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Citations de Jacques Rancière (185)


5. « Mais, pas plus qu'à une couche sociale particulière, cette identification du pouvoir de tous à la collection innombrable des supériorités et des haines n'est assimilable à l'éthos d'une nation particulière. Nous savons le rôle qu'a tenu ici l'opposition entre la France travailleuse et la France assistée, entre ceux qui vont de l'avant et ceux qui restent crispés sur les systèmes de protection archaïques, ou entre les citoyens du pays des Lumières et des Droits de l'homme et les populations arriérées et fanatiques qui menacent son intégrité. Et nous pouvons voir tous les jours sur Internet la haine de toute forme d'égalité ressassée jusqu'à plus soif par les commentaires des lecteurs de journaux. De même que l'entêtement à nier n'est pas la marque des esprits arriérés mais une variante de la rationalité dominante, la culture de la haine n'est pas le fait de couches sociales déshéritées mais un produit du fonctionnement de nos institutions. Elle est une manière de faire-peuple, une manière de créer un peuple qui appartient à la logique inégalitaire. » (p. 120)
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4. « Il semble qu'il faille inverser les termes du problème. Ce n'est pas l'insécurité éprouvée qui rendait la guerre [en Irak en 2003] nécessaire. La guerre plutôt était nécessaire pour imposer l'insécurité. Parce que la gestion de l'insécurité est le mode de fonctionnement adéquat de nos sociétés-États consensuels.
Quoi qu'en disent les penseurs de la fin de l'Histoire comme ceux du totalitarisme soft, les théoriciens du simulacre généralisé comme ceux du débordement irrésistible des multitudes, l'archaïque est bien au cœur de l'extrême modernité. L'État capitaliste avancé n'est pas celui du consensus automatique, de l'ajustement entre la négociation quotidienne des plaisirs et la négociation collective du pouvoir et de ses redistributions. Il ne marche pas à la dépassionnalisation du conflit et au désinvestissement des valeurs. Il ne s'autodétruit pas dans la liberté sans limites de la communication informatique et la polymérisation des individualités destructrices du lien social. Là où la marchandise règne sans limites, dans l'Amérique post-reaganienne et l'Angleterre post-thatcherienne, la forme de consensus optimale est celle qui est cimentée par la peur d'une société groupée autour de l'État guerrier. » (pp. 106-107)
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3. « Ce qu'on appelle racisme aujourd'hui dans notre pays est essentiellement la conjonction de deux choses. Ce sont d'abord des formes de discrimination à l'embauche ou au logement qui s'exercent parfaitement dans des bureaux aseptisés. Ce sont ensuite des mesures d'État dont aucune n'a été la conséquence de mouvements de masse : restrictions à l'entrée du territoire, refus de donner des papiers à des gens qui travaillent, cotisent et paient des impôts en France depuis des années, restriction du droit du sol, double peine, lois contre le foulard et la burqa, taux imposés de reconduites à la frontière ou de démantèlements de campements de nomades. Ces mesures ont pour but essentiel de précariser une partie de la population quant à ses droits de travailleurs ou de citoyens, de constituer une population de travailleurs qui peuvent toujours être renvoyés chez eux et de Français qui ne sont pas assurés de le rester. » (p. 65)
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2. « Ils [les États ayant renoncé à contrôler la circulation des capitaux] se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c'est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d'insécurité. C'est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d'être et le moyen de leur légitimation.
De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentielles : une fonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité ; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l'immigration, cela a d'abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d'immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l'immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des "immigrés" légaux. C'est encore la même logique qui a commandé l'usage récent de la notion de "Français d'origine étrangère". Et c'est cette même logique qui vise aujourd'hui les Roms, en créant contre le principe même de libre circulation d'Européens qui ne sont pas vraiment européens, de même qu'il y a des Français qui ne sont pas vraiment français. » (pp. 59-60)
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1. « Le temps ne travaille plus – il n'a, à dire vrai, jamais travaillé – pour transformer l'inégalité en égalité. L'inégalité et l'égalité sont deux mondes en affrontement dans tout présent, le premier toujours déjà là avec ses mécanismes bien huilés, le second perpétuellement à reconstruire. C'est cette nudité du conflit des mondes que les adultes raisonnables ou rancuniers ont voulu oublier de deux manières : les uns en transformant la nécessité révolutionnaire en simple nécessité de l'ordre existant ; les autres en exerçant leur ressentiment contre toutes les valeurs auxquelles la foi historique avait servi de support. » (p. 14)
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Il n'y a d'insensés que ceux qui tiennent à l'inégalité et à la domination, ceux qui veulent avoir raison. La raison commence là où cessent les discours ordonnés à la fin d'avoir raison, là où est reconnue l'égalité: non pas une égalité décrétée par la loi ou par la force, non pas une égalité reçue passivement, mais une égalité en acte, vérifiée à chaque pas de ces marcheurs qui, dans leur attention constante à eux-mêmes et dans leur révolution sans fin autour de la vérité, trouvent les phrases propres à se faire comprendre des autres.
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Il n’y a pas une forme supérieure et une forme inférieure d’intelligence. L’intelligence est fondamentalement la même dans toutes ses opérations.
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Le devoir des disciples de Joseph Jacotot est donc simple. Il faut annoncer à tous, en tout lieu et en toute circonstance, la nouvelle ou encore le bienfait : on peut enseigner ce qu'on ignore. Un père de famille pauvre et ignorant peut donc entamer l'instruction de ses enfants. Il faut donner le principe de cette instruction : il faut apprendre quelque chose et y rapporter tout le reste d'après ce principe : toutes les intelligences sont égales.
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Jamais je n'aurais d'amour comme il m'en faut. J'en ai pris mon parti, je me borne au plaisir.
Correspondance Désirée Véret à Fourier. 14 Août 1833.
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Mais il n'y aura pas de suite. Probablement parce que l'auteur fait partie de ces typographes militants qui, à l'automne de 1840, las de faire dans La Ruche de la littérature sur les misères ouvrières, rejoindront à l'Atelier des camarades décidés à proposer des
solutions positives et à éveiller les énergies morales donnant aux travailleurs la maîtrise de leur destin.
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En Octobre 1842 des ouvriers ciseleurs mécontents d'une pièce de théâtre décidèrent d'écrire au directeur du Théâtre de la Gaîté "Vos acteurs n'ont donc jamais vu d'ouvriers ciseleurs ? Ils ne savent pas que l'état de ciseleur est un état de luxe ? Ils nous supposent des
costumes du dernier ridicule. Qu'ils aient la complaisance de les changer, sinon nous irons les siffler. Apprenez, messieurs, que nous ne sommes ni des maçons ni des couvreurs. Bon pour ces gens là d'avoir des costumes comme ceux de vos acteurs.
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...Ces problèmes métaphysiques que l'on dit bon pour les évêques qui trouvent leur souper tout prêt sont bien plus essentiel à ceux qui partent le matin chercher le travail d'où dépend le souper du soir.
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Un vieux serrurier le dira en 1848 à Pierre Vinçard :"Notre état se moralise à vue d'œil : nous avons détruit le lundi." Il était aussi fier", commentera le père de Georges et d'Urbain,"que l'invalide disant: j'ai combattu à Austerlitz".
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Derrière la distinction écriture philosophique/écriture littéraire, il y a pour moi une opposition plus fondamentale entre deux manières d’utiliser la langue : la rhétorique qui cherche à provoquer la conviction ou le consensus, et la poétique qui cherche à produire une nouvelle manière de sentir. Très souvent, ce qu’on appelle « rigueur philosophique » n’est qu’un agencement rhétorique. Et la rhétorique tend toujours plus ou moins à vaincre un adversaire. Ce que je cherche, pour ma part, c’est à produire un mode de compréhension qui soit justement délivré de toute idée de supériorité acquise, une manière de partager et non de dominer. (...) l’écriture chez moi est un processus de recherche, une manière non pas de rapprocher le lecteur de ma pensée, mais de rapprocher ma pensée de ce qu’il y a à penser dans telle ou telle distribution des corps et de leurs capacités.
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Les concepts sont des chemins mobiles tracés sur des cartes de relations mouvantes.
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Société d'égalitaires, p. 120-121 :
On peut ainsi rêver d'une société d'émancipés qui seraient une société d'artistes. Une telle société répudierait le partage entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, entre ceux qui possèdent ou ne possèdent pas la propriété de l'intelligence. Elle ne connaîtrait que des esprits agissants : des hommes qui font, qui parlent de ce qu'ils font et transforment ainsi toutes leurs œuvres en moyens de signaler l'humanité qui est en eux comme en tous. De tels hommes sauraient que nul ne naît avec plus d'intelligence que son voisin, que la supériorité qu'un tel manifeste est seulement le fruit d'une application à manier les mots aussi acharnée que l'application d'un autre à manier les outils ; que l'infériorité de tel autre est la conséquence de circonstances qui ne l'ont pas contraint à en chercher davantage. Bref, ils sauraient que la perfection mise par tel ou tel à son art propre n'est que l'application particulière du pouvoir commun à tout être raisonnable, celui que chacun éprouve, lorsqu'il se retire dans ce huis clos de la conscience où le mensonge n'a plus de sens. Ils sauraient que la dignité de l'homme est indépendante de sa position, que « l'homme n'est pas né pour telle position particulière mais pour être heureux en lui-même indépendamment du sort. (Joseph Jacotot, Enseignement universel. Langue maternelle, 6e éd., Paris, 1836, p. 243) » et que ce reflet de sentiment qui brille dans les yeux d'une épouse, d'un fils ou d'un ami chers présente au regard d'une âme sensible assez d'objets propres à le satisfaire.
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Dénonciation de la prétention scientifique et objective du langage, p. 141 :
A ce langage figuré, ce langage de la religion et de la poésie, dont la figuration permet à l'intérêt déraisonnable tous les travestissements, il est possible d'opposer un langage vrai où les mots recouvrent exactement les idées.
Jacotot récuse un tel optimisme. Il n'y a pas de langage de la raison. Il y a seulement un contrôle de la raison sur l'intention de parler. Le langage poétique qui se connaît comme tel ne contredit pas la raison. Au contraire, il rappelle à chaque sujet parlant de ne pas prendre le récit des aventures de son esprit pour la voix de la vérité. Tout sujet parlant est le poète de lui-même et des choses. La perversion se produit quand ce poème se donne pour autre chose qu'un poème, quand il veut s'imposer comme vérité et forcer l'acte. La rhétorique est une poétique pervertie.
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De la culture de la hiérarchie sociale, p. 70 :
Ainsi va la croyance en l'inégalité. Point d'esprit supérieur qui n'en trouve un plus supérieur pour le rabaisser ; point d'esprit inférieur qui n'en trouve un plus inférieur à mépriser. La toge professorale de Louvain est bien peu de choses à Paris. Et l'artisan de Paris sait combien lui sont inférieurs les artisans de province qui savent, eux, combien les paysans sont arriérés. Le jour où ces derniers penseront qu'ils connaissent, eux, les choses, et que la toge de Paris abrite un songe-creux, la boucle sera bouclée. L'universelle supériorité des inférieurs s'unira à l'universelle infériorité des supérieurs où nulle intelligence ne pourra se reconnaître dans son égale. Or la raison se perd là où un homme parle à un autre homme qui ne peut lui répliquer. « Il n'y a pas de plus beau spectacle, il n'y en a pas de plus instructif que le spectacle d'un homme qui parle. Mais l'auditeur doit se réserver le droit de penser à ce qu'il vient d'entendre et le parleur doit l'y engager (…) Il faut donc que l'auditeur vérifie si le parleur est actuellement dans sa raison, s'il en sort, s'il y rentre. Sans cette vérification autorisée, nécessitée même par l'égalité des intelligences, je ne vois, dans une conversation, qu'un discours entre un aveugle et son chien. » (Jacotot, Journal de l'émancipation intellectuelle, t. III, 1835-1836, p. 334)
Réponse à la fable de l'aveugle et du paralytique, l'aveugle parlant à son chien est l'apologue du monde des intelligences inégales. On voit qu'il s'agit de philosophie et d'humanité, non de recettes de pédagogie enfantine. L'enseignement universel est d'abord l'universelle vérification du semblable que peuvent faire tous les émancipés, tous ceux qui ont décidé de se penser comme des hommes semblables à tout autre.
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L’égalité ne se donne ni ne se revendique, elle se pratique, elle se vérifie.
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Les personnages tragiques passent de la fortune à l’infortune non par l’effet de quelque malédiction divine mais parce que leur action produit des effets inverses de ceux qui étaient attendus. Et c’est en subissant ces effets qu’ils accèdent à la connaissance de ce qu’ils ignoraient.
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