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Citations de Patrick Modiano (1623)


Ne me sentant aucune vocation particulière, j'attendais de mes aînés qu'ils me choisissent un emploi. A eux de savoir sous quels aspects ils me préféraient. Je leur laissais l'initiative. Boy-scout? Fleuriste? Tennisman? Non : Employé d'une pseudo-agence de police. Maître chanteur, indic, racketteur. Cela m'a étonné tout de même. Je n'avais pas les vertus qu'exigent de tels travaux : la méchanceté, le manque de scrupules, le goût des fréquentations crapuleuses. Je m'y suis mis courageusement comme d'autres préparent leur CAP de chaudronnier. Le plus curieux avec les garçons de mon espèce : ils peuvent aussi bien finir au Panthéon qu'au cimetière de Thiais, carré des fusillés.
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Je revis le visage de maman. Elle se penchait vers moi et, comme chaque soir, avant d'éteindre la lumière, me glissait à l'oreille : "Tu finiras sur l'échafaud !"
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Dans les plis secrets de ces quartiers-là, Margaret et les autres vivaient encore tels qu’ils étaient à l’époque. Pour les atteindre, il fallait connaître des passages cachés à travers les immeubles, des rues qui semblaient à première vue des impasses et qui n’étaient pas mentionnées sur le plan. En rêve, il savait comment y accéder à partir de telle station de métro précise. Mais, au réveil, il n’éprouvait pas le besoin de vérifier dans le Paris réel. Ou, plutôt, il n’osait pas.
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Quelqu’un lui avait chuchoté une phrase dans son sommeil : Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses, et il la nota dans son carnet, sachant bien que certains mots que l’on entend en rêve, et qui vous frappent et que vous vous promettez de retenir, vous échappent au réveil ou bien n’ont plus aucun sens.
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Cette recherche risque de donner l'impression que j'y ai consacré beaucoup de temps -déjà cent pages-, mais ce n'est pas exact. Si l'on met, bout à bout, les moments que j'ai évoqués jusqu'ici dans un certain désordre, cela fait à peine une journée. Qu'est-ce qu'une journée sur une distance de trente ans ? [...] En somme, trente ans au cours desquels Noëlle Lefebvre ne m'aura vraiment occupé l'esprit qu'une journée.
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Sûrement, elle appartient à cette race d’humains que j’ai élue entre toutes : leurs traits sont durs et pourtant fragiles, on y lit une grande fidélité au malheur.
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A mesure que je précisais l’itinéraire, c’était comme si je l’avais déjà suivi et je n’avais même plus besoin de consulter l’ancienne carte d’état-major. Mais était-ce vraiment le bon chemin ? Dans vos souvenirs se mêlent des images de routes que vous avez prises et dont vous ne savez plus quelles provinces elles traversaient.
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Bien qu’elle n’ait jamais été identifiée, j’ai retrouvé sa trace vingt ans plus tard. Je ne connaissais pas ce quartier. Ce sont les autres qui vous font connaître une ville dans ses zones les plus secrètes et les plus lointaines, en vous donnant rendez-vous à telle ou telle adresse. Quand ils ont disparu, ils vous entraînent sur leurs traces.
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J’effectuais tous mes gestes au ralenti pour leur donner le plus de précision possible, et je ne quittais pas du regard le petit homme coiffé en brosse comme si j’avais voulu le défier et lui permettre de bien retenir les traits de mon visage. Elle s’impatientait et je l’ai laissée sortir devant moi, puis, avant de la suivre, je suis resté quelques secondes immobile dans l’embrasure de la porte, les yeux fixés sur le concierge. J’attendais qu’il se dirige vers moi, mais lui aussi se tenait immobile à m’observer. Le temps s’était arrêté. Elle m’avait devancé d’une dizaine de mètres et je ne savais plus si je pourrais la rattraper, tant mon pas était lent, de plus en plus lent, avec cette sensation de flotter et de décomposer le moindre de mes mouvements.
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J’ai entendu la porte se refermer et j’ai senti un pincement au cœur. Mais, en sortant de l’immeuble, je ne voyais plus vraiment la raison d’être triste. Pour quelques mois encore ou, qui sait, quelques années, malgré la fuite du temps et les disparitions successives des gens et des choses, il y avait un point fixe : Geneviève Dalame. Pierre. Rue de Quatrefages. Au numéro 5.
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Il m’arrivait souvent de capter des bribes de conversation d’inconnus dans les cafés. Je les notais le plus discrètement possible. Au moins, ces paroles n’étaient pas perdues pour toujours.
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Pendant quelques temps, j’imaginais ce frère de Geneviève Dalame entrer dans une cabine téléphonique et composer le numéro Val-d’or et quatre chiffres sans que personne ne réponde. Et je le voyais aussi prenant le métro, puis traversant la Seine jusqu’à Saint-Cloud, vêtu de son blouson en faux léopard. L’hiver avait été assez rude cette année-là et, le col relevé, il marchait à la recherche d’une avenue qui n’existait pas. Et cela pour l’éternité.
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J’ai longtemps été persuadé que l’on ne pouvait faire de vraies rencontres que dans la rue. Voilà pourquoi j’attendais la fille de Stioppa sur le trottoir, en face de son immeuble, sans la connaître. « Je t’expliquerai tout », m’avait-elle dit au téléphone. Quelques jours encore, une voix de plus en plus lointaine prononçait cette phrase dans mes rêves. Oui, si j’avais voulu la rencontrer, c’est que j’espérais qu’elle me donnerait des « explications ». Peut-être m’aiderait-elles à mieux comprendre mon père, cet inconnu qui marchait en silence à mes côtés, le long des allées du bois de Boulogne.
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Les samedis après-midi de cet hiver-là, avant d’aller rejoindre ma mère à Pigalle, dans sa loge de théâtre, je me postais devant l’immeuble de la rue Spontini en attendant que la porte cochère vitrée à ferronneries noires s’ouvre et qu’apparaisse une fille de mon âge, « la fille de Stioppa ». J’avais la certitude qu’elle serait seule, qu’elle marcherait à ma rencontre et qu’il serait naturel de l’aborder. Mais elle n’est jamais sortie de l’immeuble.

Stioppa m’avait communiqué son numéro de téléphone. On a décroché: « Je voudrais parler à la fille de Stioppa. » Un silence. Je me suis présenté comme « le fils d’un ami de Stioppa ». Sa voix était claire et amicale, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. « Rappelle-moi la semaine prochaine, m’a-t-elle dit. Nous nous donnerons rendez-vous. C’est compliqué… Je n’habite pas chez mon père… Je t’expliquerai tout… » Mais la semaine suivante et les autres semaines de cet hiver-là, les sonneries de téléphone se succédaient sans que personne ne réponde. Deux ou trois fois, le samedi, avant de prendre le métro pour Pigalle, j’ai encore fait le guet devant l’immeuble de la rue Spontini. En vain. J’aurais pu sonner à la porte de l’appartement mais, comme pour le téléphone, j’étais sûr que personne ne répondrait. Et puis, à partir de ce printemps-là, il n’y a plus jamais eu de promenade au bois de Boulogne avec Stioppa. Ni avec mon père.
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Maintenant qu’elle a traversé la place de Clichy, elle tourne enfin le dos au dix-huitième arrondissement. Elle laisse derrière elle ce quartier noyé pour toujours dans le couvre-feu. Elle ne veut pas penser à son père car elle se sent encore trop proche de cette zone noire et silencieuse d’où personne ne pourra plus jamais sortir.
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J’ai écarquillé les yeux. Mais je n’ai pas pu me réveiller. Je restais immobile sur cette place, en contemplant l’eau des fontaines et les groupes de tour-sites qui entraient dans l’ancien musée des Colonies. J’ai voulu marcher jusqu’au grand café de l’avenue Daumesnil, m’asseoir à la terrasse, parler avec mes voisins pour dissiper ce sentiment d’irréalité. Mais cela augmenterait encore mon malaise : si j’engageais la conversation avec des inconnus, ils me répondraient dans une autre langue que la mienne. Alors, en dernier recours, j’ai pensé téléphoner à Annette de ma chambre de l’hôtel Dodds. Non. De cette chambre que nous avions peut-être occupée il y a vingt ans, je ne parviendrais pas à la joindre, la communication serait brouillée par toutes ces années accumulées les unes sur les autres. Il valait mieux que je demande un jeton au comptoir du premier café et que je compose le numéro dans la cabine. J’y ai renoncé. Là aussi, ma voix serait si lointaine qu’elle ne l’entendrait pas.
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La voix avait perdu pour eux toute réalité. Elle n’était plus qu’un bruit de fond qui se mêlait à la musique des orchestres et aux chansons de ce temps-là. Les jours, les mois, les saisons, les années passaient, monotones, dans une sorte d’éternité. Ingrid et Rigaud se souvenaient à peine qu’ils attendaient quelque chose, qui devait être la fin de la guerre. Parfois, elle se rappelait à eux et troublait ce que Rigaud avait appelé leur voyage de noces. Un soir de novembre, des bersagliers prirent possession au pas de course de Juan-les-Pins. Quelques mois plus tard, ce furent les Allemands. Ils construisaient des fortifications le long du rivage et rôdaient autour de la villa. Il fallait éteindre les lumières et faire semblant d’être mort.
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Ils retournaient à l’hôtel, et les nuits sans lune l’inquiétude les envahissait tous les deux. Pas un lampadaire, ni une fenêtre allumée. Le restaurant de la Princesse de Bourbon brillait encore comme si elle restait la dernière à oser braver le couvre-feu. Mais au bout de quelques pas, cette lumière disparaissait et ils marchaient dans le noir. Le murmure des conversations s’éteignait lui aussi. Tous ces gens, dont la présence les rassurait autour des tables et qu’ils voyaient à la plage pendant la journée, leur semblaient maintenant irréels. Le Provençal lui-même, dont la masse blanche se devinait au fond des ténèbres, était un gigantesque décor en carton-pâte. Mais ils entraient dans le hall. La lumière étincelante du lustre leur faisait cligner les yeux. Le concierge se tenait en uniforme derrière le bureau de la réception. Les choses reprenaient un peu de consistance. Et de nouveau le doute et l’inquiétude les effleuraient quand ils appuyaient sur le bouton du cinquième, un ruban adhésif recouvrant les boutons des autres étages pour bien montrer que ceux-ci étaient condamnés. Au terme de leur lente ascension dans l’obscurité, ils accédaient à un palier et à un couloir qu’éclairaient faiblement des ampoules nues. C’était ainsi. Ils passaient de la lumière à l’ombre et de l’ombre à la lumière. Il fallait s’habituer à ce monde où tout pouvait vaciller d’un instant à l’autre.
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Les bois, les avenues vides, la masse sombre des immeubles, une fenêtre éclairée qui vous donne l’impression d’avoir oublié d’éteindre la lumière dans une autre vie, ou bien que quelqu’un vous attend encore… Tu dois te cacher dans ces quartiers-là. Sous quel nom ? Je finirai par trouver la rue. Mais, chaque jour, le temps presse et, chaque jour, je me dis que ce sera pour une autre fois.
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On ne retourne pas souvent dans les quartiers du sud. C’est une zone qui a fini par devenir un paysage intérieur, imaginaire, au point qu’on s’étonne que des noms comme Tombe-Issoire, Glacière, Montsouris, le château de la Reine Blanche, figurent dans la réalité, en toutes lettres, sur des plans de Paris. Je ne suis jamais revenu rue de l’Aude. Sauf dans mes rêves.
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