Ce 15 août 1763, c’était la fête de l’Assomption, célébration catholique par excellence et rejetée par l’Église réformée pour raison que nul ne l’évoquait dans l’Evangile. Tous les ans c’était un sujet de tension entre les deux communautés. Par ordonnance royale les protestants ne devaient pas travailler ce jour-là, mais par fidélité à leur culte ils ne pouvaient rester à chômer non plus, c’eut été un blasphème. Et plus on approchait de la date, plus l’atmosphère devenait irrespirable. A la fabrique ordre avait été donné aux ouvriers de venir comme chaque jour, et aux officines des huissiers d’Héricourt on attendait la venue de renforts. Ceux-ci pourraient dresser procès-verbal de toute personne effectuant un travail interdit par la loi française, et faire payer les amendes.
C'était un endroit assez agréable où l'on pouvait être certain de trouver une soupe avec pain et viande, et non un jus infâme, et un lit correct. Et l'on était à peu près certain, autant que cela se pouvait en ces temps de famine et de violence, de repartir le lendemain avec tous ses effets, ses bagages, et surtout sa vie.
Tous quatre s’assirent dans des fauteuils aux couleurs vives. Là encore le commissaire fut surpris, la femme allait assister à leur entrevue. Décidément il était clair que le monde changeait... Il n’y trouvait personnellement aucun inconvénient, les salons les plus courus de la capitale n’étaient-ils pas tenus par des femmes ? Et il n’avait jamais été de ceux qui pensaient qu’elles devaient tout aux hommes et étaient obligées de leur rester soumises. Il ne voyait nulle infériorité intellectuelle ou physiologique dans le sexe dit faible. Mais ce n’était pas le cas de tous et surtout pas du clergé ! Enfin, de là à laisser ces dames intervenir dans les affaires courantes, il y avait un pas que la plupart des hommes n’étaient pas prêts à franchir.
Elle avait toujours ses beaux traits réguliers mais elle était moins ouverte, moins gracieuse. Même ses chers petits chiens King-Charles, fort à la mode à la cours d’Angleterre, ne l’amusaient plus.
En fait elle se lassait de tout.
Depuis deux jours heureusement il la trouvait plus sereine, depuis l’arrivée de sa petite cousine Marie des Chaunières en fait ; Marie était une cousine assez éloignée par les Auvrensson, mais c’était toujours pour Marguerite une amie, une confidente de toujours il le savait. Il avait eu certaines craintes à ce sujet, il trouvait Marie beaucoup trop libre et de fort caractère et avait eu peur que ses habitudes ne déteignent sur Marguerite qui était une douce et vertueuse personne. Et entièrement dévouée aux intérêts de son époux dont elle appréciait disait-elle souvent dans ses lettres “les nobles qualités de cœur et la haute valeur intellectuelle”.
Puis il s’était dit que depuis le temps qu’elles se fréquentaient, si Marguerite aimait tant Marie, ce n’était pas sans raison, il avait toute confiance en son jugement. Et il avait découvert en effet, lors de ses précédents séjours, que Marie pouvait être aussi une personne douce et vertueuse, fort cultivée au demeurant, en fait quelqu’un à qui son père et surtout son frère avaient juste laissé beaucoup trop de liberté.
Les draps sont commencés par les tisseurs, tu connais donc, ils ne font alors qu’une toite épaisse et grosse. Du tisserand ils passent au foulon, qui par le foulage avec un moulin forme les draps. L’effet du foulage est de dégraisser les étoffes à fond et de les feurter plus ou moins comme on dit ici, enfin les peigner, les user en les frottant. Le foulon tire aussi le poil avec les chardons que l’on fait venir des Ardennes ou de Sedan, ce sont les meilleurs. Ils sont ensuite remis au tondeur, qui en coupe le poil avec les forces qui sont ni plus ni moins que de gros ciseaux. Et c’est bien là que tu interviendras, pour tondre les draps. Puis on les porte chez les teinturiers du grand ou du petit teint. Quand ils sont teints, on les reporte au tondeur, pour être pressés et brossés.
- Vous connaissez tous les tissus alors ?
- Tous certes non, mais j’ai bien retenu ceux qui sont fabriqués ici, ils portent de si jolis noms ! Serge de Rome, calamandes, dauphines, étamines, bourracans, siamoises, grisettes… On y tisse aussi ces étoffes de fil destinées à l’habillement, les droguets. Mais la plupart du temps à partir des laines du Dauphiné et du Languedoc qui sont importées, celles d’ici sont apparemment trop courtes.
Sans doute était-ce de cette enfance grise et sans la moindre amitié qu’il avait gardé une certaine indifférence sur la marche du monde et une personnalité qui pouvait paraître froide. Il était peu enclin à l’indulgence, la compassion ou la charité envers qui que ce soit ; il essayait tout au plus d’être juste, ainsi qu’on l’avait été avec lui.
- ... J'espère que tu sauras te montrer courtoise et aimable, nul besoin de trop parler !
Elle ne répondit pas. Que dire de plus ? Qu'il était affligeant d'être fille, d'être femme. Nul droit, nul choix. Mais elle allait réfléchir et trouver une parade.
Mon pauvre ami, avec ce genre de personne il vaut mieux prendre des tours et des détours que de dire tout de suite ce qu’ils ne veulent surtout pas entendre.
Il y avait longtemps qu’il ne se préoccupait plus du passé, le passé n’étant selon lui que la source de bien des maux.