Citations de Marta Orriols (38)
"C'est ici, dans cette crèche improvisée devant le piano, que je me rends compte que chacun garde toujours en soi un morceau de l'enfant qu'il a été et qu'il croyait oublié à jamais."
Partir exige une liturgie capable de transformer les fins en nouveaux départs.
Vous réunissez deux êtres qui n’ont jamais été mis ensemble. Parfois c’est comme une première tentative d’assocIer un ballon à hydrogène et un ballon à air chaud : préfère-t-on s'écraser et brûler, ou brûler et s’écraser ? Mais parfois cela marche, et quelque chose de nouveau est créé, et le monde est changé. Puis un moment ou à un autre, tôt ou tard, pour telle ou telle raison, l’u des deux est emporté. Et ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni. Ce n’est peut-être pas mathématiquement possible, mais ça l’est en termes de sentiment et émotion.
Julian Barnes, Quand tout est déjà arrivé
Les espèces qui survivent ne sont ni les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent plus facilement au changement.
"Troisième nouveauté de ce Noël : mon père est là, a toujours été là. Il connaît certains aspects de ma personne que je ne soupçonnais pas. L'amour est tangible, acoustique et valeureux. La condition pour le vivre, c'est de vivre, justement. Je le lui promets."
Assise par terre, j'observe la poussière accumulée sous les casiers. Des moutons gris comme le troupeau d'une vallée maussade. Jeudi, j'irai dîner et rire. Les déblais de la vie, on les dissimule où on peut.
Je ferme les yeux aussi fort qu’il m’est humainement possible de le faire, jusqu’à les entendre gémir au-dedans et froisser mes paupières comme deux parchemins.
"Ce sont les décisions que nous ne prenons pas en toute liberté qui remettent en cause ce que nous sommes et ce que nous devenons."
Il m'a observée avec un regard de commissaire-priseur. Il m'examinait, il décidait dès à présent si mon corps mince lui convenait, mon visage usé par tout ce qu'il ignorait, et cette sottise anodine causée par le vin.
"Lors de la période néonatale, le contact humain se répercute sur l'expression du comportement adulte. Sans un réconfort tactile, il ne peut y avoir de développement physique et émotionnel complet. Recevoir des caresses lorsque noue ne sommes encore personne est indispensable pour pouvoir tisser des liens une fois devenu des gens de qui l'on attend tant de choses."
Un verre de vin à portée de main, le deuxième déjà. J'essaye de savoir si avant je buvais avec la même fréquence. Je sais que non, que je ne buvais pas autant, mais je fais semblant d'avoir un doute. Lorsqu'on est seule, il est primordial de maintenir un certain dialogue avec soi-même, de se mettre dos au mur, de ne pas tout se permettre. Après cinq minutes, l'alcool est passé dans le sang, l'idée étant de m'écraser dans le canapé et laisser l'éthanol déprimer mon système nerveux central, m'endormir et faire chuter l'intensité de mes fonctions cérébrales et sensorielles, mais j'échoue, comme pour tout ces derniers temps.
Le téléphone sonnait dans mon sac, ce ne pouvait être que lui. A peine deux heures qu'on s'était quittés de la pire des façons. J'ai laissé sonner en avalant sans appétit une orange. Du jus coulait sur mon poignet. Au restaurant du bord de plage, après qu'il eut vidé son sac, j'avais la bouche sèche de rage, aussi aigre que ma surprise. Habiter une ville de bord de mer embellit terriblement les tragédies qui s'y déroulent, mais alors qu'il me débitait ce que j'avais d'abord conçu comme une série de lieux communs, la mer, elle, ne bronchait pas. Les vagues se couchaient sur la grève comme une jupe d'été blanche et ondulées sur des jambes bronzées. Beauté impassible et stérile, incapable de se rembrunir.
Le vin me fait une bouffée d'oxygène, il redevient ce qui adoucit, libère, exalte, et cesse d'être ce couloir étroit par où je fuyais il y a encore quelques jours. Il m'apprend à le savourer par petites gorgées et à lui trouver des arômes éclatants, à apprécier les notes de sous-bois, d'humus, de cuir.
"Ferme les yeux. Ne sens-tu pas le lit de fruits rouges et noirs mûrs à point ?"
Je fais non de la tête.
"Réexplique-moi tout ça."
J'avale de nouveau et pars à la recherche de ses lèvres frémissantes, de sa langue au goût de vin. Je sens dans mon dos la flamme d'un feu doux qui caramélise les oignons et grille une giboulée d'ail, et sous mon pull celle de ses mains, la chaleur d'une peau, son toucher, la vie, enfin.
"Ma grand-mère avait pour habitude de dire qu'il vaut mieux attendre le malheur avec tendresse, si toutefois la malheur est assez grand pour qu'on le voie venir."
....la solution la plus évidente et pressante n'est pas de se trouver quelqu'un, mais de se reconstruire en tant que personne. (P. 215)
Je lui demande, les yeux implorants, de me raconter une nouvelle fois l’histoire si belle de son départ de New York pour cette ville, les mains vides, poussé uniquement par la lecture d’un roman de Juan Marsé. Mauro adorait cette histoire. J’apprécie de pouvoir l’écouter à mon tour, et je me dis que c’est sans doute ça qu’on appelle sentir les morts, que c’est à l’intérieur de soi qu’on garde les autres en vie.
"Un dernier verre et je te laisse tranquille, d'accord ?" ai-je imploré. A cet instant, je le désirais bêtement et simplement.
Il m'a raconté qu'il était menuisier, mais que ce qu'il aimait par-dessus tout c'était faire la cuisine. Je lui ai répondu que j'étais néonatologue et que ce que j'aimais par-dessus tout c'était être néonatologue.
"Je n'ai jamais trinqué avec une experte en miniatures.
- et moi, je n'ai jamais eu autant envie de prendre mon pied avec un fabricant de chaises et de tables."
"Les heures s'écoulent, imparables, elles sont faites de moments de vie, friables comme les rêves : nous parlons tout bas, nous échangeons de longs regards et rions souvent, sans doute de choses qui ne sont pas si drôles, mais nous ne pouvons rien contre le charme de la nouveauté et de l'attirance sexuelle."
A chaque geste correspondent une dimension, une hauteur et un poids, la somme étant la mesure du vide et de la douleur que j'éprouve dès que j'essaye d'assumer que je ne faisais déjà plus partie de ses projets d'avenir.
La mort répare ce qui ne peut l'être, elle est irrévocable, elle fausse sans exception tout ce qu'elle touche. Elle a transformé Mauro et l'a placé quelque part entre les saints et les innocents. La mort a un parfum de printemps.