POÉSIE INDIENNE Les poètes bengalîs (France Culture, 1984)
Une compilation des émissions « Albatros », par Jean-Pierre Milovanoff, diffusée les 15 et 22 avril 1984 sur France Culture. Invités : France Batasharia, Élisabeth Boury, Madame Delgalian, Narayam Mukherji.
Peut-être estimerez-vous qu'il est pernicieux de remplacer le monde réel aux arêtes dures, tranchantes, par l'espace invérifiable de la musique. Cher ami, ce sont là des pensées de bien portant.
(p. 303)
Considérez la fameuse union de l'âme et du corps. Presque toujours, c'est une association de malfaiteurs qui s'entendent pour réaliser un hold-up. Lorsque l'affaire tourne mal, ce qui arrive une fois sur deux, chacun file de son côté. Ainsi voit-on des corps sans état d'âme s'épanouir dans un gymnase et soulever jusqu'à deux fois leur poids. Et des âmes privées de forces qui réclament des remontants.
Dans sa robe de velours vert sombre à fines bretelles, avec les bijoux qu’elle avait suspendus à ses bras, à son cou et dans ses cheveux comme une vendange d’ex-voto, elle écrasait de son opulence baroque la beauté primesautière de sa rivale
Être libre, c'est sauvegarder la chance d'aller, les yeux fermés, dans tous les mondes, de mêler les morts aux vivants, d'ouvrir en secret les portes que le temps referme sans cesse, et sur lesquelles déjà s'ecorchaient nos mains d'enfants.
Comme les puritains et les fanatiques, les censeurs retrouvent leurs propres obsessions dans tout ce qu’ils jugent. p 121
Je n'évoque pas une joie que j'aurais perdue, mais celle qui ne pouvait pas advenir, du fait que la seule langue dans laquelle nous aurions pu échanger autre chose que du malheur ne m'avait pas été enseignée.
A quarante ans, ayant tiré un trait sur son rêve de fonder une famille qui ne ressemblerait pas à la sienne, elle avait brûlé son journal intime et s’était sauvée de l’abus des somnifères par un carcan de règles dignes d’une Commission de Bruxelles. Or, privilège des grands mystiques, dès qu’elle eut renoncé à ses illusions de jeunesse, une sève vivifiante irrigua son corps oublié et une puissance inconnue se leva dans son esprit comme des milliers d’étendards.
L'école que va fréquenter Petit Jean n'a rien d'un édifice grandiose. C'est une ancienne étable aménagée, derrière l'église. Il n'y a qu'une classe pour tous. Le curé fait l'instituteur. Assis au milieu de garçons plus âgés que lui, l'enfant respire les odeurs de bouse et de bois qui sont les odeurs de partout, la transpiration des montagnes; et il n'est pas dépaysé. Du matin au soir, ses yeux bleus vont et viennent entre les épaules des grands, et son petit visage d'ours en quête de miel cueille les questions du vieux prêtre avant qu'il ait fini de les poser. Mais à mesure qu'il apprend à reconnaître dans les livres, et à reproduire avec son crayon, les fourmis noires de l'alphabet qui tissent l'histoire du monde, les limites de Col-de-Varèse reculent. Par-delà les conversations dans les granges, les soupirs et les grognements près du feu, les plaintes des vieilles, la colère des bergers rappelant leurs chiens dans la brume et le tintement des clarines, l'écolier perçoit les milliers de vies qui l'attendent comme des ombres dans la forêt.
Un trait de caractère que j'imagine avoir hérité de mes lointains ancêtres mongols qui parcouraient sur leurs petits chevaux des espaces gigantesques pour agrandir le domaine du vent, de la neige et de l'herbe rase, c'est la promptitude avec laquelle je délaisse le peu de biens que j'ai conquis et poursuis ma route hasardeuse, guidé par les seules étoiles.
Tout retour au pays natal est une violence qui s'exerce sur la mémoire. Reprendre sa place à nouveau dans la maison de son enfance, après quelques mois ou quelques années, c'est faire sauter d'un coup de ciseau sacrilège le vernis protecteur que l'éloignement a répandu sur notre passé. Alors nous retrouvons dans toute leur intensité, rafraîchies par notre souffrance, les impressions que nous avions laissées en l'état sans le savoir. Ces petites résurrections ne sont pas toujours des bienfaits. A l'instant où nous revoyons dans leur cadre toutes ces choses que la nostalgie avait figées, nous apprenons qu'elles ont subi les assauts du temps, qu'elles ont vieilli de leur côté, autrement que dans notre coeur, sans se préoccuper de nous.