"L'homme qui a commis ces actes a encore des traits primitifs marqués. Nous autres Européens sommes plus éloignés de la condition animale que les Noirs et les métis." Emmanuel aurait voulu lui répondre que chaque nuit il rêvait des actes monstrueux perpétrés par les Européens contre d'autres Européens, avec des fusils, des couteaux et des bombes incendiaires.
Elle aimait ça comprit Emmanuel, le mélange d’amour, de douleur et de besoin.
Emmanuel sentit le sol inégal sous lui et entendit la profonde voix de baryton de Shabala entonner un chant zoulu. Sa vie avait été sauvée par un Noir et un Juif, ses sens éveillés à nouveau par une femme métisse, et son corps brisé transporté en lieu sûr par un vrai Afrikaner. Un puzzle d'êtres humains qui s'appuyaient les uns sur les autres en dépit des nouvelles lois du National Party.
En Afrique du Sud, les Noirs avaient besoin de si peu. Un peu moins chaque jour, c'était la règle générale. Le métier d'inspecteur était l'un des rares à ne pas être soumis à la loi interdisant le contact entre les races.
_ Dans un jour ou deux (Piet parlait à travers un rideau de fumée), nous saurons tout sur vous, Cooper. Ce que vous buvez. Qui vous baisez. Où vous achetez ces cravates de tapette. Nous saurons tout.
_ Je bois du thé au lait, sans sucre. Du whisky pur. De l'eau quand j'ai soif. Je n'ai baisé personne depuis que ma femme est repartie en Angleterre, il y a 7 mois, et je trouve mes cravates de tapette à Belmont Menswear dans Market Street. Demandez Susie. elle vous aidera à trouver les tailles extra-larges.
Les nouvelles lois ségrégationnistes officialisaient l'idée que la tribu noire et la tribu blanche avaient été créées par Dieu pour vivre séparées et se développer parallèlement. Chacune avait sa propre sphère naturelle. Seuls les dégénérés s'aventuraient dans un territoire contre nature.
Son sourire dessinait des glaçons au bord de sa tasse.
Elle n’avais jamais été éconduite, se dit Emmanuel. Jamais un homme ne lui avait dit non. Qui était-il pour changer le cours de l’histoire ?
[…] Il était nouveau en ville et hollandais - un mélange potentiellement fatal. Des décennies de guerre pour contrôler les diamants et la terre avaient entretenu la méfiance entre les deux communautés blanches. Les Afrikaners croyaient être la tribu blanche d’Afrique, née, nourrie et élevée sur le veldt. Pour eux, les Britanniques étaient des intrus récemment arrivés, intéressés avant tout par le profit et le pouvoir. Et les Britanniques étaient convaincus que les Boers n’avaient ni l’intelligence ni le dynamisme nécessaires pour diriger l’Afrique du Sud.
Van Niekerk étaient le fils d’un riche hollandais et d’une anglaise avec plus de sang noble dans les veines que la police de Durban tout entière. Cela ne faisait aucune différence. Son nom afrikaner le classait comme inférieur.