Citations de Karin Fossum (75)
- À un endroit comme celui-ci, murmura Sejer en regardant autour de lui le bois, le champ et la maison de Gunwald, à un endroit comme celui-ci, les gens se protègent les uns les autres. C’est toujours comme ça. S’ils ont vu quelque chose qu’ils ne comprennent pas, ils n’osent pas le raconter. Ils partent du principe que ce doit être faux, parce que j’ai grandi avec ce type, j’ai travaillé avec lui, et en plus de ça, c’est mon cousin. Ou mon voisin. Ou mon frère. On est allés à l’école ensemble. Alors je ne dis rien, de toute façon, ce sera faux. Nous sommes comme ça, nous les hommes. […] - Il ne s’agit pas de mauvaise volonté, ici, c’est la bonne volonté qui empêche les gens de dire ce qu’ils savent.
C’était l’Inde ou rien. […] Il feuilleta donc une nouvelle fois ‘Tous les peuples du monde’. Il contempla longuement la beauté indienne. Qu’une femme puisse être si merveilleusement belle, si resplendissante et lisse, si délicate au point d’en être ensorcelante. Elle tenait d’une main frêle les deux pans de son châle joints sous son menton. Elle avait des bijoux autour du poignet. Son iris était presque noir, avec un éclat vif, peut être le soleil, et elle regardait Gunter bien en face. Droit dans ses yeux pleins d’envie. Ils étaient grands et bleus et il les ferma. Elle le suivit dans son rêve. Il s’endormit dans son fauteuil et partit en flottant avec la beauté dorée.
Johnny Beskow donne parfois l’impression d’être un garçon indifférent et froid. A d’autres moments, il se comporte comme un gamin qui a envie de s’amuser. Mais dans tous les cas, il fait preuve d’une surprenante maturité. Personne ne lui a jamais appris comment fonctionne ce qui régit les rapports humains. Il ne connait ni de lois écrites ni non écrites. Quelque fois, il devient sentimental comme lorsqu’il parle de son grand-père.
Il se penche, voit son petit chien fripé sur le tapis à côté du lit qui dort en paix. Se met à penser à la vie, à la mort. […] Si on se promenait, toi et moi, et qu’on était victimes d’un accident, ou enfermés dans une cave ou une grotte, et que personne ne nous trouvait? Qu’on se retrouvait sans eau, ni nourriture? Imaginons que je meure d’une crise cardiaque par exemple. Tu serais seul devant mon cadavre, et tu finirais par me manger, tu déchirerais mes chairs, oubliant ce qu’il y a eu de formidable entre nous, tous nos souvenirs. Tu entends ce que je te dis, Franck? Tu me dévorerais. Si tu avais faim. Car c’est ta nature, tu suivrais tes instincts , tu chercherais à survivre à tout prix.
Telle était la vie de Halldis Horn. Résoudre un par un les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissaient, sans se plaindre. Elle faisait partie des gens qui ne se posent jamais de questions sur l’œuvre du Créateur ou sur le sens de la vie. Ça ne servait à rien. Et de plus, elle avait peur de la réponse. Elle continua à piocher, son derrière tressautant en cadence. Au début du sentier, caché derrière un arbre, Errki observait.
La femme le fascinait. À l’instar des lourds sapins, elle semblait sortir de terre. Derrière elle, il entendait le son qu’elle faisait, un trombone esseulé et majestueux. Il resta longtemps là à la dévorer des yeux ; ses épaules rondes, sa robe qui battait. Il l’avait déjà vue. Cette personne vivait seule, il le savait.
Grande, à la poitrine haute et ronde, avec une natte grise dans le dos telle une haussière de fer dans le dos. Son visage était rond et plein de vie, ses joues étaient roses, et son regard avait conservé son mordant, bien qu’elle fût âgée.
Il était heureux d’avoir fui cet asile étouffant, heureux d’avoir trouvé cette maison abandonnée. Il se tourna sur le flanc, les genoux pliés, les mains enfoncées entre les cuisses, la joue contre le matelas moisi. Il regarda loin en lui, dans cette cave obscure et poussiéreuse, au plafond de laquelle un petit trou laissait passer un rai de lumière fatiguée qui dessinait une tache ronde sur le sol de Pierre.
On ne remarquait pas un ennemi à son aspect extérieur, à un coup d’œil superficiel. Elle pouvait dissimuler un couteau sous la couverture du bébé, par exemple. Il imagina quelque chose avec une pointe fendue et des bords en dents de scie. On ne sait jamais.
Il n’avait pas besoin de but, il pouvait marcher des heures sans se fatiguer. Avancer obstinément, comme un jouet avec une clé dans le dos, avec un ressort dans le corps. C’était un homme de vingt-quatre ans, aux épaules étroites mais aux hanches étonnamment larges. Une forte prédisposition génétique était responsable d’un défaut de son articulation coxo-fémorale. C’est pour cette raison qu’il lui fallait faire un mouvement très particulier des hanches pour mouvoir ses jambes. Une embardée agacée, comme s’il voulait se défaire de quelque chose de dégoûtant qu’il aurait eu dans le dos. Ce qui avait mis dans le crâne d’un nombre incroyable de personnes qu’il marchait comme une gonzesse.
Il était gras et mou, ses yeux étaient inexpressifs, et de plus il était idiot. Un homme-pudding dégoûtant qui passait sa vie à demander pardon, craignant de les contaminer, d’être sur leur chemin, que quelqu’un sente son haleine fétide. Le pauvre homme était désormais retourné auprès de Dieu. Il clapotait peut-être sur un nuage, enfin débarrassé de ses gants moites. Il avait peut-être retrouvé sa mère, là-haut, où ils dérivaient sur deux nuages voisins. Il adorait sa mère. Le souvenir du regard fuyant de Tormod, sous ses cils clairs, le fit déglutir bruyamment. Il secoua nerveusement son corps maigre et continua sa route.
« Je déteste les gens, pour la seule raison qu’ils existent, et je les envie intensément quand je les vois se déplacer dans leur pays.
Moi, le toqué, installé dans mon bloc de glace, je prends méticuleusement des notes sur tous les actes d’hostilité des gens à mon encontre.
Et dans la chambre noire de la vengeance,
Un maître du monde est en train de grandir. »
Elgard Jonsson
Helga était postée à la fenêtre. Elle eut un vertige quand elle aperçut le véhicule blanc. Elle était allée trop loin, elle avait défié le sort. Ce qui se déroulait sous ses yeux constituait l'aveu même qu'un événement terrible s'était produit (...)Helga Joner ne comprenait plus les pensées qui s'agitaient dans son crâne, elle éprouvait un désir violent de voir quelqu'un prendre en main la situation, commander, décider.
C'est le moment que choisit l'angoisse pour lui administrer une première injection. L'effet fut amplifié, l'instant d'après, par cette aspiration à l'estomac, dévorante, qui en permanence propulsait Helga Joner vers la fenêtre où Ida, juchée sur sa bicyclette jaune, ne manquerait pas de débouler. Elle allait même surgir dans une seconde, c'est évident
Une vie est une vie tant qu'elle dure et qu'elle représente quelque chose pour quelqu'un
Une nouvelle affaire… Voilà exactement ce dont il avait besoin à présent ; quelque chose pour lui rappeler qu’il s’agissait seulement d’un travail de salarié ; un travail qu’il pouvait ranger dans le tiroir de son bureau à 4 heures de l’après-midi si ça lui chantait.
– Je prends tout, tant qu’il ne s’agit pas d’enfants.