Un livre, un jour : Sélection de livres
Olivier BARROT présente dans cette dernière émission de la saison des livres dont il n'a pas pu parler : "
Vivre avec une étoile" de
Jiri WEIL, "Les chemins d'Ilje" de ALI SAAD, "Embuscade à Palestro" de
Maurice Pons, "Journal 1901-1948" de Jacques COPEAU et "Ce que dit l'autre" de Jean GRUAULT.
Ils auraient voulu voir encore le soleil et le bleu du ciel, mais le temps était couvert, brumeux, maussade. Ils auraient voulu toucher de leurs mains garrottées la terre sur laquelle ils étaient nés, mais le sol était de pierre, durci par le gel.
Ils auraient voulu entendre encore une voix humaine, mais le silence régnait, aucun son ne résonnait dans l'enceinte de la ville fortifiée. Le monde qu'ils étaient sur le point de quitter était un monde mort et sourd.
Cette nuit le vent hurlait, et c’était agréable de dormir la fenêtre ouverte. J’ai rêvé de Tomas*. Il était au paradis des animaux, un vrai paradis, où il poussait une balançoire pleine de souris dessus. Il les balançait et leur souriait.
( * Son matou tué par balle. Propre traduction de l’anglais)
"Salut, shérif!", m'a crié un gamin. Et tout le monde a ri, et je savais qu'ils ne riaient pas de moi, j'ai ri moi aussi, c'était une chose divertissante de se promener avec un tel insigne, c'était une mascarade qui n'était pas dans l'ordre du monde, où les gens travaillent, elle faisait partie d'un carnaval, d'une foire avec des marionnettes, des acrobates, des visages poudrés et des coups de pied.
"Dehors, cochon de salaud!" m'a crié un homme avec un insigne étranger sur son revers de veste et il m'a poussé si brutalement que j'ai trébuché. J'ai regardé autour de moi, le tram était assez plein, le visage des gens était figé, ils regardaient par terre comme s'ils cherchaient de l'argent, une pièce qui aurait roulé sous les lattes de bois. Personne ne parlait, on n'entendait que la voix grinçante : "Dehors cochon! Sinon….".
Le tram cliquetait dans la rue vide qui traversait le quartier du cimetière, l'arrêt était encore trop loin, l'homme m'a secoué de nouveau violemment, alors que j'étais sur le marchepied, j'ai sauté, j'ai fait un vol plané puis je me suis écroulé sur le pavé. J'ai encore vu mes lunettes sauter de mon nez et valser loin de là, je me suis relevé lentement, j'étais tout sale, la peau de ma main était éraflée mais je sentais que je n'avais rien de grave. J'ai tâtonné pour retrouver mes lunettes et alors j'ai vu que quelqu'un me les tendait.
"Belle bêtise de sauter du tram en marche, par ici, près du cimetière! Qu'est-ce que c'est que cette folie? Vous auriez pu vous tuer".
Page 135
Je suis retourné chez moi et j'ai cousu les branches de l'étoile. Il y en avait six et l'inscription en langue étrangère se détachait, toute contournée et bossue. J'ai tâté avec la main pour trouver l'emplacement exact de mon cœur. J'ai regardé dans mon bout de miroir l'étoile noir et jaune, elle criait à l'aide ou lançait un signal d'alarme. Je me suis dit "Il va falloir s'habituer à se promener avec ce truc, ça va être plutôt difficile. Je ne pourrai plus me faufiler aussi tranquille dans les rues. Les gens vont me montrer du doigt.
Le lendemain je suis sorti, il fallait bien que je fasse les courses. J'ai vu les gens me regarder, d'abord j'ai eu l'impression d'avoir perdu un bouton ou bien que quelque chose clochait dans ma tenue ordinaire, j'étais comme une tache étrangère et tout le monde le sentait. Et je me sentais seul au milieu des autres, complètement seul, parce que les gens gardaient leurs distances, ils s'arrêtaient et m'inspectaient, je n'étais plus des leurs.
Page 112 - Ce sont les phrases les plus emblématiques de ce livre mais je n'ai pu m'empêcher de les recopier tant elles donnent toute la mesure de l'humiliation imposée à tout un peuple.
Quelques locataires allemands étaient venus s'y installer au lendemain de l'occupation. C'étaient des gens effacés, qui ne se faisaient pas remarquer. Ils allaient tuer de neuf à cinq, mais à la maison ils jouaient les employés tranquilles, s'essuyaient les pieds sur le paillasson et se rangeaient courtoisement dans l'ascenseur pour faire place aux femmes.
Je me suis assis entre mes murs dénudés, près de mon poêle cassé, je mange du mauvais pain et de la chair hachée de crabe de rivière. On m'a chassé de partout, je ne peux plus partir nulle part. On veut prendre cette chambre nue aussi, dans laquelle il pleut, on ne veut même plus que je dorme sur la terre nue ni que je lise, pour la centième fois au moins, les mêmes livres. On va m'expédier vers une terre étrangère et là-bas, peut-être, on me tuera. Je ne crois pas qu'on me permette de vivre.
Deux hommes du commando "Anthropoïde", parachuté par Londres, le guettaient là depuis neuf heures. Ils étaient bien renseignés. Ils savaient exactement quand il quittait Břežany, ils avaient calculé l'heure à laquelle ils s'engagerait dans le virage qui avait été choisi à la suite d'une reconnaissance approfondie du terrain. C'étaient des hommes entraînés. Envoyés d'Angleterre pour supprimer Heydrich.
Heydrich poursuivit son examen de la balustrade. Soudain ses traits se tordirent dans une expression de haine et de rage féroce. Comment était-ce possible? Qu'est ce que c'était que cette saloperie? Comment avait-il pu prononcer un discours dans un bâtiment dont le toit s'ornait d'une statue immonde? Quelle honte ! Quelle humiliation! Pourquoi personne n'avait-il eu l'idée d'inspecter l'édifice avant de le consacrer à l'art allemand?
"Giesse, hurla-t-il en levant le bras vers la balustrade, faites enlever cette statue, sur le champ!
Téléphonez à la mairie, tout de suite, quelqu'un doit bien y être de service. C'est une négligence inadmissible, inouïe, pire que la trahison. Mendelssohn est sur le toit!"
Pour l'instant, il lui avait confié la tâche de trouver en Bohême un endroit propre à l'aménagement d'un ghetto provisoire. le ghetto aussi avait été décidé à la conférence; il devait servir de piège, de réservoir et aussi de façade, pour mieux leurrer les puissances neutres.