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Critiques de Maxime Gorki (148)
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Les bas-fonds

Ne vous êtes-vous jamais arrêtés quelques instants devant ces centres sociaux, annexes de MJC, locaux miteux d’une amicale ou d’un foyer quelconque loin des centres villes, où gravite dans l’oisiveté et l’hébétude tout un assortiment de pochetrons, clochards, femmes à la voix forte et au visage marqué, ex-taulards, jeunes ferments de délinquance sans repères et déscolarisés depuis toujours, naufragés SDF en déshérence, drogués en éternelle pseudo rémission, où l’on entend ces pauvres diables se quereller pour une cigarette ou un fond de bouteille à l’hygiène discutable, se bastonner pour un mot mal dit ou mal perçu, rire grassement à une blague au goût douteux, refaire le monde et la politique avec parfois une étonnante lucidité et force jurons, où l’on voit des vêtements de sport à l’ancienne mode, des bouches édentées, des cheveux hirsutes, des rides profondes, des rougeurs faciales inaccoutumées avec une odeur aussi prégnante et tenace que la misère et, non loin, parfois même au milieu d’eux, un cimetière de canettes de bières jonchées ou fracassées auréolé d’une grosse flaque d’urine ?



Et bien « Les bas-fonds » de Maxime Gorki, c’est ça ! Il nous raconte avec un saisissant réalisme cette ambiance-là. Ce n’est donc pas forcément hyper sexy à lire car c’est intriqué, c’est dérangeant, car une part de nous-même s’y sent mal à l’aise, s’y sent responsable de quelque chose. On sait bien qu’on a tous détourné la tête en passant devant ces repaires peu engageants et fermé les yeux sur le drame humain qui se joue là, tout près de nous.



On est plongé au milieu de ce brouhaha, de ce va-et-vient incessant au fond de cette tanière, de cette misère criante, financière et morale, de cette violence et rudesse tant verbale que sentimentale. Quand on n’a pas le sou, la considération ni le moindre espoir à l’horizon, on est trop bas pour l’empathie, trop bas pour pouvoir encore s’apitoyer sur celle qui meurt auprès de vous, à une longueur de bras.



Gorki nous sert des femmes, tour à tour ou tout en même temps, battues, mourantes, jalouses, aigres plus que douces, désespérées malgré leur jeunesse ; des hommes jeunes ou vieux, abîmés par l’alcool et la promiscuité, rendus mesquins, mauvais ou insensibles par l’âpreté de leur existence, déchus pour certains, l’un est un ancien acteur, l’autre un ancien baron, d'autres sont d'anciens prisonniers, tous naufragés au creux de cet asile de fortune qui termine de leur écumer leurs derniers kopecks comme leurs ultimes espérances.



Au milieu de cette vie présentée comme un corridor sombre et sans issue d’où la mort seule peut représenter une perspective d’arrêt de la souffrance, le personnage de Louka, sorte de vieux vagabond à tendance messianique représente encore la seule partie comestible derrière tous ces fruits pourris de l’humanité. Dans son sillage, il plante quelques graines fécondes, mais arriveront-elles à germer parmi toutes ces mauvaises herbes ? Combien de temps les semences résisteront-elles aux intempéries ?



Ils vont, ils viennent, comme la marée, au milieu des petits drames minuscules du quotidien, de temps à autres, c’est la vive-eau, l’amplitude du drame est supérieure, quelqu’un y aura sûrement laissé sa vie, personne ne le pleurera, on y pensera encore quelques jours, puis on boira beaucoup de vodka pour oublier, puis, la vodka aidant, on se chamaillera, de nouveaux petits drames se produiront, jusqu’au prochain gros…



On peut penser sans crainte que l'auteur, pour écrire cette pièce, s'est fortement inspiré de la pièce en un acte d'Anton Tchékhov intitulée Sur La Grand-Route. La filiation semble tout à fait évidente et Gorki reprend et enrichit le jeune plan que Tchékhov a semé.



Il y a également dans cette pièce un fort relent de l’Assommoir. Tandis qu’Émile Zola s’attachait à montrer la lente et inéluctable descente aux enfers de Gervaise et de ses proches, Maxime Gorki, lui, nous les montre tous au dernier stade de cette descente, avec tous des parcours divers mais ayant en commun un obstacle qui les a fait trébucher et la vie s’est occupée à les empêcher de se relever.



Pourtant, comme pour la Gervaise Coupeau de l’Assommoir, on sent qu’il s’en faudrait parfois d’un cheveu pour que les êtres dévoyés retournent sur leurs rails, un coup de pouce un peu plus appuyé ou qui viendrait au bon moment, mais non, rien n’y fait, on reste dans les bas-fonds, englué, à patauger dans la fange jusqu'à l'ultime soupir.



Cette œuvre est forte et bien écrite et il faut saluer la prouesse de traduction de Génia Cannac qui parvient à restituer toute sa force et sa verdeur au texte en français. J’ai seulement souffert à la lecture du grand nombre de personnages avec des interventions brèves, croisées et multiples qui obligent à tout de même se cramponner durant au moins les deux premiers actes.



C’est pourquoi j’en viens à penser que c’est une pièce probablement beaucoup plus sympa à voir qu’à lire, un discours que je ne tiens pas souvent, vous me l'accorderez. C’est normal, me direz-vous, puisque c’est l’essence même du théâtre et qu’elle a justement été écrite pour être montée sur scène (d’ailleurs j’ai maintenant très envie de voir cette pièce).



Néanmoins c’est sur le livre que je poste un avis et donc les sensations de lecture comptent également, même si j’ai bien conscience que ce n’est là que mon avis, lui aussi proche des bas-fonds, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Gorki et ses fils

Santo Antão (Cap-Vert), le 3 avril 2022

...

Chères éditions des Syrtes, cher Babelio,

je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'envoi de ce livre de correspondances entre le Père Gorki et ses fils, je vous assure l'avoir lu avec la plus grande attention possible.

Ici, nous sommes plutôt « à l'abri » de l'actualité, facilitant peut-être une lecture de l'Histoire passée faisant abstraction de celle en train de s'écrire. J'ai bien conscience de la relative vacuité de ce genre d'assertion, mais j'en profite pour vous demander des nouvelles, vous qui souffrez sûrement de la situation… Editer Zakhar Prilepine doit forcément avoir des conséquences… Je suis heureux d'avoir pu lire son « Certains n'iront pas en enfer » avant que les choses ne dégénèrent irrémédiablement.

Je vous prie de m'excuser pour le temps passé avant de vous répondre; mes mains ne servent plus dernièrement qu'à défricher et rouler de lourdes pierres; elles tremblent légèrement à se concentrer sur des touches de clavier.

...

Votre livre est forcément passionnant, tant la personnalité, et l'incroyable destin, de chacun des trois individus échangeant est forte. Les évidents allers-retours entre Histoire et intime rythment à merveille la majorité des lettres reproduites.

Mais, parce qu'il y en a quelques-uns, je dois vous soumettre les éléments qui m'ont déplu, en toute franchise, ceux-ci concernant le travail d'édition et de mise en forme réalisé.

Votre introduction se concentre avant tout sur le résumé des vies de chacun, aide précieuse à entrer dans le bain, mais que vous trouverez utile de répéter le long d'une longue litanie de notes de bas de page. C'est bien le coeur du problème, tous ces astérisques, jamais totalement résolu dans l'histoire de la littérature, terreur du lecteur de Pléiade, dont certains auteurs comme Danielewski ou Foster Wallace en ont exploré jusqu'aux limites. On en vient à tenter de les ignorer, renonçant à des précisions sur un tel, qu'on aura sitôt oublié trois missives plus loin, risquant ainsi de louper celles qui présentent un véritable intérêt. Tout ceci est bien-sûr relatif, mais l'interrogation reste : n'aurait-il pas été plus judicieux de ventiler cette introduction entre les lettres, supprimant ainsi une bonne moitié de ces petites interruptions ?

Il en va de même pour l'agréable et émouvant cahier central, regroupant de belles reproductions de photographies et de courriers, sur un papier plus épais que le reste. On comprend bien les problèmes techniques ou de coût d'avoir tout regroupé de la sorte, regrettant toutefois qu'elles ne soient pas accolées aux lettres correspondantes, aérant ainsi l'ensemble.

Le fait que le fils biologique porte le nom de plume de son père Alexei : Maxime , n'arrange pas le lecteur, parfois en baisse d'attention devant une série de lettres résumable à du « who's who ».

Il aurait peut-être fallu expliquer, voir justifier davantage la sélection des pièces; bref oser un travail d'éditeur plus « voyant », à la manière du regretté Jacques Catteau, si vous me passez cette invocation pouvant être prise pour déplacée.

Reste avant tout la découverte de ce fils adoptif ayant fait carrière dans la Légion Etrangère, Zinovi, à la vie plus incroyable qu'un héros romanesque.

...

N'ayant pour le moment lu que son « Tempête sur le ville », que vous avez nouvellement traduit et édité sous son titre original, « Le bourg d'Okourov », et l'ayant beaucoup apprécié, votre ouvrage a confirmé mon envie de plonger dans l'oeuvre du Père Gorki, évidemment en lisant prochainement son grand roman, « La Mère », elle plutôt absente de cette histoire de père et fils…

...

D'ici le prochain de vos livres entre mes mains, je vous embrasse et vous remercie encore.

...

Paul

...

P.S: il y a beaucoup de babéliotes curieux, et plutôt fouineurs, et pour qui certaines coïncidences appellent parfois à des interrogations… com muit' respeit'… bijinho.
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Les Estivants

On croirait dur comme fer, avec cette pièce de Maxime Gorki, lire du Tchékhov, tellement cela semble proche, tant dans la forme que dans le propos. Il faut dire que Les Estivants a été écrite en 1904, la même année que l'une des pièces les plus fameuses de Tchékhov (la dernière d'ailleurs), La Cerisaie. Ajoutons à cela que les deux hommes se connaissaient, se fréquentaient et s'estimaient mutuellement, et l'on aura une partie de l'explication à cette forte similitude théâtrale.



Comme dans tout le théâtre de Tchékhov, vous avez ici chez Gorki une association de couples ou de familles de la classe moyenne supérieure, voire, proche de l'aristocratie, à tout le moins, appartenant à intelligentzia russe d'avant révolution et qui se côtoient régulièrement depuis des années, se connaissant jusque dans leurs moindres travers.



Comme chez Tchékhov, il règne dans ces dîners à la campagne une véritable ambiance de plomb. Tout le monde pense du mal de tout le monde mais le garde pour soi tant bien que mal en rongeant son frein jusqu'à l'étincelle — inéluctable — qui fera vider son sac à chacun et en mettre plein les dents à l'autre ou à tous les autres pour pas un rond.



Comme chez Tchékhov, l'auteur fustige cette classe soi-disant éduquée, moderne, pensante, aisée et qui finalement n'use de ses atouts que pour se vautrer dans l'oisiveté, les plaisirs faciles, les beaux discours creux. Bref, la définition d'une classe sociale inutile et, à certains égards, parasite.



Gorki n'est pas tendre avec le milieu littéraire ou artistique, un peu comme Tchékhov dans La Mouette, où les êtres sont tellement narcissiques qu'ils en oublient d'être créatifs ou d'être les porte-voix véritables de leur époque. Des néants plastronnants et jet-seteux à la Beigbed... euh, non, non, non, je n'ai rien dit, effacez ça.



Gorki s'en prend aussi à l'hypocrisie généralisée qu'on rencontre dans ces manières de salons mondains de la petite bourgeoisie. Des parvenus, des cocons, — des chrysalides, tout au mieux —. Était-ce bien la peine de s'élever socialement, de s'extraire du Tiers-état, pour s'arrêter à cet échelon fade, creux, vide de signification et de réalisations concrètes ?



C'est la question que pose Maxime Gorki, sans pour autant fustiger dans leur ensemble ces gens qui en ont bavé pour jouir d'une place au soleil et qui se fichent désormais que de gros nuages chapeautent la tête des autres.



C'est une préoccupation commune à beaucoup d'auteurs russes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, qui percevaient la béance, le hiatus créé par l'abolition du servage en 1861 et la non redéfinition sociétale qui aurait dû s'ensuivre et qui aboutira, comme on sait, à la révolution que l'on sait en 1917.



En somme, une pièce intéressante sur le fond, assez agréable sur la forme et qui, comme les Bas-Fonds, gagne sans doute énormément à être vue jouée sur scène qu'à être lue. (C'est un éternel débat en ce qui concerne le théâtre. Moi qui en lit tout de même beaucoup, c'est finalement assez rarement que j'éprouve le besoin de voir la pièce jouée. SI je le signale ici pour Gorki, c'est que cela m'apparaît plus flagrant ici qu'avec nombre d'autres auteurs ou d'autres pièces).



Mais de tout cela, vous autres qui n'êtes pas, loin s'en faut, des estivants, c'est à vous d'en décider avec vos propres sensibilités, car tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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La Mère

De cet écrivain russe, j'ai lu , il y a fort longtemps , avec passion et moult émotion la trilogie autobiographique, "Enfance", "Mes apprentissages",

et "Mes Universités", mais j'avoue bien honteusement n'avoir jamais parcouru ce grand classique...réédité magnifiquement par les éditions,

"Le Temps des cerises"....¨Pélagie, femme et mère d'ouvrier, illettrée,écrasée par une vie laborieuse et les coups d'un mari alcoolique , de son vivant...va apprendre au contact de son fils et de ses camarades la réalité du monde ouvrier et de l'engagement politique...



L'évolution extraordinaire, exemplaire d'une mère qui par amour pour son fils, va avoir l'élan de comprendre ses idéaux, ses révoltes...



Un témoignage des plus prenants sur le peuple russe quelques années avant la Révolution d'Octobre, ce roman met en scène le portait unique d'une figure maternelle, qui va s'éveiller intellectuellement, humainement....

Elle va apprendre à lire à 40 ans... et s'investir de toutes ses forces pour soutenir, participer à son niveau aux actions de son fils, dont elle admire l'intelligence et le courage !



Avec cette figure féminine emblématique, c'est un très beau texte que Gorki nous offre, où des camarades-ouvriers se mettent à lire, réfléchir, pour ne pas répéter la fatalité vécue par leurs parents ni les injustices criantes vécues

par les classes laborieuses, traitées depuis toujours comme "quantités négligeables" !!



Je ne peux résister à transcrire un extrait de l'excellente préface de François Eychart : "La Mère offre un des plus beaux portraits de femme de la littérature mondiale. (...)

Gorki, lui, a osé faire de Pélagie Vlassova le sujet d'une oeuvre dont le retentissement fut considérable parce qu'il s'agit d'une femme des plus ordinaires qui prend toute son amplitude en devenant une militante du combat pour la révolution.



On s'étonne que le courant féministe n'ait pas cru devoir revenir sur ce roman. (...)

Car c'est à une sorte d'insurrection que le roman de Gorki convie son lecteur, insurrection contre ce qui courbe les humbles, les maintient dans leur faiblesse, les désarme d'avance contre leur malheur. Au fur et à mesure qu'elle

se libère la mère s'affirme, devient de plus en plus elle-même. Elle dévoile ses qualités en devenant un élément actif du mouvement révolutionnaire.

C'était là, bien sûr, un scandale pour l'opinion de l'époque qui, même dans sa partie progressiste, n'acceptait une telle audace que pour des femmes instruites, appartenant aux milieux éclairés et aisés. La participation d'une

femme du peuple au mouvement socialiste restait un interdit" (p. 7-8)

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Tempête sur la ville

Le père Gorki va nous raconter une histoire; simple en apparence, dans son dispositif en opposition, d'une ville séparée en deux par un fleuve, se faisant face, les riches et les pauvres.

L'agitation gronde… le « réalisme socialiste » ainsi que le titre nous prédisposent à une limpide histoire de révolte populaire…



Le père Gorki ne s'en laisse pas conter aussi facilement. Dès l'ouverture de ce roman, écrit durant son premier exil et la révolution manquée de 1905, il brouille les pistes.

De quel côté du pont le narrateur se situe-t-il ? Et bien les pieds dans l'eau, sans crier gare, il distribue quolibets et flatteries de part et d'autre, prenant finalement le fauteuil de l'arbitre… mais y a t-il vraiment partie ?



Le père Gorki a plutôt envie de nous parler de ses personnages, qu'il nous dessine avec beaucoup de subtilités. On est avec des gens contrastés, sans héros au sens positif, plutôt des « canailles », ou bien sont-ils fous ?

Le beau-gosse, lutteur impulsif, figure du bas-quartier, y forme son centre ne sachant pas dans quel sens tourner.

La belle Lodka, favorite du bordel (forcément sis chez la Plèbe mais fréquenté en majorité par la Haute) accentue cette ambivalence, tombant amoureux du repoussant et misérable poète, alors qu'elle mène par le bout du nez la moitié de la ville.

Une belle galerie, chacun brillant plus ou moins par sa bonté ou sa veulerie. Un véritable talent, en si peu de pages, de nous décrire autant de personnages sans nous perdre (reproche souvent émis à l'égard des classiques russes…), donnant à chacun un peu de lumière, et ne faisant finalement briller personne.



Le père Gorki nous livre là un excellent « petit roman », rarement mis en avant dans sa volumineuse bibliographie, alors qu'il éclaire joliment la complexité de sa pensée, beaucoup plus nuancé que la stase bolchévique, dont Staline finira par en vider entièrement le sens, jusqu'à peut-être le faire disparaitre…



Le père amer regarde ces êtres avec sincérité et compassion, comme le petit père de tous les russes.

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Enfance

L’enfance n’est pas toujours un rêve bleu, loin s’en faut. On aimerait pouvoir dire « autres temps, autres moeurs » et reléguer à des époques barbares révolues les brutalités commises au nom de l’éducation. Misère, alcool et bêtise créent un modèle éducatif basé sur l’utilisation alternative du ceinturon,dans un autre but que de prévenir la chute du pantalon. La violence règne au quotidien, envers les enfants, entre adultes, entre parents .

Ainsi les souvenirs de l’écrivain devenu adulte sont teintés de malheur, la mort rode et lui ravit un père puis un frère, et menace la famille dont la précarité les expose autant à une fin violente qu’à la maladie, d’autant que l’alcool est au rendez-vous pour oublier l’âpreté du quotidien.



C’est pourtant dans cette ambiance de bas-fonds, du début du 20è siècle en Russie, que grandit le jeune Gorki. Dans une famille qui sombre peu à peu dans la misère, sans autre culture que la lecture des psaumes. L’enfant se construit en observant la désespérance de ses grands-parents, la cruauté et la cupidité de ses oncles, et l’instabilité de sa mère. Et pourtant il se construit. Certes la confrontation à l’extérieur ne se fait pas en douceur, ce n’est pas l’école qui contribue à formater le garçon, et les premiers contacts sociaux avec ses pairs ne peuvent se créer qu’à coups de poing? . Mais il trouve des échappatoires, comme ce jardin, qu’il s’octroie et aménage, avec la complicité de son grand-père, et les contes de la grand-mère sont aussi un refuge pour l’imagination du gamin et un peu de douceur dans ce monde de brutes



La résilience n’a été inventée que quelques décennies plus tard. Et l’auteur se pose la question : faut-il évoquer ces souvenirs amers?

« En évoquant ces épisodes horribles qui reflètent si bien la sauvagerie des moeurs russes, je me demande par moments s’il faut en parler »



Et la réponse est claire :



« Je suis sûr qu’il le faut, car cette affreuse réalité est encore vivace à l’heure actuelle, et il est indispensable de la connaître pour l’extirper de notre âme, pour la faire disparaître de notre vie, si pénible et honteuse » .



On comprend ainsi que ce récit, fondé sur des souvenirs, mais envisagé du point de vue de ce jeune enfant qui tente de comprendre les règles du jeu, dont les dés sont pipés.

Plus encore, Maxime Gorki attribue des vertus constructives à ce vécu désastreux :



« ce qui étonne chez nous, , ce n'est pas tant cette fange si grasse et si féconde, mais le fait qu’ à travers elle germe malgré tout quelque chose de clair, de sain et de créateur, quelque chose de généreux et de bon qui fait naître l' espérance invincible d’une vie plus belle et plus humaine. »



Ce n’est pas sa famille qu’il accuse et excuse à la fois, mais le peuple russe et son histoire :

« Plus tard, j’ai compris que les Russes, dont la vie est morne et misérable, trouvent dans leurs chagrins une distraction »

« Dans la monotonie de la vie quotidienne, le malheur lui-même est une fête et l’incendie un divertissement. Sur un visage insignifiant, une égratignure est un ornement »





Reste à savoir par quels coups de pouce du destin associée une volonté de puissance au sens nietzschéen de l’expression comment ce petit garçon maltraité est devenu l’immense écrivain que l’on sait. Il suffit de se plonger dans En gagnant mon pain.














Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Mon Compagnon : édition bilingue français-russe

Maxime Gorki nous emmène sur la route, à pied, d'Odessa à Tiflis (désormais Tbilissi) durant l'année 1891. Ce voyage aurait probablement été très intéressant à développer car c'est quand même une sacrée trotte (prenez une carte pour vous en convaincre), mais ce n'est pas l'axe principal qu'a privilégié l'auteur.



Il s'est plutôt focalisé sur une rencontre, un homme rustre de vingt ans nommé Chakro, légèrement plus jeune que lui qui en avait vingt-trois, et dont il s'est fait un compagnon de route. La description psychologique de cet homme est assez ambigüe. Il est particulièrement peu attachant et, soit c'est une authentique fripouille, soit c'est qu'il mérite des baffes, soit l'auteur ne nous a dépeint qu'une partie de sa relation avec lui.



Je reste perplexe car n'importe quelle personne normalement constituée, à moins d'être Mère Teresa en personne, et encore, aurait envoyé paître un goujat de cette espèce. Il se fait non seulement totalement entretenir par Gorki sans bien sûr jamais mettre lui-même la main à la pâte pour gagner quelques roubles en chemin. Mais, au surplus, il dévore seul les deux parts de nourritures péniblement gagnées par l'auteur, se moque copieusement de lui, le méprise, voire, le vole et l'accuse à tort pour se tirer d'affaire.



Personnage hautement recommandable donc, sachant qu'ils font la route depuis le départ pour se rendre en Géorgie, patrie de Chakro, où il fait miroiter à Gorki que celui-ci pourra jouir des bienfaits de sa famille sur place et bénéficier ainsi d'un pied à terre local.



Bien évidemment, à Tiflis, Chakro déguerpit sans laisser d'adresse et plante ainsi l'auteur comme un couillon dans une ville inconnue et positivement hostile aux vagabonds, catégorie à laquelle on appartient fatalement après quatre mois d'errance sur les routes ukrainiennes et géorgiennes en ce temps-là.



Il nous décrit ceci comme une expérience humaine, certes, je veux bien, mais, tout un chacun a déjà expérimenté ce que dit le dicton : Trop bon, trop c… Donc, j'avoue avoir du mal à gober ce récit autobiographique sur le fond. La forme, quant à elle, est impeccable.

Je déplore aussi que l'auteur ne se soit davantage appesanti sur d'autres personnages, authentiquement intéressants, je pense notamment au vieux berger géorgien qui les a recueillis après leur naufrage en Mer Noire.



Bref, une drôle d'impression, comme si l'on ne m'avait pas tout dit, qu'on ne m'avait présenté qu'une facette de ce compagnon, une facette absolument abjecte, tout en voulant être positif à son égard, ce que j'ai peine à avaler. Mais, ce n'est bien évidemment qu'un avis, c'est-à-dire, fort peu de chose comme vadémécum.
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Les bas-fonds

« Une cave qui ressemble à une grotte », dont la location ne laisse à ses miséreux pensionnaires que quelques kopeks pour boire, jouer aux cartes, manger un peu...



Maxime Gorki rassemble dans cette pièce une dizaine de laissés pour compte. Louka, un vieux 'pélerin' se joint bientôt à eux, sa parole est sage et bienveillante, il sait apaiser les âmes tourmentées - cette jeune femme qui se meurt, cette autre qui crève de solitude, d'ennui et rêve d'amour, cet ancien acteur dont 'l'organisme est complètement empoisonné par l'alcool'.

Grâce à Louka notamment, ou au gré de querelles entre ivrognes et amants qui se déchirent, chacun dévoile peu à peu ses aspirations, ses désillusions, et la trajectoire qui l'a mené dans ces 'bas-fonds'.



Ecrite en 1902, cette pièce est particulièrement d'actualité, évoquant les réfugiés, les SDF, la précarisation. Maxime Gorki y soulève des questions politiques, sociologiques et philosophiques passionnantes sur les inégalités, la pauvreté et la place dans la société des plus démunis, l'honnêteté, le travail, la façon dont le regard des autres nous façonne...

Avec en toile de (bas) fond(s), malgré les messages d'espoir, la vision de l'auteur sur la vie et l'amour, aussi froide et sombre qu'un hiver en Sibérie...



J'ai lu cette pièce quelques jours après avoir vu au théâtre l'adaptation d'Eric Lacascade*. J'avais hâte de retrouver certaines répliques de génie, pour prendre le temps de m'y arrêter. J'aurais dû attendre d'avoir un peu oublié cette mise en scène 'barbare et folle', comme le dit fort à propos Télérama. Trop barbare, trop folle pour moi, je crois - la misère et les souffrances évoquées dans le texte sont suffisamment éloquentes, j'aurais préféré un habillage plus sobre...



* entretien avec le metteur en scène

https://www.youtube.com/watch?v=NioukqnCRKQ
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En gagnant mon pain

Quand j'ai dit à un ami russe qu'en ce moment je lisais Gorki, il s'est exclamé : "Hein ! L'écrivain de la propagande !" et j'ai été assez surprise par son verdict qui semblait sans appel.



Certes, je n'avais pas encore eu l'occasion de m'intéresser à cet auteur bien qu'ayant déjà parcouru quelques belles pages de la littérature classique russe, et je me suis donc intéressée à la biographie de Maxime Gorki avant d'entamer ce récit autobiographique dont le titre semble en effet évoquer tout un programme, "En gagnant mon pain".



Ce que j'ai découvert, c'est que Gorki fut un écrivain engagé très tôt aux côtés des bolcheviques de la première heure. Proche de Lénine (puis de Staline), il connut en effet la lutte politique et l'exil, avant d'être promu archétype vivant de l'auteur soviétique, ce qui ne l'a pas empêché de mourir dans des circonstances qui posèrent question, puis d'être enterré en grande pompe aux frais de l'URSS. Mais un homme qui est né en 1868 a connu bien des expériences avant la chute des tsars...



"En gagnant mon pain" est l'un des volumes qu'il consacre entièrement à l'évocation de ses souvenirs d'enfance. Publié en 1915, on n'y trouve aucune revendication politique mais la peinture sociale du monde dont il était issu : celui des petites gens, fort nombreuses en Russie (et c'est toujours hélas d'actualité). Donc non seulement, on ne risque pas d'y lire quelque propagande que ce soit (en tout cas, moi, je n'en ai pas trouvé et j'ai rassuré Irina sur ce point), mais on y découvre avec intérêt la vie quotidienne d'un panel varié de Russes, de sa grand-mère vivant de la cueillette forestière (ce qui est encore le cas d'une partie de la population russe aujourd'hui, je peux en témoigner), à ses patrons, ses camarades, ses "petites amies", etc. Du roman d'apprentissage plus vrai que nature.



On retrouve ainsi avec sensibilité et réalisme, le tout dans un style plus qu'accessible et plaisant, le rapport particulier des Russes à la nature, à la foi, à l'alcool, au destin et... au système D (là encore je peux témoigner qu'il en est toujours de même de nos jours). Mais ce qui m'a surtout marquée, c'est l'insistance pleine de saveur de l'auteur sur sa découverte de la lecture et de la littérature, et de l'évasion qu'elles procurent. Le jeune Alexei - Gorki s'appelait en réalité Alexis Pechkov - m'a touchée par son obstination à lire malgré les obstacles de son milieu natal. J'y ai vu un appel à s'instruire et à persévérer dans la connaissance pour s'extraire de la misère. Alors, si c'est ça qu'on appelle "propagande", elle n'est certainement pas à craindre, formulée ainsi.





Challenge 1914-1989 - Edition 2018

Challenge MULTI-DÉFIS 2018

Challenge Petit Bac 2017 - 2018
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Une confession

Une confession n’est pas un roman d’apprentissage, contrairement à ce que l’on pourrait croire. En fait, j’ai un peu de mal à le classer. Matveï est un enfant trouvé, abandonné sur la propriété de M. Lossev. Il est pris en charge par diverses personnes comme le jardinier Vialov et l’intendant Titov mais surtout par le chantre Larion, qui l’initie à la théologie. Cette expérience le marquera à vie. Plusieurs autres expériences aussi (l’amour et la mort d’Olga, son novicat dans un monastère, ses errances, ses rencontres, etc.) mais les questions religieuses s’y entremêleront et ne feront qu’une avec sa quête de Dieu. Du vrai Dieu. Ces considérations, l’auteur russe Maxim Gorki les a aussi eues. Son protagoniste Matveï est-il son double ? Ce roman est-il en partie autobiographique ? C’est ce que laisse entendre la préface, que je recommande vivement à quiconque entreprendra cet ouvrage.



Pour en revenir à l’intrigue, Matveï lit tout ce qui lui tombe sous la main, autant des ouvrages religieux que profanes (il affectionne l’histoire de la Russie), mais les Saintes Écritures ne comblent pas ses besoins spirituels. Il ne peut s’empêcher de les remettre en question, tout comme la hiérarchie dans le monastère. Oser demander à discuter de la foi avec son supérieur, quelle idée ! Et le comportement de certains moines le choque et le détourne de leur message. « Le monastère ne t’apporte pas de secours ? » se fait-il demander. Eh non, il doit retourner à son vagabondage, puis rencontre des intellectuels et des sectaires, qui pensent et se questionnent comme lui « Devant la violation des lois et la dépravation humaine, j’ai perdu la paix de mon âme […]. » Après tout, chercher Dieu, c’est aussi se chercher un peu soi-même, non ? Et s’il se trouvait dans le cœur des hommes ?



En d’autres mots, le roman de Maxim Gorki est truffé de questionnement, tant religieux que spirituel. Compte tenu de la relative brièveté du roman (220 pages dans la présente édition) et de la grande quantité de théories et de concepts théologiques, on pourrait croire que l’œuvre est dense et inaccessible. Mais non ! Mais on ne s’y perd pas ! Tout y est amené de façon claire et logique, sans presse. C’est que la trame narrative prime toujours. Et tout y est vulgarisé, Matveï ne rencontre pas que des moines mais aussi des gens du peuple. Aussi, les notes en bas de page aident à s’y retrouver si on souhaite approndir ou comprendre complètement les idées formulées.



Évidemment, quelqu’un qui souhaite une lecture facile (peut-on vraiment s’y attendre en choisissant un auteur classique russe ?), il est mieux de passer son tour. Moi, j’ai adoré Une confession. Je dois admettre que les questions existencielles m’intéressent un peu, sans tomber dans l’ésotérisme, et ici elles sont présentées de manières abordables et suffisamment accessibles (avec des préoccupations du début du 20e siècle, il faut tout de même en avoir conscience). C’est un peu dans la lignée de Franny et Zoeey, de JD Salinger. Bref, s’agit-il d’un petit trésor caché ? Gorki semblait le croire, il l'estimait et la considérait comme son oeuvre la plus achevée, la plus mure. Longtemps négligée par les éditeurs français, la voici de retour.
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Tempête sur la ville

Gorki a été plusieurs fois emprisonné, notamment pour son soutien à la révolution de 1905, et c’est en exil à Capri qu’il écrit Tempête sur la ville en 1910. On est cependant loin du roman à thèse ici, avec un drôle de mélange d’intérêt profond, presque tendre, et de désappointement face à l’être humain qui donne à cette peinture de la vie de province par temps de tempête révolutionnaire une ambiance singulière, plutôt sombre. Assez amère, Gorki a bien choisi son pseudo. On ne s’attache pas à un individu, le roman nous peint la populace, des personnages pas brillants, complexes, et il y a une vraie épaisseur humaine dans ce tableau malgré l’éclatement narratif. Lecture à éviter donc si on a trop de réticence à l’idée d’être brinquebalé de l’un à l’autre, si l’on tient au couloir de l’approfondissement progressif d’un héros, qui est ici pulvérisé par l’auteur.



C’est le 2ème livre de Gorki que je lis, il m’a moins plu que la pièce de théâtre Les Enfants du soleil, mais sûr que je n’en ai pas fini avec cet écrivain. J’ai bien apprécié l’écriture sans aucune raideur, assez étonnante dans sa puissance d’évocation d’une atmosphère, dans sa façon de donner vie et densité au faubourg d’Okouroff.
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Paul-le-Malchanceux

Presque tous les auteurs sont un peu coupables d’avoir « commis » leur premier roman. Eh bien, Maxim Gorki fait exception à la règle avec « Paul le Malchanceux ». Bon, ne vous faite pas d’idée, ce n’est pas un chef d’œuvre non plus, mais c’est bien au-dessus de ce que font beaucoup d’écrivaillons en devenir. Déjà, on remarque le germe de ce qui deviendra le style du grand auteur russe, celui qui nous fournira « La maison Artamonov » et « La mère ». Évidemment, on y retrouve aussi quelques maladresses de débutant. Par exemple, de vouloir trop en mettre. Il raconte l’histoire de Paul, cet enfant abandonné. Il sera pris en charge par Aréfi Guibly, un pauvre gardien de la paix. Mais, évidemment, son destin ne pouvait être que misérable, digne d’un héros de Charles Dickens. Il passera par moults aventures (enlaidi par la variole, peu aimé par sa nourrice, engagé comme apprenti cordonnier après la mort de son père adoptif, etc), mais la principale étant qu’il tombera amoureux d’une prositutée. Le reste n’est que drame par-dessus drame, avec des moments d’accalmie. Au final, « Paul le Malchanceux » est une lecture agréable, facile, qui nous plonge au cœur de cette Russie et de ses mal-aimés de la deuxième moitié du 19e siècle. Un roman d’apprentaissage, en quelque sorte. Ce n’est pas une lecture dont je chérirai le souvenir mais elle m’a fait passer un bon temps. Je mentionnais plus haut le style de l’auteur, déjà visible, tant par son souci du détail (sans sombrer dans le réalisme brut et ennuyant) que par l’essence de poésie qu’il y insuffle.
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La Mère

Avec son roman La mère, Maxim Gorki nous offre le portrait d'une femme du peuple ordinaire mais qui, par son amour pour son fils, se révèlera un des personnages les plus intrigants et poignants de la littérature russe. du moins, c'est mon opinion. Pélagie Vlassov est la veuve d'un mari tyrannique (alcoolique et violent). Son fils Paul deviendra-t-il comme son père ? Mais non. Il se détourne de cette voix. Et pas seulement, il effectue un 180 degrés. Il se met à lire (quoi ? la pauvre mère illettrée ne saurait le dire), puis à fréquenter des gens, même à recevoir chez lui ces « camarades », comme Nicolas Vessovchikov. L'action se déroule en 1906, alors on voit venir la suite… le communisme ou le socialisme, comme vous voudrez bien le nommer.



Fort heureusement, l'auteur nous épargne de longs passages descriptifs où d'autres auraient décrit en long et en large ces philosophies des débats politiques à n'en plus finir. Et c'est d'autant plus crédible que ses personnages centraux proviennent du peuple, pas des intellectuels (ceux qui ont échoué la révolution avortée de 1905). Un an plus tard, il va sans dire que le socialisme et le communisme sont fortement réprimés. Un jour, le directeur de la fabrique veut tirer profit d'un marais adjaçant et souhaite refiler la facture des travaux aux ouvriers (en retenant un kopek par rouble sur leurs salaires) sous prétexte que l'assainissement de l'endroit améliorerait les conditions de tous. Paul Vlassov est le premier à se lever et il encourage ses collègues à la résistance. Évidemment, il est emmené en prison. Sa mère aurait pu se désoler, se refermer sur elle-même et dépérir (comme elle s'était écrasée sous son mari) mais non ! Elle embrassera plutôt les idéaux de son fils.



C'est ainsi que Pélagie va se transformer. Elle prend sur elle de continuer le travail de son fils. Elle continue à héberger Rebyne malgré l'opprobe qui commence à s'abattre sur sa maison. Puis elle aide directement les amis de son fils. Réussissant à se faufiler partout (qui suspecterait une vieille femme), elle circule dans la région, distribue des tracts, fait passer des messages, etc. Elle se bagarre même avec la police ! de plus, elle apprend à lire à son âge afin d'appuyer le mouvement de son mieux. Ainsi, elle deviendra un des symboles de la classe laborieuse !



Pélagie, qui était au début un personnage de mal-aimée, une femme parmi les plus ordinaires, devient malgré elle une héroïne. (Pas vraiment le type de figures féminines auxquels les grands auteurs russes nous ont habitués!) de faible elle s'affirme. Qui aurait pu croire qu'elle deviendrait l'instrument de l'action politique, une militante du combat pour la liberté. de cheminement est tout de même long (et répétitif par moment), vers le dernier tiers du roman, bof… j'avais hâte d'en arriver à la fin. Mais, heureusement, la finale, si elle n'est pas enlevante, est tout de même dramatique et touchant. Dans tous les cas, je la trouvais appropriée. La mère ne pouvait revenir en arrière, redevenir la simple mère abusée qu'elle était jadis. C'était très réussi de Maxim Gorki, qui a su prévoir une décennie plus tôt la terrible révolution qui a secoué la Russie.
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Le bourg d'Okourov

Cela fait longtemps que je veux lire du Gorki. Sa personnalité m’intéresse et je pressentais vu les convictions de cet auteur que ses œuvres m’interpelleraient. J’avais eu l’occasion de découvrir indirectement le genre d’histoire qu’il propose à travers « Les bas-fonds », le film de Jean Renoir avec Jean Gabin, mais je n’avais pas encore lu un de ses romans. La masse critique m’a permis de combler cette envie et j’en remercie Babélio et les éditions Des Syrtes car je n’ai pas été déçue par cette découverte.



« Le bourg d’Okourov » est un roman bref mais intense. Il s’agit avant tout d’un récit social mais qui s’intéresse aussi aux tourments de l’âme humaine. La ville d’Okourov est séparée en deux par une rivière, d’un côté les notables, de l’autre le petit peuple. L’imminence d’une révolte populaire, nous sommes en 1905 à la veille de la grève générale, occupe les esprits et va affecter différemment les villageois selon leur statut social. L’auteur, on le sait, avait des convictions socialistes et révolutionnaires très affirmées, pour autant Gorki fait preuve d’une grande subtilité mais aussi d’un certain pessimisme. L’homme semble un peu désabusé. Il faut dire que Gorki a écrit ce roman en 1909 alors qu’il vivait en exil en Italie pour échapper à la répression féroce qui a suivi le soulèvement populaire, et tout particulièrement le triste « Dimanche Rouge » où des centaines de manifestants pacifiques ont été abattus par l’armée impériale. Dans « le bourg d’Okourov », Gorki se montre très acerbe dans sa peinture d’une bourgeoisie méprisante, oisive et dépravée. Il évoque très bien la dure vie des petites gens de la campagne mais, là aussi, il évite tout simplisme et se révèle finalement assez dur envers eux. Si la volonté de changement est là, l’agitation est palpable, les pauvres manquent d’une vision politique et leur colère s’exprime de façon désordonnée et finalement vaine. Ceci dit, le roman n’est pas déprimant malgré sa noirceur. Quelques personnages semblent peu à peu s’éveiller à une forme de conscience politique. C’est l’œuvre d’un homme déçu mais pas résigné.



Le roman est court, à peine 190 pages, mais se révèle d’une densité et d’une profondeur remarquables. Il y a de nombreux personnages que l’auteur parvient tous à caractériser de façon fouillée et convaincante. De plus, j’ai beaucoup aimé l’écriture de Gorki. Bien évidemment, après une si jolie lecture, je compte bien lire d’autres œuvres de cet auteur.

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La Mère

Pélaguée, une vieille femme russe, va petit à petit s’éveiller à la vie et sortir de sa condition de femme soumise et ignorante. Veuve d’un mari violent, elle va découvrir grâce à son fils Pavel, militant socialiste, la vérité sur leur vie de misérables.



Tous ces ouvriers du début du XXe siècle, exploités, maintenus dans l’ignorance, la peur et les mensonges, ne savent comment exprimer leur révolte. Irrités par leurs conditions de vie misérable, indignes d’un homme, ils sombrent dans l’ivrognerie et la violence.



Il faut leur apprendre qu’il est possible de vivre autrement, que leur misère n’est pas une fatalité. Se délivrer de la peur de l’oppresseur, chercher la vérité. Ils ne sont pas méchants, idiots et bruts par hasard. On les a maintenus volontairement dans cet état d’asservissement, afin de profiter de leur travail, de se divertir au prix de leurs peines.



Pélaguée et son fils Pavel vont être les symboles de cette révolte, les apôtres de la vérité.

Petit à petit le monde des ouvriers s’éveille à la révolte, les idées de liberté, de savoir et d’égalité font leur chemin. Le monde fraternel des socialistes est en marche, soulevant aussi le monde paysan qui crève de faim.



Très beau portrait du prolétariat, mais aussi du monde paysan, et de la justice de l’époque.

Portrait d’un peuple courageux qui s’éveille, de son existence monotone et obscure, et allume en lui la flamme de la raison, la flamme de l’espoir d’une vie meilleure, qui fait enfin entendre sa voix pour anéantir l'autocratie.

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Les bas-fonds

Qui oserait traiter cet ouvrage de parangon annonciateur du réalisme socialiste ? Nous avons ici un théâtre qui transcende de loin son aspect social. Il s'agit simplement d'humains, avec leurs espoirs et leur veulerie, d'humains dessinés très justement par un des maîtres du théâtre russe. Et sont transcendés par la même occasion l'exposition de la pauvreté, la déliquescence de l'empire, la culture russe…

N'était l'etrême misère humaine que la pièce expose, il faudrait s'attarder au thème du théâtre, à la puissance réparatrice des mots du pèlerin Louka, au rôle joué - c'est le cas de le dire - par l'acteur, à ces postures prises par Natacha, Nastia ou encore Vassilissa pour troubler leur image et aux souvenirs déclamés par le Baron.

Tout est théâtre mais est aussi pur vécu dans ces Bas-fonds. Gorki fait preuve d'une extrême habileté à donner à chacun de ses personnages un corps, un passé, un phrasé propre.
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Les enfants du soleil

C'est en prison que Gorki écrit Les Enfants du soleil, en 1905 – les ouvriers qui se dirigeaient vers le Palais d'Hiver ont été massacrés par les forces du Tsar et l'écrivain les soutient. La pièce est d'abord censurée, et lors de la première l'ambiance est électrique: le public s'attend à ce que la Centurie Noire (bandes armées formées par les partisans de l'absolutisme) vienne empêcher la représentation et panique au dernier acte lorsqu'il entend les bruits de foule en colère (théâtrale) venir des coulisses.

Pourtant on ne peut pas dire que la pièce soit porteuse d'un message révolutionnaire clair. Ce qui frappe surtout, c'est à quel point presque tous les personnages sont à côté de la plaque, enfermés dans leur bulle, incapables de communiquer et d'avoir une action appropriée sur le réel. Les classes intellectuelles planent, et les pauvres  s'en prennent aux médecins plutôt qu'à la maladie.

«Au fur et à mesure de son développement, l'individualisme russe revêt un caractère maladif, conduit à une nette diminution des besoins socio-éthiques de la personnalité et s'accompagne d'un dépérissement généralisé des forces combatives de l'intellect.» (Gorki)

Bon, cet individualisme à caractère maladif, il n'est pas si différent du nôtre, la pièce n'a pas du tout vieilli et m'a bien intéressée. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre et ça a été une très bonne surprise!
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La maison Artamonov

Maxim Gorki (de son vrai nom, Alexis Pechkov) était un grand auteur russe du début du 20e siècle, très lié au parti communite. Il a écrit des ouvrages primés comme La mère ainsi que La maison Artamanov, j’avais donc des attentes assez élevées envers ce dernier roman qui, hélas, ne furent pas complètement rencontrées. Notez bien que je n’ai pas détesté ce roman, je dirais même que je l’ai plutôt bien apprécié, mais je m’attendais à plus. Disons que l’auteur n’est pas de la même branche que Tolstoi ou Dostoievski. Tout le long de ma lecture, je ne pouvais m’empêcher de faire des liens avec Les frères Karamazov.



Pourtant, le début était assez prometteur. Dans la Russie de la deuxième moitié du 19e siècle, Élie Artamanov arrive de province dans la ville fictive de Driamov avec ses trois fils. Ancien serf, sans le sous mais rusé et entreprenant, il s’immisce dans la maison Baïmakov et s’arrange pour arracher au riche vieillard la main de sa fille unique pour son fils Pierre. C’est le début de la maison Artamanov. Élie est certes intrigant mais il disparaît trop vite ; il n’est pas de la même étoffe que Fiodor Karamazov. Et pareillement pour ses fils. L’ainé et le cadet, Pierre et Alexis, peuvent être assimilés à Ivan. Ils se débrouillent correctement en affaires, se montrent plutôt capables à faire fructifier l’usine construite par le père mais on les distinguent peu, à part le fait que l’ainé soit plus scrupuleux et porté sur l’alcool. Il porte le roman sur ses frêles épaules. L’enfant du milieu, Nikita, se tourne vers la religion mais pas avec la même piété qu’Alexis Karamazov et le père Théodore est bien loin du starets Zosime. Bref, j’avais constament cette impression de déjà vue, mais de moindre qualité. Évidemment, avec un roman de mille pages en moins, je ne peux m’attendre à la même précision dans le détail et l’analyse psychologique de la part de Gorki.



Ne reste que la troisième génération, les petits-fils Élie, Jacques et Miron. Le premier est emporté par les idées révolutionnaires, la lutte des classes, le socialisme, le partage des richesse, etc. Il est rapidement désavoué et envoyé au loin, sans le sou. Le deuxième est plus sympathique, plus sentimental. Quant au troisième, trop philosophe, cérébral, déconnecté. Les choses iront moins bien pour eux. Et c’est sans doute mieux que la maison Artamanov disparaisse : le roman est comme une chronique annoncée (paru après coup, en 1927) de la Révolution d’octobre (1905) et du régime communiste qui pointe à l’horizon.



En d’autres mots, La maison Artamonov n’est pas un ouvrage révolutionnaire au sens littéraire. J’aurais aussi apprécié un peu plus de descriptions, comme l’apparence physiques des personnages, les paysages et la ville, des scènes de mœurs locales, etc. Toutefois, malgré mes légères insatisfactions, je tiens à rappeler que je suis sévère dans ma critique parce que je ne cesse de la comparer à d’autres œuvres. Gorki n’était pas tenu de conformer à mes attentes. De plus, il a au moins produit un roman plus accessible que ceux de plusieurs autres grands auteurs russes. Il va à l’essentiel, les relations familiales tendues, la situation de la Russie à un point tournant de son histoire, les courants politiques et économiques de l’époque, etc. Surtout, il parvient à rendre les compréhensible. Bref, il a écrit un travail correct mais, à quelqu’un qui aimerait lire un roman sur l’ascension et la déchéance d’une famille bourgeoise, je lui suggérerais plutôt de se procurer Les Buddenbrock.
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Enfance

A plus de quarante ans, déjà célèbre et en exil à Capri (à la fois pour raison de santé et pour échapper à la répression croissante), Maxime Gorki décide d'écrire son autobiographie. le premier tome, consacré à son enfance, paraît en 1913, il commence à la mort (lors d'une épidémie de choléra) de son père et s'achève quand son grand-père le chasse peu après la mort de sa mère, de tuberculose. A aucun moment l'auteur ne mentionne son âge, des moments marquants de son enfance sont mis en lumière sans précision de date, si ce n'est qu'ils sont dans l'ordre chronologique. Au début du récit il a donc dans les trois ans, et à la fin, il n'a guère plus d'une dizaine d'année quand son grand-père lui annonce : «il est inadmissible que tu restes à vivre à mes crochets ; va-t'en plutôt par le monde... »Entre ces deux décès se succèdent des scènes de grande violence, entrecoupées de moments plus lumineux de complicité avec sa grand-mère ou la nature. le style de cette autobiographie est dans une veine réaliste et naturaliste, et comme souvent au 19ème siècle, on n'y parle pas beaucoup aux enfants, on les écoute encore moins, et on les éduque à coup de fouet. Mais j'ai beau chercher dans la littérature de l'époque, de telles enfances se trouvent surtout dans des familles d'alcooliques (le grand-père de Gorki ne boit pas, sa mère non plus) ou lorsqu'un des deux parents a un problème psychologique majeur (et la société réprouve tout en se voilant la face et en ne faisant rien). Ici la violence est admise, banalisée, que ce soit envers les enfants, envers les femmes, envers les subalternes. Ceux qui la réprouvent laissent faire, jusqu'au père d'Alexis (c'est le prénom de naissance de l'auteur) qui refuse de porter plainte contre ses beaux-frères pour tentative de meurtre. La morale est souple aussi en ce qui concerne le vol, considéré comme tel uniquement si on vole pour soi-même (mais on peut voler pour aider ses parents ou son patron). Tout cela semble la norme. Pour Alexis la religion est étonnante : il n'y a guère de points communs entre le Dieu bienveillant que prie sa grand-mère et le Dieu rigide et terrifiant de son grand-père. Ce livre suinte la misère morale, la petitesse mesquine, la bassesse et la bêtise par ignorance. Mais il n'est pas vraiment question de pauvreté, et en tout cas la misère morale est là bien avant. Il ne faut pas s'y tromper, au début du récit le grand-père de Gorki est à la tête d'une petite entreprise qui marche, il est même un petit notable, président de la Corporation des teinturiers de Nijni Novgorod. Tout part à vau-l'eau quand il partage ses biens avec ses incapables de fils, à partir de là c'est une longue dégringolade dont Maxime est le témoin, sans toujours tout comprendre sur le coup. Une chose m'a frappée, sur laquelle l'auteur ne s'appesantit guère : il est orphelin, ses deux cousins sont orphelins de mère (l'une, tuée par son mari, l'autre, morte en couches), son père était orphelin, son grand-père aussi. Cela fait vraiment beaucoup d'orphelins, et une immense carence de modèle parental. Ce qui est remarquable c'est la résilience extraordinaire de Gorki, à travers le modèle de son père transmis par la grand-mère (que l'on retrouve dans le choix de son pseudonyme : le prénom de son père suivi de son pseudonyme) et celui de son grand-père qui lui apprend à lire et qui curieusement n'a pas que des mauvais côtés ! Par contre, que l'auteur est optimiste quand il pense que son livre peut permettre d'extirper tout ce mal de la société russe : à peine plus d'un siècle plus tard, en 2017, la Russie a dépénalisé les violences domestiques (aussi bien envers les femmes qu'envers les enfants) tant qu'il n'y a pas hospitalisation, pour protéger la famille ! Depuis la police ne se déplace même plus et les cas sordides se multiplient. Par contre ce livre est toujours lu par les écoliers, apparemment plus pour valoriser la résilience face à l'adversité que pour ses critiques sociétales !
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Les époux Orlov

Une nouvelle âpre, très dure par son réalisme, qui m’a laissé un arrière-gout amer…



Elle s’ouvre sur le passage à tabac de Martha par son mari Grégoire Orlov, un non-événement récurrent qui s’est installé comme une routine chez ce couple. Mais un événement distrayant pour le jeune Siméon Tchijik. Dès les premiers cris, ce gamin débrouillard, « Moitié marmot, moitié adulte », qui « absorbe avidement, comme une éponge fait d’un liquide, la saleté du monde qui l’environne » - et il y en a autour de lui ! -, se rue aux premières loges en ameutant le voisinage pour regarder le spectacle. L’auteur ne s’étend pas sur les détails, il n’en a pas besoin. Ce qui rend cette scène particulièrement monstrueuse, c’est que le lecteur (moi !) y assite par l’entremise de cet attroupement à la curiosité morbide. Pas besoin de plus pour me sentir mal à l’aise…



Une nouvelle âpre donc, qui nous plonge dans des conditions de vie miséreuses, dans la crasse et la puanteur. Les époux Orlov, tous deux cordonniers, s’échinent au travail, résignés, sans perspectives, sans rien pour égayer leur vie. Grégoire se demande souvent à quoi cette vie peut bien rimer.



Rongés par l’ennui, le couple se déchire. Peut être pour se donner l’illusion d’être vivants, eux, qui vivent dans un taudis à demi enfouis sous terre, qu’ils appellent la fosse, comme s’ils étaient déjà « enterrés avant d’être morts ».



Mais une épidémie de choléra va, de manière inattendue, entrouvrir une minuscule archère dans leur tanière. Sera-t-elle suffisante pour modifier leur perception d’eux-mêmes et de la vie ?



Un certain nombre de thèmes cohabitent : la misère, l’ennui dans le couple, la violence conjugale, l’alcoolisme, l’inutilité de la vie mais c’est sans doute la dignité humaine qui est au cœur de ce récit, et elle va prendre une tournure différente selon les individus. Les conditions misérables d’une existence entrainent-elles invariablement les individus plus bas dans la déchéance ? Quels élans poussent certains à lutter tandis que d’autres baissent les bras ?



Il est un peu dommage que la fin ne soit pas à la hauteur du reste. L’apparition soudaine d’un narrateur extérieur pour introduire l’épilogue n’est d’après moi pas très heureuse.



Les personnages, en revanche, sont dépeints avec beaucoup de justesse, sans jugements, ni bons, ni méchants (quoique cela puisse se discuter), avec leurs travers, leurs doutes et leurs certitudes, juste des hommes malmenés par la vie qui cherchent une voie, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

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