Jacques Schecroun

Dans un royaume où il faisait plutôt bon vivre, il y avait, pour qui voulait le voir, assez de tout pour tous. Il y avait assez de pluie pour favoriser les cultures, assez de soleil pour permettre les moissons, assez de bois pour chauffer les maisons et même assez d'or pour la bonne santé des finances publiques.
Pourtant, parmi les sujets de Sa Majesté, il s'en trouvait toujours pour se plaindre de manquer de quelque chose. Il y en avait même qui, ne manquant de rien, souffraient néanmoins d'une grande peur, la peur de manquer.
Le Roi faisait ce qu'il pouvait pour que chacun ait tout ce dont il avait besoin, mais les coups de pouce qu'il pouvait donner ici ou là pour satisfaire telle ou telle revendication n'empêchaient guère un nouveau manque de surgir bientôt.
De même Sa Majesté faisait-elle tout ce qui lui était possible pour rassurer ceux qui craignaient de manquer de quelque chose, mais cela n'empêchait jamais la peur de manquer d'autre chose encore de se manifester à nouveau.
Ce curieux phénomène n'épargnait pas la cour, non plus que la famille royale elle-même d'ailleurs. Si d'aucuns pensaient que le fils du Roi y échappait, ils se trompaient absolument. Au contraire, l'héritier de la couronne, qui grandissait dans la douceur et le luxe du palais royal, manquait toujours de quelque chose, même si son père mettait tout en oeuvre pour que chacun de ses manques soit comblé sans délai.

Ne nous appartient -il pas d’inclure au lieu d’exclure? De voir en l’autre une possible richesse et, avant cela , de regarder au plus profond de nous ce qui nous dérange en lui ?

- Sais-tu, commença le perroquet, qu'à la naissance tous les enfants sont des merveilles dotées de grands talents, de dons immenses, de pouvoir magiques ? En un mot, ils sont doués de génie.
- De génie ? S'étonna Théo. Tous ?
- Oui, oui. Vient le temps, pourtant, où chaque enfant doit s'adapter au monde. Pour cela, il lui faut se rapetisser, se diminuer, se rétrécir et, ainsi, abandonner une part de lui-même.

J'ai adoré cette histoire qui n'a rien à envier au roman d'Irvin Yalom. L'auteur sait nous tenir en haleine de bout en bout et nous mener avec talent au cœur du 17ème siècle pour suivre le procès passionnant du grand philosophe que deviendra ensuite Spinoza. Les personnages sont très attachants et c'est superbement écrit.

Henri prend l’ouvrage des mains de Paula et lit le titre à haute voix :

— Grandir de ses épreuves.

Il fait mine de réfléchir profondément avant de rendre sa sentence.

— Des fois oui, mais pas toujours, énonce-t-il sans appel. Il y a des épreuves qui vous détruisent. On n’en grandit pas.

— Sauf si on leur donne un sens.

- Vous n'avez rien à ajouter ? demanda Morteira au vieil homme qui avait laissé sa phrase en suspens.
- Euh ... rien, non, sinon juste peut être, ajouta ce dernier, qu'il y a fort à parier, et pour vous à redouter, que ce soit Spinoza qui entre dans l'histoire et pas vous.

– Dans ce sens que la compétition aboutit à l’exclusion de l’autre, à son élimination, voire à son extermination, alors que la collaboration et la coopération, tout en permettant de coexister les uns avec les autres, enrichit les sciences, les arts et les métiers.

Et s’il nous aime ainsi, c’est-à-dire d’un amour véritable, d’un amour qui ne peut jamais être retiré, alors il est sûr qu’il ou Il (selon que vous y croyiez ou non) ne nous demande rien et ne peut rien nous demander sans se nier lui-même.

A l'aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté d'Israël en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés. Nous formulons ce herem comme Josué le formula à l'encontre de Jéricho. Nous le maudissons comme Elie maudit les enfants et avec toutes les malédictions que l'on trouve dans la Torah.

Et c'est alors qu'avec l'enthousiasme d'un alchimiste dont la formule qu'il a mise au point donne un résultat extraordinaire, il envisagea avec bonheur la découverte qu'il faisait et qu'il se promit de noter dès que possible. Il l'énoncerait ainsi : il n'y a jamais de trahison que de soi!