L'Allemagne envahit la république tchécoslovaque en mars 1939, elle y établit le nazisme dans un protectorat de Bohême Moravie où vont s'engloutir et mourir toute velléité d'indépendance de liberté et de dignité humaine. La machine à écraser ceux qui ne se conforment pas au modèle idéologique prôné par le régime, est parfaitement huilée ; elle fonctionne avec ses puissants qui incarnent autorité et contrôle, elle avance aussi irrésistiblement par la soumission des faibles, ces petites mains qui exécutent les ordres, incapables de voir l'ignominie collective, tant le souci de leur propre salut les préoccupe.
Ce monde contrasté, des puissants et des sous fifres, des bourreaux et des victimes, Juri Weil le fait revivre, autour du printemps 1942, marqué par l'attentat contre Heydrich, gouverneur du protectorat, éminent dignitaire nazi, concepteur de la solution finale. Au fil des pages, la réalité de l'occupation prend forme, entre compromissions ouvertes et résistances cachées, tchèques et juifs sont esquissés dans leur quotidien, dans un récit haché, à la manière d'un kaléidoscope qui laisserait apparaître des fragments de vie, avec simplicité, comme croqués dans un instantané terrible qui conduit les victimes à la mort.
Jiri Weil écrit une fiction grinçante dont il puise les ressorts dans le vécu de l'occupation, il a l'idée du roman en 1946, peu après avoir traversé l'enfer en se cachant de 43 à 45 dans le Musée juif de Prague qu'il met en scène dans son livre. le caractère exceptionnel du roman réside dans la manière dont l'auteur choisit de mettre à distance les faits qu'il relate, choisissant de brosser l'ordre nazi par un absurde exacerbé, la tragédie des victimes s'en trouve instantanément mise en relief et le sourire du lecteur s'efface. le roman s'ouvre directement sur cette approche ; l'idéologie d'exclusion et d'extermination des nazis ne négligeant aucun détail, ordre est donné d'ôter du toit de l'opéra, la statue de Mendelssohn. Outre le choix du musicien à déboulonner (baptisé à sept ans)
Jiri Weil va au bout de l'absurde en rendant la nomenclature nazie dépendante d'« un juif savant » qu'il faut aller quérir pour identifier la statue que personne parmi les tchèques et allemands concernés ne réussit à identifier…Ainsi le Dt Rabinovitch entre en scène, dans sa simplicité et ses illusions, lesquelles ne le sauveront pas d'un dernier voyage via Theresienstadt, ghetto et camp évoqués tout au long du livre.
L'ignominie nazie n'a pas guéri le monde de l'obscurantisme, en 1958 le livre de
Jiri Weil subit la censure du régime, pour lequel l'auteur ne fait pas la part assez belle à l'héroïsme positif, on pourra lire avec intérêt les pages expurgées alors, elles confirment que les régimes autoritaires n'apprécient guère l'humour. le livre de
Jiri Weil fait la preuve de son efficacité dans le tableau de la comédie humaine.
Un livre majeur.