" Une nuit d'hiver, sur une colline où, durant le jour, d'énormes poubelles en tôle déchargeaient les déchets de la ville, non loin des amas d'ordures, huit baraques furent construites à la lueur des lanternes. Au matin, la première neige de l'année tomba sur elles. Ces huit baraques faites de papier goudron acheté à crédit, de bois ramassé sur les chantiers et d'aggloméré transportés en chariot depuis les briqueteries, furent d'abord aperçues par les chiffonniers. Ils accoururent sans ôter de leur dos les sacs et les hottes, et entamèrent une discussion animée avec les bâtisseurs qui montaient la garde. Un vent fort et violent ne cessait d'entrecouper les voix. Un moment, il faillit même emporter les baraques. Les chiffonniers dirent que les murs mal faits et les toits de fortune n'y résisteraient pas. Les bâtisseurs décidèrent alors d'arrimer les toits à l'aide de cordes et d'étayer les murs."
p 9
" L'un des contes d'ordures que l'on racontait sur le Mont aux Fleurs s'appelait "Le Grand Incendie des Ordures". Ce conte, qui parlait de Mahmut le chef gitan, de Dursun le fou du quartier des baraques, et des cinq romanichels brûlés vifs, s'écoulait en une cascade de distiques gravés dans la mémoire des habitants des collines.
La théière roula et roucoula
Dursun le Fou regarda par le toit
Les habitants du Mont aux Fleurs avaient surnomme "théière roucoulante" le samovar qui se trouvait dans la baraque en carton de Mahmut le chef des gitans. Avec sa théière à la grosse passoire brillante et son récipient d'eau reliés par des tuyaux fins emboîtés les uns dans les autres, ce samovar était un véritable monument de faste."
p 141
" Avant de souffrir de la maladie du vent, le Père Roses travaillait dans une petite biscuiterie. Aveugle, c'est avec sa canne qu'il avait participé à la "danse de la marche contre le vent". Il ne fut considéré comme un guide spirituel qu'après avoir guéri Sirma avec ses pleurs et ses tremblements. Après ce jour, les femmes discutèrent longuement pour savoir si un aveugle pouvait réellement pleurer et décidèrent enfin que les larmes qui coulaient de ses yeux morts étaient une eau puissante, remplie de la sagesse divine. De bouche en bouche, se répandit la légende que Dieu avait regretté de l'avoir rendu aveugle, qu'Il lui avait demandé s'il ne voulait pas retrouver la vue et que le Père Roses avait préféré un cerveau puissant à la place de ses yeux. Ainsi, son omniscience fut expliquée par sa cécité. Ceux qui l'avaient vu converser avec sa canne et écouter les voix de la terre devenant de plus en plus nombreux, on n'entreprit plus rien au Mont aux Fleurs sans lui avoir baisé la main. Selon la croyance, quiconque serait touché trois fois au dos par sa canne verrait la bonne fortune se poser sur ses épaules tel un paon."
p 39
Or, en réalité, Gogui n'était mêlé qu'à une seule affaire susceptible d'être qualifiée de bizarre. A l'époque où il travaillait à la morgue d'un grand hôpital public, obéissant à une brusque impulsion, il avait appuyé l'un des morts contre le mur et, après avoir placé le tuyau entre ses mains, lui avait fait laver les autres cadavres - l'homme qui fait laver les morts par un mort !
Tu m'as fait attendre de peur que notre proximité ne devienne ordinaire, tu m'as fait attendre pour que l'amour ne se transforme pas en relation, pour ne pas devenir ma possession, tu m'as fait attendre parce que tu avais peur de te lier à moi.
Note des traducteurs
[...]
Dérives est l'histoire d'un monde en marche vers une catastrophe environnementale, mais aussi l'aventure de ceux qui, se refusant de désespérer de l'homme, luttent encore pour exister et changer le cours des choses.
Que nous ayons fait cela me suffit à l'infini, je n'aspire à rien de plus; plaisir charnel, amour, passion, obsession, rien de tout cela ne me traverse l'esprit, quand je pense à toi mon cœur ne se remplit que d'affection, et de tendresse.