Citations de Paul Guimard (192)
Je voudrais avoir, comme les animaux, l'instinct de mes besoins, tout deviendrait évident et facile, au lieu de balancer entre l'impatience des désirs superficiels et la recherche confuse des besoins profonds.
Je ne peux m'éloigner d'Hélène sans trébucher dans le vide que creuse son absence mais en même temps je supporte parfois mal ses aspérités, sa tournure d'esprit abrasive qui vous use sans repos et vous laisse, à force de mortifications légères, avec des escarres au cœur.
Je voudrais que vous m'aidiez, Bertrand, toi, Hélène, Aurélia, Bob, le médecin, le monde entier parce que c'est affreux de mourir, ce n'est pas le sort de tous comme on dit ignoblement, c'est chaque fois un drame terriblement particulier. Pour moi-même je suis unique, je ne suis pas un homme sur des milliards qui va mourir. Je vous en supplie, faites quelque chose, soyez ici, parlez, plaignez-moi. Quoi de plus important que ce qui va m'arriver ? Qu'est-ce que l'humanité si elle ne suspend pas son souffle quand un homme crève ? Faites quelque chose, tous, l'un de vous a peur.
J'aurais dû, tout à l'heure sur la route, prendre le temps de regarder avec intensité l'eau et le vent, les arbres et cet enfant minuscule qui courait à la lisière d'un bois et les roses devant la ferme. L'inattention des vivants est confondante. En fait, on ne voit que ce qui s'inscrit dans le champ des oeillères de nos préoccupations du moment. As-tu remarqué ? Lorsqu'on possède une voiture neuve, fût-elle d'un modèle rare, on ne voit plus que les voitures de cette marque. Après mon accident de Tripoli, quand je marchais avec des cannes, Paris était peuplé d'infirmes. Il y a cent fois plus de barbus si l'on se laisse pousser la barbe. On ne fait que projeter autour de soi son petit cinéma intime. Je l'ai souvent constaté à l'occasion de procès où dix témoins, face au même événement, n'en avaient retenu chacun que le détail ou la péripétie correspondant à son état d'âme de l'instant. Ce phénomène de vision sélective est universel et sa puérilité me consterne. Tant de merveilles prodiguées vainement devant des yeux à demi clos !
A l'âge de raison j'ai décidé de ne pas croire au rendez-vous de Samarcande, de nier que tout s'achève un jour. J'ai préservé longtemps cette foi superbe. Ce fut mon armure, ma certitude. La puissance de la mort s'arrête à cette frontière, elle ne prévaut pas contre une détermination. Cette vieille pute a besoin de la complicité de sa clientèle. On n'a jamais vu quelqu'un mourir malgré lui. L'homme est plus en sécurité dans un refus que dans une forteresse.
Je ne suis pas de ceux qui souhaitent une mort subite. Que l'on puisse dire de moi "il a eu une belle mort, il ne s'est rendu compte de rien" me paraît le comble de la disgrâce. La mort est une chose trop sérieuse pour l'affronter à la sauvette.
Les gens qui parlent autour de moi sans soupçonner que je puisse les entendre semblent certains du dénouement. Brutalement, la distance entre eux et moi devient fabuleuse. Ce médecin n'est pas à cinquante centimètres, il évolue à des milliards d'années lumière, sur la planète des hommes en bonne santé, de l'autre côté de cet espace infini des deux secondes qui m'ont jeté à terre et fracassé. Pour la première fois je connais la vraie solitude.
Le temps procède toujours de la même manière, il immobilise ses victimes avant de les dévorer, comme font certaines espèces de guêpes, et n'en laisse que des débris.
La référence à l’actualité rassure ; elle procure à bon compte la sensation d'être ancré dans le présent, épaulé par une masse humaine qui partage au même moment des préoccupations semblables. il faut être jeune pour prendre plaisir à des conversations intemporelles.
Ursula soupçonne que le temps de l’innocence est révolu, que l'heure a sonnée de s'éveiller adulte, d'oublier la merveilleuse irresponsabilité de la jeunesse et de savoir qu'on sera, quoi qu'on fasse, l'éléphant dans le maison de porcelaine de quelqu'un.
On peut bien retenir son souffle et marcher sur la pointe des pieds, chaque pas en avant modifie et dérange un équilibre ; fut on une jolie suissesse de trente ans persuadée que tout doit être pour le mieux dans le meilleur des mondes, on s'ouvre un chemin comme un bulldozer en laissant derrière soi un sillage désolant ; vivre sa vie c'est toujours aliéner la vie des autres et, d'une multitude de dépossessions, faire son miel.
Il est vrai que j'adore être seul dans une ville étrangère, Rennes ou Calcutta, qu'importe, pour l'unique plaisir -et plus qu'un plaisir- de savoir que nulle nécessité ne me conduit, que le hasard me prend en charge, que l'imprévu est au détour de chaque instant, pas l'aventure mais l'imprévu, le non prévu, l'admirable disponibilité que la vie quotidienne réduit à la portion congrue.