Renaître de ses cendres - 38ème édition du Livre sur la place Que ce soit lart, la nature, lhéritage du passé ou de lHistoire, il y a toujours une lueur despoir quand tout seffondre autour de soi. Metin Arditi Lenfant qui mesurait le monde (Grasset), Lyliane Beauquel LApaisement (Gallimard), Jérôme Chantreau Avant que naisse la forêt (Les Escales), Frédéric Couderc Le jour se lève et ce nest pas le tien (Héloïse dOrmesson) Animée par Karine Papillaud
L’économie des gestes et des pensées a mené à l’économie des rêves, cette tristesse vague qu’ils font passer pour de la sagesse.
La qualité d'écriture fait de ce livre un petit bijou loin des modes parisiennes de la rentrée. Le sujet aurait pu rebuter les lecteurs à l'âme fragile qui préfèrent lire les turpitudes sexuelles d'une enfant de 13 ans au dur labeur de soldats de 20 ans, embarqués dans la première guerre mondiale.
Le temps, le paysage, l'amitié, le chaos, tout s'enroule par enchantement dans une langue douce et précise.
Un pur bonheur.
Et comme l'a si bien écrit Sandro dans sa critique, ce texte est autant fait pour être lu à haute voix.
[ Incipit ]
Mon sang s'est répandu, il a emporté toutes mes forces, mais je veux dire comment je tente encore, dans l'écrin des fleurs piétinées, tel le bleu du bleu, le vert du vert, comment je retiens les mots inscrits au bord déchiré de mon cerveau alors qu'autour les soldats avancent, tirés par des dogues, l'écume aux dents, me cherchant, ne voulant que ma carcasse.
Champagne:
De tels prodiges pourraient nous rendre fous : voilà que nous buvons du champagne. Heinrich l’a volé à une maison du bourg, elle bâillait par toutes ses portes, et, dans la nuit, ses lucarnes avaient un regard de louve.
(…) Nous mettons beaucoup d’amitié à tirer sur nos pipes et le champagen circule avec les scintillements des nuits de Noël,il nous en faudrait beaucoup pour renoncer à téter ces bouteilles, à les faire chanter comme flûtes taillées rien que pour nous ! Nous gardons cette volonté d’être très gais.
L’attente de l’assaut. Le tréteau du ciel au-dessus de nos têtes. L’attente, rideau de satin devant la lumière inattaquée de la lune, mouillant le sol d’un lait tourné et inclément. Le silence bientôt des forêts. Les animaux moins battus que nous, attendant dans des trous provisoires la fin de nos folies, le cœur distendu à en mourir aux émois des explosions.
Ce n'est rien et ce n'est pas tout : les ruines, notre maigreur, les marques sur la terre et sur nous même. Elles touchent les plus modestes et les plus lettrés qui avaient pris autrefois le pouls du monde dans les bibliothèques, avec à leur fronton des nuées de mensonges en une devise unique. L'écho des tirs y répond aujourd'hui
Il est des secrets que l'on ne peut protéger. Ils embarrassent la mémoire.
Nous bataillons pour un bout de paysage déserté, dans un bois loin des collines de vignes pillées, sans autre motif que d’épuiser une armée contre une autre, c’est le but de notre présence ici, sans limites au prix de nos vies. Nous trainons les cervelles sous nos semelles.
Dormir puis mourir.
Chacun est à sa folie.
Notre vérité, c’est d’être ici, malgré toutes nos différences, ceux qui y croient, ceux qui n’y croient pas.
C’est si bon de posséder cette amitié brouillonne, elle nous empêche d’être imbéciles en ces occasions si nombreuses que la guerre nous tend.