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Citations de Lucien Bodard (113)



P143

- Non, Yi, vous attendrez. Je connais et possède plus de cent poisons. Ceux qui foudroient, ceux qui cheminent, ceux qui font du corps une fournaise, ceux qui le glacent, ceux qui le gonflent comme une baudruche, ceux qui le dessèchent, ceux qui le paralysent, ceux qui fardent les joues de taches de beauté brûlantes comme le feu, ceux qui bariolent la peau de tous les abcès, de tous les pus, de toutes les couleurs. Il y a ceux qui donnent une mort suppliciante et ceux qui assurent la mort comme une illusion. Ceux qui amènent le trépas instantané et ceux qui permettent de le sentir s’approcher. Eh bien, pour vous Yi, je choisirai le plus lent. Un jour inconnu de vous, votre souffle s’éteindra.
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Mais enfin, Anne-Marie, vous ne m'aimez pas.
Comment voudriez vous ? Vous oubliez que vous m'avez achetée. Je me souviens très bien comment vous m'avez jaugée, sur les quais de la gare d'Ancenis, un jour que je revenais de Nantes. L'oeil d'un maquignon faisant son marché. Ca n'a pas traîné. Le lendemain , sur votre trente et un, vous vous présentiez chez nous avec votre frère, le capitaine moustachu, celui que vous étiez venu voir dans sa garnison. Et tout de suite vous avez demandé ma main à ma mère. Moi, je ne voulais pas. Mais mon père venait de mourir ruiné. Il avait bu sa fortune et personne ne m'épouserait dans le pays.Toutes ces bouches campagnardes de demi-hobereaux, de vieilles demoiselles, d'oncles plus ou moins gâteux mais ayant du bien, me répétaient c'est votre devoir Anne-Marie.
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Je suis né au-delà des Chines connues, des Chines colonisées, au-delà des terribles gorges du Yang Tsé Kiang à plus de trente jours de jonques de Shanghaï, dans la province du Sseu Tchouan. Une vieille province de quatre-vingts millions d'habitants, séparée du reste de la Chine par les massifs les plus hauts du monde, une province très vieille, très féodale, très superstitieuse, très belle, très riche. C'était encore la Chine antique : les villes, leurs murailles, les champs de riz, les collines, les montagnes, les fleuves immenses, les populations immenses, la misère immense, toutes les fleurs, les rhododendrons et les lis sauvages, et aussi la gaieté. La joie de vivre, la joie d'avoir sa bouchée de riz.
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Ensuite les événements se précipitent. L'essai de Pomme Bleue est publié dans l'indifférence générale, et même sa virulence progressiste fait sourire : on n'en est plus là, on ne songe plus qu'à la guerre contre les Japonais, la guerre imminente, inévitable !
Kang Sheng, lui, continue à rire :
_ Les nationalistes et nous couchons dans le même lit, mais nous ne faisons pas les mêmes rêves, dit-il à Pomme Bleue. N'oublie jamais ça.
_ Mais qu'est-ce qui va arriver ?
_ La guerre évidemment. Réfléchis, regarde autour de toi. Les Japonais vont attaquer la Chine riche, celle que détient Tchang Kaï-chek. Nous, dans le Shaanxi de la pauvreté, nous serons relativement à l'abri et depuis là nous nous répandrons dans tout le Nord sans trop avoir à combattre. La guerre contre le Japon durera des années et des années, ce sera la Guerre Longue tant souhaitée par Mao, la guerre aux épisodes imprévisibles et formidables qui risque d'embraser le monde en conflagrations géantes. Tout ce temps les armées nationalistes se décomposeront peu à peu, tandis que les nôtres propageront leur doctrine et recruteront. L'alliance avec le Kuomintang contre les Nippons est une très belle façade qui cache une lutte secrète, impitoyable. Et nous gagnerons, la Chine tombera entre nos mains comme un fruit mûr.
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On avait alors entendu parler d'un camarade obscur, un certain Mao Zedong. Permission lui avait été donnée par le Comité central de lancer la campagne de la Moisson d'Automne dans sa province natale du Hunan, au coeur de la Chine. Il devait soulever Changsha et les autres villes mais cela avait lamentablement échoué. Mao s'était retrouvé dans les monts Jinggang avec quelques centaines de paysans. Et dans cette sylve sauvage il avait fondé un soviet. Comment pouvait-on faire le "grand soir" avec des culs-terreux ? Mao avait persisté et même la chance avait voulu que la dernière troupe communiste existante, forte de deux mille soldats et commandée par un ancien fumeur d'opium du nom de Zhu De le rejoigne.
Au nom de Mao, Pomme Bleue a sursauté : Yu Qiweï déjà lui avait parlé de cet illuminé, Kang Sheng lui exècre cet hérétique, ce schismatique.
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Un pilote est monté à bord du vapeur et le dirige vers une côte plate et marécageuse où se découvre un chenal étroit, méandreux, qui s'enfonce à l'intérieur des terres : le Whangpoo, une coulée d'eau grise complètement désolée, pestilentielle. Dans ce néant nauséabond, ravagé par le paludisme, il y a moins d'un siècle, les Barbares ont fondé Shanghaï. Une dernière courbe que le bateau prend lentement et la métropole surgit devant Pomme Bleue.
Ce qu'elle voit, c'est un paysage fantastique, une forêt de pierres, le jaillissement d'un monde pétrifié dans sa beauté et sa richesse, une parade de tours, de dômes, de campaniles, de coupoles, un délire architectural souverain, une armée de la matière triomphante. Ces orgueilleuses structures bâties dans un style venu d'Albion, de Byzance, du Bengale et de la Phénicie clament la grandeur du commerce qui dépouille la Chine selon la loi et l'ordre des Blancs. Au sommet d'une de ces érections, une énorme horloge égrène les heures de la spoliation et du profit. Et ces heures se succèderont à jamais.
Ce que Pomme Bleue voit, tout ce décor, c'est le Bund, la façade de la Concession internationale sur le Whangpoo. Une illusion... une réalité qui s'incruste en elle dans sa fantasmagorique et cruelle splendeur.
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Elle a dix ans. C'est un petit être à la traîne de sa mère, Lotus, une bonne personne qui n'a jamais su se refuser aux hommes. Toute jeune Lotus s'est enfuie de chez ses parents pour suivre un séducteur. Sa joliesse a passé, ravagée par le malheur...
Connaissance est faite dans le bourg de Zucheng, chez M. Wang, un commerçant prospère qui exerce le respectable métier de marchand de cercueils. Ce Wang, encombré de femmes et d'enfants, est le meilleur des compères, rubicond, ventru, amateur de propos joyeux et de festins somptueux. Lotus vit chez lui, reléguée aux tâches les plus humbles, c'est elle qui tue les cochons qui seront servis bien laqués lors des banquets, on la loge dans une mansarde où souvent elle reçoit la visite de M. Wang. Shumen doit se recroqueviller dans un placard, l'accouplement, elle sait ce que c'est - des bruits, des manèges, des relents, une gymnastique ridicule qui s'achève par les gémissements de M. Wang. Elle regarde, elle hait.
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"_ Le peuple m'aime et nous sommes le peuple.
_ Le peuple, le peuple. Comme si tu étais le peuple. Tu me fais rire. Laisse le peuple tranquille et soigne ta clientèle. Fais le trottoir, tape-toi les gros michetons avant que Hua ne te les souffle."
Cet accent de crapulerie, voilà le vrai Zhang, le maquereau issu des fanges de Shanghaï. Curieusement, cette façon de la traiter en putain de la Chine ne heurte pas Jiang Qing. Quand elle est déprimée, quand elle doute, la grossièreté de son amant la réconforte : même pour les affaires d'Etat, il n'est jamais meilleur que dans sa peau de souteneur.
"_ Ramasse les commissaires politiques, les généraux, les dirigeants. Tu les réchaufferas et aussitôt nous passerons à l'action.
_ Je leur parlerai de Mao.
_ Mao est mort et ces gens-là se foutent de lui. Peut-être que les cadres moyens et subalternes du Parti le révèrent encore, mais ils ne sont rien. Nous, nous ne recherchons que les grands dignitaires, les hommes clés qui n'entendent que le langage de l'intérêt."
Ce rustre a forcément raison, puisqu'il connaît les lois de la pègre. Et qu'est-ce que le Parti, sinon une pègre ?
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Maintenant Mao est tout près de Pomme Bleue. Elle se cambre, sourit. Déjà il est passé. Il lui semble qu'il l'a regardée...
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Le jour de la première séance publique, elle se glisse dans une file d'attente - ainsi des gens vont payer pour la voir, des gens normaux qui ne la connaissent pas et qui avancent lentement en mangeant des grains de pastèque. Ces figures d'abrutis sont finalement absorbées par la pénombre et elle surgit sur l'écran, loqueteuse, hagarde... Son premier face-à-face avec elle-même, devant le public : âpre et formidable poignance, ,joie hallucinante, légère inquiétude aussi. Elle se regarde, elle s'examine, elle se trouve émouvante, mais surtout elle épie les visages autour d'elle, elle guette les respirations, les bruits, les rumeurs. Si ces gens savaient... Hélas, son exaltation ne dure pas. Dans l'assistance elle sent monter l'indifférence, l'ennui. On bâille quand meurt son fils, on rit quand elle se joint aux chasseurs. Lorsque la lumière se rallume, la foule s'en va rapidement. C'est tout juste si quelques spectateurs la reconnaissent. Quelques tièdes félicitations. Un garçonnet lui fait signer un autographe, rien d'autre. Elle se retrouve dehors pâle et angoissée, déchue...
Au bout de quelques jours le film quitte l'affiche et le directeur du studio engueule Pomme Bleue :
_ Il vous a manqué la simplicité qui aurait convenu à votre rôle. Certes vous haïssez les loups, vos grimaces le font comprendre, mais vous ne savez pas aimer les hommes... Vous êtes incapable d'exprimer l'humilité, la compassion, vous vociférez et gesticulez comme une mégère. Nous allons perdre de l'argent à cause de vous. Votre contrat est donc temporairement suspendu, vous ne recevrez plus de salaire...
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Mois de torture pour Grue des Nuages. Elle hait les péronnelles pomponnées, leurs atours de soie, leurs jolies robes aux dentelles délicieuses, leurs oreilles percées de boucles d'argent, leurs regards vifs, acérés, leurs badinages, leurs roueries, leurs coteries. Un lien les unit, l'argent. Pauvresse, pauvresse, hurlent les jouvencelles dès que Grue des Nuages apparaît - la pauvreté colle à sa personne comme une infirmité, comme une malédiction. On la pourchasse, on la couvre de sarcasmes, elle se rebelle, elle assaille les pécores, elle les pince, elle les griffe, mais elle ne fait qu'augmenter le choeur des insultes, on la surnomme "la mendiante", on raille sa tunique effrangée et ses chaussures qui bâillent. Si, à bout, elle fond en larmes, elle déclenche une pétulante gaieté. On l'appelle "la fille sans père", affront terrible. Toutes les voix autour d'elle piaillent : Qui est ton père ? Tu n'as pas de père, tu n'es qu'une roulure, fille de roulure.
Grue des Nuages est meilleure élève que ses compagnes, mais les institutrices, loin de la protéger, l'accablent aussi... Pour la moindre faute, (elle) est grondée, à la joie générale. Un jour une de ces gorgones la gifle et immanquablement Grue des Nuages se précipite sur elle pour lui crever les yeux. Quel scandale ! On l'entraîne jusqu'aux WC - WC modernes avec chasse d'eau - où le directeur en personne lui cingle le postérieur avec une ceinture de cuir. Ensuite, elle est renvoyée.
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L’Indochine, c'est une machine qui leur appartient, une mécanique de précision dont il ne faut pas desserrer une seul vis. Un chef d’œuvre, croient-ils grâce à leur belle administration sans faille : un indic sur dix habitants, un flic sur cent, par-ci par-là, un mandarin à leur botte...
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Le Shandong est renommé pour sa richesse, pour sa fortitude, pour sa piété, pour ses vices. En ce début de siècle, dans les villes moyenâgeuses ceintes de murailles, règnent le culte de la vertu, et la violence et la débauche. Tant de lettrés qui enseignent les lois de la morale, tant de ruffians sanguinaires, tant de courtisanes qui exaspèrent la jouissance, tant de commerces, tant de marchands, tant de cruauté dans les familles dominées par le patriarche et la première épouse, et, depuis la fin de l'empire, tant de Seigneurs de la Guerre... Calamités, supplices, batailles, le Shandong est aussi une province de mort et de chaos.
C'est au milieu de ces désordres que se produit la rencontre. Lui est un adolescent de bonne origine... Elle, son nom est Shumeng, c'est-à-dire "Pure et simple" ce qui ne convient guère à sa face hâve et dure, étrangement dure, à ses yeux où ne brûle jamais aucune joie...
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Dans ce Sseu Tchouan sans l’ombre de services publics où rien ne fonctionne, la poste marche très bien. C’est un apport capital de la France à la Chine. Si les gentlemen anglais sont les maîtres des douanes officielles, ce sont de petits messieurs français secs et barbichus qui, même dans cette province perdue depuis des siècles, ont organisé un courrier d’une régularité exemplaire. Même quand des milliers de gens meurent tout autour, pour une raison ou pour une autre, les lettres arrivent avec leurs cachets, leurs timbres, le facteur se présente avec son registre où il faut signer pour les plis recommandés.
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L’amour est un luxe qui se paie.
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[...] Enfin les armées de Hong atteignent le lac Dongting, cette nappe immense, glauque, purulente d'activités et de prospérités qui sert de réservoir et de poumon au Fleuve Bleu. Autant de proies pour les insurgés. Brasiers, bénédictions, charniers. Les Taiping s'emparent de milliers de jonques et de sampans [...]. Que l'Empereur de Pékin tremble, ses jours sont comptés. Hong se proclame le Souverain des Dix Mille Ans. [...]. Les fructueux négoces, l'entrepôt des marchandises suprêmes, la soie et le thé, tout tombe très vite aux mains de Hong et des Princes. [...]. Les murailles [...] sont défendues par dix mille guerriers mandchous particulièrement fameux, ceux que l'on appelait les Tigres. Mais devant la marée humaine qui approche, même eux ont le foie qui se ronge. [...] Scènes habituelles, les mandchous égorgés, leurs femmes fracassant les enfants contre les murs avant de se jeter dans des puits. Cinquante mille morts au moins. [...]
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Pour les voyous, les clandestins, les révolutionnaires, la Concession française était un havre : les Français s'acoquinaient volontiers avec les Célestes, savaient fermer les yeux à bon escient et cultiver les vices des indigènes, enfin les vices recommandables qui font de judicieux placements. Parmi eux, beaucoup de Corses, les uns flics, adjudants, douaniers, les autres barbeaux et truands, mais tous sensibles sur le point d'honneur et solides techniciens des "affaires d'hommes". Le grand ami français de M. Du (caïd de la Bande Verte) était le chef de la police, un insulaire évidemment, M. Poli. C'était un fieffé marlou à la mince moustache, les cheveux rares, rejetés en arrière, l'accent rocailleux, le ton un peu crapulard qui met en valeur les politesses, le regard foncé, quelquefois sévère, presque toujours enjôleur. Justement fier, savamment coquin, averti de tout, Poli, un ancien de la colonie qui s'y retrouvait même avec les Chinois et leurs chinoiseries, frayait avec tout le monde, sauf avec les fâcheux qui "ne comprenaient pas" et les arrogants. L'arrogance, il ne supportait pas.
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Le consul d’Angleterre, mon père ne l’aime pas, malgré l’Entente cordiale en cours. Car lui aussi veut mettre le Sseu Tchouan dans sa poche. Curieusement, c’est un monsieur aussi 1900 que mon père, mais en Anglo-Saxon. Comme lui pas petit mais faisant petit. Comme lui très bourgeois des ambassades, également bien pris et bien tourné, comme lui un mélange de vanité bienveillante envers la société et de minutie acharnée dans son métier. L’Anglais est presque un bébé avec son visage poupin, ses yeux bleus, sa petite moustache blonde. Mais un baby à la façon d’Albion, c’est-à-dire coriace.
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Mon père savait que la vérité est sacrilège en Chine, que la moindre allusion à la réalité est inconvenante. Je découvrais la soirée idéale : le fictif total. Le fictif comportant le déchaînement. Car mon père se met à porter le premier kampé. Il est debout, il fait cul sec une fois, dix fois, cinquante fois.
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Qu'Albert Bodard soit conformiste et poltron, c'est une évidence. Mais en même temps il est un aventurier. Un aventurier qui se condamne lui-même à l'héroïsme. Dans un poste, il ne peut rester tranquille. Il lui faut machiner, et ce n'est pas peu de choses que de machiner avec les Chinois.
Comme il est différent des diplomates français de haut rang, de belle prestance, qui ont l'art accompli de ne rien faire, de ne rien entreprendre, de ne rien esquisser, d'esquiver toutes les difficultés par un sourire à la Talleyrand. beaucoup sont peu intelligents sous leurs figures qui se font les miroirs du néant.
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