays-Bas en passant par la Champagne et la Belgique, et le royaume de France, celui de Charles VI à Louis XI, où le fier hexagone d’aujourd’hui est tout rogné à l’ouest et nord-ouest par les possessions anglaises consécutives à la Guerre de Cent Ans, et à l’est par ce duché de Bourgogne. Dont les monarques sont tous des cousins, les Valois.

Une société figée, lourde jusque dans ses vêtements d’apparat ou blasons trop chargés.



Époque contrastée donc.

Contraste entre des conditions de vie très rudes, aggravées par les exactions induites par les guerres, où la vie se trouve brutalement interrompue par la maladie ou la mort, et la joie de vivre qui se manifeste bruyamment à la moindre occasion festive. Une part non négligeable de ces occasions sont les entrées des souverains dans les villes de leurs territoires, donnant lieu à des festivités qui sont chroniquées et procurent ainsi à l’historien autant de détails sur la vie des petites gens.

Contraste entre l’omniprésence de la religion et l’irrespect, voire les blasphèmes, que génère cette proximité, sans vraiment penser à mal.

Dans ce domaine, contraste entre les développements complexes des écrits dogmatiques et les sujets d’adoration populaire encore emprunts de paganisme primitif. L’Église si prompte à pourchasser brutalement les hérésies laisse avec bonhommie passer ces coutumes populaires. Et sait le justifier.

Contraste encore entre les idéaux chevaleresques, y compris les développements insensés de l’amour courtois ou de l’honneur des gentilshommes, et la trivialité de la vie réelle. Décalage dont les gens ne sont pas dupes et rient grassement.



La pensée du Moyen-âge est empreinte de néo-platonisme, de catégories idéales hiérarchisées, et remplace le raisonnement de causalité par celui des analogies, qui s’écrivent généralement sous forme d’allégories.

On découvre alors ces énumérations invraisemblables, où la multitude est censée renforcer le pouvoir de conviction. La littérature du Moyen-âge, notamment le fameux Roman de la Rose, se perd dans un fatras de détails et d’allégories. Huizinga explique cette lourdeur des écrits de toutes sortes, même s’il est visiblement admiratif (et soulagé) des brusques traits de simplicité et de réalisme chez quelques chroniqueurs ou par le bain de jouvence qu’est François Villon.

Ce mode de pensée est en revanche source de merveilles en peinture. Il faut regarder les œuvres de la fin du Moyen-âge au-delà de la représentation très convenue, parce que devenue très codifiée, du sujet principal. Là, le goût de l’énumération se traduit par un luxe de détails représentés avec un réalisme fantastique, notamment chez Van Eyck, que l’auteur apprécie énormément.



La nouveauté de la Renaissance sera de savoir simplifier, synthétiser, permettre une vision d’ensemble. Bien davantage que de revenir aux thèmes et personnages classiques antiques, qui n’avaient jamais totalement disparus.

Évidemment, Huizinga relève des aspects renaissants antérieurs à la fin du XVème siècle et, inversement, des aspects moyenâgeux bien postérieurs. S’il ne nie pas la nouveauté, il la replace comme une évolution plutôt qu’une rupture.



Ce livre est finalement un formidable voyage dans une époque de déclin certes, où les idéaux nés au XIIème et XIIIème siècles sont affadis par la somme des gloses et codifications, mais qui recèle pourtant des merveilles d’ingénuité, de beauté et d’ironie, parfois d’une modernité surprenante.



Petit avertissement : ce livre n’est malheureusement pas si facile à lire, parce qu’il contient beaucoup de citations en français de l’époque et quelques unes en latin, très rarement traduites. Mais il vaut largement l’effort.

Et petit bémol : de trop nombreuses coquilles émaillent cette édition de la Petite Bibliothèque Payot.
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Faut-il vraiment découper l'histoire en tranc..

Jacques Le Goff, éminent spécialiste de ce passionnant Moyen Âge, que les Anglais appellent "Dark ages", nous livre ici un ouvrage "testament" paru en 2013, soit un an avant le décès du célèbre historien.

Pas de doute, l'histoire est une science humaine, et de ce fait, tributaire de l'état des connaissances et du regard porté sur la discipline par ceux-là mêmes qui l'étudient. Avec le recul, pourrait-on dire que notre vision prend de la hauteur et permet donc de considérer avec plus de discernement non pas les ruptures mais les évolutions lentes? Ainsi, en serait-il de la Renaissance, que Le Goff nous incite à replacer au coeur du Moyen Âge, période où l'Antiquité fut toujours à l'honneur. Il prône ainsi pour une vision élargie du Moyen Âge, allant de l'Antiquité tardive (III au VIIème siècle) jusqu'au milieu du XVIII ème siècle. Une démonstration bien étayée par les travaux de collègues européens, passionnante et éclairante.

Alors, faut-il découper l'histoire en tranches fines, plus épaisses, en dés ou en lamelles? La réponse, est au bout de la lecture.

Un ouvrage qui passionnera les amoureux de l'histoire de tout poil!
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Hommes et Femmes du Moyen Age

ET LUX FACTA EST.



Qui, mieux que le directeur de cet ouvrage captivant pouvait résumer l'intention fondatrice de celui-ci ? Écoutons-donc un instant Jacques Le Goff, immense médiéviste qui su, parmi quelques autres tels Georges Duby (qu'il cite d'ailleurs régulièrement) et dans la lignée d'un Fernand Braudel, rendre sensibles et vivants des temps pourtant si incroyablement lointains de nous par tant d'aspect, sociaux, culturels, politiques, économiques et, plus que tout le reste réuni peut-être, spirituels. Voici donc quelques mots de ce qu'il en explicite dans son introduction :



«L'histoire semble se présenter dans ce livre sous une forme relativement périmée, puisqu'elle s'appuie essentiellement sur les grands personnages. Or, depuis le mouvement des Annales, au milieu du XXème siècle, on va chercher l'essentiel de son sens dans l'ensemble des sociétés et des couches sociales. Les historiens qui ont conçu et composé cet ouvrage ont cependant pensé que les hommes et femmes célèbres pouvaient être les étendards très parlants d'une société et d'une époque. C'est donc en tant que révélateurs de leurs temps et héros de la mémoire historique que sont présentés les individus qui illustrent ce livre collectif.»



Le professeur "inventeur" du «très long moyen-âge», qui conteste ainsi le fractionnement arbitraire et, somme toute, relativement récent de l'histoire en "Moyen-Âge puis "Renaissance" pour en arriver à "l'Ancien Régime", estimant que les caractères essentiels du Moyen-Âge se poursuivent jusqu'au XVIIIè, siècle au cours duquel se créent deux véritables modernités - autres que relativement cosmétiques - à savoir la naissance de l'industrie moderne en Angleterre et la Révolution en France (mais il ne s'agit évidemment pas dans ce volume de dépasser les dates (476 - 1492) parfaitement arbitraires mais traditionnellement admises, dans notre pays, pour délimiter cette hypothétique période médiévale plus concentrée - qui représente tout de même pas moins de 1016 longues années, c'est à dire presque le double d'années qui nous séparent, en 2019, de cette date conclusive !), Jacques Le Goff, donc, poursuit un peu plus loin de cette manière :



«Les personnages de ce volume ne se limitent pas à offrir une image résumée de leur vie et de leur célébrité. Ils sont ici en tant que témoins de leur époque, car à travers eux l'Histoire a connu à la fin du XXèle siècle un tournant ; de même que l'histoire événementielle a cédé en général la place à une histoire plus globale, plus profonde, et plus collective, les grands personnages qui l'ont animée ont été vus comme emblématiques d'une période, d'une société, d'une civilisation. Telle est donc, résumée en quelques points, l'image du Moyen-Âge présentée ici à travers ces personnages ; cette vision est d'abord la mienne ; elle est aussi plus ou moins partagée par les historiens qui ont acceptés d'écrire un ou plusieurs articles de cet ouvrage collectif.»



Et - presque - de conclure par ces mots auquel nous ne saurions qu’acquiescer, tant les lectures consacrées à cette (ces) période(s) n'ont de cesse de le démontrer :



«Mon Moyen-Âge s'éloigne radicalement - il en est presque le contre-pied - de l'image d'un Moyen-Âge obscurantiste, ce que les Anglais ont appelé les "Dark Ages". Cette image s'est développée avec les humanistes de la Renaissance, avec les philosophes et les historiens du siècle dit des Lumières, le XVIIIè, et n'a été que partiellement restaurée par les goûts nouveaux du romantisme et par l'étude positiviste du XIXè siècle, plus proche des documents et mieux armée d'esprit critique. Le long Moyen-Âge que j'évoquais plus haut - mais cela vaut aussi pour le Moyen-Âge traditionnel, qui s'étend du IVè siècle à la fin du XVè siècle - est une période beaucoup plus positive et progressiste qu'on l'a pensé (même si le terme «progrès» n'y existe pas au sens moderne).»



Qu'ajouter de plus, sinon que ce document, réalisé sous la direction de Jacques Le Goff, compte quarante-quatre contributeurs, parmi lesquels Martin Aurell, Michel Banniard, Philippe Contamine, Bruno Dumézil (jeune et brillant spécialiste de la période du Haut-Moyen-Âge), Régine Le Jan, Jacqueline Risset (autrice d'un saisissant article consacré à Dante, et dont elle est l'une des grandes spécialistes), André Vauchez (un de nos meilleurs professeurs français en matière de sainteté et de spiritualité au Moyen-Âge), etc... Autant de chercheurs, universitaires, scientifiques, auteurs (toutes mes excuses à ceux que je n'aie pu citer ici) qui, dans leur domaine d'excellence nous donnent à découvrir, par le biais de ces "étendards" soulignés par Jacques Le Goff, une période complexe et ô! combien vivante. Une ère tour à tour lumineuse et sombre, en replis ou en expansion, bien plus cultivée et créatrice que cela n'est sans cesse seriné. Le temps d'une Europe en devenir ; une civilisation certes toute tournée vers sa foi en Dieu et au Christ mais où la place de la religion et surtout celle de ses représentants sur terre - moines, clercs, papes - est en constante évolution et jamais aussi monolithique ni absolue qu'on peut aujourd'hui se le représenter. Ainsi, s'il est alors inconcevable de ne croire en rien, les hérésies y pullulent, les contestations de l'autorité des évêques, a fortiori du pape, y sont légion et si le grand rêve monachique traverse presque toute cette longue période, elle demeurera à jamais un rêve, un genre d'absolu, pas une réalité tangible.



C'est aussi la refondation - tout autant que les premiers prémices - de cette Europe que nous peinons aujourd'hui tant à bâtir qui se profile alors peu à peu sur les décombres jamais tout à fait oubliés de l'Empire Romain (en cela la "Renaissance" n'en est pas une autant qu'elle a voulu le faire croire). Bien sûr, il ne s'agit ici, pour l'essentiel, que de personnages de "premier plan" : Papes, docteurs de l'église, saints canonisés, rois (sans doute "la" grande marque politique du Moyen-Âge, ce régime devenant la norme dans toute l'Europe), quelques "grands commis" d'états - pardon pour l'anachronisme - dont les contours sont encore très flous, très fluctuants, quoique de moins en moins au fur et à mesure de l'avancée dans les siècles. S'y ajoutent le portrait de quelques écrivains profanes, quelques premiers grands peintres (les créations musicales, picturales ou littéraires mettront très longtemps à s'individuer, l'anonymat des créateurs étant longtemps la norme, les créations étant d'ailleurs bien souvent collectives). Pour s'achever sur les portraits de personnages imaginaires (Le Roi Arthur, la Papesse Jeanne, Jacques Bonhomme, Mélusine, Roland, Satan, La Vierge Marie, etc) dont on peut sans peine affirmer qu'ils donnent autant à comprendre le Moyen-Âge que les notices consacrées à des individus, femmes ou hommes, ayant véritablement vécus, ces premiers ayant pris pour ainsi dire corps dans les esprits de cette période.



C'est donc tout autant le reflet d'une ère que les portraits de 112 de ses acteurs - prestigieux ou plus confidentiels - que l'on découvre au fil de ces pages. On pourra peut-être regretter la part congrue réservée aux femmes mais, Jacques Le Goff s'en explique presque autant qu'il s'en excuse, il faut bien admettre qu'elles n'ont elle même que la part congrue dans les traces que les temps nous ont laissé. D'ailleurs, de l'avis de l'historien «cette inégalité [NB entre portraits d'hommes et ceux de femmes] n'est pas le reflet de celle que notre modernité a perpétué dans la plupart des sociétés humaines, y compris la nôtre ; elle est le reflet documenté de la place réelle des femmes au Moyen-Âge. On verra d'ailleurs que cette infériorité n'est pas toujours aussi évidente que l'on croit». À bon entendeur !



En résumé, cet ouvrage de quelques cinq cents pages passionnantes, pleines de surprises et de belles découvertes est un véritable petit bréviaire - le terme n'est pas anodin, s'agissant de cette période - à destination de lecteurs curieux et avides de lectures intelligentes tout en étant parfaitement accessibles, ouvrant large sur d'autres perspectives (ne nous cachons pas que nombre des biographies proposées ici ont un enthousiasmant "goût de trop peu" et qu'il laisse libre à chacun d'aller y voir un peu plus en profondeur), démontant sans en avoir l'air un nombre infini de lieux communs, de contre-vérités, de fantasmes et autres billevesées que l'on a coutume d'entendre - bien trop souvent - sur cette période d'une richesse inouïe, celle qui fonda tout un pan de notre imaginaire, de notre recherche du beau et de notre intellect : que l'on songe au cycle Arthurien sans cesse revisité, aux sagas islandaises, à l'imaginaire féerique sans lequel nos "littératures de l'imaginaire" serait certainement bien différent, à l'émergence des ancêtres de nos actuelles autobiographies, à la première redécouverte de la philosophie grecque - Platon et Aristote en tête -, aux premières bases de la représentation graphique réaliste du monde après l'avoir représenté de manière essentiellement symbolique dans un premier temps, à la création de la notation musicale telle qu'elle perdure encore aujourd'hui, etc, etc, etc.



Ouvrage à lire d'une traite, à découvrir sans urgence ou à reprendre au fil des envies, cet "Hommes et Femmes du Moyen Age" est une porte d'entrée faramineuse dans un univers tout à la fois proche (par l'engouement qu'il suscite) et terriblement lointain que furent ces mille années passées.
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Les grandes Civilisations (3) : La civilisa..

Voilà une sacrée somme de savoir sur le Moyen Age condensée dans un livre somme toute assez petit ; un savoir compacté dans la petitesse de la fonte utilisée pour le texte et dans l’étroitesse des interlignes, mais un savoir si dense qu’il fuit à travers les joints des pages. Et certaines parcelles sont parvenues à atteindre mon cerveau ébahi.



Cela avait mal commencé pourtant, car dès le début Jacques Le Goff fracasse sans pitié la période romaine précédente – et là, moi, spontanément, je crie à l’assassin. « Rome paralysie de l’Occident », « exploite sans créer », « économie alimentée par le pillage », les qualificatifs négatifs se bousculent, les bons côtés sont négligés. Ok, je conçois qu’on cherche à mettre en lumière son sujet en dénigrant un peu le canevas général (la Renaissance en prend aussi un peu pour son grade), mais j’en ai encore les dents qui crissent.



Mais bah ! Tout ça est rapidement oublié quand on entre dans le vif du sujet (oubli grandement aidé par le fait que les quelques échos de la période romaine qui paraissent le long du récit sont nettement moins à charge) et que l’on comprend que l’auteur domine incontestablement son sujet (je le savais déjà mais ça explose vraiment dans le récit). Jacques Le Goff ignore – ou évacue – l’exposé de la chronologie factuelle, préférant bâtir son édifice à coup de petites briques thématiques décorées d’exemples. Il taille lentement les facettes de son diamant, focalisant le regard sur tel ou tel aspect de la période. Et quasiment tous les aspects passent par son tamis ; j’emploie le mot délibérément car Jacques Le Goff n’assène pas les faits, il les interprète, les digère et les propose dans l’écrin de sa vision affûtée.



Je l’avoue, ma mémoire fuyante n’a pas tout retenu, mais ce n’est pas si grave vu que je sais où retrouver l’information si besoin (l’absence d’un index est très dommageable à cette utilisation du livre d’ailleurs). Je peux quand même déposer pêle-mêle quelques éléments qui m’ont marqué, lorsqu’au-delà des mots l’information prend une forme plus émotionnelle, ressentie dans les tripes.



- La symbiose profonde qui unit l’Occident avec la Chrétienté. Je suis plutôt cartésien, héritier des Lumières (je me flatte à mort mais je compte sur votre indulgence) et c’est pour moi toujours difficile de comprendre les comportements dominés par la religion. Pourtant ici j’ai pu annihiler pendant quelques temps mon paradigme et percevoir cette fusion, cette manière d’appréhender réalité physique et mystique à travers le seul prisme du catholicisme.



- La dureté de la vie des hommes et femmes des basses classes, des paysans, des serfs, soumis aux maladies, aux guerres, aux famines, au pillage de leur propre seigneur, au mépris des classes « supérieures ». Les quatre cavaliers de l’Apocalypse avaient amené quelques copains pour participer à la fête. Dans ce livre tout cela vous pète à la figure et l’on se demande comment il se fait que ces gens ne se soient pas révoltés plus tôt. Mais bien sûr ils l’ont fait, souvent, et ont été anéantis. La Révolution, en fin de compte, c’est la première révolte qui ait réussi.



- L’aventure que représente le voyage en ces temps-là.

- L’évolution du culte de la Trinité, depuis le Roi/Seigneur le Père et Christ pantocrator jusqu’au Fils souffrant, plus proche de l’humanité.

- L’importance de la mesure du temps, réalisée par les classes supérieures, et surtout l’Eglise, qui s’en sert comme outil de domination. Il faudra attendre le XIVème siècle pour voir les horloges mécaniques laïciser la mesure.

- La scolastique qui propose, pour certains, une approche de Dieu par la raison et place les germes de ce qui deviendra la méthode scientifique.



C’est sans fin. J’arrête. J’ai déjà écrit plus que ce que je comptais. Pour conclure je dirai que si je devais retenir une seule chose, c’est que je n’aurais pas aimé vivre à cette époque autrement plus éprouvante que la nôtre.

Lire ce livre valait vraiment le coup et je remercie mille fois LydiaB dont la critique m’en a donné l’envie.

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Saint-Louis

Louis IX ou Saint Louis ? Un roi, un saint, un saint roi ou un roi fait saint pour le plus grand profit de la dynastie capétienne et particulièrement de son petit-fils, Philippe le Bel, le demandeur de la canonisation ? La sainteté quand il s'agit d'un Roi ou d'un responsable politique éveille toujours un peu la suspicion. Non pas qu'on puisse douter des mérites de Louis IX à avoir eu droit à cette canonisation. Mais il faut bien comprendre que faire la biographie d'un homme qui, de son vivant, n'était que le roi Louis IX, devrait déjà exiger une clarification de la part des historiens.

Choisir Louis IX, c'est choisir de parler d'une figure centrale et célèbre du XIIIe siècle, qui laisse dans les mémoires l'image d'un siècle prospère, d'un temps de paix (ce que l'on doit relativiser), et l'on parle à cette occasion de "beau Moyen Âge".

Il était tentant, pour Jacques Le Goff de s'emparer de ce personnage pour en faire l'objet d'une biographie - l'occasion pour lui de réhabiliter ce genre qui avait été démonétisé par de nombreux historiens et par des générations de médiévistes (ce qui n'empêcha jamais de grands historiens de briller dans ce domaine). Le contenu du livre est un peu "pollué" par ce débat qui pourrait dérouter le lecteur attaché au respect des règles propres à ce genre.

Il y a donc la biographie d'un côté, au travers du regard porté sur le roi par son ami et mémorialiste (ou chroniqueur) le sire de Joinville qui profita de ses confidences et réflexions et qui nous restitue aussi leurs dialogues. Mais ici, et c'est l'autre aspect des choses, le problème est de savoir si l'image que Joinville nous donne de Louis IX est totalement fidèle au modèle.



On est donc assez partagé quand on lit cette biographie qui échappe aux critères habituels et qui n'en reste pas moins un précieux travail parce qu'il nous livre des pistes sur le métier, les problématiques et les interrogations de l'historien.

François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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L'Europe est-elle née au Moyen-Âge ?

Je dirais que l'Europe est d'abord fondamentalement nichée dans la mémoire de l'empire romain d'occident qui fut son creuset de naissance et sa matrice .

C'est L'église par ses institutions monastiques ( principalement ) qui en fut le conservatoire , puis qui fut le promoteur de la résurrection de la conscience d'unité de civilisation , sous les premiers carolingiens et pendant la renaissance carolingienne .

Pendant la renaissance carolingienne les contemporains pensaient Imperium , mais c'est bien d'Europe qu'il s'agissait ...



L'Europe fut longtemps un élan balbutiant , nostalgique et une idée mémorielle ( de l'imperium ) plus qu'une réalité POURTANT :

L'Europe à ce moment ( IX ieme siècle ) est déjà une indéniable unité culturelle et politique ( du point de vue de la théorie politique et religieuse ) qui repose alors , non sur une réelle cohérence ethnique mais sur :

La mémoire de l'antiquité classique ( surtout latine à cette époque pour l'occident ) , mais aussi sur une véritable théorie politique . Celle du Princeps , imperator bras séculier de l'église.



Les idées circulaient intensément de l'atlantique aux confins méditerranéens et les civilisations celtiques , hongroise , germaniques vinrent rejoindre l'Europe au point de vue civilisation :

Théorie politique ( ( le sacre , fusion du Princeps Augustus Romain , de la monarchie vétérotestamentaire et de la royauté patrimoniale germanique ) , diffusion des textes antiques sur grande échelle continentale et autre , écriture caroline , évangélisation , mais surtout échanges , littératures celtiques , circulation et voyages des encadrements monastiques , épiscopaux et « universitaires « , politiques aussi , des manuscrits .....



Personnellement , j'inclus l'empire romain d'orient dans cette dynamique de l'Europe ( déjà née et non pas naissante ) en expansion , bien que les contacts ( gréco-latins ) se raréfieront après le haut moyen Age . Une Europe décalée vers le nord et moins méditerranéenne que l'antiquité classique et tardive ..



Mais l'orient chrétien est incontestablement aussi , un bout d'Europe dès le VIIIème , qui ne disparaitra réellement qu'en 1472 , mais qui aura d'énormes résonnances au long terme , car il acculturera à l'idée d'Europe et aux dynamiques européennes , des pans entiers de notre continent , avec l'acculturation certaines populations germaniques , puis la Russie et une grande partie de l'Europe centrale .



Si vous y regardez bien , en orient comme en occident l'Europe est dès ce VIIIème un effort , un élan collectif , qui a conscience de lui-même et qui porte sur les très éloquentes données suivantes , principalement mais entre autres et pas seulement :



-Un élan concerté , quelquefois rival , mais qui est un effort pluriethnique d'évangélisation et d'intégration à l'Europe des populations qui lui était culturellement exogènes , avec des identités ethniques qui trouvent leurs légitimités et qui s'empare de l'écrits pour exprimer leurs spécificités .

-Partout se diffuse cette théorie politique du princeps imperator bras séculier de l'église ( avec des nuances évidement ) .

-L'église ( d'orient comme d'occident ) recommence à façonner les valeurs et les mentalités .

-Ces gens avaient dès le haut moyen-âge la conscience aigüe d'une unité de civilisation , pour ce qui est des élites aux minimum .

-La nostalgie de l'unité de langue de culture comme de l'unité politique fut très prégnante du VIIème siècle au Xieme siècle .

Cette nostalgie , fut très aigue ( dès le VIème siècle ) , tellement aigue que je pense que l'on peut incontestablement parler de conscience européenne dès le VIIIe siècle .



Et c'est intéressant de noter que des lors et comme aujourd'hui , il y eut « deux » aires culturelles et politiques européennes , qui reposent sur la césure gréco-latine entre autres , mais sur peu de choses finalement d'un point de vue conceptuel et contrairement aux apparences .



L'Europe est posée dès le VIIIème siècle , le reste et la suite n'étant que les conséquences de cet état de fait à mon humble avis .

Le haut moyen âge cet inconnu ...

Voyez du côté de Halphen ...



Si l'Europe n'était pas l'Europe au VIII e siècle et au IX e siècle ... C'est qu'elle devait être un mirage .... Mais elle fut une réalité aussi tangible que l'écriture caroline ...

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Le Moyen Age expliqué aux enfants

Un petit livre très clair et très bien structuré qui permet aux jeunes, aux non initiés ou autres amateurs de pouvoir se représenter clairement ce qu'était le Moyen Âge. Que ce soit d'un point de vue temporel, culturel, technique ou sociologique.



Chaque chapitre est organisé sous forme de questions-réponses (dialogue imaginé sans doute) qui rend la lecture très facile. Ces chapitres peuvent d'ailleurs être lus de façon indépendante ou selon les besoins (ou intérêts).



Et même dans ce petit livre, Jacques Le Goff explique ce qui lui tient tellement à cœur à savoir que le Moyen Âge s'il est marqué par des épisodes sanglants et de grande intolérance (notamment religieuse), a aussi posé les bases de notre société moderne; et même, inventé les prémices de notre idéal d'individus et de société moderne - dans un savant équilibre d'unité et de diversité.



Simple, agréable et enrichissant.
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L'automne du Moyen Age

L’automne du Moyen Age est parfois aussi appelé de son titre officieux : le Déclin du Moyen Age. En privilégiant le premier titre, John Huizinga se met au diapason de l’esprit médiéval fin d’époque tout en allégories et en symboles épuisés.





Publié en 1905, ce livre propose une nouvelle vision du Moyen Age. John Huizinga ne s’accorde pas avec l’analyse d’un autre grand historien de son époque, Jules Michelet, et abolit la notion de démarcation nette séparant le Moyen Age de l’esprit de la Renaissance français. L’automne du Moyen Age, dans un flou indistinct, se fond en partie dans le printemps de la Renaissance. Le XVe siècle médiéval ne s’exalte pas mais est décrit comme un siècle d’épuisement pessimiste dont la langueur aura peut-être permis la réaction humaniste qu’on lui connaît, quelques décennies plus tard. Au moment de la publication de ce livre, John Huizinga renouvelle la vision du Moyen Age tardif en piochant dans de nombreuses sources. Il s’intéresse notamment aux témoignages de la vie quotidienne qui exaltent une fougue destructrice dans tous les actes les plus anodins, révélant si ce n’est l’ambivalence d’une population partagée entre la foi exaltée et une excentricité parfois païenne, au moins la tendance à l’exagération d’une époque qui passe d’un extrême à un autre sans jamais toucher le juste milieu. John Huizinga nous décrit tout un paradigme malaxé par des concepts qui trouvent le nom de chevalerie, de courtoisie, et bien évidemment de religion. Importants, ces idéaux qui seront déclinés en images, symboliques et lieux communs, pétrissent toute une vie culturelle et constituent les fondations d’une œuvre littéraire directement appréciable par ses contemporains lorsqu’elle nous semble dépourvue de signification. John Huizinga nous présente quelques poètes connus, tels Catherine de Pisan ou l’auteur du Roman de la Rose, mais il cite également poètes et poèmes oubliés, œuvres si imprégnées de leur époque qu’elles n’y survécurent. John Huizinga éclaire notre connaissance des œuvres littéraires et picturales rescapées de cette époque : si tout n’est qu’allégorie, symboles et religion, si cet ensemble fantasque nous semble être le reflet d’un esprit labyrinthique s’amusant aux jeux du travestissement, ce n’est en réalité que mécanismes de pensée –tout au moins au XVe siècle lorsque, après des siècles médiévaux peut-être plus vivants, toutes les combinaisons allégoriques ont été épuisées. La foi elle-même, devenue réservoir de lieux communs, ne se veut plus expression d’un dévouement pur à Dieu. Les œuvres de ceux que nous appelons « mystiques », parce qu’ils empruntent au spirituel, apparaissent alors comme les philosophes d’une époque marquée par le paradigme catholique.





Indispensable pour mieux comprendre le Moyen Age, cet Automne prouve également de sa puissance en nous révélant, après lecture, qu’il a su parler indirectement de notre époque en soulignant tous les phénomènes qui semblent se répéter cycliquement d’un paradigme à un autre. Passons d’une dénomination à une autre et c’est notre société qui semble à son tour décrite.


Lien : http://colimasson.over-blog...
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Le Moyen Age expliqué en images

"Le Moyen Âge expliqué en images"... ou comment faire du neuf avec du vieux ! Je m'explique : sous ce titre se cache une réédition du "Moyen Âge expliqué aux enfants", écrit par Jacques Le Goff en 2006. Une belle iconographie, un grand format, on gomme le mot "enfants" de la couverture et hop ! le tour est joué : Seuil sort un beau livre à l'approche des fêtes. Et comme l'ouvrage est protégé par un emballage plastique, difficile d'en évaluer le contenu avant l'achat. Malin, non ?



En découvrant que le texte s'adressait en réalité aux enfants, j'ai donc été passablement déçue, car j'attendais certes une vulgarisation, mais pour adultes. Les explications sont parfois très basiques – par exemple : Qui est la Vierge Marie ? ou Les chevaliers de la Table ronde ne sont pas de vrais chevaliers mais une légende... (Nan ! Pas possible...) – mais dans l'ensemble, le texte assez touffu conviendra sans doute mieux aux collégiens qu'aux enfants plus jeunes.



Les images aident toutefois à surmonter cette première impression de "tromperie", car on trouve ici un beau florilège d'art médiéval : enluminures, sculptures, quelques tableaux, cathédrales, châteaux, objets précieux... L'iconographie collectée dans divers pays d'Europe est assez riche pour prendre le pas sur le texte. Le tout étant habilement classé par thème (comme "les chevaliers", "les gens du Moyen Âge", "l'imaginaire religieux", etc.), si bien qu'il est possible de lire le livre dans l'ordre, ou de sauter directement à ses sujets de prédilection. Dommage que le sujet culture fasse l'impasse sur la gastronomie, les troubadours, les Très riches heures du duc de Berry ou les lais de Marie de France. L'artisanat est aussi quasiment absent... C'est vrai qu'on ne peut pas tout mettre, mais la sélection est discutable.



Ce que j'aime par-dessus tout grâce aux peintures et dessins d'époque, c'est me projeter dans la vie quotidienne des personnages représentés. La qualité des images le permet ici. On peut ainsi distinguer la coupe et l'étoffe des habits, la forme des chaussures, la coiffure des femmes et la finesse de leur voile, les détails de l'armure des chevaliers, le riche harnachement de leurs destriers, le motif des tentures dans la décoration intérieure, la forme des meubles, ou la race des chiens et des chats qui vivent au logis. Quant à la position des corps et à l'expression des visages, elles en disent parfois long sur les sentiments qui animent les protagonistes.



Donc d'une certaine manière, ce livre aura réussi à m'émerveiller, preuve que je n'ai pas tout à fait perdu mon âme d'enfant... J'espère en tout cas que grâce à ce petit mot, vous saurez à quoi vous attendre avant d'acheter cet ouvrage. Un(e) médiéviste averti(e) en vaut deux !
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Hommes et Femmes du Moyen Age

Plus d'une centaine de portraits succincts d'hommes et de femmes du Moyen Âge, témoins de leur époque.

D'abord chaque portrait en soi est intéressant à lire. Certains personnages m'étaient inconnus et d'autre mal ou très mal connus, en particulier les plus célèbres.

Ensuite, en les lisant à la suite, le lecteur prend la mesure de l'importance de la foi chrétienne pendant des siècles. D'ailleurs l'Europe était désignée par le nom de Monde Chrétien et non par son nom géographique comme c'est devenu le cas plus tard.

Enfin ce livre permet de prendre la mesure de l'héritage incroyablement riche et varié de cette période, héritage qui nous accompagne encore tous les jours.
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Héros et merveilles du Moyen Age

Spécialiste universitaire de l’histoire médiévale européenne, Jacques Le Goff fait ici dans la forme courte et synthétique. Quelques instruments de compréhension globale de l’aspect merveilleux du Moyen Age sont fournis dans une introduction qui constitue également la partie la plus dense de cet ouvrage. En partant de la spécificité médiévale, Jacques Le Goff étend ses hypothèses et grilles de lecture à la compréhension de la plupart des paradigmes qui trouvent leur point d’ancrage dans une source faite de légendes, de mythes et d’imagination. Dans le cadre médiéval, le paradigme est au confluent de l’héritage antique, de l’interprétation chrétienne et de l’horizon chevaleresque qui diffuse ses valeurs de courage et de courtoisie. Le merveilleux serait-il alors le symbole qui fait sens et qui traduit l’étonnement de l’homme médiéval devant ce croisement inédit de nouvelles influences ?





« Les héros et les merveilles du Moyen Âge sont les lumières, les prouesses de cette installation des chrétiens sur une terre qu’ils décorent de ce qui faisait la gloire et le charme du monde surnaturel. »





A la suite de cette introduction savoureuse, Jacques Le Goff partage son livre en plusieurs chapitres consacrés à l’analyse d’un symbole merveilleux médiéval. A la liste des légendes mises à l’honneur, nous retrouverons les personnages bien connus d’Arthur, de Charlemagne, du Cid ou de Merlin, mais également des animaux comme la Licorne ou le fameux Renart, les lieux du cloître, de la cathédrale et du château-fort et le type du chevalier ou du troubadour. Les spécialistes de ces figures ne trouveront pas de quoi rassasier leur soif de connaissances car Jacques Le Goff s’adresse à des lecteurs amateurs qui souhaitent s’initier aux merveilles du Moyen Age. Apparition contextuelle, développement de la signification de la légende au Moyen Age puis dans la société moderne jusqu’à ses avatars les plus récents dans le domaine culturel : la chronologie de chaque figure médiévale tient en une dizaine de pages qui fournissent les éléments nécessaires pour une bonne compréhension, mais jamais davantage.





Si les spécialistes n’y trouveront sans doute pas une nourriture qui tient au ventre, les autres apprécieront ce petit ouvrage clair et accessible qui ouvre des pistes de connaissances culturelles et historiques.
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Le Moyen Age et l'argent : Essai d'anthropo..

Jacques Le Goff a-t-il fait dans l'angélisme en minorant la place occupée par l'argent dans la société médiévale et son univers de pensée, dans l'espace public comme dans l'espace privé, et même dans l'économie et le système des échanges ?

Il y a bien un rapport compliqué à l'argent de la part de l'homme du Moyen Âge quand il est chrétien : même si l'on fait celui qui n'y pense pas ou qui n'y touche pas, on s'en sert, on en a besoin, on le prend même à qui en a ou à qui le "thésaurise" ou le "manie" et "manipule" (les Templiers, les banquiers lombards et les Juifs sont montrés du doigt sous Philippe IV le Bel, qui est toutefois bien content de mettre la main sur les biens de ces catégories et communautés, tout en accusant ces hommes des pires maux pour couvrir ces spoliations). Mais le même acteur , le roi, peut jouer sur la valeur réelle des monnaies dont il autorise la frappe et fait définir le cours pour s'assurer des rentrées d'argent fort intéressantes, car il modifie en même temps le poids des métaux précieux réellement présents dans les pièces mises en circulation tout en maintenant des cours élevés. Ce procédé utilisé, parmi d'autres, pour remplir ses caisses, vaut bien sûr aussi au roi quelques chocs en retour, quelques déboires et quelques obligations m de dévaluation plus ou moins avouées.

Tout cela dans un contexte où ces métaux précieux - or et argent surtout - se font de plus en plus rares, car on n'en trouve plus autant que par le passé.



Jacques Le Goff a merveilleusement analysé le phénomène d'ensemble et on ne peut pas le taxer de naïveté dans ses postulats, ses démonstrations et ses conclusions. Il surévalue peut-être, après quelques autres, le primat de la charité sur le profit au Moyen-Âge, mais l'idée que l'homme médiéval rapportait tout à Dieu, en finale, n'est tout de même pas qu'une hypothèse d'historien. Et c'est bien vrai que l'on ne se trouvait pas encore dans une société pré-capitaliste, comme l'a toujours soutenu Fernand Braudel, citant en particulier le cas des Cités-États en Italie.



L'argent donne quelques complexes aux hommes qui vivent dans l'Europe médiévale et même s'il y a un relatif mépris chez certains, au nom de principes chrétiens qui ne sont parfois qu'un affichage vertueux, il n'en reste pas moins qu'à l'exception de riches marchands ou de banquiers qui ne crachent pas dessus, la majorité des hommes ne le placent pas au-dessus de tout, et qu'on sait encore aussi bien le donner généreusement que le recevoir avec reconnaissance : il y a beaucoup de donations grâcieuses à cette époque, et l'on n'attend parfois rien d'autre qu'une récompense céleste en retour, ce qui, il est vrai, n'est pas un acte tout à fait désintéressé.



Les monarques, les princes, les seigneurs sont eux, presque toujours à court d'argent, et ils ne voient dans celui-ci qu'un moyen de financer leurs guerres, assurer leur train de vie, jouer le rôle de mécènes, et ne le prennent que rarement pour une fin en soi. À part certains, on ne prise pas encore l'argent pour l'argent. Il ne sert qu'à réaliser des programmes. Ce n'est pas le Moyen Âge, même finissant, qui a fait l'argent roi.



Cela dit, il faut bien se garder d'idéaliser l'homme médiéval et de louer son attitude, souvent plus artificielle que réellement morale et totalement exemplaire, face à l'argent. Car les motivations, quand on les analyse de près, ne sont pas toujours aussi belles qu'on pourrait le penser.



Il y a, en effet, une autre manière de s'enrichir ou de faire ostentation de sa fortune, et c'est d'avoir des terres, des biens immobiliers et fonciers, de vastes, moyens ou petits domaines, des châteaux, un personnel de cour, des chasses avec droit réservé de courir le gibier, des possessions communautaires pour les grands groupes monastiques, des taxes prélevées sur les denrées de consommation et des rentrées d'impôts, des collections d'objets rares, etc.

François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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Saint François d'Assise

Né en 1181 ou 1182 et décédé en 1226, François d'Assise a traversé un Moyen Âge en pleine mutation, marqué par la fin de la féodalité. « Son succès va venir de ce qu'il répond à l'attente d'une grande partie de ses contemporains, à la fois dans ce qu'ils accueillent et dans ce qu'ils refusent. » (p. 35) L'homme, jugé saint de son vivant par les populations qu'il fréquentait, prônait une vie pleinement apostolique pour les laïcs, arpentant inlassablement les chemins d'Italie, mais aussi du nord de l'Afrique. Premier dans l'Église à vraiment donner une place aux femmes, aux enfants et à la nature en général, François juge que toute la Création est digne d'attention. « L'apostolat de François [...] s'adresse à tous. Ce souci missionnaire, François l'ancre dans un besoin profond d'embrasser, globalement et énumérativement la société toute entière. » (p. 141) Ce que l'on retient aussi du saint, c'est qu'il prônait l'abandon des biens, qu'il a été marqué par les stigmates et qu'il a créé un nouvel ordre. Canonisé en 1228 par Grégoire IX, l'ancien cardinal Ugolini qui était son protecteur, François d'Assise traverse les siècles et sa pensée reste étonnamment moderne, même s'il reste peu de textes du saint. « François n'a pas été un écrivain, il a été un missionnaire complétant par quelques écrits un message dont il avait exprimé l'essentiel par la parole et par l'exemple. » (p. 94) L'homme vivait sa foi : son désir d'évangéliser les laïcs était une mission d'amour et de fraternité, fondée sur le dépouillement et le don de soi total. « Son modèle est évidemment l'humilité de Jésus. C'est la sœur de la pauvreté. » (p. 219)



Les textes de Jacques Le Goff sont éminemment érudits, mais accessibles. Ils dressent la revue d'une époque par le prisme du franciscanisme. L'ouvrage est passionnant et a nourri mon affection pour François d'Assise, saint dont mon cœur est proche tant je partage son amour de la Création. Antispéciste et inclusif avant l'âge, François ? Peut-être...
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Saint-Louis

Je ne sais pas par quel bout commencer... Je viens de finir cette biographie, et comme d'habitude avec les livres qui me touchent, ce n'est pas sans une certaine tristesse que je lis la dernière phrase, puis les dernier mots, jusqu'au point final, cette limite brutale qui met fin à la relation qui s'est créée entre Saint Louis, Jacques le Goff, et moi.



Cette biographie, épaisse, est l'aboutissement de l'ensemble des travaux menés par Jacques le Goff dans sa carrière, car cette "histoire totale de Saint Louis" se nourrit avidement d'autres de ses ouvrages : "La naissance du purgatoire" ; "Les intellectuels au Moyen-âge", et ce qui deviendra son "Saint François d'Assise". Je crois que l'on perçoit on ne peut mieux l'ampleur des apports de Jacques le Goff à l'Histoire Médiévale, à l'Histoire, et aux sciences sociales en général.



Je ne me souviens pas de l'intégralité du livre de par sa densité, et sa longueur. Je tiens à préciser que je me suis probablement attaché à mes deux compères car la traversée a duré près de deux semaines, et que leur fréquentation quotidienne est presque devenue une habitude. Nous avons fini par nous tutoyer, la fin du voyage s'est laissée savourer, je ne voulais vraiment plus les quitter.



Jamais je n'ai lu plus belle biographie d'un personnage historique. Non seulement l'écriture se veut maîtrisée et juste jusqu'à la dernière page, mais la démarche en elle même est tout à fait passionnante. Il faut bien le talent et l'érudition de Jacques le Goff pour approcher l'individu, voir le "moi" de Louis. Il a bénéficié pour cela d'une période où l'écrit refait surface dans de multiples domaines, et où l'individu réapparaît lui aussi, à la fois physiquement et moralement. C'est notamment ce qui explique à mon sens la déception de certains à la lecture de biographies consacrées à des personnages d'époque antérieures (je cite pêles-mêles "Hugues Capet" de Yves Sassier, "Hadrien" de Joël Schmidt et le "Clovis" de Laurent Theis qui ne sont pas mauvaises pour autant!), où l'écrit était moins présent, et ce qu'il en reste nous donne surtout une vision des "canons" de l'époque. Je pense notamment aux fameux "miroirs des rois", évoqués par Jacques le Goff dans le présent ouvrage. Ainsi, l'auteur n'a pas tenu compte des avertissements de Pierre Bourdieu et son "illusion biographique", et a réussi la prouesse de faire ressortir des traits de caractère de Saint Louis à la croisée des sources. C'est d'autant plus important qu'il respecte scrupuleusement la "science historique" et échappe à la psychologie fictive que certains seraient tentés de faire, et qui correspondrait plutôt à la démarche du romancier, et non du scientifique.



En conclusion, je recommande cette lecture pour tous les passionnés d'Histoire Médiévale, pour ceux qui s'intéressent à la démarche du biographe en Histoire, d'autant plus qu'il s'agit aussi d'un livre d'écrivain, avec un style.
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