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Citations de Jirí Weil (39)


Ils auraient voulu voir encore le soleil et le bleu du ciel, mais le temps était couvert, brumeux, maussade. Ils auraient voulu toucher de leurs mains garrottées la terre sur laquelle ils étaient nés, mais le sol était de pierre, durci par le gel.
Ils auraient voulu entendre encore une voix humaine, mais le silence régnait, aucun son ne résonnait dans l'enceinte de la ville fortifiée. Le monde qu'ils étaient sur le point de quitter était un monde mort et sourd.
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Cette nuit le vent hurlait, et c’était agréable de dormir la fenêtre ouverte. J’ai rêvé de Tomas*. Il était au paradis des animaux, un vrai paradis, où il poussait une balançoire pleine de souris dessus. Il les balançait et leur souriait.
( * Son matou tué par balle. Propre traduction de l’anglais)
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"Salut, shérif!", m'a crié un gamin. Et tout le monde a ri, et je savais qu'ils ne riaient pas de moi, j'ai ri moi aussi, c'était une chose divertissante de se promener avec un tel insigne, c'était une mascarade qui n'était pas dans l'ordre du monde, où les gens travaillent, elle faisait partie d'un carnaval, d'une foire avec des marionnettes, des acrobates, des visages poudrés et des coups de pied.
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"Dehors, cochon de salaud!" m'a crié un homme avec un insigne étranger sur son revers de veste et il m'a poussé si brutalement que j'ai trébuché. J'ai regardé autour de moi, le tram était assez plein, le visage des gens était figé, ils regardaient par terre comme s'ils cherchaient de l'argent, une pièce qui aurait roulé sous les lattes de bois. Personne ne parlait, on n'entendait que la voix grinçante : "Dehors cochon! Sinon….".

Le tram cliquetait dans la rue vide qui traversait le quartier du cimetière, l'arrêt était encore trop loin, l'homme m'a secoué de nouveau violemment, alors que j'étais sur le marchepied, j'ai sauté, j'ai fait un vol plané puis je me suis écroulé sur le pavé. J'ai encore vu mes lunettes sauter de mon nez et valser loin de là, je me suis relevé lentement, j'étais tout sale, la peau de ma main était éraflée mais je sentais que je n'avais rien de grave. J'ai tâtonné pour retrouver mes lunettes et alors j'ai vu que quelqu'un me les tendait.

"Belle bêtise de sauter du tram en marche, par ici, près du cimetière! Qu'est-ce que c'est que cette folie? Vous auriez pu vous tuer".


Page 135
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Quelques locataires allemands étaient venus s'y installer au lendemain de l'occupation. C'étaient des gens effacés, qui ne se faisaient pas remarquer. Ils allaient tuer de neuf à cinq, mais à la maison ils jouaient les employés tranquilles, s'essuyaient les pieds sur le paillasson et se rangeaient courtoisement dans l'ascenseur pour faire place aux femmes.
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Je suis retourné chez moi et j'ai cousu les branches de l'étoile. Il y en avait six et l'inscription en langue étrangère se détachait, toute contournée et bossue. J'ai tâté avec la main pour trouver l'emplacement exact de mon cœur. J'ai regardé dans mon bout de miroir l'étoile noir et jaune, elle criait à l'aide ou lançait un signal d'alarme. Je me suis dit "Il va falloir s'habituer à se promener avec ce truc, ça va être plutôt difficile. Je ne pourrai plus me faufiler aussi tranquille dans les rues. Les gens vont me montrer du doigt.

Le lendemain je suis sorti, il fallait bien que je fasse les courses. J'ai vu les gens me regarder, d'abord j'ai eu l'impression d'avoir perdu un bouton ou bien que quelque chose clochait dans ma tenue ordinaire, j'étais comme une tache étrangère et tout le monde le sentait. Et je me sentais seul au milieu des autres, complètement seul, parce que les gens gardaient leurs distances, ils s'arrêtaient et m'inspectaient, je n'étais plus des leurs.


Page 112 - Ce sont les phrases les plus emblématiques de ce livre mais je n'ai pu m'empêcher de les recopier tant elles donnent toute la mesure de l'humiliation imposée à tout un peuple.
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Deux hommes du commando "Anthropoïde", parachuté par Londres, le guettaient là depuis neuf heures. Ils étaient bien renseignés. Ils savaient exactement quand il quittait Břežany, ils avaient calculé l'heure à laquelle ils s'engagerait dans le virage qui avait été choisi à la suite d'une reconnaissance approfondie du terrain. C'étaient des hommes entraînés. Envoyés d'Angleterre pour supprimer Heydrich.
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Je me suis assis entre mes murs dénudés, près de mon poêle cassé, je mange du mauvais pain et de la chair hachée de crabe de rivière. On m'a chassé de partout, je ne peux plus partir nulle part. On veut prendre cette chambre nue aussi, dans laquelle il pleut, on ne veut même plus que je dorme sur la terre nue ni que je lise, pour la centième fois au moins, les mêmes livres. On va m'expédier vers une terre étrangère et là-bas, peut-être, on me tuera. Je ne crois pas qu'on me permette de vivre.
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Heydrich poursuivit son examen de la balustrade. Soudain ses traits se tordirent dans une expression de haine et de rage féroce. Comment était-ce possible? Qu'est ce que c'était que cette saloperie? Comment avait-il pu prononcer un discours dans un bâtiment dont le toit s'ornait d'une statue immonde? Quelle honte ! Quelle humiliation! Pourquoi personne n'avait-il eu l'idée d'inspecter l'édifice avant de le consacrer à l'art allemand?
"Giesse, hurla-t-il en levant le bras vers la balustrade, faites enlever cette statue, sur le champ!
Téléphonez à la mairie, tout de suite, quelqu'un doit bien y être de service. C'est une négligence inadmissible, inouïe, pire que la trahison. Mendelssohn est sur le toit!"
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Pour l'instant, il lui avait confié la tâche de trouver en Bohême un endroit propre à l'aménagement d'un ghetto provisoire. le ghetto aussi avait été décidé à la conférence; il devait servir de piège, de réservoir et aussi de façade, pour mieux leurrer les puissances neutres.
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La villa abritait les locaux du Bureau central, le siège régional du Sicherheitsdienst, chargé par Berlin d'apporter une solution à la question juive sur le territoire du Protectorat de Bohême-Moravie. Une solution finale.
La mort y guettait dans des centaines de dossiers, dans des fiches, des inventaires, des photos d'immeubles, de pavillons et d'usines. La mort avait élu domicile dans les paraphes et les signatures, les sigles et les abréviations, les tampons et les graphiques, une mort ordonnée et bien tenue, dactylographiée sans faute sur du papier ministre et des fiches de couleur.
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Jan comprit que Winter avait raison. Tout était puni de mort. Chacun pouvait se mettre la corde au cou de la manière qui lui plaisait. Il n'avait pas le droit de condamner ce que faisait Winter. L'ange entré dans l'immeuble sur une charrette à ridelles avait apporté du bonheur aux gens. Un bonheur éphémère mais qui n'en etait pas moins réel. Le cadavre du bourreau*, emmené sur un affût de canon, avait été incinéré depuis beau temps. Il avait délégué la mort pour exécuter au pays conquis ses dernières volontés. Mais la mort ne pouvait empêcher les gens de sourire de bonheur après un bon repas et de respirer plus librement précisément parce que, dans les limites de cet instant, ils en avaient triomphé.

* Heydrich, bourreau de Prague.
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Je me trouvais tout à coup dans la rue et je riais tout seul, je m'en suis aperçu seulement au moment où j'ai vu que les gens me regardaient l'air surpris, sûrement qu'ils trouvaient ça bizarre, un homme avec une étoile qui riait comme ça tout seul, sans raison. Peut-être qu'ils me prenaient pour un fou.
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La villa était silencieuse, même si cette fois ci il y avait des familles enfants, on enregistrait des familles entières. Elles venaient groupées en bloc compacts, on voyait aussi des vieux qui s'appuyaient les uns contre les autres. Entassés tous ces gens devaient attendre anxieusement, interminablement. Ils tenaient à la main des papiers sans rien comprendre à ce qu'il y avait écrit dessus. Leurs "biens" y étaient consignés mais personne ne se souciait plus de ses "biens" qui étaient d'ailleurs passées dans des mains étrangères. Les "biens" de chacun, maintenant, c'était plutôt une couverture, des gousses d'ail, ou du saindoux introduit dans des tubes de dentifrice. J'étais là au milieu de ces familles et j'avais aussi des papiers dans les mains. Il fallait que chacun ait un papier même s'il ne possédait absolument rien. Moi, en tout et pour tout, j'avais un sac de couchage et un bol, je les avais depuis longtemps et je n'étais pas obligé de me battre pour les trouver. Oui, en un sens, j'étais mieux loti que les autres, parce que j'étais seul et qu'en plus j,avais gardé un brin d'espoir.
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je devais me rendre parfois en ville afin de me procurer un peu d'argent, je vendais mes livres, je n'avais plus rien d'autre à vendre.Je savais que je ne pouvais pas les liquider tous, certains étaient trop déchirés et j'étais content de savoir qu'ils resteraient à la maison.
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Il était couché dans un lit, dans une grande salle au plafond élevé, dans une vieille bâtisse pleine à ras bord de souffrance et de douleur.
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(Préface)
En 1958, Jiri Weil, l'un des quelques milliers qui ont pu survivre au massacre en se cachant, employé alors au Musée juif de Prague, publie sa Complainte pour 77 297 victimes en même temps qu'il reprend le travail sur Mendelssohn est sur le toit, oeuvre ébauchée dès le lendemain de la guerre.
L'histoire du roman est narrée par l'auteur en 1959, dans un projet de préface demeuré inachevé: "Au printemps 1946, je suis monté sur le toit du Rudolfinum avec Bozena Vranova, professeur au conservatoire, pour lui montrer la statue abattue de Mendelssohn-Bartholdy. La statue était presque intacte, seule une main avait été cassée. C'était un an après la plus terrible de toutes les guerres, conflit qui avait englouti tant de millions de vie et marqué tant d'autres, dont nous n'avions réchappé tous les deux que par miracle (...) Nous étions montés sur le toit parce que je voulais raconter l'histoire de la statue renversée, narrer ce petit évènement presque oublié, à première vue insignifiant, mais qui me semblait propre à illustrer l'arbitraire sanglant des pillards et des assassins, à rendre témoignage de ces jours d'humiliation et d'espoir. A l'époque, je n'ai pas réussi à présenter l'histoire comme je l'aurais voulu. J'ai abandonné mon manuscrit, car le roman que j'étais en train d'écrire aurait été comme tous les autres qu'on publiait alors sur l'Occupation, un simple compte rendu des faits historiques, sans la force de frappe nécessaire pour redonner vie aux images de ces années. (...) J'ai repris plusieurs fois le travail, toujours sans pouvoir le mener à bien. Finalement, en 1958, avec plus de dix ans de recul, j'ai abordé le sujet sous un angle nouveau en jetant tout ce que j'avais écrit jusque-là. J'avais enfin trouvé, ou du moins je crois avoir trouvé le moyen de présenter l'histoire de façon qu'elle parle à notre vie actuelle."
L'histoire, malheureusement, ne s'arrête pas là. Envoyé à la composition en 1959, le roman sera à la dernière minute interdit par la censure, qui reproche à Weil de ne pas avoir mis suffisamment en relief le rôle de la résistance communiste et les victoires de l'Armée rouge, comme dix ans plus tôt la critique marxiste fustigeait le "défaitisme" du premier roman reflétant son vécu de l'Occupation (Vivre avec une étoile, 1948, traduit chez Denoël en 1992). Déjà très atteint par la leucémie qui l'emportera avant la fin de l'année, l'auteur, qui tient à témoigner et se fie sans doute à ses lecteurs pour faire la part des choses, accepte de revoir sa copie.
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Le baron lui avait parlé d'une gouvernante possible − une femme qu'il avait employée comme cuisinière lorsqu'il était à l'ambassade d'Autriche. Il l'avait chaleureusement recommandée. Elle était vieille et laide, il n'y aurait donc pas de risque de bavardages sur l'oreiller.
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Pavel est revenu et derrière lui il y avait un homme avec sa femme. Ils n'ont pas dit un seul mot, ils ne nous regardaient pas, ils faisaient semblant de ne pas nous voir, je suis resté à la table, je remuais nerveusement ma cuiller dans le thé que j'avais bu depuis longtemps. Ils ne regardaient que les objets, ils caressaient les meubles, ils soupesaient les cruches d'étain, ils tapotaient les coussins des divans. Ils estimaient à voix haute entre eux la qualité et la robustesse de tout cela, ils parlaient de la façon dont ils restaureraient le mobilier. Nous étions déjà morts. Ils étaient venus prendre l'héritage.
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Soudain le commandant de la place avança jusqu'à l'extrême bord du fossé, toisa les condamnés avec dégoût, comme s'ils avaient été des insectes, et lut le verdict d'un ton coupant : « Pour outrage au Reich allemand, par décret du chef du Sicherheitsdienst pour la Bohême-Moravie, ces Juifs ont été condamnés à la peine de mort par pendaison. »
Le Reich qui tuait et pillait d'un bout à l'autre de l'Europe, le Reich qui perdait des dizaines de milliers d'hommes dans le feu et la glace du front de l'Est, était encore puissant en cette année-là, persuadé de triompher un jour du monde entier. Le Reich accusait ces petites gens ordinaires de s'être mises en travers de son chemin et de lui avoir fait outrage. On ne disait pas comment, la simple accusation suffisait. Le vol de quelques pommes de terre pourries ou d'une planche cassée était qualifié d'attentat. Le salut que l'un avait oublié de faire à un SS, la lettre que l'autre avait tenté de faire passer en fraude, devenaient des crimes capitaux.
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