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Citations de Patrick Autréaux (159)


[Thoreau] Il médite sur les avantages de la pauvreté choisie, sur les livres dans la solitude et s'entretient avec les saisonniers qui travaillent près de l'étang. (...) Il approfondit ,sans but qu'écrire peut-être, les sciences naturalistes et se fait pousser de nouvelles mains, de celles qui caressent ou fouillent les secrets mais ne les abîment pas. (p. 70)
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En me disant au revoir, il m'a tenu par les yeux.
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Autant de passe-passe de la poésie qui transfiguraient des mots banals : cellule, nerf, tube, flux, vaisseau (que j’ai vu et entendu s’épanouir avec le plus d’étonnement, mêlant la mer et le sang, les grands fonds et l’horizon des nouveaux mondes, et secouant mon esprit pour le faire brasiller de joie et de gratitude) ; ou plus techniques : trochanter, défilé, scalène ou symphyse, mots qui embellissaient, malgré l’austérité de nos professeurs, les descriptions anatomiques ou physiologiques, et les extradaient des tripailles des cadavres que nous disséquions. Entre deux griffonnages de notes, ces visions me dictaient des poèmes.
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(Les premières pages du livre)
On croit que tout commence par un jardin. Mais ça commence avant. Longtemps avant. À un endroit que je n’arrive pas à distinguer. Un trou que personne ne soupçonne. Pas même moi. J’ignore que j’ai oublié. Et de cette ère qu’arbitrairement je décide nouvelle, je dis : Tout commence par un jardin – celui que ma grand-mère a dessiné. Dessiné est un grand mot, disons qu’elle a choisi des arbres fruitiers et décoratifs, semé des plantes vivaces, organisé un potager. Le tronc couché d’un vieil arbre y sert de banc. Un lierre court sur la façade de la petite maison. Un massif de forsythias et des lilas mauves font les printemps, des rosiers cernent un parterre de narcisses, des iris prolifèrent à côté de pavots orange et rouges. Il y a l’éternel paysage des murets, où s’accrochent des polypodes, et puis les pelouses de pâquerettes et boutons d’or, les talus où fleurissent les carottes sauvages, les trèfles sucrés, les coquelicots et saxifrages. C’est un monde en miniature où s’agitent des conspirations, dont nous ne saurons rien mais qui bouleverseront peut-être le continent dans cent mille ans, plus loin encore ou jamais. Comment savoir ce qui se trame dans l’ordinaire des choses, dans leur apparente banalité ? On sait bien qu’échappe à notre acuité la complexité des lois qui font zigzaguer les hirondelles dans les colonnes de moustiques et essaims d’éphémères, conçoivent l’architecture des petits serpents ou des toiles d’araignée, agencent les chants et ballets de tout ce qui vit. On peut devenir métaphysicien en regardant un talus. J’ai six ou sept ans. Une grandeur inconnue me monte à la tête quand j’arpente ce jardin. Dans l’herbe farfouillent des poules. Un voisin élève des dindons, un autre a des ruches. On ne les voit pas, elles colonisent le revers d’un haut mur. Les abeilles viennent pomper l’eau des papyrus qu’on sort l’été de la maison. Les plantes que préférait Mémé, dit mon grand-père.
Tout commence par un jardin. Où l’on converse avec ce qui nous précède et qu’on ne voit plus.

Enveloppant la morte qui se cachait dans les buissons et les fleurs, esquissant une auréole au-dessus de l’ombre, une sainte y planait-elle aussi. Elle m’a accompagné tout au long de mon enfance – et même bien avant que je naisse. Je ne prononce pas son nom sans craindre les sarcasmes. Ou des haussements de sourcils. Je dis sainte au sens que lui donnent les catholiques ; mais je la décanonise, imitant d’autres avant moi, pour la tutoyer comme quelqu’un de la famille. Aujourd’hui encore, je ne peux lire certains de ses textes ou les paroles qu’on a retranscrites à la toute fin de sa vie sans être bouleversé. J’ai tôt senti que son monde intérieur s’apparentait au mien. Il ne s’agissait pas de nos croyances, car je ne partage pas les siennes, mais de cette tension amoureuse vers un invisible visage. Je pensais parfois : Tu es donc une sorte de sœur. Le lien entre nous était toutefois plus compliqué. Un saint, quel que soit le milieu où il ou elle émerge, est aussi cela : une indocile figurine avec laquelle converser de notre propre vie, pour y lire des signes qu’on n’est pas seul à être ce qu’on croit. D’autres jouent ce rôle et viennent à notre aide, artistes ou saints laïcs – de ces intransigeants qui, comme elle le jour de sa mort, s’inquiètent souvent de dire : Il me semble que je n’ai jamais cherché que la vérité.
Le temps des dévotions et des moqueries passé, relisant un jour l’histoire de son âme, je me suis reconnu en elle enfant. Ce fut un choc. Comme elle, j’avais été séparé nourrisson de ma mère ; ma grand-mère s’était occupée de moi. À l’âge où la sainte perdit sa mère, je perdis ma grand-mère. De lutin bavard, j’étais devenu taciturne ; la mort de sa mère la rendit timide et réservée. Pourquoi adolescent, presque à l’âge où elle est entrée au noviciat, ai-je songé au monastère ? Je ne savais pas ce que j’y venais chercher. Ni un retrait du monde, ni une communauté, ni Dieu en quoi je ne croyais plus. J’y découvris qu’écrire m’ouvrirait ce non-lieu qui semblait m’attirer. Dès lors, littérature et sainteté ont eu en moi un improbable rendez-vous. À trente ans, j’ai dû rester allongé une année dans un lit. J’y ai vu ma mort de près et aussi l’amour de ceux qui se sont occupés de moi. J’en suis revenu. Elle, c’est la tuberculose qui la rongeait. Des mois d’agonie. Et pire peut-être : tout ce à quoi elle avait cru s’était éclipsé. Un grand massacre avait dévasté sa volière intérieure. Les êtres surnaturels, et les morts aimés, ne faisaient plus sentir leur présence. Le ciel s’était brouillé. Elle entendait une voix venue du fond d’elle-même répéter : Il n’y a que le néant. Rien, rien, il n’y a rien après. J’avais vécu de tels assauts. De cela personne ne peut vous soigner durablement, et je ne crois pas qu’on en guérisse. Une chose est de ne croire en rien quand la pleine santé nous sourit, une autre d’entendre malade une voix assénant que la glissade se termine dans la fosse sans double-fond des tombes. Avait-elle soupçonné que Dieu est cette béance où l’on finit par sombrer ? Sans oser rien espérer de plus. Sans rien pouvoir léguer que la dignité d’affronter la peur du néant. Sans rien découvrir de plus beau que la joie à ne pas cesser d’aimer.

Les religieux, comme les aristocrates, ont des noms pleins de bois et de velours. Celui qu’elle avait choisi est hanté par le visage de son aimé et porte l’enfant qu’il fut. Il faisait d’elle une petite mère et amante du divin époux. Mais c’est rarement de ce nom complet que je l’ai entendue désignée chez moi. Elle n’était qu’un pèlerinage, une silhouette voilée à la puissance lointaine. Longtemps, je m’en suis méfié. Trop proche de la morte. Trop de son temps. Trop croyante. Comment imaginer qu’elle deviendrait ce thérapeute que je n’attendais pas ?
Écrire n’est pas prier. Et parfois si. Je l’ignorais enfant, mais elle avait beaucoup pensé, beaucoup écrit. Quelle force il faut pour trouver une forme dans la multitude des choses et des événements ! Elle voulait discerner dans tout ce qui arrivait, même si elle ne le comprenait pas, le doigt invisible de celui qu’elle aimait. Elle tendait avec confiance les mains pleines de mots vers ce visage aux yeux clos. Il était pourtant bien impuissant – d’une infinie puissance d’impuissance. Elle persévérerait même quand il aurait disparu. Jusqu’au bout. Et quelle patience il faut pour révéler un paysage dans une roche ou un ordre temporaire dans le flux bruyant de cet univers troublé ! À moins que ce discernement ne vienne de la fatigue. Peut-être qu’à force de guetter on s’est affaibli la vue à tenter de reconnaître, et qu’on distingue enfin. Peut-être qu’à force on sait attendre ou accepter même de ne rien voir. Rien qui soit définitif mais qu’on écrit. Sont-ils des saints ou des fous ceux qui écrivent avec leur sang ? Je n’oublie jamais que cette jeune fille a fait des livres de sa chair. Et que ce qui est ainsi créé, même si l’on se sent étranger à ce qu’on y dit, est un aliment digne d’être goûté.
J’aimerais croire qu’une communion existe entre les intransigeants de tous les pays et époques, de toutes les fois possibles, des sans-foi. Une communion faite d’innombrables visages, et où rien ne s’opposerait pour s’annihiler, où le tout trouverait une forme. N’était-ce pas ce dont parlaient les doctes chrétiens en concevant la communion des saints ? Je ne suis pas théologien et peu orthodoxe. Sans doute aurais-je été (et le serais-je encore) condamné au bûcher des uns et des autres. Mais même hérétique, je m’émeus de savoir que mourante tu aimais éventer avec des pétales de roses cet aimé aux yeux clos sur la croix.

Dès que je t’ai lue, vraiment lue, je t’ai parlé comme à quelqu’un qui comprenait. Alors, je ne vais pas faire de chichi, ni afficher une neutralité feinte. Je ne crois pas avoir été impressionné par toi. Tu semblais familière, sans que je comprenne bien pourquoi ni comment. Tu inspirais une tendresse reconnaissante et un peu douloureuse à ma mère, un respect à mon père, pourtant hostile aux curés, et à mon grand-père, distant lui aussi de toute bigoterie. Je n’ai jamais été impressionné. Enfin, un peu quand même. J’avais besoin de quelqu’un qui me prenne la main, là où ma mère et mon grand-père se perdaient dans les larmes. Moins pour retrouver une petite enfance que pour désirer y aller fouiller.
Je n’avais presque pas connu ma grand-mère. Je l’aimais parce qu’on me disait que je l’avais aimée, mais je me souvenais à peine d’elle. Elle était faite surtout de récits et enfermée dans quelques photos. Il est possible que cela m’ait étonné quelquefois, quand j’entendais ma mère parler de sa mère, même si mon émotion venait de l’entendre dire Maman ou Mémé ; ou quand mon grand-père, s’enivrant soudain de malheur, se lançait dans le récit de la longue agonie. Leur douleur a masqué la mienne. Masqué que je l’avais même oubliée. J’étais étranger à cette part de moi. En orbite autour d’un trou.
Pourquoi n’ai-je rien vu de mon propre mystère ? rien soupçonné ? Ou pourquoi cette pensée, si elle m’a traversé, ne m’a-t-elle pas chamboulé ? Sous l’étonnement pointe encore aujourd’hui la peur. Et si j’allais découvrir ce qu’il ne faut pas voir, sous peine de ne plus être en paix ? Et si ce que je perçois vaguement, et parfois pas, comme une touche de pelouse dans la rocaille indique la présence d’une source profonde, et si ce que je sens et qui va se montrer avec son manteau de voiles était ce qui ne me laissera plus tranquille ? Je me croyais curieux, j’évitais l’énigme.
Ce jour donc que je lisais l’histoire de ton âme, comme tu la nommes, que je la relisais plutôt, cela m’avait frappé : ce trou en moi était planté d’un point d’interrogation. Et debout sur cette étrange croix, que je voyais enfin, tu me souriais.
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« Chaque fois que j’ai lu tes souvenirs d’enfance, je me suis étonné de leur précision. Il y a tant de détails dont je suis mutilé. C’est peut-être pour cela que j’ai voulu un jour écrire sur toi, Thérèse : pour retrouver ce qui s’est perdu en moi. »
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Que pouvaient les livres ? Sinon être là et prendre soin de nous, quand nous nous laissions aider. Devant cette sorte d’absolue sécheresse et de méchanceté impitoyable, prendre soin d’un être est le seul geste qui apaise, me répétais-je, ou écrire en imaginant que ce qu’on écrit sera présent à côté de quelqu’un peut-être. Cela seul permettait de retrouver le goût des couleurs, des sons, des arbres, de toute chose. Encore fallait-il que les livres parviennent à leurs destinataires inconnus, que leur chuchotement puisse filtrer au travers du bruit ambiant.
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Les livres nous analysent eux aussi, répétait Max.Même ceux qu'on n'aime pas, qu'on critique, dont on perçoit les limites et se distancie.Surtout ceux-ci peut-être, qui font sentir l'altérité, et donc notre singularité. ( p.45)
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Les livres sont des oiseaux.

(p.69)
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Il m'arrivait de penser qu'il m'aurait moins perdu si j'étais mort, puisque je ne savais plus l aimer - puisque peut-être je ne savais plus aimer du tout.
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Compatir parfois est une manière de ne pas vouloir savoir.
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Etre à ses côtés, non pas dans la tristesse mais dans ce qui n'est ni spectacle, ni pensée, ni langage: au cœur de ce qui respire.
Le temps prend une amplitude et un rythme géologiques, quand on soigne: à la fois pressé et distendu, ralenti et tortu, il rend plus simple, natif en quelque sorte. (p. 87)
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Près de deux ans ont passé ainsi.
Le retrait est un acte d'écoute- acte de parole est prise sur le silence. -Walden- en témoigne. C'est seulement par l'écriture que j'écoutais, que je voyais mieux. (p. 72)
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J’avais déjà renoncé à tout, je crois, à ce qui exigeait encore de naître, à devenir un jour écrivain. Des mécanismes intérieurs s’activaient, comme ceux qu’on imagine dans les temples et les sépultures antiques, qui font pivoter des cloisons pour livrer passage vers des galeries, des culs-de-sac et des sarcophages vides.
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La littérature hagiographique est pleine de ces vainqueurs de la mort, qui font stigmates de leurs plaies, chassent les diables et apposent sur tout leur panacée.
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J’aurais voulu porter cette urgence à être dans l’esprit des gens que je voyais en consultation. On ne lance pas le brûlot chez ceux qui souffrent sans jouer aux apprentis sorciers. Et comment dire, sans en escamoter l’horreur et sans être indécent, la richesse terrible des désastres ? J’essayais bien de transmettre un je-ne-sais-quoi d’autre par mon visage ou ma voix. Les paroles ne suffisaient pas.
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Tant qu’avaient duré les traitements, j’avais accepté ma réclusion et ce repos forcés avec une certaine satisfaction : je méditais, je lisais, j’écrivais. Certes il y avait la maladie, mais grâce à elle j’allais m’engager sur une nouvelle route.
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Mourir est sans doute plus facile qu’on ne pense, mais je n’étais pas en train de mourir : je venais seulement d’apprendre que j’allais mourir. C’était plus compliqué à concevoir.
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Quand tout se brise, on voudrait casser plus encore.
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L’aventure encore. Et en littérature, ne commence-t-elle pas justement lorsqu’on croit n’avoir plus rien à écrire ?
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Depuis que j’écrivais, c’est ainsi que j’avais avancé, de manuscrit en manuscrit, et si beaucoup n’avaient pas été publiés, tous m’avaient permis, ceux du moins que j’avais achevés, d’aller au-delà d’eux-mêmes. Tous m’avaient aidé à me défaire de quelque chose, non pas de l’histoire ou des sujets traumatisants sur lesquels j’écrivais, mais de mon attachement à eux. Ils étaient les étapes d’un processus de métamorphose et s’alignaient comme on expose, dans certains muséums, les exuvies des insectes pour en montrer le développement. Si ce n’est que je ne savais pas ce vers où cela conduisait. Mais je sentais que l’écriture, depuis qu’elle était entrée dans ma vie, tant d’années plus tôt, qu’elle aboutisse à des manuscrits ratés ou plus tard à des livres accomplis, était une manière de modeler ce quelque chose dont je suis incapable de définir la nature : un moi mouvant, sans frontière, sans réelle substance, et qui se transformait par les mots, du moins que les mots savaient façonner et éroder en même temps.
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