AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Melinda Moustakis (36)


Une baleine. On se précipite sur le pont. Une baleine à bosse jaillit de l’eau, pivote dans les airs, ses nageoires blanches dressées vers le ciel, son dos gris s’écrasant dans les vagues. Mes oncles hurlent et renversent leur bière sur nous, massés autour. Une autre baleine sort de l’eau, s’élève de sous le bateau, le ventre à portée de nos mains, près du bastingage. On se recroqueville tous, je m’accroche à la capuche du manteau de ma mère. Mais elle tend le bras, s’étire et caresse le ventre blanc de la baleine qui retombe, qui l’éclabousse et la trempe. Mes oncles récupèrent les canettes de bière flottant à la surface, celles qu’ils ont jetées par-dessus bord dans leur joie.
Commenter  J’apprécie          20
Elle était partie randonner avec son père et ses frères dans la forêt pour repérer des élans. Elle portait un fusil presque aussi grand qu’elle et Ben la relaya plus tard car l’arme était lourde. Son père leur demanda de grimper sur l’échelle d’affût et d’y rester. Il reviendrait les chercher quand le soleil atteindrait la crête. Elle et Ben restèrent assis dans le mirador de chasse et attendirent. Ils ne parlaient pas. Elle laissait ses jambes pendre dans le vide.
– Tu as entendu ? murmura Ben.
Elle n’entendait que les arbres.
– Je suis sûr d’avoir entendu un truc.
Le visage vers le sol, elle essaya de voir jusqu’où elle pouvait se pencher avant d’avoir la sensation de tomber.
– Arrête. Tu vas finir par te casser la figure, dit-il.
Elle ne tomba pas, mais son chapeau, si. Elle commençait à redescendre quand Ben lui attrapa le bras.
– N’y va pas.
Elle se débattit jusqu’à ce qu’il lâche prise, et elle descendit. Elle retrouva son chapeau et le replaça sur sa tête – lorsqu’un grognement retentit dans la forêt. Elle fut projetée à terre. Elle répète toujours :
– Une chose qu’on apprend à faire, en plus de savoir tirer, c’est à faire le mort.
Elle retint sa respiration et se cacha le visage entre les mains. Elle entendit des coups de feu. Elle entendit des cris. Son corps roula sur le côté. Elle sentit une pression contre son épaule gauche. Puis elle aperçut Ben.
Ben la souleva par les aisselles et la traîna jusqu’au pied de l’arbre. – Il faut que tu remontes. L’ours risque de revenir.
Les yeux de Ben étaient écarquillés.
Il la remit sur ses pieds, plaça ses mains sur les barreaux en bois. Tout semblait rétréci, brumeux, et tout dégageait une odeur de pourriture. Elle gravit l’échelle d’affût, Ben derrière elle qui la poussait et la pressait. Son épaule palpitait comme si elle se souvenait soudain des événements récents, Ben roula en boule sa chemise à carreaux et essaya d’arrêter le flot de sang.
Quand elle vient me rendre visite en Californie, elle porte des débardeurs et les gens l’interrogent sur l’origine de la cicatrice qui lui plisse l’épaule. Elle leur répond :
– J’ai été attaquée par un grizzly en Alaska.
Et ils la croient. Ils croient que Ben a tiré plusieurs coups de fusil, ils croient qu’elle est remontée sur le mirador de chasse tandis que le sang suintait de sa plaie. Ils mordent à l’hameçon, et elle leur dit alors :
– En fait, c’était un accident. Je me suis accrochée l’épaule à un ressort métallique alors que je me cachais sous le lit.
Ils lâchent un petit rire de soulagement.
– La vache, tu m’as bien fait marcher.
L’enfance, une partie de cache-cache. Ils ne lui demandent jamais de quoi elle se cachait. La vérité, c’est qu’il y a des grizzlys, il y a des poings, des bouteilles et des ceintures. Il y a des choix : faire le mort ou se cacher.
Commenter  J’apprécie          50
Un nuage passe au-dessus de vous, Jack se lève et tend ses bras épais vers le ciel.
– Bon Dieu, mais laissez-nous voir un peu le soleil, putain. Je n’ai que quelques jours de congés par an.
Les frères Matthew, qu’il surnomme Doormat et Hazmat, rient dans leur bateau et crient :
– Bien envoyé, Jack.
Les touristes scrutent ton frère – on voit bien que ce sont des touristes, comme le dit Jack, car ils sont « nuls pour ramer », ils portent des vestes bleues assorties et ils ont déjà heurté votre embarcation. Une barbe poivre et sel à trente et un ans, des biceps gros comme votre crâne, et le voilà qui agite sa chemise à carreaux en ordonnant aux nuages de circuler – Jack est ce qu’on appelle un gars du cru, en Alaska. Les touristes viennent pour voir des élans, des aigles, pour pêcher des saumons king qu’ils n’ont vus qu’en rêve. Ton frère est un bonus.
– Il faut que je pisse un coup, dit-il avant d’attraper son tuyau en plastique et de passer devant toi.
Il s’installe face aux touristes, baisse sa braguette et met le tuyau en place. Tu entends une touriste étouffer un cri.
– C’est comme ça qu’on fait, sur la Kenai, dit-il. La bite dans un tuyau.
Commenter  J’apprécie          10
Tu as été conçue dans un mirador de chasse, disent-ils.
Ce qui signifie : Nous n’avions pas d’autre endroit.
La cabane est envahie par les frères et sœurs de ma mère. Sur la cuisinière, une marmite de potée de pommes de terre en quantité suffisante pour nourrir vingt personnes. Voyez ma mère, le dos malmené contre la plate-forme en bois au milieu des arbres. Voyez mon père, le doigt sur la détente – au cas où.
Il faut vider l’élan aussitôt après l’avoir tué, disent-ils, ou la chair pourrit sous la peau.
Ce qui signifie : Nos mains ne pouvaient s’empêcher de toucher l’autre.
La nuit de ma conception, mon père abattit un élan d’une balle qui lui traversa l’œil, qui lui traversa le crâne, la cervelle et les os, qui traversa jusque de l’autre côté. Dans la terre estivale, ma mère trouva la balle à l’extrémité rougie. Ils la gardent sur le manteau de la cheminée, près d’une photo sépia – un cliché d’eux transportant l’animal mort par ses bois.
Ils disent : Tu es venue au monde dans un bruit de détonation.
Ce qui signifie : Fais quelque chose pour nous mériter.
Commenter  J’apprécie          10
Là, l’œil d’une baleine est petit, comparé à une baleine. Une baleine est petite, comparé au monde. Je découpe l’œil de la baleine et le prends dans le creux de ma main. Il contient un océan, noir et orageux.
Commenter  J’apprécie          180
Ma mère raconte une histoire sur les premiers marins qui ont atteint l’Alaska. Ils n’ont jamais vu de baleine. Deux baleines à bosse surgissent de l’eau à proximité de leur bateau et projettent leurs corps vers le ciel. Les marins se ruent sur leurs fusils et tirent dans l’eau, attendant qu’elles réapparaissent. Les baleines sautent à nouveau et leurs étranges marques blanches font des cibles parfaites. Comment les marins auraient-ils pu savoir ? Les baleines ne veulent aucun mal. Elles n’ont pas de dents. Elles remontent juste à la surface pour respirer.
Commenter  J’apprécie          130
- Dieu tient davantage de la baleine que de l’homme, dit-elle.
Là, le sang s’échoue sur le rivage et fait fondre la glace. Mes pieds nus sont teintés et léchés de rouge. La neige froide. Le sang chaud jaillissant du ventre de la baleine. Ils l’ont dépecée et lui ont tranché un lambeau de chair avec des tronçonneuses. Une baleine hors de l’océan est une montagne, un horizon, une courbe de ciel différente.
Commenter  J’apprécie          180
Ils buvaient de la Carolans Irish Cream et de la liqueur d’airelles artisanale à même la bouteille qu’ils faisaient circuler autour de la table, gorgée après gorgée.
Elle était sortie et je l’avais accompagnée. Elle était un peu éméchée, contente-éméchée. Nous avions contourné la cabane, bras dessus, bras dessous, en direction des toilettes extérieures. La nuit claire constellée d’étoiles sculptées dans la glace. Nous avancions d’un pas lourd dans la neige quand nous nous arrêtâmes soudain. Au-dessus de la crête, des rubans verts sinueux traversaient le ciel, entrelacés et étincelants. Je n’en avais encore jamais vu – des bandes de néons faisant l’amour avec l’obscurité, et je ne pouvais en détacher le regard.
Commenter  J’apprécie          150
Jack est dans l’eau glaciale jusqu’au cou, il pousse le bateau vers la berge avec toi à bord. Et toi, tu es debout dans une étendue blanche, le crissement de la neige sous tes pieds. Il veut que tu lui parles de la lune, mais tu lui parles du soleil – il est immense, éclatant, il flotte au-dessus de l’horizon, son œil tout entier décrivant des cercles. Tu cours vers ce trou scintillant, la gueule d’un canon à bout portant, les bras en l’air. Vas-y, dis-tu en agitant les mains. Appuie sur cette foutue détente.
Commenter  J’apprécie          90
Ruby fit le bilan de sa vie. Vingt-deux ans. Mère morte. Pas d’argent. Pas de famille à Anchorage – ils vivaient tous dans les quarante-huit autres états, dans des villes comme Nashville ou Omaha, elle ne les connaissait pas. Rien qu’à entendre le nom de ces villes, elle n’a pas envie de les connaître. Nashville – un grincement de dents. Omaha – Oh mon Dieu. Et elle, elle vit à Anchorage – un vieux bateau entouré de glace.
Commenter  J’apprécie          130
Le reflet de l’île s’étire à la surface de la rivière, tremblote sur l’eau. Rivière, viens-tu ou vas-tu ? La Kenai, un flux laiteux mêlé de rubans verts et bruns, est enragée, est au repos.
Commenter  J’apprécie          190
il réplique que la pêche est sa seule religion, que la rivière est une sorte de dieu - elle te noie comme une merde, que tu sois un aigle ou un putain de moustique, ça ne fait pas la moindre différence, rien n'est jamais fait à moitié.
Commenter  J’apprécie          210
Sur le chemin du retour, Ruby esquisse l’intrigue : une femme rencontre un inconnu dans la forêt. L’inconnu tue la femme. Ou la femme tue l’inconnu. Ou on recommence : Une femme rencontre un individu dans la forêt. L’étranger attire la femme avec de la viande d’élan. La femme devient étrange. Ça ne finit jamais bien.
Commenter  J’apprécie          210
Les scientifiques

Un scientifique est assis dans un bateau et plonge des éprouvettes dans la rivière.
— Turquoise, dit l'un pour décrire la couleur de l'eau.
— Verte, dit un autre.
— Sang de glacier.
— Ciel écrasé.
— Bleu Kenai.
Ils étudient la qualité des sédiments glaciaires.
Commenter  J’apprécie          190
Le Good Time Charlies’s est une boîte de strip-tease qui faisait les meilleurs fish and chips du coin, tu le sais parce que Sasha t’en mettait toujours une portion à emporter quand tu venais récupérer Jack. Mais Charlie est mort et a emporté avec lui la recette spéciale de sa chapelure « personne n’en sait rien, mais c’est pas de la bière ». Et le sol était recouvert de sciure jusqu’à ce qu’un jour on la balaie, Sasha t’avait raconté que les strip-teaseuses avaient menacé de se mettre en grève car les strings et la sciure ne faisaient pas bon ménage, tu peux très bien l’imaginer.
Commenter  J’apprécie          160
Elle pourrait s'enfuir. Crier. Ramasser une pierre. Un vieil hameçon sur le sol. Elle sourit à nouveau et se rassied, pose la main gauche sur l'hameçon. Elle l'embrasse sur la bouche et prépare son arme dans sa main gauche. Elle passe son index sur les lèvres de l'homme, le glisse à l'intérieur de sa bouche, vers ses dents, et expose la chair rubis de sa lèvre inférieure. Elle le regarde droit dans les yeux. Puis elle enfonce l'hameçon, lui transperce la chair. Il se recroqueville de douleur et elle l'abandonne sur la berge avant de s'éloigner en bateau. Il aura une cicatrice et il n'oubliera jamais. Elle ne quittera plus sa maison sans un hameçon en poche.
Commenter  J’apprécie          150
Il casse des choses – des portes, des verres des assiettes. Il casse des os, mais seulement les siens, et il assène des coups de poing dans les murs de la cabane. Quand il rentre la plupart du temps, doux et titubant, il passe un bras autour d’elle et elle le soutient pour l’accompagner jusqu’au canapé, en espérant qu’il ne réveille pas leur fille.
- j’aime mes femmes, dit-il. J’aime mes femmes.
Commenter  J’apprécie          180
L'enfance, une partie de cache-cache. Ils ne lui demandaient jamais de quoi elle se cachait. La vérité, c’est qu’il y a des grizzlys, il y a des poings, des bouteilles et des ceintures. Il y a des choix : faire le mort ou se cacher.
Commenter  J’apprécie          100
Un homme et son fils sont dans une mauvaise passe. Ils dérivent sur la Kénai à bord d'un raft. Aucun n'a envie de parler. L'homme a emmené son fils dans l'espoir qu'ils trouvent enfin les mots. Ils ne trouvent ni les mots ni les poissons.
Commenter  J’apprécie          150
Le mari de la femme frappe à la porte. Ils le cherchaient. Du sang imprègne le devant de sa chemise. Ils n’ont pas entendu de détonation. Peut-être un coup de hache, mais il n’y a pas de blessure. Une épaisse odeur familière les tranquillise. Il titube sur le pas de la porte et s’écroule. Deux amis le portent jusqu’au bateau, et il vomit un liquide rouge dans la rivière. La femme regarde le bateau qui s’éloigne et les laisse derrière, l’île et le sang. – C’est la dernière fois, dit-elle. Elle acquiesce comme elle a déjà souvent acquiescé, elle jette des serviettes sur ce désastre et essuie le sang du bout de sa botte. Puis elle plonge les serviettes dans la rivière et les essore.
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Melinda Moustakis (71)Voir plus

Quiz Voir plus

Du Polar avec Jean Gabin

D'après le roman de Pierre-René Wolf, Martin Roumagnac est un film réalisé par Georges Lacombe sorti en 1946. La vie de Gabin, entrepreneur en maçonnerie, prend un mauvais tournant lorsqu'il rencontre une belle aventurière, interprétée par celle qui partagea sa vie: (Indice: L'ange bleu)

Greta Garbo
Marlene Dietrich
Arletty

12 questions
13 lecteurs ont répondu
Thèmes : jean gabin , polar noir , romans policiers et polars , acteur , cinema , adapté au cinéma , adaptation , littératureCréer un quiz sur cet auteur

{* *}