Citations de Nicolas Ancion (117)
Je me suis senti tout petit, tout raté, un grumeau de farine dans la pâte à crêpes de l’univers.
Tu veux ou tu veux pas, tu votes pour ou contre, tu protestes ou tu la fermes, si tu ne te décides pas, c’est comme si tu décidais de dire oui, c’est comme ça qu’on refile des aspirateurs aux petites vieilles et des assurances vie aux tracassés, qui ne dit mot qu’on sent dit qu’il sent qu’on consent, c’est comme ça.
Tu ne te souviens peut-être pas bien du centre de Bruxelles à la fin du millénaire. C’est possible, il ne faut pas s’inquiéter. Faut pas se leurrer : la majorité des êtres humains en vie sur la planète ne savent même pas que Bruxelles existe, et leur vie n’en est pas ratée pour autant, rassure-toi. Et parmi ceux qui savent que Bruxelles n’est pas le simple nom d’une variété de chou, ils ne sont pas nombreux ceux qui se souviennent de la boutique de Roger.
Le trajet était tout simple. Suffisait de remonter le boulevard sous le soleil qui ne lâchait plus la ville. Peut-être que mon parcours de piéton l’intéressait, ce petit tracé de fourmi à la surface de la planète bleue, mon déplacement minuscule, vu de là-haut, ça devait ressembler au trajet d’un pépin de pomme sous le balai d’un éboueur.
Plus on vieillit, plus on accumule, plus on est fier, plus on expose et les vieilles personnes ont eu toute la vie pour s’entraîner dans ces deux disciplines. Elles sont fières de leur descendance, fières de leur parcours, fières de leur pays, de leur religion et de leurs souverains. Elles ont accumulé durant toute leur vie les photos et les objets, il leur reste la plus fière des fiertés : exposer tout cela aux visiteurs autour d’un bon café.
Je n’allais pas le lui dire, je n’avais pas envie de couper les deux jambes de son moral, juste pour le plaisir de défendre la vérité. Je n’étais pas chevalier, je ne combattais ni pour la vérité ni pour la justice. Les mensonges, après tout, sont souvent plus utiles que les fleurs ou les pralines pour entretenir de bonnes relations.
Elle est jolie, toute blonde, yeux bleus, des taches plein la figure, comme si un lapin minuscule avait sauté à pieds joints dans la tasse de chocolat chaud juste avant qu’elle n’atteigne ses lèvres, surtout autour du nez, des taches de douceur, lui dira Serge.
J’avais le cœur qui pompait comme une paire de Dupondt quand Tintin est au fond de la mer.
Des lèvres qui portent le feu, qui disent le sable, les lèvres d’une femme aimée ; les cils rassemblés autour de ces deux yeux invisibles, retranchés dans le jardin d’hiver du rêve, luisants comme l’eau d’un lac paisible sous le soleil d’été.
Le silence trottine dans la chambre sur ses mille pattes d’ouate. La nuit avance. Au loin, de l’autre côté de la ville, les premières lueurs du jour se laissent déjà entrevoir à la lisière de l’horizon. Le bleu d’encre cède la place à un bleu plus léger : demain est au bout des doits, il ne va plus tarder.
Il y a des choses dont on reste fier toute sa vie : les belles répliques qu’on lâche au bon moment, l’examen qu’on a réussi sans étudier, l’avion qu’on ne prend pas et qui explose au décollage. Tous ces genres de choses, on les garde près de soi, à mi-distance entre le cou et le cerveau, à hauteur de la gorge peut-être, et on les ressort de temps en temps pour enrichir la conversation avec une anecdote amusante. Tout ça est parfait.
Mais il y a aussi l’autre liste. La noire. Celle qui contient les gestes et les paroles don on ne voudrait jamais devoir assumer la responsabilité. Ces mots qu’on regrette d’avoir dits avant même d’avoir achevé de les énoncer, ces actes misérables qui nous rendent ridicules aux yeux des autres, qui nous révèlent si faibles et si lâches à nos propres yeux qu’on voudrait soi-même ne jamais s’être rencontré.
Ton rire rebondissait comme une bille sur un escalier de pierre bleue par temps ensoleillé.
J’aurais dû passer mon chemin dès le début, l’ignorer simplement comme les passants le faisaient sans exception, depuis le début de notre discussion. Ils se donnaient des airs de gens très occupés, préoccupés par la pointe de leurs chaussures et la propreté du trottoir.
L'ambassadeur aurait aimé qu'on le pince. Soit il venait d'être la victime d'un grave délire alcoolique, soit il venait d'être agressé par trois peluches, encagoulées comme des gangsters.
Un gros ours gris au volant, un chien brun sur la lunette arrière et un cochon rose, habillé d'une salopette mauve, qui le menaçait avec une aiguille à tricoter. p.115
On ne change pas les gens, même les tout-petits, avec des mots.
Il y a des phrases comme ça qui travaillent dans la tête et qui grattent comme des miettes de biscotte dans les draps.
Les chats, il n'y a rien qui m'insupporte plus. Ca joue à faire la peluche sans en avoir le talent.
Comme je l'avais prévu, les choses ont mal tourné à l'école aujourd'hui. J'ai bien cru que je n'arriverais jamais jusqu'à la bibliothèque pour rédiger mon blog. Je sais que c'est la dernière fois que je vous écrirai. Dans quelques minutes, ils m'auront repérée, ils défonceront la porte de la bibliothèque, renverseront les ordinateurs avec leurs tentacules interminables, ils approcheront leurs affreuses bouches et me dévoreront comme ils ont dévoré les autres. (p. 75)
On est comme ça, dans ce monde de fous, on a moins peur de ses propres bourreaux que de la révolution qui mettrait fin à leur règne.
il lâche sa phrase avec un tel enthousiasme qu'il est obligé, aussitôt, de se taire pour laisser respirer le silence. Les mots sont si lourd parfois qu'il vaut mieux les laisser s'écraser sur le sol.
Léo en profite pour écouter le temps filer au fond d'un bain brûlant, en compagnie d'épais romans. Toujours des livres de poche, car il lui arrive souvent de s'endormir dans la vapeur et de se réveiller plus tard, dans un bain tiède où flotte, pareil à Ophélie dans les douves du château, un bouquin gorgés d'eau, mort par noyade.