Maurice Denuzière

– Quand on n'a pas de mari pour bricoler et cinq enfants, donc beaucoup de linge à laver, et que la machine refoule au lieu d'évacuer, c'est la poisse ! soupira la jeune mère de famille ; en plein désarroi.
Plus que jolie, encore enveloppée à cette heure matinale d'un simple kimono japonais, elle ne manquait ni de charme ni de sex-appeal.
– Vous en faites pas, ma petite dame ? Le plombier peut remplacer le mari… au moins pour le bricolage. On va vous arranger ça, dit l'artisan.
Athlète genre Bel-Ami, moustache conquérante, œil de velours, nature aussi charmeuse que virile, l'homme avait tout de suite éveillé la sympathie du désoccupé.

La seule notion d'éternité qu'il soit donné aux hommes d'apprécier, pensait Clarence, tient dans la contemplation du vide laissé par la mort, la sensation d'absence définitive.

Le soir où, certain d'avoir fait le tour des capacités fantaisistes de Néron, d'avoir identifié ses lubies, je dressai ce bilan satisfaisant, j'ignorais encore qu'un boxer a plus d'imagination qu'un scénariste comique américain.

Moi qui croyais naïvement que les gens à chiens entretiennent aisément des relations routinières aux heures où les vessies se vident, je fus bien déçu. L'insociabilité de Néron me condamnait aux déambulations distantes et solitaires, sa vue inspirant la même méfiance que la clochette du lépreux.

Je n'ai jamais eu l'outrecuidance de comparer le nombre d'heures en présence que je paie à Pilar chaque semaine avec le temps réel qu'elle consacre à mon service. Il entre dans les comptabilités ancillaires une notion de temps compensé qui m'est étrangère et Tristram Shandy lui-même s'est vraiment essayé à la dissertation métaphysique sur la "durée et ses simples modes". Pilar va, vient, disparaît, revient, peste contre l'ascenseur en panne ou la lenteur des employés des postes, gémit sur le désordre qui règne chez le teinturier, soutient que faire la queue chez le marchand de légumes lui donne des varices. Elle a ma confiance, se gouverne en gouvernant mon intérieur et ma quiétude s'en trouve assurée.
Que la présence de Néron occasionne des travaux adventices, c'est bien probable.

Fort des informations recueillies, je me promettais un examen détaillé de Néron qui ne me paraissait pas rigoureusement conforme aux canons définis par les juges les plus sereins. Je lui voyais déjà un peu de grignardisme, la croupe oblique, l'avant-train panard, l'épaule flottante. Avait-il l'anus pigmenté comme il se doit ou le pied écrasé comme il ne faut l'avoir ? Autant de questions que je refuserais toujours de poser à Néron, l'affection spontanée étant bien au-dessus de ces considérations raciales.

«  Un homme malmené par la vie trouve toujours un réconfort dans le regard de son chien » m’avait dit autrefois un philosophe de salon , et c’était vrai.
Néron ne discutait pas mes goûts , admettait mes habitudes ,, ne se souciait pas de savoir si j’agissais bien ou mal , si mon compte en banque était créditeur, s’éloignait sans maugréer quand la fumée de ma pipe l’importunait et mes opinions politiques lui étaient indifférentes » .
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«  ——Tu verras, ajouta le dominateur, Néron est une brute tendre .
Comme toi, il aime dormir, rêvasser et marcher le nez au vent .
Vous pourrez faire ensemble de bonnes promenades au Bois ou dans le Paris désert des vacances ……
Je t’envie presque , moi qui vais devoir visiter l’Écosse avec femmes et enfants ….. »

«  Aïe , j’ai tout compris , enfin, Irma, la futée, vient , d’une voix enjôleuse aux sonorités de viole d’amour, de brosser mon portrait approximatif.

Je les vois venir, mes amis .

Henry et elle, veulent me refiler leur chien baveux. Un monstre à trogne de catcheur , qui ne pense qu’à sauter sur ses congénères.
Vous l’imaginez chez moi, bousculant les guéridons, souillant les tapis, se vautrant sur les canapés , aboyant pour me fâcher avec les voisins ou pleurant ses maîtres légitimes avec la discrétion d’une sirène d’alarme » .

Quelques jours plus tard, une lettre d’Oncle Martial le rassura : Chacun, dans la vie, doit se sentir à sa place, sans bassesse ni hauteur, sans humilité ni orgueil. Il existe une hiérarchie acceptable dans les conditions sociales mais il n'y a pas de hiérarchie dans la condition humaine. Notre société est une construction faite de pierres de tailles différentes, mais toutes sont indispensables à la solidité de l’édifice. Plus qu’avec une fille de la bourgeoisie, conduis-toi en gentilhomme avec ta petite fleuriste. Évite de l’éblouir, sois simple, amical, j’allais écrire fraternel, et n’en fais pas ta maîtresse, même si elle en a envie. Ne joue pas les pygmalions. Rien n'est aussi trivial que le nanti qui couche avec la petite ouvrière.

Un homme malmené par la vie trouve toujours un réconfort dans le regard de son chien.

L'enfer, comparé au monde de demain, n'est qu'une maison de retraite.

[ La démission de Satan ]

La cuisine, c'est de la poésie qui se mange, monsieur Jarret.

[ La surprise du chef ]

Il est sans doute sage de croire que les apparences sont à jamais capables, pour nous berner, du meilleur, du pire et du merveilleux.

Se défier systématiquement des apparences peut conduire à l'erreur, ne pas s'en méfier conduit à la déconvenue.

Au passage,il identifia divers appareils et m’indiqua sur le planisphere des points rouges que je n’avais pas remarqués et qui ne servaient pas à situer les capitales comme on aurait pu le penser.

Je dois le dire sans fausse modestie,à une organisation cerebro-oculaire exceptionnelle.Ils voient pendant le jour à peu près normalement encore qu’ils soient plus sensibles que d’autres à la forte luminosité mais,pendant la nuit,leur faculté visuelle s’exalte.Il en va de même pendant le jour,s’ils se trouvent dans un lieu sombre.Les auteurs grecs et arabes font allusion à ces phenomenes soit congénitaux,soit accidentels.Le grand L’inné lui même leur a consacré un paragraphe.

On m’avait dit et j’avais lu beaucoup de choses sur les procédés du S.N.E.C.: piqures endormantes,gaz soporifiques et même empoisonnement sans trace,mais je n’avais jamais pensé que je pourrais un jour en être la victime.Ainsi Dal,mon ancien compagnon de classe,n’hésitait pas à me supprimer pour que le secret de notre entrevue soit conservé...

Quant à mes exploits militaires,ils se résumaient c’est triste à dire,à trois mois passes comme planton au ministère de l’air,boulevard Victor,avant que je ne sois réformé définitivement à la suite d’une hépatite due,sans aucun doute,à la consommation exagérée de pâtisserie que je faisais dans mes moments de liberté.D’un naturel gourmand,j’en étais arrivé à me nourrir presque exclusivement de brioches, de savarins,d’éclairs au chocolat et de saint-honores pour compenser une sous-alimentation dont il faut chercher l’origine dans le dégoût que m’inspirait la gastronomie militaire.

Je me sens vraiment, ce soir, une fille de ce pays. Loin des capitales dans leurs vêtements de pierres, ici l'espace existe. Les perspectives organisées de Paris ou de Londres ont leur charme, mais elles n'éveillent pas le même désir de conquête que ces forêts et ces prairies sans limites ... C'est juste, dit Clarence. L'eau, le ciel, la terre ont autour de nous plus de réalité qu'ailleurs. Les décors urbains sont des prisons. L'homme y prend de fausses dimensions en rapport avec ce qu'il construit. Ici, il a conscience d'être à la fois minuscule et divin.