Citations de Jean Follain (170)
Mélancolie d'automne
Dans ses châles la dame
Surveille les combats de nuages
Avec une douceur japonaise
(...)
Balade des petites vierges
Jeunes filles qui delaciez
Ensemble vos corsets puérils
Avec un même bruit de fouet
[dans le silence
Près des globes de noce
Faites l'obole de vos mains
Autour de vos nombrils glorieux
Poussent les plantes de l'ennui
En vos vertugadins soyeux
Furent vos blancheurs de
[ minuit
Sous les courtines vieil or
Votre sein s'enfle ô douces.
APERCEPTION DE LA MORT
Quand les maisons se penchent un peu
des filles aux fenêtres se montrent
tandis qu’au fond d’une pièce noire
luit le peu d’or d’une montre
suspendue au clou rouillé
et les vengeances au faubourg
font jaser ;
la marâtre arrive
et sourit tenant des lilas
chacun a fortement prédit
que bientôt enfin elle sera
prête pour la fosse commune.
Savates à la crasse cirée
vous serez sur le carreau rouge
dépossédées de ses pieds noirs,
prises de l’hirsute chiffonnier
ou jeu de quelque chat sauvage,
savates vous irez rejoindre
un amas de vieux étendards
tandis qu’elle ne sera plus là
cachant des lettres en son corsage
dans le quartier qu’an reconstruit
épiant les démolitions
dans le quartier qu’on reconstruit
et criant un pain sous son bras
à l’entour des mortiers fumants.
Difficile
La fille savait
Ou ne savait pas que son corps
Etait de la nature
Du tissu des pétales.
Toi tu le savais
Tellement
Que c’était difficile
De ne pas le crier.
LE CHANT DU DRAGON
Guêtres de cuir noir aux jambes fines
de ce garçon
ragoût amer
que laissèrent brûler, ô femme, vos mains blanches
et qu’il mange
avec une fourchette d’étain
au milieu des lueurs éternelles
et l’on voit remuer ses longs cils
l’on voit ses boutons blancs
lutter contre la nuit
puis l’on entend sa toux songeuse
qui se mêle aux abois
de grands chiens aux poils violacés
leurs gueules vers les étoiles.
C’est alors que dragon du convoi
il se lève et va vers les autres
assis sur les puits
et seul il entonne la romance qui monte
et fait sous le large ciel vert
trembler les rats dans leur royaume.
L’ÉPICIER
L’épicier époux de l’épicière,
avec sa serpillière
et ses doigts de crabe laineux
vend des pois chiches
à la saison pluvieuse
et puis ces grains de riz des Carolines
dents d’Andalouse,
et puis la pipe en sucre rouge,
qui dans la ville où la bâtisse croît,
transfigure
l’enfant à capuchon du crépuscule.
l’âme s’allège
l’âme s’allège et les aérostats
ramènent de la nuit du temps
la fière douceur de leur envol premier.
L’HISTOIRE
Comme l’histoire au monde
par moments apparaît triste
le dîner lourd refroidit
le tribun ne revient pas
sa maîtresse suit ses rêves
plus tard
c’est l’arrachement
la fusillade étouffée
les cloches d’un grand congrès
sur lequel la nuit tombe
alors que dans les champs
de son enfance éternelle
le poète se promène
qui ne veut rien oublier.
Abandonnés aux vautours
Abandonnés aux vautours
les cadavres de parsis
restent étendus
sur la Tour de Silence à Bombay
les femmes imposent à leurs ombres
des formes de guitare
entre les dalles l’herbe croit
dans l’angle sombre
quelqu’un attend
à la vaste lumière revoici les pierres blanches
le rayon de miel parfait.
La terre les porte
L’abrupt des consciences
tout le jeu des atomes
les yeux du pain
ceux de la pierre face au silence
l’étreinte des mains de chair et d’os
les aréoles de seins
d’une fille qui s’isole au bord de la mer
la terre les porte.
LA CHUTE DES CORPS
Étonnement de l'enfance, ô chute des corps,
l'étoile du théâre chante
une perle de son cou se détache et roule
sur les planches.
L'on voit aussi tomber les dictionnaires grecs
un soir avec fracas
dans l'étude angoissée.
Le haut vent fait choir les nids
et parfois dans le pauvre village
un pan de mur s'écroule
sur la femme qui songe.
Michel de l'Hospital interdit par stricte ordonnance
de crier les petits pâtés.
Une femme vivait créature de langueur,
elle voyait de son lit, la poitrine embrasée
les crieurs qui passaient bariolés;
elle voyait l'avenir aussi
ce qui faisait passer de douces vagues en ses seins fiers
Quand les cris se turent désormais,
ils lui manquèrent,
elle mourut seule.
Paris n'est plus le port fameux,
racontait le plus âgé,
alors, nous risquions des tours
par les nuits couleur de jusquiame ;
le plus jeunet des apprentis
en dénichant les pigeonneaux
riait à ce grand vent couleur d'arbre
des campagnes de son enfance,
alors il aidait à porter
la Vierge sur un brancard d'or
tout le long des champs pâles,
tout le long des champs rouges,
beaux jours où la nuit venait vite
La robe est parfois
plus humaine
que le corps ;
ô Lavande
qui prêtes ton parfum
aux chambres de mes morts ;
jeunesse,
ô jeunesse des paumes,
jeunesse
des orteils ravissants
dans le bain du matin.
Les livres et l’Amour
Les livres dont s’emplit la chambre
comme des harpes éoliennes s’émeuvent
quand passe le vent venu des orangers
et la lettre sans la page incrustée
se retient
au blanc papier de lin
et la guerre au loin tonne
dans cet automne flamboyant
tuant la maîtresse avec l’amant
au bord d’un vieux rivage.
.
PAYSAGE HUMAIN
O paysage humain
une femme y entre puis en sort
et sourit vers l’horizon
alors on revoit les arbres
la plaine
et la route dure
la maison avec ses nids
la bête un peu alarmée
qui boit le lait sous la lune
avec un bruit si léger
puis revoilà le corsage
et le corps de la beauté
La durée des villages…
La durée des villages est dans l’ordre profond
et leur eau à canards veille.
QUELQUE CHOSE
Appelé mangeur de pierre
un petit ver se repaît de l'ardoise
où il se cache
de minute en minute se resserre
l'étau du temps
les bijoux remués font leur bruit
des fourmis habitent une ruine
toujours se passe
quelque chose.
Il semble…
Il semble tout d’un coup
que le monde veuille basculer dans le vide
pour en terminer
avec les bavardages du présent
Natures mortes…
Le sel dans la cupule en buis
gardait le secret des cristaux
une sombre robe
et de soleil gorgée
conservait un suc léger
d’avoir frôlé les fleurs
une boucle d’or avait fait sur la jambe
ailleurs intacte
une sculpture infime,
l’orage grondait
chaque chose pourtant veillait et travaillait
pour sauver son éternité.