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Citations de Patrick Modiano (1622)


J’avais l’impression d’être dans un rêve. Cela m’arrivait souvent à cette époque, surtout lorsque la nuit était tombée. La fatigue ? Ou bien cet étrange sentiment de déjà-vu qui vous envahit lui aussi à cause du manque de sommeil ? Alors, tout se brouille dans votre esprit, le passé, le présent, le futur, par un phénomène de surimpression. Et aujourd’hui encore, la rue Cuvier me semble détachée de Paris, dans une ville de province inconnue, et j’ai peine à croire que cet homme qui marchait à côté de moi ait vraiment existé.
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Il n’y a jamais eu pour moi ni présent ni passé. Tout se confond, comme dans cette chambre vide où brille une lampe, toute les nuits. Je rêve que je retrouve le manuscrit. J’entre dans le salon au dallage noir et blanc et je fouille les tiroirs, au-dessous des rayonnages de livres. Ou bien, un mystérieux correspondant, dont je ne parviens pas à déchiffrer le nom derrière l’enveloppe après le mot « expéditeur », me l’envoie par courrier. Et le cachet de la poste indique l’année où nous allions, Dannie et moi, dans cette maison de campagne. Mais je ne m’étonne pas que le paquet ait mis si longtemps à arriver.
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Le soir, elle m’a dit qu’il valait mieux ne pas allumer la lumière. Là dans la pénombre, avec les rideaux tirés, je me disais que nous nous étions introduits dans cette maison par effraction. Et cela me paraissait presque normal, tant j’avais l’habitude de vivre sans le moindre sentiment de légitimité. A la lueur de la bougie, nous parlions à voix basse pour qu’on ne nous entende pas du dehors, et elle non plus ne s’étonnait pas de cette situation. Sans savoir grand-chose sur son compte, j’étais sûr que nous avions quelques points communs et que nous étions du même monde.
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Les sonneries se succédaient sans que personne ne réponde, et j’ai été surpris qu’après tant d’années ce numéro soit encore attribué. Un soir où j’avais fait de nouveau 437.41.10 j’ai entendu des grésillements et des voix étouffées. Peut-être s’agissait-il d’une de ces lignes abandonnées depuis longtemps. Leurs numéros n’étaient connus que par certains initiés qui s’en servaient pour correspondre dans la clandestinité. J’ai fini par discerner une voix de femme qui répétait toujours la même phrase sans que je puisse capter les mots – un appel monotone comme sur un disque rayé. La voix de l’horloge parlante ? Ou la voix de Dannie qui m’appelait d’un autre temps et de cette maison de campagne perdue ? J’ai consulté un ancien annuaire de l’Eure-et-Loir, que j’avais découvert au marché aux puces de Saint-Ouen, dans un dépôt, parmi des centaines d’autre. Il n’y avait qu’une dizaine d’abonnés à Feuilleuse, et le numéro était bien là, un chiffre secret qui vous ouvrait « Les Portes du Passé ».
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Je me souviens de ce chiffre 5, moi qui ai toujours oublié le numéro des chambres d’hôtel, la couleur de leurs murs, de leurs meubles et de leurs rideaux, comme s’il était préférable que ma vie de cette époque-là s’efface au fur et à mesure.
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J’hésite à écrire en toutes lettres le nom de famille que j’avais noté sur le carnet noir, à notre première rencontre : Dannie R., pavillon des Etats-Unis, 15, boulevard Jourdan. Peut-être le porte-t-elle de nouveau aujourd’hui – après tant d’autres noms – et je ne veux pas attirer l’attention sur elle au cas où elle serait encore vivante quelque part. Et pourtant, si elle lisait ce nom imprimé, peut-être se sou-viendrait-elle de l’avoir porté à une certaine époque et aurais-je de ses nouvelles.
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Parmi ces quantités de notes, certaines ont un résonance plus forte que les autres. Surtout quand rien ne trouble le silence. Plus aucune sonnerie de téléphone depuis longtemps. Et personne ne frappera à la porte. Ils doivent croire que je suis mort. Vous êtes seul, attentif, comme si vous vouliez capter des signaux de morse que vous lance, de très loin, un correspondant inconnu. Bien sûr, de nombreux signaux sont brouillés, et vous avez beau tendre l’oreille, ils se perdent pour toujours. Mais quelques noms se détachent avec netteté dans le silence et sur la page blanche.
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Je me souviens que j’éprouvais une drôle de sensation en longeant le mur de l’hôpital Lariboisière, puis en passant au-dessus des voies ferrées, comme si j’avais pénétré dans la zone la plus obscure de Paris. Mais c’était simplement le contraste entre les lumières trop vives du boulevard de Clichy et le mur noir, interminable, la pénombre sous les arches du métro. Dans mon souvenir, ce quartier de la Chapelle m’apparaît aujourd’hui tout en lignes de fuite à cause des voies ferrées, de la proximité de la gare du Nord, du fracas des rames de métro qui passaient très vite au-dessus de ma tête… Personne ne devait se fixer longtemps par ici. Un carrefour où chacun partait de son côté.
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En 1965, je ne savais rien de Dora Bruder. Mais aujourd’hui, trente ans après, il me semble que ces longues attentes dans les cafés du carrefour Ornano, ces itinéraires, toujours les mêmes, et ces impressions fugitives que j’ai gardées : une nuit de printemps où l’on entendait des éclats de voix sous les arbres du square Clignancourt, et l’hiver, de nouveau, à mesure que l’on descendait vers Simplon et le boulevard Ornano, tout cela n’était pas dû simplement au hasard. Peut-être, sans que j’en éprouve encore une claire conscience, étais-je sur la trace de Dora Bruder et de ses parents. Ils étaient là, déjà, en filigrane.
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Son visage s’était assombri et je sentais bien qu’il voulait me confier quelque chose. Enfin il s’était résolu à parler, mais avec une telle réticence que ses propos étaient embrouillés. D’après ce que j’avais compris, il s’était rendu aux consulats de Belgique et d’Italie pour obtenir un extrait d’acte de naissance et d’autres papiers dont il avait besoin en prévision de son départ. Une confusion s’était produite. D’Anvers, sa ville natale, on avait transmis au consulat d’Italie l’état civil d’un autre Francis Jansen, et celui-ci était mort.
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J’étais presque soulagé de cette perte progressive d’identité. Je percevais encore quelques mots, les voix des deux femmes devenaient plus douces, plus lointaines. J’allais disparaître dans ce jardin, parmi la foule du lundi de Pâques. Les efforts que j’avais fournis depuis trente ans pour exercer un métier, donner une cohérence à ma vie, tâcher de parler et d’écrire une langue le mieux possible afin d’être bien sûr de ma nationalité, toute cette tension se relâchait brusquement.
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Il me semblait être moi aussi un touriste égaré dans une ville que je ne connaissais pas. Je regardais fixement le ticket rose comme s’il était le dernier objet susceptible de témoigner et de me rassurer sur mon identité, mais ce ticket augmentait encore mon malaise. Il évoquait une époque lointaine de ma vie que j’avais du mal à relier au présent. Je finissais par me demander si c’était bien moi l’enfant qui venait ici avec son père. D’ici un moment, je ne saurais même plus qui j’étais et aucun de ces étrangers autour de moi ne pourrait me renseigner.
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D’ailleurs, cette soirée d’il y a presque trente ans revient souvent dans mes rêves. Je suis assis sur le canapé à côté d’elle, si distante que j’ai l’impression d’être en compagnie d’une statue. Une lumière estivale de fin de jour baigne l’atelier. Les photos de Robert Capa et de Colette Laurent ont été enlevées du mur. Plus personne n’habite ici. Jansen est parti au Mexique. Et nous, nous continuons à attendre pour rien.
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Et tout s'est bien passé ?
Oui. Ce n'était pas vraiment un vaccin, mais un rappel.
Il aurait voulu que cette conversation se poursuive tout l'après-midi sur ce ton.
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Et, ne pouvant revivre le passé pour le corriger, le meilleur moyen de les rendre inoffensifs et de les tenir à distance [les fantômes des personnes familières autrefois], ce serait de les métamorphoser en personnages de roman. (p.34)
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Les différentes périodes d'une vie - enfance, adolescence, âge mûr, vieillesse - correspondent aussi à plusieurs morts successives. (p.14)
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Comme beaucoup d'autres avant moi, je crois aux coïncidences et quelquefois à un don de voyance chez les romanciers - le mot "don" n'étant pas le terme exact, parce qu'il suggère une sorte de supériorité. Non, cela fait simplement partie du métier : les efforts d'imagination, nécessaires à ce métier, le besoin de fixer son esprit sur des points de détail - et cela de manière obsessionnelle - pour ne pas perdre le fil et se laisser à aller à sa paresse [...].
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Il faut longtemps pour que ressurgisse à la lumière ce qui a été effacé.
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Je vais continuer d’égrener ces années, sans nostalgie mais d’une voix précipitée. Ce n’est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite, ou alors je n’en aurai plus le courage.
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Patrick Modiano
Je pars du concret pour aller vers la fiction.

Lire, 2010
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